lundi 26 mai 2008

Toute l’europe en émoi


Toute l’europe en émoi

«La Meuse» du lundi 19 juin 1996 page 15

La monstrueuse histoire belge fait la Une chez nos voisins français et britanniques Journaux et télévisions s'interrogent sur l'efficacité de notre système judiciaire

Que ce soit en France ou en Grande-Bretagne, la découverte des corps de Julie et Melissa ce week-end, plus d'un an après leur disparition, n'est pas restée inaperçue. En France, les trois chaînes principales ont ouvert leurs journaux parlés sur cet atroce fait-divers belges.

C'est sur TFl que le développement des récentes informations sur l'affaire a été le plus complet: rappel de l'affaire en cours et de la progression de l'enquête,le tout sur fond d'images du corbillard emmenant les corps des deux petites victimes...

Sentiment d'indignation et de colère

En France, que ce soit à la télévision ou dans la presse écrite, tous s'accrochent à l'espoir que les deux adolescentes, An et Eefje, disparues en août 1995 à Ostende n'ont pas connu le même sort.


Mais si le sentiment d'indignation et de colère est vif chez nos voisins d'outre-Quiévrain, leur interrogation est tout aussi prononcée : quelle est l'efficacité du système judiciaire belge ?

Marc Dutroux avait déjà été condamné pour kidnappings et viols de gamines en 1989. Trois ans plus tard, il retrouvait sa liberté, sans suivi psychologique.
« Comment cela est-il possible ? », s'indigne l'Hexagone qui connaît le système des peines incompressibles pour crimes contre les enfants.


Le Figaro entend également se pencher sur la question dans son édition de lundi.


Pourtant en France, il n'est pas rare non plus que des condamnés à 18 ou 30 ans de prison pour viol ou pédophilie ne purgent pas leur peine dans sa totalité et se voient libérés bien avant le terme qui leur avait été imposé.


En Belgique, des pétitions circulent déjà pour demander la révision du Code pénal. 4.000 signatures auraient déjà été récoltées à Bertrix, la localité de la petite Laetitia...

France Soir, dans son édition de lundi,devait consacrer trois pleines pages à cette monstrueuse histoire belge. Les Français s'interrogent également sur l'ampleur que prend la pédophilie par tout en Europe. De plus, les cas de récidive sont fréquents, de quoi interpeller l'opinion sur le phénomène qui a pris d'énormes proportions depuis la disparition des deux fillettes de Grâce-Hollogne.

La Grande-Bretagne se souvient

Outre-Manche, la presse suit de près l'actualité belge concernant l'affaire. Il est vrai que les faits de ce week-end ne vont pas sans rappeler la « maison de l'horreur» de Gloucester.


Les époux West avaient séquestré et martyrisé des jeunes filles avant de s'en débarrasser en dépeçant les corps pour les enfouir dans d'innombrables recoins de leur propriété.

Un scénario qui comporte des similarités avec l'horrible procédé utilisé par Marc Dutroux. Voilà pourquoi les quotidiens londoniens de ce lundi, comme le Daily Telegraph ou le Daily Express, n'hésitent pas à accorder de nombreuses colonnes à l'enquête et à ses débouchés macabres.

S.D.

________________________

Fantasmes sexuels et meurtriers dans la maison de l’horreur

«La Meuse» du lundi 19 août 1996 page 15

C’est le 25 février 1994 que l'on découvrait le premier cadavre d'une longue série dans une maison sise dans une rue ordinaire d'une petite ville anglaise.
Le numéro 25 de la Cromwell Street devenait alors l'endroit le plus maudit de Grande-Bretagne.

Depuis Jack L'Éventreur, aucun criminel n'a pris autant d'ampleur dans les tabloïds londoniens.
Désormais un nouveau tueur en série, dénommé Frederik West, est entré dans l'histoire des meurtriers les plus sanglants.
Il est aujourd'hui encore difficile de se prononcer sur le nombre exact de jeunes filles qui ont perdu la vie dans les murs de cette maison.

Toutefois, selon les estimations des enquêteurs, une vingtaine de meurtres auraient été commis sur une période de 25 ans. Beaucoup s'accordent à penser que les premiers assassinats perpétrés par Frederik West ont débuté peu après la mort de sa mère.

Daisy Hannah West adorait ses trois fils et particulièrement l'aîné, Frederik. Lorsqu'elle meurt en 6 février 1966, « Freddie » a 27 ans. A cette époque, il vivait avec sa femme Catherine Rena Costello, qu"il avait épousée en 1962. Cette femme aurait été une prostituée qui aimait à recevoir ses clients sous le toit de son mari. Ce dernier se plaisait d"ailleurs à assister aux ébats de son épouse.

En 1969, Rena disparaît mystérieusement. On estime aujourd'hui qu'elle fut La première victime du monstre de Cromwell Street.
La même année, West rencontre une jeune fille de 15 ans, Rose mary Letts. Elle se soumet rapidement aux fantasmes de Frederik West. Une fille naît de cette relation en 1970, Heather West.
Son corps sera le premier a être formellement identifié par la police parmi des dizaines de restes découverts dans la villa de Gloucester. Elle avait disparu en 1987. Lors de son inculpation, West a 52 ans et exerce le métier de maçon.
Pendant de longues années pourtant, il touche à de nombreux petits boulots qui lui permettent de repérer ses victimes: il est tour à tour marchand de glaces, routier et chauffeur-livreur.

Dans les années septante, le 25 de Cromwell Street devient le «Bedand Brekfast» le moins cher de la région, le plus meurtrier aussi.
Parmi les jeunes filles qui ont logé chez les époux West et qui ont échappe au pire, certaines évoquent aujourd'hui les jeux pervers qui leur étaient proposés par les West.

Pendant plus de vingt ans, les époux West commettent les actes les plus horribles qui soient. Puisant leurs victimes parmi les locataires qui pensaient trouver gîte et couvert a bon prix, mais aussi parmi leurs propres enfants.

Ils s'adonnaient à des orgies de sexe qui finissaient dans le sang. Les cadavres étaient dépecés, puis répartis dans les bâtiments de la maison.


Pendant vingt ans, Frederik lest ne cessera d'agrandir les murs de sa bâtisse afin de mieux dissimuler les corps de ses victimes. Ces corps ont été exhumés du dallage du jardin, du sol de la salle de bains et d'autres dans de multiples recoins des fondations de la cave.

Pendant deux décennies, les West accomplissent leurs horreurs sans inquiéter le voisinage ou les autorités.
C'est au début des années 1980 que le pot aux roses va être découvert. En 1991, Rosemary West tente de se suicider. Dés lors, les services sociaux vont commencer â s'occuper de la famille.
En 1993, les deux époux diaboliques sont d'ailleurs suivis psychologiquement pour dépression. Mais l'étau se resserre en 1994 lorsque des rumeurs commencent à circuler concernant les circonstances de la disparition de Heather West, la première fille du couple.

Le 23 février 1994, des magistrats ordonnent une perquisition dans le jardin. Deux jours plus tard, les West sont arrêtés. Inculpé d'abord pour l'assassinat de sa propre fille, Frederik West nie, rapidement, la liste des victimes s'allonge et le monstre de Gloucester se fait emprisonner. Lors de sa détention, il se pend dans sa cellule.

Sa femme, Rosemary West, veuve et présumée complice de l'assassin, est seule à comparaître devant la cour d'assises de Winchester qui la condamne à la prison à perpétuité...


____________________


La liste de l’horreur

Marc Dutroux allonge la liste ces tueurs en série, auteurs d'enlèvement et de viols de mineurs.

1980: aux Etats-Unis, John Gacy est condamné à mort à Chicago pour les meurtres avoués de 33 jeunes garçons.

1982: aux Etats-Unis, William Bonin, 34 ans, surnommé « Le tueur de l'autoroute », est condamné à mort à Los Angeles pour le meurtre de 10 adolescents. Entre 1972 et 1980, 44 corps avaient été découverts le long des autoroutes, affreusement mutilés.

Février 1982: aux Etats Unis, Wayne Williams, 23 ans, condamné à la prison à vie, est reconnu coupable du meurtre de deux enfants, après une série de 28 assassinats de jeunes gens noirs survenus à Atlanta.

Janvier 1989: aux Etats Unis, Ted Bundy, 42 ans, condamné pour le meurtre de deux jeunes filles et d'une fillette, confesse, trois jours avant de passer sur la chaise électrique à Starke (Floride), une vingtaine d'assassinats de jeunes femmes.

Octobre 1989: en Suisse, Michel Peiry, 30 ans, surnommé le « Sadique de Romont »,avoue avoir violé, supplicié, puis immolé par le feu trois adolescents, alors que les enquêteurs le soupçonnent d'au moins une demi-douzaine de meurtres.

Février 1992: au Brésil, le « Vampire de Rio », Marcelo Costa de Andrade, 25 ans, avoue avoir assassiné 14 garçonnets pauvres de la banlieue de Rio de Janeiro entre avril et décembre 1991 après les avoir violés.

Octobre 1992: en Russie,l'« Ogre de Rostov », Andreï Tchikatilo, 56 ans, est condamné à mort par un tribunal russe pour 52 meurtres sexuels commis principalement sur des enfants et des adolescents entre 1978 et 1990.

Janvier 1994: en Afrique du Sud, l'« étrangleur de la gare », un instituteur de 29 ans, est soupçonné d'avoir sodomisé et étranglé 22 jeunes garçons entre 1986 et 1994. Norman Afzal Simons sera reconnu coupable d'un meurtre.

Mai 1994: en Grande-Bretagne, Robert Black, un chauffeur-livreur de 47 ans, est condamné à perpétuité pour le viol et le meurtre de trois fillettes de 5,10 et 11 ans. Le meurtrier purgeait déjà une peine de prison à vie pour le viol d'une petite fille de 6 ans.

Septembre 1995: au Canada, un comptable au chômage, Paul Bernardo, est condamné à la prison à vie pour viol, torture et assassinat d'adolescentes de 14 et 15 ans. Il avoue également avoir tué la soeur de Karla Homolka, son ex-épouse, et violé 14 jeunes femmes.

Novembre 1995: en Grande-Bretagne, Rosemary West, 42 ans, est condamnée à dix peines de prison à vie pour dix meurtres, et elle est soupçonnée de neuf autres. Dans la «Maison de l'horreur» à Gloucester, où les époux West ont sévi pendant plus de 20 ans, 10 cadavres ont été retrouvés dont les corps de leurs propres filles âgées de 8 et 16 ans


____________________

DERNIERE MINUTE

Grâce-Hollogne: révolte et dégoût


Hier après-midi, lors de la conférence de presse donnée par les parents de Julie et Mélissa, de nombreuses personnes étaient venues, apporter leur soutien. Il n était pas rare d'entendre de te les réflexions: «Ce n'est pas possible de vivre dans des conditions pareilles. J'ai l'impression que le pays recule. »
Certains sont inquiets pour leurs enfants, et déplorent l'insécurité qui les menace: « Les enfants sont traumatises. On leur impose des tas d'interdits, et il faut tout le temps les surveiller. Ce n'est pas une vie, ni pour nous, ni pour eux. »

Enfin, l'incompréhension alimente la révolte:
«Travailler la nuit avec une grue n'est pas courant. Pourquoi les voisins n'ont-ils pas appelé la police? »
« Pourquoi prend-on tant de soin, pour évacuer Dutroux par hélicoptère, alors qu'on n'est même pas capable de protéger nos enfants ? »

Aux « dé» marche du palais

Priées en fin de journée de venir récupérer au palais de justice les quelques objets personnels de Julie et Mélissa, dont un noeud de cheveux et une boucle d'oreille, qui auraient servi a l'identification des corps, les mamans se sont rendues sur place. L'entrevue s'est très mal déroulée et les deux mères ont refusé de se faire accompagner par les inspecteurs de la BSR

Ferblatil: solidarité
Les ouvriers de la pause de nuit 22h-6h de la division Ferblatil Cockerill-Sambre à Tilleur ont observé, au cours de la nuit de samedi à dimanche,un arrêt de travail- en solidarité avec leur collègue
M. Russo, le papa de la petite Melissa, qui est occupe en tant qu'ouvrier au laminoir de l'usine. L'action a été suivie par l'ensemble des ouvriers, des employés et du personnel de maîtrise, en accord avec la direction et les syndicats.

Louis Michel
Le président du PRL,Louis Michel, a demandé, hier, la convocation d'urgence de la commission de la Justice de la Chambre.
Il souhaite en effet interpeller le ministre de la Justice sur les conditions d'octroi des libérations conditionnelles et les conditions effectives du suivi des bénéficiaires de telles mesures.
Le PRL entend par ailleurs réintroduire, sous forme de proposition de loi, les conditions de peines incompressibles à l'encontre d'individus condamnés pour des crimes contre des mineurs d'âge.

Marie-France Botte
Hier en début de soirée, Marie-France Botte, connue pour son action en faveur des enfants victimes de pédophiles,a réagi aux événements de ces derniers jours.
Elle se demande: « Combien d'enfants devront-ils s'ajouter sur une liste déjà trop longue, pour que la pédophilie, ce crime, soit sanctionnée avec la sévérité qui s'impose ? »


Elle fait remarquer que,selon certaines études, plus de 50% des agresseurs enfants récidivent dans les 48 heures suivant leur libération. Excellents dissimulateurs, les pédophiles sont, en effet, souvent libéré s pour «bonne conduite» (en prison, évidemment).
Le 27 août, les autorités belges seront représentées, à Stockholm, lors d'un premier sommet mondial contre les violences sexuelles à l'encontre des enfants.

Marie France Botte fait observer que « nos autorités y tiendront certainement un discours bien construit » alors qu'« en réalité, il n'existe aucune mesure, chez nous, adaptée à ce fléau ».

Elle demande à chaque, citoyen d'écrire à Opération Marie-France Botte afin de réclamer que, dans les plus brefs délais, des mesures concrètes soient prises et des budgets suffisants déployés pour être efficaces. L adresse: Avenue de la Jonction,
1060 Bruxelles.

Bertrix : des profiteurs odieux !
IL semble que ce samedi,dans Bertrix accablé par les nouvelles, de mystérieux démarcheurs aient fait du porte-à-porte, au nom d'un «comité de soutien» pour Julie et Melissa. Ils ont récolté de l'argent, sans toutefois délivrer le moindre reçu en échange.
Des responsables des ASBL Marc et Corine et Bertrix Initiatives déploraient ce genre d'agissements. Non sans raison: la collecte n'a pas duré bien longtemps avant que les démarcheurs disparaissent...

Entendu à Jupille
A Jupille dans la banlieue liégeoise, les visiteurs de la «Fête médiévale » de dimanche ne parlaient que de «ça», d'autant que la manifestation, programmée de longue date,se déroulait au profit de l'ASBL Marc et Corine.

Quelques «réflexions» épinglées ici et là: « Tu te rends compte, il aurait laissé les petites mourir de faim !» ...
« Je te le ferais pendre à un croc dle boucher, celui-là!» ...
« Un croc de boucher? Ce serait encore trop bon pour un type pareil...
»

De Clerck
Dans un communiqué diffuse à l'Agence belga, dimanche peu avant 18 heures, le ministre de la Justice, Stefaan De Clerck, se dit profondément choqué par les développements récents de l'enquête concernant les disparitions d'enfants.
« Ses premières pensées vont aux familles Russo et Lejeune qui, depuis près d une année, ont vécu un véritable calvaire dans l'incertitude du sort de leurs enfants.
Il leur adresse, au nom du gouvernement et en son nom personnel ses condoléances émues et les assure de sa profonde sympathie.
« Il partage le sentiment de révolte qui s'est manifesté dans la population, ces dernières heures, face aux situations d'horreur vécues par les jeunes victimes.
« Ses pensées vont aussi à Sabine et Laetitia, qui ont retrouvé la liberté après avoir vécu un véritable cauchemar.« Il encourage les forces de police et les magistrats chargés de l enquête a poursuivre es efforts entrepris pour faire toute la lumière sur les agissements des auteurs, en particulier pour retrouver An et Eefje et peut-être d'autres victimes.
Il conviendra demain d'analyser ces faits tragiques et d'en tirer toutes les conséquences politiques, de manière a mettre tout en œuvre pour éviter leur répétition », conclut le communiqué du ministre de la Justice.



Une longue et douloureuse enquête

«La Meuse» du lundi 19 août 1996 page 14

Depuis près d'un an, les familles Russo et Lejeune ont vécu un véritable calvaire, jalonné d'interrogations sur le fonctionnement de notre justice.

Rappel des principaux faits, des espoirs et des désespoirs qui furent le quotidien des parents de Julie et Mélissa.

24 juin: tout bascule

Julie Lejeune et Mélissa Russo, l'insouciance de leurs 8 ans. En ce samedi 24 juin 1995, le quartier résidentiel de GrâceHollogne qu'habitent ces deux copines inséparables fleure déjà bon les vacances. Il est 17 h, Julie est chez Mélissa. Elles ont répété un play-back qu'elles interpréteront pour la fête de leur école. Elles décident alors de faire une petite balade. La maman de Mélissa leur donne la permission de 17 h 30. Julie et Mélissa se dirigent alors vers le pont de l'autoroute, tout proche.

17 h 30: Mme Russo s'inquiète. Elle a donné à Mélissa une montre, pour qu'elle n'oublie pas. Mme Russo part à la rencontre des deux fillettes, à vélo. Il n'y a pas âme qui vive. Elle appelle Mme Lejeune. Les deux mamans refont le trajet en voiture, puis téléphonent aux parents des élèves de la classe des deux gamines pour voir si celles-ci ne se seraient pas arrêtées chez un copain ou une copine. Sans résultat.

Les autorités sont alertées. Quadrillage parles gendarmes, qui ont appelé des renforts, hélicoptère, pompiers, Protection civile...
Les chiens pisteurs perdent la trace des deux gamines à hauteur du pont de l'autoroute.
Comme si elles étaient montées dans un véhicule. L'a.s.b.l. Marc et Corine entre aussi en action. Elle distribue 10.000 affiches avec les photos des disparues. Les indices s'accumulent.

Premier espoir :
Un témoin raconte que les deux fillettes auraient été vues sur la Batte, près de la passerelle, à Liège. La police quadrille Outremeuse. Mais la piste s'avère rapidement fausse.

26 juin: pas de fugue
La stupéfaction est grande. Mme Lejeune dit: «Julie ne connaissait pas bien cette promenade, mais Mélissa la faisait souvent. On ne voit aucune raison pour laquelle elles auraient fait une fugue »

27 juin: en 4 langues
L'a.s.b.l. Marc et Corine redouble d'ardeur et étend le rayon des investigations. 15.000 nouvelles affichettes sont diffusées en Belgique et dans les pays voisins. Elles portent un texte en français, en néerlandais, en allemand et en anglais.
Les témoignages se multiplient. Mais personne ne semble avoir aperçu les deux fillettes lors de leur promenade.

28 juin: l'auto rouge
Les enquêteurs lancent deux appels à témoins, basés sur deux témoignages. Selon le premier, un homme aurait été aperçu avec deux gamines, le 25, dans une voiture rouge à l'arrêt, sur la bande des arrêts d'urgence del'autoroute, entre Overijse et Jesus-Eik. Dès le 26, la région a été le théâtre d'intenses recherches.

Le deuxième témoignage, plus intéressant, fait état d'un homme qui aurait été vu sortant des taillis près du pont où l'on a perdu la trace de Julie et Métissa.

29 juin : la rumeur...
La rumeur ne cesse de s'amplifier. Des bruits font état de la découverte des deux gamines. Les uns prétendent qu'elles sont vivantes, les autres qu'elles ont été tuées.

30 juin: à Flémalle
Cette fois, l'information paraît plus fiable: un témoin digne de foi affirme avoir vu Julie et Mélissa le 24 juin, vers 18 h 45, le long de l'autoroute Liège-Namur, près de la sortie Flémalle,soit à 2,1 km du pont où s'est arrêté le chien pisteur. Les deux fillettes paraissaient jouer.

1er juillet: une piste ostendaise
Cette fois, c'est de Jabbeke, sur l'autoroute d'Ostende, que vient un témoignage intéressant.
Une préposée d'une station-service de la localité dit avoir vu les deux fillettes, le vendredi 30 juin. Elles étaient, selon elle, en parfaite santé et accompagnées d'un couple parlant français. Le témoignage de cette dame est corroboré par une de ses collègues. Le premier témoin affirme avoir encore aperçu les deux enfants le dimanche suivant, 2 juillet.

2 juillet: erreur sur les personnes
Les enquêteurs investiguent à la Côte belge. Ils recherchent la Renault Espace qui s'est arrêtée
à la station de Jabbeke. Mais le propriétaire du véhicule prend lui-même contact avec la gendarmerie. Il y a manifestement eu erreur sur les personnes.

4 juillet: l'appel
Tout le monde a en mémoire l'émouvant appel qu'adressent les parents de Julie et Mélissa.
« Qui que vous soyez, où que vous soyez, nous vous supplions de nous rendre nos enfants (...). Apportez-nous, nous vous en prions, la preuve qu'elles sont en vie et qu'elles vont bien (...). Nous vous promettons de rester extrêmement discrets et de ne pas chercher à vous poursuivre.

Devant les caméras, les deux mamans sont pathétiques.
«Julie, ma chérie, je ne t'ai pas assez dit je t'aime. On t'aime, on t'attend et on espère de toutes nos forces te retrouver bientôt», dit, émue, Mme Lejeune.

Mme Russo lance aussi un appel poignant: « Mélissa, ma toute petite fille, mon trésor, si tu pouvais m'entendre, je veux que tu saches que ta maman, ton papa, ton frère, toute la famille et tous nos amis ne font plus qu'une seule chose depuis que tu es partie: te chercher et t'attendre. »

La campagne médiatique bat son plein. La BBC, la RAI et la TVE (Espagne) ont diffusé ou se proposent de diffuser le portrait des deux jeunes disparues.
De leur côté, l'Allemagne, le Grand-Duché et le Portugal s'intéressent au dossier.

8 juillet: reconstitution
A l'initiative d'une société anglaise de sécurité,une reconstitution filmée est tournée avec deux gamines vêt u e s comme l'étaient les deux disparues. La bande est destinée à l'émission de la BBC Crime watch U. K.
Elle servira à lancer des appels à témoins.

9 juillet: un satyre
Une nouvelle piste est retenue par les enquêteurs. En effet, un automobiliste a été repéré à deux reprises ces derniers jours dans la région de Bassenge. Fin juin, il s'est livré à un « plaisir solitaire » devant deux garçons, à Riemst, près de Bassenge. Rebelote le 9 juillet à Wonck, devant une fillette. Ces faits d'exhibitionnisme intéressent d'autant plus les enquêteurs que le véhicule de l'individu était de couleur rouge. Comme celui d'Overijse.
Une autre piste du même genre mène les enquêteurs à Donceel, où un automobiliste aurait proposé des bonbons à une fillette.

15 juillet: à Ougrée
Décidément, le rouge excite la curiosité des enquêteurs. Selon de nouveaux témoignages, une Ford Fiesta rouge a été remarquée à Ougrée, le 24 juin. A son bord, un homme qui avait abordé deux fillettes de la localité, leur proposant une promenade en auto avant de tenter de les embarquer de force. Heureusement, la mère d'une des deux petites était intervenue, mettant en fuite l'individu suspect.
Plus que jamais, on est dans l'incertitude. Les parents de Mélissa expliquent: « Il y a tellement de pistes que, pour finir, nous mêmes, on ne s'y retrouve plus. »

Gino Russo renchérit: « En fait, on ne sait rien privilégier pour le moment. On doit même en arriver à vérifier de simples rumeurs, des histoires de cinglés qui racontent n'importe quoi et avec lesquelles, évidemment, on perd beaucoup de temps. »
Il ajoute : « On finit par dormir parce qu'on est épuisé (..). On doit sortir de temps en temps. On essaie de décrocher une heure ou deux de temps en temps. Par exemple, je suis allé au cinéma avec le gamin. Souffler un peu, quoi. »
L'a.s.b.l. Marc et Corine continue à se mobiliser. Elle vient de faire imprimer quelque 450 grandes affiches et a fait tirer 20.000 affichettes.

25 juillet: appel à l'homme des fourrés
« Votre témoignage est essentiel ! » : Les mamans des deux petites disparues lancent un appel à l'homme qui a été vu sortant des fourrés, près du pont, le 24 juin. «Nous sommes prêts à payer grassement pour des renseignements utiles», ajoutent les parents.
Au comble du désespoir, M. Russo déclare : « Si on nous laisse quelques heures, on plonge. Le sentiment de solitude est énorme. » 28 juillet: un hélico

Un hélicoptère de la gendarmerie équipé d'appareils ultra-sophistiqués survole la région de Grâce-Hollogne et les terrils d'Ougrée, à la recherche des fillettes disparues.

31 juillet : battue
Plus de 300 personnes fouillent le terril du Bois Saint-Jean. Elles rentrent bredouilles.

Pourquoi ce site?
Parce qu'on avait tenté à deux reprises d'enlever des enfants, les 13 et 16 juillet, à Ougrée. Les tentatives d'enlèvement paraissaient être le fait de la même personne. Conduisant une voiture... rouge, le suspect avait l'habitude de promener son chien sur le site du terril. D'où cette opération d'envergure. Néanmoins, il apparaît que le suspect n'a rien à voir avec l'enlèvement de Julie et Mélissa.

En cette fin juillet, le discours des parents des deux petites disparues de Grâce-Hollogne se durcit. Avec l'a.s.b.l. Marc et Corine, ils constatent que la justice manque de moyens humains et matériels.

Exemples: « La gendarmerie, a dû rendre un GSM utilisé pour la disparition pour la foire de Libramont. »

De plus, « il y a des gens qui n'ont pas encore pu être entendus, car les auditions sont très nombreuses et tous les procès-verbaux doivent être tapés à la machine. »
« Il est nécessaire de mettre sur pied une structure spécialisée dans la disparition de personnes », plaident les parents des deux disparues.

2 août: le coup de pouce de Baggio
Roberto Baggio, la vedette de l'AC Milan, est venu disputer un match amical à Sclessin. Lui et ses coéquipiers annoncent qu'ils vont donner leurs maillots à l'a.s.b.l. Marc et Corine.
Ils seront vendus aux enchères pour contribuer à financer les recherches.

28 août: Perdu de vue
Cette fois, c'est TF1 qui tourne une séquence sur Julie et Mélissa pour son émission Perdu de vue. Elle sera diffusée le 4 septembre.
Gino Russo lance un nouvel appel au ravisseur: «Je demande qu'il relâche les gamines. Lui, on s'en fout. » Le bilan de l'émission est maigre: quelques appels de témoins d'autres tentatives d'enlèvement.

Noël et l'espoir
Six mois après la disparition de Julie et Mélissa, les Lejeune et les Russo passent le réveillon de Noël en compagnie des parents d'Ann Marchal, qui a disparu, elle aussi, en compagnie de sa cousine Eefje, à la Côte belge. A cette occasion, les parents des disparues disent avoir rencontré de 250 à 300 radiesthésistes. A la suite de leurs consultations, les Liégeois disent avoir investigué à Rotterdam, Breda, Rhince et Alicante. En vain. Néanmoins, l'espoir demeure
« Nos filles ne sont pas mortes, c'est sûr! Parce que, si elles l'étaient, on les aurait retrouvées », commente M. Lejeune.

Et puis, les encouragements ne manquent pas:
« Il y en a qui nous téléphonent tous les jours, qui pleurent même au bout du fil. Ils se proposent de placer partout des affiches, quadrillent des secteurs et repassent toutes les semaines pour remplacer celles qui auraient été enlevées », souligne Louisa Lejeune.

15 avril : trois nouvelles pistes
Les parents de Julie et Mélissa participent à une seconde émisSion diffusée par TF1, Témoin n° 1. Cette fois, la moisson est plus abondante. L'émission est révélatrice de la méfiance qui s'est installée chez les Lejeune et les Russo face à la justice et aux milieux de l'enquête. Les parents avaient demandé à avoir accès au dossier de l'enquête, ce qui leur avait été refusé, à leur grand dam.

Peu avant l'émission, le parquet de Liège confirme l'existence de trois pistes, jusqu'alors tenues secrètes.

Parmi celles-ci, une lettre envoyée le 5 septembre 1995 au bureau de notre journal, dans laquelle un certain Farid s'accusait d'être un des auteurs du rapt, puis du meurtre des deux fillettes.
Une autre piste faisait état du témoignage d'une riveraine qui aurait vu les gamines monter volontairement dans une voiture foncée, tandis que la troisième avait trait à une annotation dans un agenda de Mélissa, à la date du 24 juin: « Julie, on ira à 17 h au manège. » Néanmoins, cette phrase n'avait été écrite ni par une des deux disparues, ni par un de leurs condisciples de 3ème année.

La réaction des parents est amère à la suite de la divulgation tardive de ces éléments:
« C'était choquant pour nous d'apprendre que cette lettre datait de plusieurs mois », confiait Mme Russo.


Juin 1996: 1er anniversaire
Premier et douloureux anniversaire en ce 24 juin. Néanmoins, M- Russo répète
« N o u s croyons plus que jamais que nos enfants ne sont pas morts.
Son mari souligne que les recherches ont commencé beaucoup trop tard parce qu'on n'a pas pris au sérieux l'enlèvement nos enfants. Pour lui, trop peu de moyens ont été mis en oeuvre, tandis que des pistes étaient négligées. Heureusement, il y a les encouragements et les dons, dont celui qui correspondait au montant des allocations familiales, qu'on avait supprimées aux parents de Julie et Mélissa, quelques semaines après la disparition.

1er août : l'espoir américain
En ce début août, MM. Lejeune et Russo reviennent d'un périple de 25 jours qui les a menés en Argentine, au Brésil, au Mexique et au Canada.
Fin juin, ils avaient été avertis de l'existence d'une lettre anonyme expliquant que deux gamines âgées d'environ 8 ans avaient été débarquées dans le port de Rio de Janeiro. Le renseignement paraissait d'autant plus intéressant qu'au Brésil, certains riches n'hésitent pas à payer beaucoup pour s'offrir des enfants européens.
Au Mexique, les pères des deux fillettes voulaient enquêter sur le milieu des sectes sataniques pratiquant le sacrifice d'enfants. En Argentine, ils s'étaient intéressés au milieu des pédophiles.

Finalement, la disparition de Laetitia, à Bertrix, allait orienter l'enquête dans la bonne direction. Pour la petite Bertrigeoise et pour Sabine, il était encore temps. Mais on ne devait retrouver que les corps des deux enfants de Grâce.

Y.B.

De fouilles en macabres découvertes….


De fouilles en macabres découvertes….

«La Meuse» du lundi 19 août 1996 page 13

C'est samedi après midi que les corps de Julie et de Mélissa ont été retrouvés

Après la joie inespérée d'avoir retrouvé Laetitia et Sabine saines et sauves vendredi soir, l'enquête sur le réseau de pédophilie a brusquement pris une tournure dramatique vendredi soir lorsque le juge d'instruction Connerotte a décidé de lancer à 21 h une vaste opération de perquisition dans les 11 points de chute du réseau dans la région de Charleroi.


Dès samedi soir, commençaient les macabres découvertes tant redoutées depuis le début de l'enquête :les cadavres de Julie et Mélissa mais aussi d'un adulte, un complice de Marc Dutroux.
Le parquet de Neufchâteau a continué à progresser à vitesse accélérée après la libération de Sabine et Laetitia. Grâce au GSM de Marc Dutroux et au listing d'appels fourni par Proximus, les enquêteurs avaient pu procéder à une nouvelle vague d'interpellations: Jean-Michel Nihoul, un agent immobilier bruxellois connu de la justice pour des faits d'escroquerie, sa compagne Anne Bouty, une ex-avocate, condamnée pour escroquerie et radiée du barreau de Bruxelles, et Michaël Diakostarianos, domicilié rue des Hayettes, n° 19 à Mont-sur-Marchienne.

Sur base de certaines indications lâchées par ces inculpés, les enquêteurs ont eu la conviction que les multiples planques de la bande dans la région de Charleroi recelaient d'autres victimes que Laetitia et Sabine.

Malgré la fatigue de ses troupes après une semaine de travail acharné, le juge d'instruction Connerotte a estimé qu'il ne pouvait pas permettre aux enquêteurs de se reposer, s'il restait ne fût-ce qu'une chance de retrouver un enfant vivant séquestré quelque part. Aussi, vendredi soir, dès 21 h, il a lancé une vaste opération de perquisitions en 11 lieux différents de la région de Charleroi.

C'est au domicile de Dutroux à Sars-la Buissière que le déploiement des forces était le plus imposant : une centaine de gendarmes, policiers et agents de la protection civile ont entrepris de fouiller de fond en comble la maison et surtout le terrain d'environ 1 ha situé à l'arrière du café « L'Embuscade », près de la place du village.

Les enquêteurs ont été confrontés à un véritable capharnaüm, tant dans la maison que sur le terrain, encombré de vieilles voitures, de caravanes et de ferraille. Ils ont donc vidé entièrement la maison. Un vétérinaire a été appelé pour anesthésier deux bergers allemands qui étaient enfermés dans deux pièces inhabitées menant aux greniers.

Ensuite, à la lueur de phares et de torches, ils ont évacué avec des dépanneuses les véhicules qui se trouvaient sur le terrain. Grâce aux indications d'un complice, ils ont trouvé vers 23 h 30 parmi les épaves une CX grise qui aurait été utilisée dans l'enlèvement de Ann et Eefje.

Sur le terrain, se trouvait un amas de terre déjà ancien sous lequel les enquêteurs ont décelé la présence d'une taque qui peut-être dissimulait une fosse. Ils ont donc déblayé ce monticule avec la pelleteuse que Dutroux utilisait très fréquemment pendant la nuit, selon les voisins.
La protection civile a pompé toute l'eau d'un puits qui se trouve près de la maison.

Vers 1 h 30 du matin, les enquêteurs étaient déjà certains que l'endroit ne recelait pas d'otage vivant. Un quart d'heure plus tard, arrivait sur les lieux une équipe de spécialistes hollandais équipés de caméras thermiques hypersophistiquées. Ils ont sondé un à un tous les murs de la maison afin d'essayer de détecter une cache ou un escalier dissimulé dans l'épaisseur des murs. En effet, le sous-sol de la maison est constitué d'un enchevêtrement de caves. Dutroux est non seulement un pervers, mais aussi un maniaque du béton : il en a coulé partout.
A 3 h 30, toujours bredouilles, les enquêteurs ont décidé de tout casser, systématiquement.

A l'avenue de Philippeville à Marcinelle, où étaient séquestrées Sabine et Laetitia, ils ont fait sauter tout le carrelage et ont trouvé une dalle de béton suspecte sous la véranda, à l'arrière de la maison. Une dalle de béton semblable avait été trouvée au fond du puits à Sars la-Buissière.
A 4 h 30, le juge Connerotte donnait l'ordre de suspendre les recherches jusqu'au lendemain. Des gendarmes étaient mis en faction devant la maison pour empêcher de briser les scellées.
Samedi, dès 9 h, les travaux ont repris dans les 11 lieux de perquisition.

Pendant ce temps,Marc Dutroux était toujours soumis à un interrogatoire serré à Neufchâteau. A Marcinelle, on a fait sauter au marteau-piqueur la dalle de béton de la véranda.
Les enquêteurs auraient trouvé là des ossements suspects. Le Dr Beauthier, le médecin légiste du parquet de Charleroi, est descendu sur place peu après 15 h, suivi de peu par l'équipe du laboratoire de la P.J.

C'est cependant au fond du terrain de Sars la-Buissière que les enquêteurs allaient faire samedi après midi la macabre découverte qu'ils redoutaient tant depuis la semaine dernière.
Et encore, il a fallu que Marc Dutroux passe aux aveux et leur désigne l'endroit exact où il avait enseveli ses victimes.
Le principal inculpé a été amené sur les lieux vers 16 h 30, caché au fond d'une voiture.
Peu de temps avant, un escadron de gendarmes avait été envoyé de Bruxelles pour boucler le périmètre et tenir les journalistes et les très nombreux badauds à l'écart.

Les rumeurs de la découverte de deux cadavres ont été très rapidement confirmées par l'arrivée du médecin légiste et de l'équipe du laboratoire de la P.J.
Vers 17 h 45, le juge d'instruction Connerotte et le procureur du Roi M. Bourlet descendaient à leur tour de Neufchâteau.

Les noms de Julie et Mélissa étaient déjà sur toutes les lèvres... La boucle d'oreille d'une des petites a permis de les identifier très rapidement malgré le fait qu'elles étaient apparemment ensevelies depuis de longs mois.
Lorsque les magistrats sont repartis et ont croisé les corbillards, la terrible nouvelle s'est répandue dans tout le village, laissant la foule muette d'effroi...
Lorsque les recherches ont été interrompues samedi au coucher du soleil,on apprenait l'exhumation d'un troisième cadavre à Sars: un truand français nommé Weinstein, un complice de Dutroux porté disparu depuis plusieurs mois.

E.Mathieu


______________________


Samedi 19hr50 : La confirmation de l’horreur

C'est le procureur général de Liège qui leur a appris la terrible nouvelle

«La Meuse» du lundi 19 août 1996 page 13

La découverte de Sabine et Laetitia avait renforcé leur espoir. Mais au lieu de retrouvailles dans la joie, les parents de Julie et Métissa ont sombré dans un désespoir aussi profond que l'amour qu'ils avaient pour leurs fillettes.

Samedi, lors des fouilles organisées dans les différentes maisons de Dutroux, les enquêteurs ont, en effet, découvert les corps sans vie de Julie Lejeune et Melissa Russo. Très vite après cette terrible découverte, le procureur général de Liège, Mme Anne Thily, s'est rendue au domicile de M. et Me Russo, à GrâceHollogne. Les parents de Julie étaient également présents.

En sortant, Mme Thily n'a voulu faire aucun commentaire précis. On avait bien découvert des corps à Sars-la-Buissière, mais rien n'indiquait encore formellement qu'il s'agissait des deux fillettes tant recherchées. Puis, vers 19 h 50, Mm° Thily est revenue à Grâce-Hollogne, chez la famille Russo. Les traits tirés, son visage ne laissait plus guère de doute quant aux nouvelles qu'elle avait la lourde tâche d'annoncer.

Quelques minutes plus tard, M. Russo a ouvert la porte de sa maison. Sans mot dire, il a collé une affiche sur sa porte.
On pouvait y lire la phrase suivante :
«L'ancien ministre M. Wathelet a-t-il la conscience tranquille? »

Une allusion à peine masquée quant à la responsabilité de l'ancien ministre social-chrétien de la Justice qui, en 1992, avait libéré Dutroux, alors que ce dernier avait été condamné en 1989 à 13 ans de prison. Ce n'est d'ailleurs pas la première fois qu'un détenu ayant bénéficié de la bienveillance de l'ancien ministre commet des gestes criminels après sa libération.

Cette phrase indiquait également que le doute n'était plus permis. Les deux fillettes retrouvées sans vie dans la maison de Dutroux étaient bien les petites Julie et Mélissa.

D'ailleurs, quelques minutes plus tard, Mme Thily est sortie de la maison et a fait face à la presse :
« Nous ne sommes pas encore certains qu'il s'agit de Julie et Mélissa. Des autopsies sont encore en cours. Mais les deux corps sans vie correspondent à deux filles en bas âge et l'une d'entre elles portait des boucles d'oreilles. Les décès remonteraient à plusieurs mois.
En outre, les enquêteurs ont fait tout ce qu'il fallait pour retrouver Julie et Mélissa.
En août et en décembre 95, ils ont perquisitionné chez Dutroux et n'ont rien trouvé.
S'il n'y avait pas eu le témoignage du gamin de Bertrix, on chercherait toujours.
Les enquêtes, c'est comme ça, le moindre petit détail peut tout faire redémarrer.
Les gamines ont probablement été détenues à Marcinelle et ont été retrouvées dans le jardin de Sars-la-Buissière. »

Reste maintenant le désespoir des parents et de la famille de Julie et Mélissa.
« Les parents sont courageux, continue Mme Thily, ils sont entourés des membres de leurs familles, d'un psychologue et d'un médecin. Hier, ils avaient encore de l'espoir, il était de mon devoir de le leur enlever. »

Ce dramatique dossier qui, depuis le 24 juin 1995, était dans les mains de la juge d'instruction Mme Doutrewe a été transféré au parquet de Neufchâteau au profit du juge d'instruction M. Jean-Marc Connerotte.
Sur les fardes entourant ces milliers de pages, il sera dorénavant fait mention d'assassinat.

Les ouvriers de Ferblatil, les collègues de M. Russo, ont observé un arrêt de travail, lorsqu'ils ont appris la terrible nouvelle.

Jean-Michel Crespin


________________________

Laeticia, à présent, se rend compte de ce quoi elle a échappé

«La Meuse» du lundi 19 août 1996 page 13

Hier après-midi, une chape de plomb pesait encore sur la petite cité de Bertrix.

Sur la grand-place, on avait mis les drapeaux en berne. Toute la localité était toujours sous le choc, frappée de plein fouet depuis l'annonce des terribles nouvelles sur les suites de l'enquête menée, depuis Neufchâteau, au départ de la disparition de Laetitia, l'enfant du pays.
Oui, elle, a eu plus de chance que d'autres victimes de l'infâme bande à Dutroux.

Au local de Bertrix Initiatives., le syndicat d'initiative local, qui sert également de point de chute à l'antenne de l'ASBL Marc et Corine, les anonymes continuent à se succéder pour apposer leur signature sur la nouvelle pétition lancée par l'association.

Du côté de la rue Dr Liffrange, là où demeure Laetitia Delhez, l'adolescente et sa maman tentaient de prendre quelques heures de repos, le plus loin possible de l'agitation et des réminiscences de l'horreur. Prostrées, la mère et la fille se sont isolées, entourées de proches.

Une tante de Laetitia nous confiait hier en fin de journée:
«Depuis l'annonce de la mort de Julie et Mélissa, Laetitia pleure beaucoup. Elle se rend vraiment compte à présent de ce à quoi elle a échappé. Elle est partagée entre la joie d'en être sortie vivante et la tragédie que représente la mort atroce des deux petites de Grâce-Hollogne. »

Martine PIETTE

Week-end de douloureuse attente à Hasselt


Week-end de douloureuse attente à Hasselt

Ann et Eefje, de bons espoirs de les retrouver en vie

«La Meuse» du lundi 19 août 1996 page 12

Un week-end de douloureuse attente pour les Marchal, à Hasselt. Paul Marchai a eu, hier vers midi, un contact avec les enquêteurs qui lui ont bel et bien confirmé les propos encourageants et matinaux du procureur du Roi de Neufchâteau. « La bonne piste a été confirmée et on approche du but. Cela fait un an qu'on attend cela... »
Nous rappelait le papa. L'après-midi, le téléphone n'a pas cessé de grésiller chez les Marchal.
L'espoir de retrouver Ann et Eefje vivantes était bel et bien au rendez-vous.

« La maman d'Anthony De Clercq nous a téléphoné pour nous donner du courage. Je lui ai demandé d'évoquer avec le ministre l'histoire de cette libération anormale et aussi des dangers de ces spectacles d'hypnose. »

Il n'en démord pas. «Ann et Eefje n'étaient pas dans leur état normal en sortant de ce spectacle de mage au casino de Middelkerke. Je ne change pas d'avis sur ce point. Quand tout sera terminé, il faudra s'y attaquer.»

Moins médiatisés parce qu'ils ne le souhaitaient pas, les parents d'Eefje sont divorcés. Depuis la disparition d'Eefje, 18 ans aujourd'hui, la maman avait préféré se tourner vers des voyants et des médiums. Le papa, lui, travaillait à l'étranger. Vendredi soir, il a été rappelé d'urgence de France.

Foi
Depuis près d'un an, Dieu avait donné la foi aux Marchal. Catholiques pratiquants, les parents d'Ann puisaient leurs inébranlables forces dans la religion. Dans sa jolie maison d'Hasselt qu'il a transformée en véritable Q.G., ce couple limbourgeois a quatre enfants dont Ann, l'aînée de 20 ans.

Dès les premiers jours de sa disparition, Paul et Betty n'ont jamais cru à une fugue. Ce n'était pas dans son caractère.

Car, par exemple, «Ann téléphone toujours quand elle rentre tard ».En plus, l'ambiance familiale était au beau fixe. Ann avait juste préféré des vacances en compagnie d'amis, dans un bungalow de Marinapark, à Westende, à un séjour en famille en Espagne.

Durant l'absence de ses parents, elle s'était occupée de sa ménagerie, au fond du jardin où voisinent des clapiers à lapins, des pigeonniers et des cages de hamsters. Depuis début janvier 95, Ann faisait partie d'une troupe de théâtre. Cette grande fille très timide s'y est fait de nouveaux amis et a appris à s'extérioriser. « Avant de partir à la mer avec quelques amis de la troupe, elle nous a laissé une longue liste de tout ce qu'on devait donner à manger et les lapereaux qu'il y avait à vendre. »

Noël 95
Après le temps des battues est venu celui des rumeurs et des témoignages de tout acabit.

Le 20 septembre 95, un hélicoptère Sea King équipé de caméras thermiques avait repéré des traces suspectes au dessus des dunes de Westende. Mais le ballet de tracteurs et de pelleteuses n'a rien donné.
Début octobre, on apprend que les deux amies auraient été aperçues à plusieurs reprises sur la Costa Brava, dans le nord de l'Espagne. En choeur, elles auraient même interprété Let it be des Beatles dans un karaoké bar. « La maman d'Eefje ne croit pas à la piste espagnole. Depuis le début, elle fait confiance aux voyants plus qu'au parquet.

Je n'y crois pas aux voyants, même si on reste à l'écoute. Une soixantaine de voyants ont déjà voulu nous aider. » Paul Marchal entreprendra le voyage en Espagne et les pistera à Figueras, Lloret del Mar et Rosas. Mais sans succès.

Le 5 décembre, à l'image des parents de Julie et Melissa,ils reçoivent un nouveau coup en plein coeur. Trois mois à peine après la disparition de leurs filles, une missive officielle de l'administration leur annonce la radiation des allocations familiales. Comme si elles n'existaient plus.

Ce triste Noël-là, les parents Russo et Lejeune sont invités chez les Marchal. Près d'un sapin enguirlandé « j'ai encore trois autres enfants plus jeunes,je ne pouvais pas ne rien faire pour eux»,s'était presque excusée Betty Marchal, ils passeront la soirée à partager les terribles épreuves qu'ils traversent.

Au Nord comme au Sud du pays, on remue ciel et terre, enquête du moindre indice, de la plus minime piste.
« C'est au Visserskaai, à Ostende, qu'elles ont été finalement vues pour la dernière fois », soulignait, hier, Betty Marchal. Avant que Dutroux et ses complices ne repèrent les deux jeunes filles?

Caroline Geskens

______________________

Loubna Ben Aïssa et Nathalie Geijsbregt :

Des liens de véhicules avec deux autres disparues

«La Meuse» du lundi 20 août 1996 page 12

Le lendemain de la disparition, le 5 août 1992, à Ixelles, de Loubna Ben Aïssa, fillette de 9 ans, une camionnette blanche rôdait dans les parages.


De celle qui a servi à Marc Dutroux et ses complices dans les affaires d'enlèvement de Julie et Mélissa et d'Ann et Eefje. Un véhicule qui est donc loin d'être au-dessus de tout soupçon ! La petite Loubna fait-elle partie des prochaines disparues que les enquêteurs s'apprêtent à retrouver ?

D'origine marocaine, calme et sérieuse, Loubna était aussi une petite fille sans histoire. Dès le départ de l'enquête, la famille certifie quelle n'aurait jamais fugué. Avec ses sept frères et sueurs, ils vivent dans une petite maison de deux étages, à Ixelles. « Elle ne serait jamais partie seule chez des amis, sans prévenir ma mère » confiait sa sueur aînée, Nabela.
C'est durant l'heure de midi, ce 5 août 92, que Loubna s'est évanouie dans la nature entre la maison et un magasin proche de là. Avec 40 F en poche, elle devait rapporter un pot de yaourt pour son petit frère de 7 mois. Loubna n'y est jamais arrivée.

Comme toutes les recherches sont restées vaines, cinq mois plus tard, les parents Ben Aïssa sont au désespoir. L'absence de nouvelles les soumet à une véritable torture. Ils décident alors d'offrir un demi million de francs pour obtenir des témoignages qui les aideraient à retrouver leur fillette de 9 ans. Ce n'est pas pourtant faute d'avoir cherché. Dimanche, on apprenait qu'il y avait aussi un lien entre cette camionnette blanche maudite et sa disparition.

La CX grise pour le rapt de Nathalie Geijsbregts

Et Nathalie Geijsbregts, 10 ans, de Bertem ? Retrouvée à Sars-la-Buissière, la CX Grise a bel et bien servi durant son enlèvement le 26 février 91, près de Louvain. Il y a plus de cinq ans déjà. Cette blondinette aux yeux bleus a disparu ce matin-là sur le chemin de l'école. Vers 7 h 30, ses parents l'avaient déposée' à l'arrêt de l'autobus scolaire, au carrefour Boskee-Foksweg, à Bertem-Leefdaal. Elle n'est jamais arrivée à l'école. Au même moment, une voisine avait aperçu une autre voiture, une vieille « Toyota » de couleur grise au capot ouvert, parquée à deux enjambées de l'arrêt d'autobus.

Militaire de carrière, le père de Nathalie avoue qu'il a aujourd'hui «peur de la vérité ». Et de déclarer ce week-end: « On peut supposer qu'il y ait un lien entre Nathalie et le réseau pédophile wallon. Les vieilles blessures se rouvriront à nouveau. Je constate que dans notre pays, il n'existe pas de distances. De Charleroi à Liège, Namur ou Bertrix, pour un réseau pédophile organisé, c'est la même distance que pour Leefdaal. Et je n'éprouve pas la moindre pitié pour ces kidnappeurs. »

C.G.


_______________________

Les négligences meurtrières de l’enquête

A plusieurs reprises,Dutroux a été surveillé et perquisitionné

«La Meuse » du lundi 19 août 1996 page 12

Le travail exceptionnel des enquêteurs de Neufchâteau ne met que mieux en évidence les lamentables carences d'autres parquets dans les multiples dossiers de disparitions d'adolescentes qui s'accumulent depuis des années dans notre pays.

Sans ces lacunes, Marc Dutroux aurait pu être arrêté beaucoup plus tôt et Julie et Melissa seraient peut-être encore en vie...

La première erreur monumentale du ministère de la Justice dans cette lamentable affaire a été de libérer anticipativement un individu aussi pervers et dangereux que Marc Dutroux.

Normalement, les condamnés libérés sous condition font l'objet d'une surveillance particulière. Or, personne ne s'est étonné du train de vie mené par les époux Dutroux.
Ceux-ci n'avaient aucun travail stable et bénéficiaient même d'une aide sociale.

Pourtant, ils disposaient d'une dizaine de maisons dans la région de Charleroi (certaines leur appartenaient, d'autres étaient louées). Michelle Martin circulait dans un mobilhome et Marc Dutroux avait les moyens de s'offrir un GSM.

Il y a trois ans, Marc Dutroux s'était même permis de doubler la mise d'un autre amateur et de verser 3 millions de FB cash pour acheter la maison de Sarsla-Buissière. Et personne ne s'est interrogé sur l'origine de ces revenus.

On sait que le parquet de Neufchâteau a réussi à remonter jusqu'à Marc Dutroux grâce à un témoin qui avait signalé la présence à Bertrix d'une camionnette blanche et avait relevé une partie de la plaque d'immatriculation. Pour recueillir ce genre de témoignage capital, il importe de réagir extrêmement rapidement. Or, dans la plupart des enquêtes de disparition, les parents se plaignent des tergiversations des enquêteurs qui ont perdu du temps. en privilégiant dans un premier temps la thèse de la fugue.

On apprend maintenant que la présence d'une camionnette blanche a été signalée dans trois autres dossiers de disparition:
Julie et Mélissa à Grâce-Hollogne en juin 1995, Loubna Ben Aïssa en août 1992 à Bruxelles et Ann Marchal et Eefje Lambrecks à Ostende en été 1995.

Chaque fois, des témoins avaient signalé une camionnette blanche rôdant dans les environs dans les jours qui ont suivi la disparition. Apparemment, la Cellule Disparition n'a jamais fait le rapprochement. Des pervers du genre de Dutroux qui ont cinq enlèvements de gamine avec séquestration et viol à leur actif, il ne doit pas y en avoir 50.000 en Belgique. D'autant qu'il n'a même pas pris la peine de changer de technique de rapt ou de lieu de séquestration par rapport à sa première vague de kidnappings...
On aurait au moins pu vérifier si lui ou ses proches ne possédaient pas une camionnette blanche.

On sait maintenant que Marc Dutroux a été soupçonné par le juge d'instruction liégeois qui a mené l'enquête au sujet de la disparition de Julie et Mélissa.
Dutroux a alors été surveillé pendant deux mois par le POSA. Deux perquisitions ont été effectuées à Sars-la-Buissière en août et septembre 1995. Ces perquisitions n'avaient rien donné.

Mais les enquêteurs n'avaient pas pris alors la peine de faire venir des détecteurs thermiques sophistiqués de Hollande. Afin de ne pas attirer l'attention de Dutroux au cas où il séquestrerait les enfants, ces perquisitions avaient été ordonnées sous prétexte d'une enquête dans le cadre d'un trafic de voitures. Pourtant, les enquêteurs n'ont trouvé ni la camionnette blanche, ni la fameuse CX grise saisie avant-hier sur le terrain de Sars-la-Buissière. On sait maintenant que les pneus de ce véhicule correspondent à des traces relevées dans le cadre de la disparition de Nathalie Geijsbregts a Bertem Leefdaal en février 1991. Ces maigres indices menant à Dutroux ont été négligés par les enquêteurs.

Manifestement, l'enquête du juge Connerotte ne fait que commencer. Si elle continue sur sa lancée, elle permettra probablement d'élucider une bonne partie de ces dossiers de disparition. Mais, que ces victimes soient encore en vie ou non, ce sera de toute façon trop tard. Le mal sera fait et les séquelles irréparables.

L'image de la justice ne sortira certainement pas grandie de cette affaire, pas plus que la confiance déjà fort ébranlée que les citoyens ont en elle...

E.Mathieu


Hommage muet aux deux fillettes de Grâce-Hollogne


Hommage muet aux deux fillettes de Grâce-Hollogne

«La Meuse» du lundi 19 août 1996 page 11

Durant la soirée de samedi et toute la journée de dimanche, le public est venu en silence déposer une fleur et se recueillir

Des centaines de bouquets de fleurs se sont amoncelés devant la façade de la maison du couple Russo, devant la fenêtre qui gardait encore visibles les traces d'un indéfectible espoir.
Au pied de la fenêtre où avaient été affichés les avis de disparition de Julie et Mélissa mais aussi de ceux de Laetitia, An, Efje, et Elisabeth, montrant l'énorme solidarité des deux couples face à l'adversité, des centaines de bouquets sont venus fleurir la mémoire des deux jeunes filles de Grâce-Hollogne.
Silencieusement, proches, voisins, enfants ou simplement des personnes venues partager la douleur des parents, sont venus déposer leur bouquet. Dans ce silence, on sentait poindre une sourde colère, de celles qui naissent d'une révolte trop longtemps contenue.

Jusqu'à 4 h du matin

Un énorme élan de solidarité, qui ne fait que refléter celui sur lequel les parents ont pu compter durant ces moments pénibles. Ceux-ci ont d'ailleurs tenu à remercier tous ceux qui, en affichant simplement l’avis de disparition, les ont aides dans leurs recherches et leur ont insufflé les forces nécessaires pour poursuivre.

Samedi, à l'annonce du drame, des centaines de personnes se sont massées devant le n° 51 de la rue Diérain Patar, le domicile de la famille Russo. Des gens venus de partout. A 4 h du matin, il en arrivait encore pour venir déposer symboliquement une fleur au pied de la fenêtre.

Dimanche, une foule de plus en plus dense s'est rendue dans la rue Diérain Patar, alors que des cibistes de la région, qui avaient organisé en juin 1995 des recherches dans tous les terrils de la région, faisaient circuler une pétition en faveur d'une peine incompressible.

Un long cortège silencieux descendait la rue Patar, de plus en plus dense au fur et à mesure que l'heure de la conférence de presse des parents approchait.

Une foule muette et hétéroclite.


Comme ces motards du Warrior motor club de Liège venus se recueillir à leur manière, les rétroviseurs enrubannés de noir en signe de deuil. Simplement, sur un drapeau noir, ils avaient inscrit ces quelques mots «Julie et Mélissa:Why?».

Des gens venus de Grâce-Hollogne, de Liège, mais aussi de beaucoup plus loin, comme une famille de Namur. Tous ces gens tenaient à partager la douleur des 2 couples autant que leur témoigner toute leur admiration pour leur dignité et leur courage face à cette pénible épreuve.

Puis vint le moment de la conférence de presse. Les époux Russo et Lejeune ont évoqué leurs griefs à l'encontre de la justice liégeoise, mais aussi à l'encontre d'une société qui ne protège pas assez les enfants.

La colère, sourde jusque-là, laissa place après un long moment de silence à un brouhaha croissant. L'assemblée laissa alors éclater sa colère, mêlant dans une seule et même diatribe Melchior Wathelet et Marc Dutroux tandis que les parents de Julie et Mélissa s'éloignaient.

P. Graff

_____________________

La fête des retrouvailles a été annulée

«La Meuse» du lundi 19 août 1996 page 11

Samedi soir, sur la place de Bertrix. C'est la consternation. Dispersés, quelques groupes de personnes discutent. Tout le monde a le visage grave. Le regard creux. On vient d'annoncer la découverte de plusieurs cadavres dans la demeure de Dutroux.

Selon les dernières nouvelles, on pense qu'il s'agit de ceux de Julie et Mélissa, les deux petites Liégeoises disparues il y a un peu plus d'un an.
L'heure n'est plus à la fête. Sur la façade de l'église, le calicot « merci Laetitia et Sabine » qui devait soutenir les réjouissances, est légèrement ballotté par l'air du soir. Tristement. La sono est remisée dans un coin.

Fête annulée

« Dès l'annonce de cette terrible découverte, nous avons décidé d'annuler la fête, souligne M. Hardy, un des responsables pour la commune. Nous allons simplement inviter les personnes présentes à signer les pétitions. »
Les minutes s'égrènent, la place s'agite doucement. Certains, venus pour la fête à Laetitia, apprennent soudain la nouvelle. D'autres savent et viennent rejoindre les tables où l'on se presse pour signer au bas d'un texte clair et pressant:
«Nous lançons cette pétition dans le but de forcer les décideurs de tous bords et les magistrats à modifier les lois pour durcir les peines à l'encontre des ravisseurs d'enfants »

Le moment est solennel. Devant un tel drame, chacun semble avoir besoin de se sentir soutenu par la force des autres. La solidarité a déjà été de mise ces derniers jours à Bertrix.
« On n'avait jamais vu une telle mobilisation, souligne une habitante. Même si les évènements sont tragiques, cela fait du bien de savoir que la solidarité existe encore aujourd'hui. »

Comme pour exorciser le mauvais sort, chacun rappelle sans cesse le rôle important joué par le témoin capital, ce jeune homme qui nota des éléments précieux de la plaque d'immatriculation de la camionnette blanche appartenant au sinistre prédateur de Marcinelle.
Un témoin, un héros à sa façon, qui a sans doute sauvé deux vies.
« Quelle chance que ce jeune ait mémorisé la plaque... »

Soudain, les haut-parleurs se mettent en branle. Edition spéciale du JT. La foule se resserre encore un peu plus...

Au fil des révélations sur les macabres recherches dans le Hainaut l'atmosphère s'alourdit. Certains se tiennent la mâchoire,le regard vers le bas.


D'autres ne savent retenir leurs larmes. Les parents étreignent leurs enfants. « Qu'il crève », lance un membre de l'assemblée de la colère plein la voix.

Minute de silence

M. Kistermann, cofondateur de Marc et Corine, qui sait ce que perdre un enfant dans des circonstances atroces veut dire, prend le micro. « Je propose que nous respections une minute de silence à la mémoire de Julie et Mélissa » Une chape de plomb s'abat. Intense émotion. Puis, les murmures reprennent.

« Nous vivons un moment dramatique, souligne à nouveau M. Kistermann. Il faut se tourner avec force vers la défense du droit des victimes.En '92, déjà, une pétition réclamant le renforcement des peines dans ce domaine avait récolté 270.000 signatures Aucune réponse politique n'a encore été donnée à ce jour, ces individus (NDLR: Dutroux et consorts) ont eu des congés pénitentiaires sans un suivi strict. On ne peut plus mettre en jeu comme cela la vie de la population. N'est-il pas plus intéressant de défendre nos enfants convenablement plutôt que de savoir si on parle flamand ou wallon ? »

Symbole: quelques néerlandophones présents dans la région sont venus. Ils ont voulu eux aussi marquer le sol bertrigeois de leur présence. Devant une telle tragédie,devant les actes de monstres qui n'ont pas de limites, la révolte et la tristesse n'ont plus de frontières.

Traumatisme


Laetitia, elle, est sous le choc depuis l'annonce. « Elle doit se sentir constamment entourée par quelqu'un de proche », souligne une des personnes présentes. « Toute la famille est traumatisée par les derniers évènements », souligne un responsable de Bertrix Initiatives...
Plus tard dans la soirée, les signatures de pétitions se sont succédées.

« En fin de soirée, nous avons reçu la visite surprise et discrète des parents de Julie et Mélissa, souligne un responsable de Bertrix Initiatives. Malgré leur douleur, ils ont voulu remercier la population pour son soutien. A Bertrix, comme partout, je pense, tous les coeurs sont meurtris. »


Nathalie HUSQUIN


_____________________________

MICRO TROTTOIR

« La Meuse » du lundi 19 août 1996 ,page 11


CT
32 ans
Ans
Vendeur de voitures:

« Je suis venu par solidarité avec les parents. C'est malheureux. Le pire, c'est qu'on ne peut rien faire. C est révoltant. Il faut aller chercher les incapables du gouvernement, dont le ministre de la Justice. Si c'étaient les enfants de gros bonnets, tout serait mis en oeuvre pour les retrouver. Il n'a même pas osé montrer sa tête à la télévision. Quand il a soif, lui, de l'eau, il en a. Quand on pense que les petites sont mortes de faim... »

Mme Billiaux
56 ans
Liège
Sans profession

« C'est honteux et révoltant. On devrait rétablir la peine de mort. Les voisins auraient dû se rendre compte qu'on creusait pendant la nuit. Ça ne se fait pas sans bruit. Ils avaient peut-être peur. En tout cas, c'est un malade qu'il faut enfermer et qu'il faut soigner en prison. »

Mme Henrotin
48 ans
Liège
Employée

« Vous nous apprenez la nouvelle. On est sous le choc. Je croyais sincèrement qu'on allait les retrouver, avec tout ce que les parents ont fait. Ce n'est pas juste. Je suis dégoûtée de la justice. On ne doit jamais les gracier. Il a refait la même chose en sortant. On devrait lui faire la même chose, le violer chacun à son tour. Il saurait ce que c'est. »

Ph. Orban
29 ans
Saint- Georges
Ouvrier
« Nous sommes venus pour rendre hommage aux parents. C'est dégueulasse. On ne trouve pas d'autre mot pour qualifier ça. On devrait le pendre à un poteau et laisser les gens en faire ce qu'ils veulent. Hier, à un mariage, on a fait signer la pétition. C'est comme ça qu'on a appris la nouvelle. On était sous le choc. Quand on pense qu'elles étaient si proches et qu'on est allé les chercher si loin... »


M. Robant
36 ans
Namur
Employé

« C'est révoltant. Il est difficile de rester chez soi. Nous venons de Namur. Je travaille dans une Maison des jeunes où la petite Elisabeth Brichet prenait des cours de danse. Nous sommes ici aujourd'hui parce qu'on espère toujours la retrouver. Nous reprendrons des formulaires pour faire signer la pétition à Namur. »

M. Jacobs
33 ans
Seraing
Ouvrier

« C'est honteux. On devrait rétablir la peine de mort pour des gens pareils. On devrait les livrer à la foule, et ensuite les faire souffrir et les tuer à petit feu. Je ne comprends pas qu'on libère des gens pareils. Je compatis avec les parents. Je suis moi-même père. »

M Maquet
53 ans
Jemeppe
Femme d'ouvrage

« Je fais signer la pétition. On est tombé à court de papiers, alors on fait signer sur des feuilles blanches. J'ai connu Gino Russo quand il était petit. Quel calvaire pour les parents, pendant 15 mois! Ce sont des morts-vivants. Ils avaient tant d'espoir quand on a retrouve Sabine et Laetitia. Maintenant, Il faut bourrer le crâne des enfants avec des interdictions. En plus, il faut tout le temps les surveiller. Même à la boulangerie, on n'est plus tranquille.
Pour moi, ceux qui l'ont libéré sont tous coupables, depuis le directeur de la prison jusqu'au ministre de la Justice. »

Alphonse Dessart
71 ans
Milmort
Cadre à la F. N. retraité

« Il n'y a pas de mots pour désigner cet acte. Il n'y en a pas non plus pour les responsables de la libération conditionnelle de Dutroux. On ne libère pas un assassin et un pédophile en puissance.
A la F.N., j'ai assisté au licenciement pour faute grave d'un travailleur qui avait laissé tomber une clef dans un moteur à réaction. Ils feraient bien de suivre cet exemple au ministère de la
Justice. »

François Caligari
65 ans
Beaufays
Employé de la ville de Liège retraité

Je n'aimerais vraiment pas être a la place de celui qui a pris la décision de libérer Marc Dutroux. Je ne pense pas que j'arriverais a fermer l'oeil. En tous les cas, une chose est sûre, je démissionnerais de mon poste. On n'est plus digne de garder un poste avec pareille responsabilité quand on a agi de la sorte. »

Patricia Verjans
18 ans
Awans
Etudiante

« Ce genre de crime sur un enfant est abject. Quand on a, en plus, affaire à un pervers, pourquoi décider de le libérer ? C'est une lourde responsabilité prise par Melchior Wathelet. Je crois que cela repose le problème des peines en Belgique. Pourquoi ne pas réinstaurer la peine de mort pour des récidives pour des crimes semblables ? »


Une lettre digne et émouvante


Une lettre digne et émouvante

«La Meuse» du lundi 19 août 1996 page 10

Gino et Carine Russo, Jean-Louis et Louisa Lejeune ont adressé une ultime requête afin que leur calvaire ne se reproduise plus

Comme une ultime requête et par l'intermédiaire de M° Hissel, les parents de Julie et Mélissa ont demandé à la presse de publier dans son intégralité le message qu'ils avaient préparé (voir ci-contre). « Pour qu'elles ne meurent jamais » ont précisé les parents.
Mais aussi pour que la justice se pare d'un peu plus d'humanité et que s'instaure un vrai dialogue avec les victimes.

Celles-ci sont bien disposées à poursuivre leur combat pour qu'évolue la justice dans notre pays. Les 14 mois passés dans l'angoisse et l'attente furent jalonnés d'incompréhension, d'absence de communication et de mise à l'écart.
Beaucoup de questions restent encore à l'heure actuelle sans réponse.

Nous sommes persuadés que nos filles seraient ici actuellement si on nous avait permis de participer à l'enquête de la justice. Elles auraient entendu notre voix et se seraient manifestées lors des perquisitions du mois d'août à Sars-la Buissière » affirme M. Russo.

Le fossé entre les parents et la justice n'a fait que s'accroître. Convaincus que leurs filles étaient encore en vie, ils n'ont jamais obtenu le soutien qu'ils espéraient de la justice.

« Trois jours après leur disparition, on nous disait déjà qu'il fallait s'attendre à les retrouver mortes. Si la justice y avait prêté attention, elles seraient peut être encore en vie. Si on avait réellement pensé les retrouver vivantes lors des perquisitions du mois d'août, on aurait peut être déployé les moyens techniques sophistiqués mis en oeuvre ces derniers jours... » Fait encore remarquer Mme Russo
Se soutenant mutuellement, les parents ont toujours puisé leur force dans cet espoir de les retrouver en vie.

« Pourtant, quand on m'a proposé d'aller voir les corps, je n'ai pas pu, malgré ce besoin de savoir s'il s'agissait bien de notre fille. On aura remué ciel et terre, malgré des réticences, et nos petites filles ne sauront jamais qu'on les a cherchées de tout notre coeur. »

Pendant tout ce temps, ils se sont accrochés à cet espoir et l'avenir devait leur donner raison. « Mais les enquêteurs ne nous ont pas écoutés. Combien de fois ne les avons-nous pas entendu dire qu'il fallait laisser faire les professionnels. Il n'empêche qu'elles sont restées en vie durant 9 mois. Pour toutes ces raisons, nous en voulons plus à la justice qu'à Dutroux. »

Ce manque de communication dénoncé par les parents leur a fait très mal. Ils n'ont jamais pu obtenir de renseignements sur l'évolution de l'enquête,informés uniquement par la presse des développements de l'enquête. C'est pour que pareille chose ne se reproduise plus jamais qu'ils ont décidé de continuer leur lutte, bien décidés à obtenir l'accès au dossier.

Cet accès au dossier, ils l'espèrent de toutes leurs forces. Afin qu'il puisse permettre une plus grande transparence de la justice. « La justice favorise trop la défense » fait remarquer Mme Russo. Il est vrai que Dutroux, lui, aura tout le loisir de consulter le dossier...

P.Graff
_________________________

Le lent réveil de la Belgique

«La Meuse » du lundi 19 août 1996 page 10

Une législation laborieuse se met en place pour traiter les pédophiles

La récidive est une tendance générale des pédophiles. On le sait depuis plusieurs années. Pourtant, ils bénéficient, comme n'importe quel autre détenu, des possibilités de libération conditionnelle. Les choses sont en train d'évoluer quelque peu et il semblerait que la loi leur devienne moins favorable, actuellement. Du moins, les modifications vont-elles en ce sens.

Mais Marc Dutroux avait encore bénéficié de la loi Lejeune à son stade précédent; qui ne faisait pas la différence entre les détenus en général et les pédophiles.
La fameuse loi Lejeune incriminée ces derniers jours remonte à 1888 et a subi de nombreuses transformations au fil du temps. La loi Lejeune, c'est la libération conditionnelle. Pour en bénéficier, le condamné doit s'être amendé et accepter de se soumettre à un certain nombre de conditions; cela peut aller de la recherche d'un travail stable au fait de ne plus pouvoir entrer dans des débits de boissons. Si le condamné contrevient à ces conditions, il retourne en prison.

Tous les condamnés ne peuvent toutefois pas profiter de la libération conditionnelle dans les mêmes délais. Un délinquant primaire (qui en est à sa première condamnation) peut entrevoir une libération conditionnelle au tiers de sa peine. Un récidiviste, lui, ne peut être libérable qu'aux deux tiers de la peine.

La décision de libérer un détenu conditionnellement se prend à la suite de plusieurs avis. Il y a d'abord une première commission qui se réunit pour discuter du cas du condamné.
Participent à cette première réunion: des représentants du parquet, de la commune où se situe la prison et des notables.
Leur avis est alors transmis à une deuxième commission qui rassemble les surveillants de la prison qui connaissent le détenu concerné, le directeur de l'établissement et des membres d'une «unité d'orientation et de traitements » (des psychologues).
La conclusion de ces deux commissions est remise au service des libérations conditionnelles. Et, finalement, un rapport aboutit sur le bureau du conseiller du .ministre de la Justice. Le procureur général remet également un avis mais la décision finale appartient au ministre de la Justice.

Dans le cas de Marc Dutroux, c'est ce qui s'était passé. Le procureur du Roi du Hainaut, M. Demanet, au vu des différents rapports, avait émis un avis négatif mais le ministre de la Justice, M. Wathelet, n'en avait pas tenu compte...

Une meilleure loi... mais difficile à mettre en pratique

Depuis, la loi a été modifiée. En 1995, il a été décidé que les condamnés coupables d'abus sexuels- sur des mineurs d'âge feraient désormais l'objet d'une expertise plus approfondie de la part des «unités d'orientation et de traitements». Mais pour cela, il faut que les psychologues qui en font partie se spécialisent. Or, hier au ministère de la Justice, on disait de façon à peine voilée, que ce n'était pas encore le cas.

Les pervers sexuels sont des délinquants, paraît-il, particulièrement habiles lorsqu'il s'agit de brouiller les pistes et de monter les gens les uns contre les autres.

Il faut donc que ce soit toujours le même spécialiste qui suive les mêmes délinquants sexuels. Ceci lui permet de connaître les particularités de l'individu qu'il a en face de lui et de ne pas se laisser manipuler aussi facilement. Car ce type de pervers sont, paraît-il, des as de la manipulation.
Par ailleurs, Communautés et Régions se font quelque peu tirer l'oreille pour savoir qui assumera la charge de cette nouvelle spécialisation.
Elles semblent ne pas apprécier que l'Etat fédéral décide de nouveautés dont elles doivent ensuite elles-mêmes supporter la charge...

En septembre, une décision devrait être prise. Elle devrait mettre en place un ou deux centres spécialisés dans ce domaine par province. Mais le plus difficile est d'instaurer un réseau cohérent.

De cette façon, un délinquant sexuel ne pourrait pas, au nom de son droit à la thérapie, se faire transférer d'un centre à l'autre et ensuite prétendre que, dans le centre précédent, il bénéficiait de tel ou tel avantage.

En fait, la Belgique semble seulement commencer à prendre conscience de la réelle difficulté de traiter les pédophiles. Et c'est seulement aujourd'hui que, peu à peu, les structures se mettent laborieusement en place.

Pascale Séféridis


___________________________


Pas de réactions de Wathelet

« La Meuse » du lundi 19 août 1966 page 10

Nous avons essayé hier d'obtenir une réaction de l'ex-ministre de la Justice, Melchior Wathelet, dont beaucoup estiment qu'il a une grande part de responsabilité dans cette affaire.
L'ex-ministre est en fait en Italie, au mariage d'un de ses collègues, juge comme lui à la Cour européenne de justice à Luxembourg. Il ne reviendra qu'en fin de semaine.

Il faut toutefois rappeler que le ministre de la Justice ne s'occupe qu'exceptionnellement de dossiers judiciaires bien précis et que ses décisions ne sont, dans l'immense majorité des cas, que l'approbation de rapport que son administration lui a confectionné.
Dans une lettre qu'il nous avait adressée à la fin de son ministère en 1995, il nous expliquait qu'il refusait de plus en plus les demandes de libérations anticipées qu'on lui adressait. Celle de Dutroux est pourtant passée...

Par ailleurs, on a attendu hier une réaction de l'actuel ministre de la Justice, le CVP Stefaan De Clerck. Elle est venue sous la forme d'un communiqué de condoléances aux familles éplorées. Il annonce une conférence de presse pour ce lundi après-midi. Lui qui a aboli la peine de mort sans vouloir y adjoindre dans le même temps des peines dites incompressibles devra certainement s'expliquer sur le sujet.

L.G.






Toutes les planques de Dutroux

«La Meuse» du lundi 19 août 1996 page 9

Tous les voisins n'en reviennent pas d'avoir côtoyé des monstres

SARS-LA-BUISSIERE:
Petit village paisible, entre Lobbes et Thuin. Il est devenu depuis samedi synonyme d'horreur et d'incompréhension. Les habitants sont partagés entre la colère et un sentiment de culpabilité. Mais qui aurait pu se douter de l'horrible vérité ? Marc Dutroux disait « s'entraîner » à manier son excavatrice.
En fait, il enterrait les deux fillettes.


Et peut-être d'autres encore. Pour pouvoir le faire à l'abri des regards, il avait acheté une maison au coeur du hameau de Rubignies, derrière un café et à côté d'un garage. Ainsi, le ferrailleur Dutroux pouvait travailler à construire sa façade de « chipoteur » de voitures.

Mont-sur-Marchienne
Entre août 1995 et août 1996, on a beaucoup vu Marc Dutroux aux abords des maisons à Mont-sur-Marchienne. Là même où hier, la protection civile de Ghlin retournait de fond en comble le jardin. C'était la maison voisine d'un ressortissant grec arrêté la semaine dernière et relâché faute de preuves, hier.
Dutroux y a effectué des travaux de terrassement.
« C'est vrai, nous confirme un voisin, en août 95, il est venu avec son bobcat (ndlr: petit bulldozer) ramener toute la terre derrière un mur qu'il venait de faire.Dutroux était plutôt poli, peut-être un peu trop, même un peu envahissant puisqu'il est venu nous proposer ses services pour des travaux que nous voulions faire. Il n'y a qu'une fois où il a eu une colère anormale: quand il a enfermé toute une journée son petit gamin dans une CX grise, en plein soleil. » « Il a passé une nuit sur place », précise la voisine.

Marcinelle
Avenue de Marcinelle, n 128. La maison où l'on a retrouvé Laetitia et Sabine jeudi dernier. Dimanche matin, et depuis trois jours, la rue est devenue un passage très fréquenté. On vient de loin pour « voir ». Des Carolos y amènent de la famille venue de France. Le défilé est incessant. Voir indécent. Moins lorsque vous parlez avec les hommes, les femmes et les enfants qui s'arrêtent. Ils ont des larmes dans les yeux et de la colère dans la voix. Ils viennent presque en pèlerinage.
Les voisins sont partagés entre une volonté d'en découdre avec Marc Dutroux et sa compagne, et un sentiment de culpabilité.

«Comment n'avons-nous rien vu, rien entendu. C'est vrai que cette cave était murée mais quand même... », explique une dame habitant juste à côté.
« Mon petit gamin est une fois rentré chez eux. Je ne sais pas pourquoi, mais j'ai tout de suite été le rechercher. Dutroux m'avait dit: « Quel beau petit garçon ». J'ai engueulé mon fils et lui ai interdit de recommencer. Parce que je trouvais Dutroux bizarre; Je ne sais pas pourquoi, mais c'était ainsi... »
Dans la porte du 128, un trou. Dans le trou, un petit billet. Sur le billet, une inscription:« Qu'on les pende ».

La Docherie:
Le 17 de la rue Jules Destrée à MarchienneDocherie est une des propriétés de Marc Dutroux. C'est là que résidait, depuis trois semaines, Michel Lelièvre, un des complices du couple infernal, arrêté aussi mardi dernier. Si l'on en croit les voisins, « Dutroux aurait hérité de cette maison d'un vieil oncle. Il y a de ça déjà plus de trois ans. Il n'a jamais habité ici. Il y faisait des travaux, ça oui, mais pourquoi faire... ? »
Et c'est vrai que, comme toutes les maisons où est passé Marc Dutroux, il règne au 17 de la rue Destrée un indescriptible capharnaüm blocs de béton, moteurs en pièces détachées, meubles esquintés... « Il était en train de réparer son toit. Un morceau envolé avait déjà endommagé le mien, précise le voisin. Les 20 m de rampe d'accès à la maison, c'est lui qui les a coulés. Il travaillait avec son bobcat. » Ce petit bulldozer est une autre constante,inséparable de l'individu.

« Nous ne parlions pas avec lui. Nous savions qu'il avait déjà été en prison, et pour quelles raisons. On se méfiait. J'ai aussi des enfants, dont une fille de 12 ans. Hier soir, elle a pleuré toute la soirée. Elle m'a dit: « Et s'il m'avait prise... »

Jumet
Dutroux a également été aperçu à Jumet. Il effectuait de fréquentes visites à son «copain» Bernard Weinstein aux numéros 63-65 de la rue Daubresse. Weinstein, dont on a retrouvé le cadavre à Sars-la-Buissière. «Il disait que la maison lui appartenait, explique M. et Mme Lips, des voisins.
C'était un drôle de gars, qui sortait tous les soirs, avec son camion ou sa moto. Mais vous savez, un jeune homme... On voyait bien que c'était un « branquignol » mais en même temps, une crème d'homme. Il ne faisait pas de bruit. On s'occupait même de son chien et de ses poules, qu'il oubliait parfois ».
Selon le couple de Jumet, Weinstein a disparu en novembre dernier, après une histoire de séquestration d'adultes dans sa maison.
« Quant à Dutroux et sa femme, il faudrait les enchaîner et ne plus les nourrir. Comme ils ont fait à ces deux pauvres petites chottes... »

Yvan Scoys

___________________

L’enfance de l’assassin

«La Meuse» du lundi 19 août 1996 page 9

« Marc Dutroux était un gamin bien sage, qui jouait tout seul dans le jardin de ses grands-parents », se souvient-on à Jemeppe-sur Sambre

C'est le souvenir de ce Marc Dutroux-là qu'on a conservé à Jemeppe-sur-Sambre. Les voisins directs de la maison de ses grands parents maternels le revoient encore lorsqu'il venait passer quelques jours ici. Dans une grosse bâtisse située au 27 de la rue Léopold Lenoble.
Le petit Marc n'avait pas de copains,ce qui ne l'empêchait pas de jouer seul dans le verger familial.
Des grands parents, on ne conserve pas un souvenir impérissable. On dit qu'ils étaient très renfermés sur eux-mêmes, ne parlaient jamais à personne.
Marc Dutroux était l'aîné de cinq enfants. Quatre garçons et une fille. C'est aussi le seul mouton noir de la famille. Serge, le benjamin, s'est donné la mort par pendaison à la mort de leur grand-mère en 1992. Il n'aurait pas supporté la disparition de cette dernière.
Les deux autres frères sont facteurs, ils mènent une vie bien ordinaire, tout comme la soeur dont on est sans nouvelles à Jemeppe-sur-Sambre.

Enfant du divorce
Lorsqu'ils ont convolé dans les années 50, ses parents ont élu domicile dans une petite maison des grands-parents maternels à Obaix.
Peu de temps après, les jeunes mariés décident d'aller exercer leur profession d'enseignants au Congo. Avec Marc dans leurs bagages. Pour fuir les émeutes du début des années 60, ils reviennent en Belgique. Leur retour ne cimente pas leur couple qui bat de l'aile. Le père, dit-on, navigue de dépression en dépression. Le couple finit par se désagréger. Marc sera désormais, avec ses frères et sa sueur, un enfant du divorce.

Désormais, c'est leur maman qui les prend sous son aile protectrice à Obaix. Au fil des années qui s'écoulent, il gagne sa vie de bric et de broc. Il «chipote» déjà avec des voitures et s'attire des petits ennuis avec la police.
Lorsqu'il se marie, il déniche une maisonnette dans les bois d'Onoz ; elle appartient au Comte de Beaufort.
Le couple n'y reste pas longtemps car Dutroux fait déjà parler de lui pour tapage nocturne. Le comte a tôt fait de les expédier vers d'autres cieux.

Ferrailles et tapage nocturne

On perd sa piste un certain temps. Avant de la retrouver dans une charmante cité de Goutroux, rue des Anémones.
Les bonnes habitudes ne se perdent pas. Si Marc et sa première épouse se font très discrets durant la journée, ils mettent un point d'honneur à montrer qu'ils sont bien là la nuit venue. Pendant la journée en effet, ils sont sur les routes à bord de leur Renault 19 beige.
Le soir, lorsque Marc Dutroux tape comme un sourd sur les moteurs entassés dans le garage, les décibels de la chaîne hi-fi se déchaînent.

A l'époque, on se souvient dans le quartier que le couple Dutroux avait offert une forme d'hospitalité à un certain Jean Van Piteghem.
Ce dernier vivait dans une caravane installée face à la maison. Van Piteghem ne manquait jamais d'accompagner le couple Dutroux dans ses pérégrinations diurnes.

Les voisins se souviennent qu'il écoutait beaucoup Michel Sardou, c'était la grande époque des « Lacs du Connemarra ». L'un de ces voisins se souvient aussi que c'était quelqu'un de très affable. Toujours en salopette, sale et dégoulinant d'huile. Son épouse, Michelle Martin, n'était pas plus reluisante; elle portait souvent les mêmes habits.

Un père indigne... sûr de son bon droit

Bien que Marc Dutroux cultivât une très grande discrétion, il lui arrivait de temps à autre de tailler une bavette avec son voisin du n° 2. Ce n'était pas le cas de Michelle Martin. C'est à peine si elle disait bonjour, on finissait même par croire que cette grande jeune femme blonde était timide.
En fait, elle était à l'opposé de la première épouse qui s'est fait la malle avec ses deux gosses. Lasse peut-être de les laisser parfois livrés à eux-mêmes la nuit. Rue des Anémones, on se souvient des cris et des pleurs de ces enfants.
Un soir, deux voisins ont vainement tenté de les faire sortir de la maison. Peine perdue, les gosses étaient enfermés dans leur chambre.

Les rapports de « bon voisinage » n'empêchent pas les voisins d'alerter la police. On leur répond qu'on ne peut pas toucher au couple infernal car la BSR les a en point de mire.

A ceux qui manifestent l'envie de lui casser la figure, Marc Dutroux répond tranquillement qu'il a cité en justice le dernier qui a osé lui fendre la lèvre. Pour réclamer des dommages et intérêts.
Un beau jour, à la grande joie des plaignants, il disparaît de la cité goutrousienne. Le voilà de retour trois mois plus tard. Il soutient qu'il était parti se faire soigner pour une dépression. En fait, on est convaincu maintenant qu'il est allé passer un séjour à l'ombre.

En 1985, le couple plie bagage et déménage. On perd encore sa trace. On sait qu'il a vécu l'an dernier au 27 de la rue Léopold Lenoble à Jemeppe-surSambre. Au domicile, donc, de sa grand-mère décédée en 1992.
Depuis, cette maison est devenue une pomme de discorde entre lui et sa mère. Cette dame que l'on présente comme une « petite femme très coquette » a chargé la justice de l'en déloger.
C'est maintenant définitivement fait. On peut décemment le penser.

A.MADI


_________________________


PEINES INCOMPRESSIBES

Enorme succès pour la pétition de Marc et Corinne

«La Meuse» du lundi 19 août 1996 page 9

C'était à nouveau l'effervescence dimanche dans les locaux de l'asbl Marc et Corine. Les photocopieuses tournaient à plein régime.
Non pas cette fois pour imprimer un nouvel avis de disparition mais bien pour sortir le plus possible de formulaires de pétition en faveur de peines incompressibles pour les crimes les plus graves, dont bien sûr les rapts d'enfants.

« Nous avons été d'accord avec la suppression de la peine de mort puisqu'elle n'était plus appliquée, nous explique Jean-Pierre Malmendier, le papa de Corine. Mais en ce qui concerne les peines, il faut absolument que les décisions des juges et des jurés soient mieux respectées. Pour l'exemple que représente toujours la privation de liberté pour un criminel, mais aussi par respect pour la victime qui ne veut pas se retrouver face à son agresseur quelques mois plus tard.

Il faut rappeler que Melchior Wathelet avait à l'époque introduit un projet de loi portant en même temps et sur la suppression de la peine de mort et sur l'instauration de peines incompressibles (un laps de temps durant lequel un condamné ne pourra en aucun cas sortir de prison).
Son successeur au poste de la Justice, Stefaan De Clerck, a voulu scinder les deux dossiers.
Aujourd'hui donc, l'arsenal juridique belge ne possède plus la peine de mort et ne possède pas (pas encore?) de peines dites incompressibles.

Le journal La Meuse-La Lanterne a voulu s'associer à la diffusion de cette pétition que nous estimons pleine de bons sens et de respect.

C'est pourquoi nous la publions intégralement. A vous de la faire remplir par vos connaissances et de la renvoyer au siège de l'asbl Marc et Corine, rue des Vingt-Deux, 30, à 4000 Liège (Tél.: 041152.73.97).


Luc Gochel

Free Web Counters
Free Counter