dimanche 7 décembre 2008

Marie France Botte étranglée (« Soir illustré » du mercredi 16 octobre 1996 page 40)


Marie France Botte étranglée

« Soir illustré » du mercredi 16 octobre 1996 page 40

 Celle qui consacre sa vie à la lutte contre les pédophiles a reçu plus d'une fois des menaces.Jamais aussi grave que cette fois. Pourquoi ?

Qui en veut à Marie-France Botte? En mai dernier, la jeune femme avait découvert le hall de son immeuble de Forest recouvert de graffitis au mercurochrome entourant des coupures de presse et une photo de sa fillette placardée sur les murs.

- Mercredi dernier, alors qu'elle rentrait vers 22h20 d'une conférence à Wodecq, dans les environs de Lessines, elle a été physiquement agressée dans le même hall de son immeuble.

Selon le témoignage de Marie France Botte, un homme chauve, d'une quarantaine d'années, l'a d'abord frappée violemment dans le dos; puis, la plaquant contre le mur, a tenté de l'étrangler en la serrant fortement à la gorge.

Je peux vous dire que cette fois, j'ai cru que ma dernière heure était venue, raconte-t-elle.

- Marie-France Botte, qui a déjà subi deux agressions en Thaïlande, connaît des éléments de self-défense. Elle s'est laissée tomber au sol, ce qui a fait lâcher prise à son agresseur. Profitant de ce répit, la jeune femme s'est alors précipitée vers la seconde porte du hall, celle donnant à l'intérieur de l'immeuble qui, par chance, était restée entrouverte, pour s'y engouffrer et empêcher son agresseur de la suivre.Je n'ose pas imaginer ce qui se serait passé si la porte avait été fermée.

Selon les dires de Marie-France Botte, pendant l'agression, l'individu lui a dit: «Tu vas payer pour tous; je vais te tuer», une menace similaire à celle qui avait été proférée la veille, par téléphone, sur  le GSM de Marie France Botte dont - fait curieux – seules quelques personnes de confiance, dans son entourage, connaissent le numéro.

Trois minutes après l'agression, la police de Forest arrivait sur place pour les constatations d'usage. Après sa déposition au poste de police, Marie-France Botte s'est rendue à l'hôpital Saint-Pierre, pour recevoir les soins qui s'imposaient. Des lésions au cou l'obligent à porter une minerve. Mais les blessures n'étant pas graves, elle ne devra la porter que pendant quelques jours.

Reste à savoir qui en veut à Marie-France Botte au point de vouloir l'assassiner. Selon une information parue dans le journal « De Morgen », vendredi, Marie France Botte aurait été agressée par l'un des membres d'un important réseau de prostitution enfantine existant depuis 25 ans, mettant en cause d'importantes personnalités de premier rang, dont Marc Dutroux n' était qu'un «fournisseur». Mais il n'apparaît pas que

Marie-France Botte ait disposé d'informations précises et circonstanciées relatives à l'existence d'un tel réseau, ni qu'elle les ait fournies aux enquêteurs.

La semaine dernière, on a reçu, à l'organisation, une ancienne victime de Dutroux-Nihoul, une personne qui a aujourd'hui 25 ans. Mon agression est peut-être liée à cela ?

Jean-Marc Veszely.

 

La suspicion n’était pas légitime---L’arrêt historique ( « Soir illustré » du mercredi 16 octobre 1996 pages 38 et 39)


La suspicion n’était pas légitime

 « Soir illustré » du mercredi 16 octobre 1996 pages 38 et 39

 Il y a déjà eu les trois interventions «malheureuses» de la Cour de Cassation dans l'affaire Cools. Cette fois, la position prise par Mme Liekendael, procureur général près cette même cour, dans le cadre de la demande de dessaisissement du juge d'instruction Jean-Marc Connerotte, semble être la goutte qui a fait déborder le vase chez certains magistrats. Dans ce milieu généralement fort réservé, un magistrat émérite a voulu briser le silence, sous le couvert de l'anonymat cependant.

 Si la Cour de Cassation devait suivre le malheureux réquisitoire du procureur général, les avocats des familles pourraient s'inspirer du texte de ce magistrat,ci-dessous, pour faire opposition.

 Philippe .Brewaeys

 - Il ne s'agit pas de choisir entre la loi et les sentiments, ni d'opposer la loi aux sentiments ou à la morale, il ne s'agit même pas de créativité, il s'agit de la pure application de la loi interprétée correctement.

-1° Une disposition légale essentiellement invoquée est l'article 828-10° du code judiciaire, qui précise que «tout juge peut (ndlr: et non doit) être récusé s'il a été reçu par une partie à ses frais ou a agréé d'elle des présents»: cette disposition légale ne peut être retenue en l'espèce puisque l'asbl Marc et Corine, qui avait invité le juge à un repas et lui avait offert un bic n'est pas, au sens légal du terme, partie à la procédure.

- 2° Il n'est pas établi que M. Connerotte aurait su qu'une partie des bénéfices de la soirée serait versée pour la défense de l'une ou l'autre victime en cause et, même s'il l'avait su, cela n'empêcherait pas son impartialité (cfr ci-dessous).

- 3° M. Connerotte n'a jamais fait aucune déclaration à la presse, alors qu'il pouvait se prévaloir de résultats combien décisifs.

- 4° L'affirmation selon laquelle il y aurait «connivence» entre le juge d'instruction et le parquet de Neufchâteau est sans fondement.

- 5 ° Pour qu'il y ait dessaisissement suivant la loi belge (article 542 du code d'instruction criminelle, articles 648-2° et 650 du code judiciaire), il ne suffit pas d'une simple suspicion: il faut que la suspicion soit légitime - c'est à-dire selon le jurisconsulte Albert Fettweis (p 614), commentateur du code judiciaire -, il faut que la suspicion soit basée sur des

«circonstances graves et exceptionnelles» prouvées: à cet égard, même si l'on considère (à tort) que le geste de Monsieur le juge Connerotte était une erreur dans le sens où il aurait manqué à son devoir de réserve, cette prétendue erreur ne constitue pas une circonstance grave et exceptionnelle permettant de qualifier de «légitime» la suspicion invoquée, dès lors que ce geste ne nuit en aucune façon à son impartialité de magistrat instructeur puisqu'il s'agit - de sa part - de l'expression d'un simple sentiment d'humanité et de sympathie envers l'enfance en général et d'un simple sentiment de compassion et de commisération que tout être sain et noble doit pouvoir éprouver et pouvoir exprimer envers l'enfance horriblement et atrocement maltraitée, violée, mutilée, affamée et ignominieusement mise à mort.

6° Par une telle motivation, la Cour de Cassation apprécie souverainement en droit et en fait le geste de M. Connerotte comme ne constituant pas une circonstance grave et exceptionnelle de telle sorte que l'impartialité du juge ne peut être mise en cause et que la suspicion invoquée n'est pas légitime.

Un magistrat honoraire

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 L’arrêt historique

 « Soir illustré » du mercredi 16 octobre 1996 pages 38 et 39

 Durant de longs jours, la tension s'était accumulée. L'opinion unanime s'interrogeait: le juge Connerotte garderait-il la charge de l'enquête exemplaire qu'il mène depuis le mois d'août ?

C'est avec humanité, en disant qu'elle s'associait à la douleur et aux interrogations des parents, que le procureur général près la Cour de Cassation, Mme Éliane Liekendael, a commencé à évoquer la requête en suspicion légitime déposée contre le juge d'instruction Connerotte par les avocats de Marc Dutroux et de Michel Nihoul. Au-delà de cette approche sensible, Mme Liekendael s'est pratiquement rangée à l'avis des avocats, par la force du droit. Selon sa démonstration, le juge Connerotte s'est mis dans son tort en participant au repas organisé par l' asbl Marc et Corine.

Assis dans le prétoire, les parents des victimes étaient saisis de stupeur, découvraient que le dossier risquait d'échapper à Neufchâteau. Pour eux, il est difficile de faire confiance à une autre juridiction. Méfiants, ils se fient à l'expérience, et craignent qu'au nom de la loi, on ne fasse pas oeuvre de justice.

A la sortie de l'audience, au palais de justice de Bruxelles, l'avocat de Dutroux, Me Julien Pierre, a été couvert de lazzis, par des gens qui ne comprenaient pas qu'il défende son client en s'attaquant au juge qui cherche la vérité, avec courage. Partout, dans le pays, des juristes aux gens les plus simples, tout le monde s'interrogeait. Les experts livraient des avis parfois contradictoires avec un même aplomb. Pour beaucoup de gens, moins respectueux peut-être des tabous, quand le droit ne répond plus à la société qui évolue, il faut l'adapter. Un peu comme un outil dépassé par la technique. Un vaste débat s'ouvre sur cette perspective.

Le droit belge, en ce point précis concernant le magistrat instructeur, est-il trop contraignant? Par ailleurs, beaucoup de juristes experts estimaient que la Cour de Cassation devait trouver la créativité nécessaire

(et ardemment souhaitée par les élus qui redoutent que le désaveu du juge Connerotte provoque une historique crise de confiance) pour sortir le juge du piège où il est tombé, en acceptant de partager des spaghettis avec des justiciables de son terroir.

 - L'atmosphère était tendue, avec cette actualité bousculée par les affaires. Formellement démentie par le procureur Bourlet, une information venue des USA faisait l'effet d'une bombe. Les cassettes saisies par

Neufchâteau auraient révélé les visages de ceux qui assistaient aux viols des enfants.

A Charleroi, on découvrit avec stupeur que le juge Bracq n'était pas le monument social qu'il avait fini par représenter.

Survint l'agression de Marie-France Botte, alors que les fouilles, sur le terril de Jumet, ressemblaient de plus en plus à un nouveau chantier de cauchemar. De quoi faire perdre la boussole aux personnes ayant les nerfs les plus solides. Ce long suspense s'est tendu jusqu'à lundi après-midi, pour le dénouement programmé à 15h30. Tout le pays était suspendu à la décision que prendraient les juges suprêmes.

À 15h30, lundi, dans la salle d'audience de la Cour de Cassation, le 1er président Oscar Stranard a lu les arrêtés dessaisissant le juge Connerotte de tout ce dossier brûlant, devant un public restreint et silencieux.

Un autre juge d'instruction de Neufchâteau reprendra la charge du juge plébiscité par l'opinion. Au même moment, devant le Palais de justice de Bruxelles, l'atmosphère était tendue. Des calicots dénonçaient «une justice injuste» et les gens manifestaient leur désarroi.

La Cour de Cassation sera donc allée jusqu'au bout dans l'application du droit, sans parvenir à trouver la créativité demandée pour rassurer l'opinion.

Marcel Leroy.

 

 

 

Suite de :« Je suis devenu prudent » --- "Enquêtes sur les réseaux pédophiles"pg 36 et 37


Suite de : Stefaan de Clerck : « Je suis devenu prudent »

PAGE 36 :

LSI: À Genève, des magistrats européens se sont réunis pour se plaindre des moyens archaïques dont ils disposent dans des enquêtes sur la criminalité organisée ou la corruption, de la lenteur des commissions rogatoires, de la tutelle du politique,... Le dossier Dassault, par exemple, est bloqué à Paris depuis près d'un an.

SDC: C'est vous qui le dites et je ne le démens pas. Mais c'est une situation étrangère. En Belgique, cela ne se passe pas comme cela. Je suis très heureux que des magistrats se soient exprimés dans ce sens à Genève. Les politiques ne doivent pas faire les enquêtes et, dans notre pays, nous sommes mieux placés à cet égard qu'en France. Il faut le souligner pour la population. Il faut mettre à la disposition de la magistrature les moyens nécessaires à son travail, comme des GSM, des ordinateurs, des bâtiments corrects. Dans nos palais de justice, on n'a pas l'espace utile pour faire un travail convenable. Pour en venir à votre question, les commissions rogatoires, c'est un vrai scandale. La manière dont cela fonctionne n'est plus adaptée à notre époque. Il s'agit encore, à l'heure de l'électronique, d'envoyer des diligences pour rechercher de l'information. C'est inacceptable. Lors du sommet de Dublin, j'ai demandé que nous mettions au point des outils modernes nous permettant de travailler en temps réel. Dans les dossiers liégeois, cet élément nous pose problème. La Cour de Cassation m'a demandé de changer les délais de prescription dans des dossiers qui dépendent des commissions rogatoires. Sans quai, certains dossiers pourraient être prescrits simplement parce que les procédures à l'étranger traînent.

LSI: Il est paradoxal de constater qu'on parle de la libre circulation des personnes et des biens mais que les informations judiciaires, elles, restent bloquées aux frontières.

SDC: Pour les commissions rogatoires et la coopération internationale intra européenne, il faut travailler avec un réseau efficace de magistrats nationaux qui centralisent les informations, qui seraient responsables pour ces dossiers sans qu'il ne passent par les politiques comme cela se fait actuellement via Ies ministres turcs de la Justice et des Affaires étrangères. Malheureusement, ces magistrats nationaux n'existent pas encore dans les autres pays. C'était la raison de mon intervention il Dublin.

PAGE 37 :

LSI : En dehors de la modification de la loi sur l'aide aux victimes, quelles sont les outres mesures concrètes en préparation qui visent à donner une image et un contenu plus humain à la justice?

SDC: L'aide aux victimes est le premier point. Mais il est malheureux que le projet Franchimont, qui prévoit de donner un rôle actif aux parties civiles dans les procédures soit bloqué depuis si longtemps. Les familles pourraient avoir accès au dossier et on pourrait aussi parler de la communication. Car il ne suffit pas (le transmettre des photocopies (les pièces. Est-ce qu'on informe les parties civiles, est-ce qu'on discute avec elles'' Et quand ne transmet-on pas les pièces? Car une partie veut être suspecte dans le dossier. Il faut donc garder la possibilité de dire non, et de ne pas transmettre, car il peut y avoir d'autres intérêts, contradictoires avec ceux de la famille. Il faut renverser le principe: actuellement, c'est non, sauf dans des cas exceptionnels. La situation devrait être l'inverse: en principe, il y a transmission sauf dans des cas qui devraient être motivés par le juge.

Quant à l'aspect humain, il faut arriver à un changement de mentalité du monde judiciaire, du monde policier, pour acquérir le respect de la victime Pas seulement lors du dépôt de la plainte, lorsqu'on doit Faire le récit de ce qui est arrivé, mais pendant toute la procédure, jusqu'à son achèvement. La victime doit être acceptée comme partenaire dans cette procédure. Il ne s'agit pas de changer des lois mais de créer cette culture d'entreprise dans l'appareil judiciaire.

LSI : Les affaires liégeoises touchent deux de vos partenaires gouvernementaux, le SP et le PS. Cela ne met-il pas en cause l'existence du gouvernement?

SDC: Je constate qu'avec les (yens que je rencontre chaque jour, il n'y a aucune intervention négative ou aucun frein à mon action de ministre de la Justice.

Si on me disait «arrêtez-vous», cela changerait, évidemment. Mais on n'en est pas là. Je ne crois pas que ces obstacles surviendraient avec les gens que je côtoie au gouvernement. Au niveau des partis, ce n'est pas à moi d'en discuter. Jean-Luc Dehaene contrôle bien la situation politique et j'ai toute confiance en lui. Il m'a accordé une grande confiance ainsi que les autres membres du gouvernement cet je leur en suis reconnaissant. Ils m'ont permis de mettre en route tout un train de mesures de changement. J'espère que je pourrai les mener jusqu'a  la gare suivante: le vote de toutes ces mesures,

Mais politiquement parlant, j'ai l'impression que la Justice est considérée par ce gouvernement comme une priorité centrale. En cours de route, dans le travail qui nous attend  on verra bien ce qui se passe. Je suis devenu prudent parce que chaque jour, par les médias, par les dossiers,on apprend de nouveaux éléments. Je ne sais pas ce qui pourrait encore se passer dans ce pays.

Propos recueillis par Philippe Brewaeys

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Enquêtes sur les réseaux pédophiles

« Soir illustré » du mercredi 16 octobre 1996 pages 36 et 37

Par son appel à témoins géant, Neufchâteau est passé à la vitesse supérieure.

Objectif: les réseaux de pédophilie qui existeraient dans le pays depuis longtemps. Comme ils ne sont pas liés à Marc Dutroux, la Cour de Cassation ne pourrait pas en dessaisir Neufchâteau Quand un procureur fait de la résistance.

On vit aujourd'hui une situation paradoxale. D'habitude, on se plaint des interventions politiques dans les dossiers judiciaires. Mais dans le cas qui nous occupe, le gouvernement ne cesse de proclamer son incapacité à «peser» sur la Cour de Cassation, histoire de ne pas avoir à assumer un éventuel dessaisissement du juge Connerotte mais surtout du procureur Bourlet.

Mais dans les allées du pouvoir, on ne cesse de «pester» contre la Cour de Cassation qui «devient un véritable État dans l'État».

Preuve de l'inquiétude du gouvernement: la réunion très secrète qui s'est tenue ce dimanche après-midi entre le ministre de la Justice Stefaan De Clerck et le procureur du Roi de Neufchâteau. Rien n'a filtré du contenu de cette réunion. Mais on imagine que la discussion a dû tourner tant sur l'éventuel dessaisissement que sur l'état des enquêtes menées à Neufchâteau.

On sait que depuis la mi-août, deux dossiers sont ouverts: l'un, le 86/96, concerne l'enlèvement des fillettes. L'autre, le 87/96, concerne le volet protectionnel de Dutroux, et tourne autour de deux assassinats, de l'égorgement d'une jeune fille et de la séquestration de voleurs de camions.

Des dossiers fort lourds.

Mais, dans le fil de l'enquête, la Justice de Neufchâteau a récolté plusieurs témoignages très sérieux faisant état de l'existence en Belgique de réseaux de pédophilie parfois fort anciens.

Nos confrères de « La Libre Belgique » ont ainsi révélé qu'un premier témoin parlait d'un réseau tenu par un proxénète de Seraing qui serait alimenté par des enfants polonais. Un second réseau, vieux de 20 ans, aurait bénéficié à Bruxelles et à Liège de hautes protections.

Un pédophile condamné en 1995 à Bruxelles s'est lui aussi mis à table. Il y a longtemps qu'il parlait de personnalités impliquées dans un réseau pédophile. On parle ici de magistrats, d'hommes d'affaires et d'avocats.

C'est dans ce cadre que Neufchâteau a transmis une série d'informations au parquet général de Liège, voire à d'autres arrondissements judiciaires du pays.

Est-ce le passé de résistance du Luxembourg qui a inspiré le procureur du Roi de Neufchâteau?

Toujours est-il qu'il semble s'être lancé dans une sorte de guérilla juridique avec la Cour de cassation qui se comporte, à son égard, d'une toute autre manière que lorsqu'il s'agit des erreurs flagrantes du commissaire Brose dans l'affaire Cools. Sur base des informations recueillies auprès des témoins, le parquet de

Neufchâteau a décidé d'ouvrir trois nouveaux dossiers et les a mis à l'instruction chez le juge Connerotte.

Ces trois dossiers n'étant pas liés à Marc Dutroux, la Cour de Cassation ne pourrait dessaisir Neufchâteau de ces nouveaux dossiers.

Si toutefois elle en prenait le risque, il serait alors démontré que le problème de fond n'est pas celui d'un malencontreux spaghetti mais d'un acharnement à l'encontre de magistrats honnêtes, compétents et travailleurs. Thyl Uylenspiegel avait-il des ascendants luxembougeois ?

 

 

Stefaan de Clerck : « Je suis devenu prudent » (« Soir Illustré » du mercredi 16 octobre 1996 page 34 à 37)


Stefaan de Clerck : « Je suis devenu prudent »

« Soir Illustré » du mercredi 16 octobre 1996 page 34 à 37

 Le monde francophone connaissait peu cet avocat flamand jusqu'aux «événements». Depuis la mi-août, il court partout, on ne voit que lui. Ceux qui l'ont côtoyé affirment qu'il connaît très bien ses dossiers. Stefaan De Clerck donne le sentiment de prendre son département, la Justice, à coeur et de bosser comme un acharné. La différence avec son prédécesseur Melchior Wathelet est frappante.

Le Soir illustré: On a le sentiment, avec l'accélération des événements ces dernières semaines, que vous gérer un département dont votre prédécesseur ne s'est s beaucoup occupé.

Stefaan De Clerck: Je ne crois pas que ce soit tout à fait correct. Nous vivons une période extraordinaire: les événements se bousculent, des affaires commencent à être résolues, cela n'est pas dû au fait qu'il y ait un nouveau ministre. Il y a la volonté des magistrats et des policiers et un peu de hasard. Un climat renforce cette situation. Mais le ministre de la Justice en soi n'a pas d'impact direct sur une enquête. Je suis responsable de l'organisation, des moyens, du cadre dans lequel enquêteurs et magistrats doivent travailler.

LSI: Effectivement, c'est là que le bât blesse en ce qui concerne votre prédécesseur. Il y o cette guerre de moins en moins larvée entre b Pi et la Gendarmerie, le manque de moyens des magistrats,... Ce sont de vieux problèmes qui n'ont pas été réglas et qui explosent aujourd'hui.

SDC: A ce niveau-là, je suis d'accord. Avant l'été, on m'a posé la question de savoir comment je pouvais encore être ministre de la Justice alors qu'on ne retrouvait pas An et Eefje, Julie et Mélissa, les assassins d'André Cools ou ceux du vétérinaire Van Noppen.

Maintenant que tous ces dossiers avancent, on me demande comment je peux rester en place dans un tel système. Il faut faire attention: veut-on la vérité oui ou non? Des dossiers «s'ouvrent» et on sent une nouvelle dynamique dans la Justice. Il est évident que des éléments se révèlent: les dysfonctionnements de la Justice, la problématique de l'organisation du travail des polices (PJ, Gendarmerie, Comité Supérieur de Contrôle), les questions sur la recherche proactive (ndlr: recherche entamée d'initiative par un service de police) et les techniques de police,...

LSI: Ce sont de vieux débats dont nous parlons dans nos colonnes depuis plusieurs années.

SDC: Maintenant, je dois gérer ces vieux problèmes. J'ai déjà travaillé sur la coordination des forces de police, sur la politique pénitentiaire, sur la criminalité organisée avant les          «événements». J'avais tous les dossiers en main pour interpeller le parlement et demander dans quelles directions nous allions évoluer.

Tous les dossiers étaient sur la table. J'ai donc effectivement préparé ces vieux dossiers bien avant les événements. Ceux-ci montrent qu'il est devenu indispensable de faire quelque chose mais, parallèlement, ne laissent pas beaucoup de temps. Le temps est devenu aujourd'hui mon plus grand ennemi.

Tout le monde veut que tout soit solutionné en une fois, dans la minute. Il faut se calmer, prendre un peu de recul. D'abord, il faut la vérité dans les dossiers. Ensuite, il faut chercher les responsabilités dans les erreurs qui ont été commises. Enfin, à la lumière de ces conclusions et des travaux déjà effectués, on pourra facilement se mettre autour d'une table pour voir comment on solutionne définitivement le problème des polices, celui des recherches proactives, de la politique pénitentiaire, des libérations conditionnelles,... Mon travail actuel est de gérer le passé avec la vision du futur en intégrant chaque jour un nouvel élément d'actualité.

LSI: N'avez-vous pas commis une maladresse en dévoilant les seuls rapports Velu (PG de la Cour de Cassation) et Thily (PG de liège), alors que des problèmes se posent à d'autres niveaux, comme celui du parquet de Charleroi?

SDC: Je n'ai apporté qu'une partie de la vérité puisque je n'ai pas donné ma propre appréciation. J'ai parlé de ce qu'il y a dans les dossiers dès le premier jour où je suis revenu de vacances, j'ai pratiqué une politique de transparen ce. Je maintiendrai cette attitude.

Mais tout était déjà dans loti médias! Je vous pose franchement la question: aviez-vous déjà, oui ou non, le rapport Othello par exemple`'

LSI: Qui.

 SDC: Cela contraint donc parfois un ministre à aller plus vite qu'il ne le voudrait. Pas parce que je veux cacher les choses mais parce qu'il faut les gérer. C'est le gouvernement qui doit donner ces éléments au parlement et non la presse

LSI: Vous parlez du Parlement comme du lieu essentiel du débat sur les «affaires mais, dans l'affaire Cools, vous ne sembliez pas être très favorable à la création d'une commission d'enquête.

SDC: Je veux être pragmatique. Je ne suis pas contre une enquête parlementaire dans le dossier Cools. Je suis tout à fait favorable à faire cette analyse et nous y serons d'ailleurs obligés.

LSI: II faut apporter des réponses à l'opinion publique qui découvre avec stupéfaction que la piste qui aboutit est celle qui se dessinait dans les jours qui ont suivi l'assassinat d'un ministre d'État.

SDC: Le Parlement est le lieu par excellence peur faire cette analyse. Le premier objectif' doit être de continuer l'enquête et je me réjouis que, depuis quelques semaines, elle connaisse un nouvel élan. La cellule a été restructurée et divisée en deux parties. On fait maintenant correctement la distinction entre les affaires financières, comme Agusta. Dassault, d'une part; et le dossier assassinat, d'autre part. Jusqu'à présent, tout cela est en train d’évoluer favorablement. Mais je ne m'oppose nullement à une commission d'enquête. Le tout est de savoir quand, avec qui, et comment obtenir un résultat maximal.

J'ai 35 projets de loi qui cent passé le cap du Conseil des ministres et qui doivent être traites maintenant au parlement. L'année parlementaire vient à peine de commencer et j'ai déjà dû répondre à plus de trente interpellations. II y a une commission sur la drogue, une autre sur les sertes, sur les tueries du Brabant , l'enquête sur l'enquête dans le dossier Dutroux. Il va falloir gérer tout ce travail ou doubler le nombre de parlementaires! Le travail qui attend le parlement est énorme. Il faut donc être pragmatique et ne pas oublier le travail législatif car j'ai envie que de nombreuses mesures passent. On doit Garder l'équilibre entre l'analyse du passé et la définition des projets d'avenir.

LSI: Dans l'affaire Cools, la Cour de Cassation est intervenue à trois reprises. Une fois sur la «forme» pour empêcher la double saisine des juges d'instruction. Une autre fois pour pousser votre prédécesseur â liquider un avocat général qui, on s'en aperçoit aujourd'hui, avait raison. Il y a peu, elle est directement intervecher vous pour remettre en selle le commissaire Brose dans le dossier Agusta.

SDC: Je ne peux parler que de ce que je connais. J'ai vécu le moment Où la cour de cassation est venue me voir avec les juges d'instruction liégeois pour parler de l'organisation des travaux à Liège. C'est la première fois en Belgique que la cour de Cassation est aussi engagée dans une procédure pénale. Puisque des ministres sont en cause dans les volets Agusta et Dassault des dossiers liégeois, le conseiller Fischer est saisi de l’affaire. Il y a une situation exceptionnelle où le parquet et les juges d'instruction de Liège travaillent avec le parquet général de la Cour de Cassation.

On sait que Mrs Giet était assis entre deux chaises. Cette situation malheureuse est aujourd'hui rétablie avec l'arrivée de Mme Thily et la collaboration de M. Vandoren en tant que magistrat national. J'ai hier senti que la

Cour de Cassation entretient une relation de confiance avec des personnes qui ont travaillé dans le dossier Agusta ou Dassault. Ils m'expliquent que M. Brose est un homme remarquable dans ces dossiers. Je ne prends pas position dans ces dossiers. Il faut optimaliser les résultats dans cette enquête. Je ne sens pas de volonté de manoeuvre de la Cour de Cassation. Elle veut sauvegarder ce qui a déjà été fait. Cela ne veut pas dire qu'au moment où il y aura l'enquête sur l'enquête, on pourra s'abstenir de faire l'analyse des interventions de la Cour de Cassation dans le dossier Cools et de ses effets sur l'enquête.

LSI: La population est très choquée de la mise en cause des magistrats de Neufchâteau qu'elle perçoit, à juste titre, comme étant des juges honnêtes, compétents, efficaces et surtout humains. On ne connaît, à l'heure de cette interview, eue l'avis du parquet général, qui demande le dessaisissement de Messieurs Connerotte et Bourlet. Cette prise de position ne risque-t-elle pas d'encore accroître la méfiance de la population par rapport aux institutions?

SDC: Dans un État démocratique, les magistrats sont indépendants et les politiques ne doivent pas interférer. C'est le paradoxe: pour défendre les intérêts des citoyens, tout le monde a droit un juge indépendant. Lundi, la Cour de Cassation rendra son arrêt et je le respecterai. Mais humainement, je crois que Mme Liekendael a très bien expliqué le choix impossible devant lequel elle s'est trouvée. J'espère avec elle que la Cour trouvera une solution. Je n'ai aucun moyen, en tant qu'homme politique, d'intervenir dans sa décision. A un certain moment, il faudra cependant que le monde politique se penche sur toutes les décisions de la Cour de Cassation, tant dans le dossier Cools que dans cette affaire, Pour voir si la loi doit être changée. Il faut faire attention à ne pas jeter le bébé avec l'eau du bain.

LSI: Au vu des affaires, dont celles dont on ne parle plus, ne peut-on pas craindre que la justice ne se prenne pour le dernier rempart de la démocratie?

 SDC: D'un côté, la justice est l'aboutissement d'un long processus dans la société pour dire que tel ou tel acte passe ou pas. Cela, je le défendrai jusqu'à la fin de mes jours et j'espère que tout le monde me soutiendra. Cela ne veut pas dire que la justice est le seul juge de tout ce qui se passe dans la société. La justice n'est pas la société. Celle-ci doit prendre ses responsabilités avant que la justice n'intervienne. C'est un débat difficile à mener pour le moment: pendant des siècles la justice est restée dans une tour d'ivoire. Elle s'est mise en dehors de la société et elle se considérait comme son filtre ultime. En restant dans une tour d'ivoire, on se distancie du monde dans lequel on baigne. Au lieu d'avoir une autorité aveugle, comme la justice se présente avec un bandeau devant les veux, il faut que cette institution gagne, par son action, chaque jour, le respect qui lui est dû. Cette justice doit retrouver le contact avec la société, être en contact permanent avec elle. La justice retrouvera alors sa place: être un des moyens de correction de ce qui se passe dans la société. Mais la responsabilité de l'éducation, de la culture, de l'éthique, de la science et du politique est tout aussi grande. Dans le cadre de la modernisation de la Justice, il faut introduire des formes de management pour qu'elle soit plus efficace et plus performante que les gens aient un jugement dans des délais plus brefs, il faut rendre les nominations de magistrats plus objectives.... Actuellement, il y a quelque chose de très positif: le citoyen s'engage par rapport à la justice, il veut qu'elle fonctionne correctement. C'est un dialogue tout à fait nouveau. Le politique n'a pas l'habitude de parler ainsi avec des citoyens qui ne sont pas organisés dans les formes classiques des syndicats, des partis ou des associations. C'est remarquable et positif. Les médias, dans ce cadre, doivent aussi être responsables pour gérer tout ce mouvement, toute cette énergie qui pourrait faire avancer les choses. On vit un moment fascinant.

Suite pages 36 et 37

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