lundi 26 mai 2008


Une longue et douloureuse enquête

«La Meuse» du lundi 19 août 1996 page 14

Depuis près d'un an, les familles Russo et Lejeune ont vécu un véritable calvaire, jalonné d'interrogations sur le fonctionnement de notre justice.

Rappel des principaux faits, des espoirs et des désespoirs qui furent le quotidien des parents de Julie et Mélissa.

24 juin: tout bascule

Julie Lejeune et Mélissa Russo, l'insouciance de leurs 8 ans. En ce samedi 24 juin 1995, le quartier résidentiel de GrâceHollogne qu'habitent ces deux copines inséparables fleure déjà bon les vacances. Il est 17 h, Julie est chez Mélissa. Elles ont répété un play-back qu'elles interpréteront pour la fête de leur école. Elles décident alors de faire une petite balade. La maman de Mélissa leur donne la permission de 17 h 30. Julie et Mélissa se dirigent alors vers le pont de l'autoroute, tout proche.

17 h 30: Mme Russo s'inquiète. Elle a donné à Mélissa une montre, pour qu'elle n'oublie pas. Mme Russo part à la rencontre des deux fillettes, à vélo. Il n'y a pas âme qui vive. Elle appelle Mme Lejeune. Les deux mamans refont le trajet en voiture, puis téléphonent aux parents des élèves de la classe des deux gamines pour voir si celles-ci ne se seraient pas arrêtées chez un copain ou une copine. Sans résultat.

Les autorités sont alertées. Quadrillage parles gendarmes, qui ont appelé des renforts, hélicoptère, pompiers, Protection civile...
Les chiens pisteurs perdent la trace des deux gamines à hauteur du pont de l'autoroute.
Comme si elles étaient montées dans un véhicule. L'a.s.b.l. Marc et Corine entre aussi en action. Elle distribue 10.000 affiches avec les photos des disparues. Les indices s'accumulent.

Premier espoir :
Un témoin raconte que les deux fillettes auraient été vues sur la Batte, près de la passerelle, à Liège. La police quadrille Outremeuse. Mais la piste s'avère rapidement fausse.

26 juin: pas de fugue
La stupéfaction est grande. Mme Lejeune dit: «Julie ne connaissait pas bien cette promenade, mais Mélissa la faisait souvent. On ne voit aucune raison pour laquelle elles auraient fait une fugue »

27 juin: en 4 langues
L'a.s.b.l. Marc et Corine redouble d'ardeur et étend le rayon des investigations. 15.000 nouvelles affichettes sont diffusées en Belgique et dans les pays voisins. Elles portent un texte en français, en néerlandais, en allemand et en anglais.
Les témoignages se multiplient. Mais personne ne semble avoir aperçu les deux fillettes lors de leur promenade.

28 juin: l'auto rouge
Les enquêteurs lancent deux appels à témoins, basés sur deux témoignages. Selon le premier, un homme aurait été aperçu avec deux gamines, le 25, dans une voiture rouge à l'arrêt, sur la bande des arrêts d'urgence del'autoroute, entre Overijse et Jesus-Eik. Dès le 26, la région a été le théâtre d'intenses recherches.

Le deuxième témoignage, plus intéressant, fait état d'un homme qui aurait été vu sortant des taillis près du pont où l'on a perdu la trace de Julie et Métissa.

29 juin : la rumeur...
La rumeur ne cesse de s'amplifier. Des bruits font état de la découverte des deux gamines. Les uns prétendent qu'elles sont vivantes, les autres qu'elles ont été tuées.

30 juin: à Flémalle
Cette fois, l'information paraît plus fiable: un témoin digne de foi affirme avoir vu Julie et Mélissa le 24 juin, vers 18 h 45, le long de l'autoroute Liège-Namur, près de la sortie Flémalle,soit à 2,1 km du pont où s'est arrêté le chien pisteur. Les deux fillettes paraissaient jouer.

1er juillet: une piste ostendaise
Cette fois, c'est de Jabbeke, sur l'autoroute d'Ostende, que vient un témoignage intéressant.
Une préposée d'une station-service de la localité dit avoir vu les deux fillettes, le vendredi 30 juin. Elles étaient, selon elle, en parfaite santé et accompagnées d'un couple parlant français. Le témoignage de cette dame est corroboré par une de ses collègues. Le premier témoin affirme avoir encore aperçu les deux enfants le dimanche suivant, 2 juillet.

2 juillet: erreur sur les personnes
Les enquêteurs investiguent à la Côte belge. Ils recherchent la Renault Espace qui s'est arrêtée
à la station de Jabbeke. Mais le propriétaire du véhicule prend lui-même contact avec la gendarmerie. Il y a manifestement eu erreur sur les personnes.

4 juillet: l'appel
Tout le monde a en mémoire l'émouvant appel qu'adressent les parents de Julie et Mélissa.
« Qui que vous soyez, où que vous soyez, nous vous supplions de nous rendre nos enfants (...). Apportez-nous, nous vous en prions, la preuve qu'elles sont en vie et qu'elles vont bien (...). Nous vous promettons de rester extrêmement discrets et de ne pas chercher à vous poursuivre.

Devant les caméras, les deux mamans sont pathétiques.
«Julie, ma chérie, je ne t'ai pas assez dit je t'aime. On t'aime, on t'attend et on espère de toutes nos forces te retrouver bientôt», dit, émue, Mme Lejeune.

Mme Russo lance aussi un appel poignant: « Mélissa, ma toute petite fille, mon trésor, si tu pouvais m'entendre, je veux que tu saches que ta maman, ton papa, ton frère, toute la famille et tous nos amis ne font plus qu'une seule chose depuis que tu es partie: te chercher et t'attendre. »

La campagne médiatique bat son plein. La BBC, la RAI et la TVE (Espagne) ont diffusé ou se proposent de diffuser le portrait des deux jeunes disparues.
De leur côté, l'Allemagne, le Grand-Duché et le Portugal s'intéressent au dossier.

8 juillet: reconstitution
A l'initiative d'une société anglaise de sécurité,une reconstitution filmée est tournée avec deux gamines vêt u e s comme l'étaient les deux disparues. La bande est destinée à l'émission de la BBC Crime watch U. K.
Elle servira à lancer des appels à témoins.

9 juillet: un satyre
Une nouvelle piste est retenue par les enquêteurs. En effet, un automobiliste a été repéré à deux reprises ces derniers jours dans la région de Bassenge. Fin juin, il s'est livré à un « plaisir solitaire » devant deux garçons, à Riemst, près de Bassenge. Rebelote le 9 juillet à Wonck, devant une fillette. Ces faits d'exhibitionnisme intéressent d'autant plus les enquêteurs que le véhicule de l'individu était de couleur rouge. Comme celui d'Overijse.
Une autre piste du même genre mène les enquêteurs à Donceel, où un automobiliste aurait proposé des bonbons à une fillette.

15 juillet: à Ougrée
Décidément, le rouge excite la curiosité des enquêteurs. Selon de nouveaux témoignages, une Ford Fiesta rouge a été remarquée à Ougrée, le 24 juin. A son bord, un homme qui avait abordé deux fillettes de la localité, leur proposant une promenade en auto avant de tenter de les embarquer de force. Heureusement, la mère d'une des deux petites était intervenue, mettant en fuite l'individu suspect.
Plus que jamais, on est dans l'incertitude. Les parents de Mélissa expliquent: « Il y a tellement de pistes que, pour finir, nous mêmes, on ne s'y retrouve plus. »

Gino Russo renchérit: « En fait, on ne sait rien privilégier pour le moment. On doit même en arriver à vérifier de simples rumeurs, des histoires de cinglés qui racontent n'importe quoi et avec lesquelles, évidemment, on perd beaucoup de temps. »
Il ajoute : « On finit par dormir parce qu'on est épuisé (..). On doit sortir de temps en temps. On essaie de décrocher une heure ou deux de temps en temps. Par exemple, je suis allé au cinéma avec le gamin. Souffler un peu, quoi. »
L'a.s.b.l. Marc et Corine continue à se mobiliser. Elle vient de faire imprimer quelque 450 grandes affiches et a fait tirer 20.000 affichettes.

25 juillet: appel à l'homme des fourrés
« Votre témoignage est essentiel ! » : Les mamans des deux petites disparues lancent un appel à l'homme qui a été vu sortant des fourrés, près du pont, le 24 juin. «Nous sommes prêts à payer grassement pour des renseignements utiles», ajoutent les parents.
Au comble du désespoir, M. Russo déclare : « Si on nous laisse quelques heures, on plonge. Le sentiment de solitude est énorme. » 28 juillet: un hélico

Un hélicoptère de la gendarmerie équipé d'appareils ultra-sophistiqués survole la région de Grâce-Hollogne et les terrils d'Ougrée, à la recherche des fillettes disparues.

31 juillet : battue
Plus de 300 personnes fouillent le terril du Bois Saint-Jean. Elles rentrent bredouilles.

Pourquoi ce site?
Parce qu'on avait tenté à deux reprises d'enlever des enfants, les 13 et 16 juillet, à Ougrée. Les tentatives d'enlèvement paraissaient être le fait de la même personne. Conduisant une voiture... rouge, le suspect avait l'habitude de promener son chien sur le site du terril. D'où cette opération d'envergure. Néanmoins, il apparaît que le suspect n'a rien à voir avec l'enlèvement de Julie et Mélissa.

En cette fin juillet, le discours des parents des deux petites disparues de Grâce-Hollogne se durcit. Avec l'a.s.b.l. Marc et Corine, ils constatent que la justice manque de moyens humains et matériels.

Exemples: « La gendarmerie, a dû rendre un GSM utilisé pour la disparition pour la foire de Libramont. »

De plus, « il y a des gens qui n'ont pas encore pu être entendus, car les auditions sont très nombreuses et tous les procès-verbaux doivent être tapés à la machine. »
« Il est nécessaire de mettre sur pied une structure spécialisée dans la disparition de personnes », plaident les parents des deux disparues.

2 août: le coup de pouce de Baggio
Roberto Baggio, la vedette de l'AC Milan, est venu disputer un match amical à Sclessin. Lui et ses coéquipiers annoncent qu'ils vont donner leurs maillots à l'a.s.b.l. Marc et Corine.
Ils seront vendus aux enchères pour contribuer à financer les recherches.

28 août: Perdu de vue
Cette fois, c'est TF1 qui tourne une séquence sur Julie et Mélissa pour son émission Perdu de vue. Elle sera diffusée le 4 septembre.
Gino Russo lance un nouvel appel au ravisseur: «Je demande qu'il relâche les gamines. Lui, on s'en fout. » Le bilan de l'émission est maigre: quelques appels de témoins d'autres tentatives d'enlèvement.

Noël et l'espoir
Six mois après la disparition de Julie et Mélissa, les Lejeune et les Russo passent le réveillon de Noël en compagnie des parents d'Ann Marchal, qui a disparu, elle aussi, en compagnie de sa cousine Eefje, à la Côte belge. A cette occasion, les parents des disparues disent avoir rencontré de 250 à 300 radiesthésistes. A la suite de leurs consultations, les Liégeois disent avoir investigué à Rotterdam, Breda, Rhince et Alicante. En vain. Néanmoins, l'espoir demeure
« Nos filles ne sont pas mortes, c'est sûr! Parce que, si elles l'étaient, on les aurait retrouvées », commente M. Lejeune.

Et puis, les encouragements ne manquent pas:
« Il y en a qui nous téléphonent tous les jours, qui pleurent même au bout du fil. Ils se proposent de placer partout des affiches, quadrillent des secteurs et repassent toutes les semaines pour remplacer celles qui auraient été enlevées », souligne Louisa Lejeune.

15 avril : trois nouvelles pistes
Les parents de Julie et Mélissa participent à une seconde émisSion diffusée par TF1, Témoin n° 1. Cette fois, la moisson est plus abondante. L'émission est révélatrice de la méfiance qui s'est installée chez les Lejeune et les Russo face à la justice et aux milieux de l'enquête. Les parents avaient demandé à avoir accès au dossier de l'enquête, ce qui leur avait été refusé, à leur grand dam.

Peu avant l'émission, le parquet de Liège confirme l'existence de trois pistes, jusqu'alors tenues secrètes.

Parmi celles-ci, une lettre envoyée le 5 septembre 1995 au bureau de notre journal, dans laquelle un certain Farid s'accusait d'être un des auteurs du rapt, puis du meurtre des deux fillettes.
Une autre piste faisait état du témoignage d'une riveraine qui aurait vu les gamines monter volontairement dans une voiture foncée, tandis que la troisième avait trait à une annotation dans un agenda de Mélissa, à la date du 24 juin: « Julie, on ira à 17 h au manège. » Néanmoins, cette phrase n'avait été écrite ni par une des deux disparues, ni par un de leurs condisciples de 3ème année.

La réaction des parents est amère à la suite de la divulgation tardive de ces éléments:
« C'était choquant pour nous d'apprendre que cette lettre datait de plusieurs mois », confiait Mme Russo.


Juin 1996: 1er anniversaire
Premier et douloureux anniversaire en ce 24 juin. Néanmoins, M- Russo répète
« N o u s croyons plus que jamais que nos enfants ne sont pas morts.
Son mari souligne que les recherches ont commencé beaucoup trop tard parce qu'on n'a pas pris au sérieux l'enlèvement nos enfants. Pour lui, trop peu de moyens ont été mis en oeuvre, tandis que des pistes étaient négligées. Heureusement, il y a les encouragements et les dons, dont celui qui correspondait au montant des allocations familiales, qu'on avait supprimées aux parents de Julie et Mélissa, quelques semaines après la disparition.

1er août : l'espoir américain
En ce début août, MM. Lejeune et Russo reviennent d'un périple de 25 jours qui les a menés en Argentine, au Brésil, au Mexique et au Canada.
Fin juin, ils avaient été avertis de l'existence d'une lettre anonyme expliquant que deux gamines âgées d'environ 8 ans avaient été débarquées dans le port de Rio de Janeiro. Le renseignement paraissait d'autant plus intéressant qu'au Brésil, certains riches n'hésitent pas à payer beaucoup pour s'offrir des enfants européens.
Au Mexique, les pères des deux fillettes voulaient enquêter sur le milieu des sectes sataniques pratiquant le sacrifice d'enfants. En Argentine, ils s'étaient intéressés au milieu des pédophiles.

Finalement, la disparition de Laetitia, à Bertrix, allait orienter l'enquête dans la bonne direction. Pour la petite Bertrigeoise et pour Sabine, il était encore temps. Mais on ne devait retrouver que les corps des deux enfants de Grâce.

Y.B.

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