Combattre le fléau pédophile('DH'mardi 27 août 1996 pg4)
« La Dernière Heure » du mardi 27 août 1996 page 4
BRUXELLES - Depuis des mois, Claude Leliève, délégué général aux droits de l'enfant en Communauté française, mobilise les forces pour obtenir enfin une réflexion et des actes efficaces pour lutter contre la pédophilie. Les derniers événements dramatiques ont démontré de manière terrible l'urgence de sa démarche.
« Depuis quelques jours. Nous sommes assaillis de témoignages. On nous dénonce des pédophiles à la pelle en nous demandant d'agir », explique Claude Lelièvre, depuis son bureau des tours WTC, au nord de Bruxelles. A l'écoute de tous, enfants et adultes, le délégué est lui aussi amené, on l'ignore souvent, à dénoncer aux autorités judiciaires des faits de pédophilie ou de maltraitance d'enfants.
Et cela ne se passe pas toujours sans mal. L'action salutaire de Lelièvre dérange. Plaintes et menaces ne sont pas rares...
Dernière affaire en date, un homme, suspecté de se rendre en Thaïlande pour y recourir à la prostitution enfantine, a déposé plainte au parquet de Bruxelles, avec constitution de partie civile, contre Claude Lelièvre. Ce dernier avait informé les autorités judiciaires des soupçons qui pesaient contre cet homme. Il a été interpellé en Thaïlande, avant que son dossier ne soit traité en Belgique, comme la loi l'y autorise désormais. L'enquête aurait abouti à un non-lieu. Le suspect en question a alors décidé de contre-attaquer.
Sur demande du juge d'instruction Goblet, la BSR de Bruxelles a interrogé Claude Lelièvre en juin dernier, apparemment pour connaître ses sources.
Pneus crevés
Sans se prononcer sur l'affaire, Claude Lelièvre explique: « Imaginez un instant qu'un témoin qui m'a fait confiance en venant me voir découvre que je n'ai rien fait et que la personne dont il me parlait est finalement arrêtée plus tard pour des faits de pédophilie...
Il est de mon devoir d'informer les autorités judiciaires quand l'information que je reçois apparaît comme sérieuse.
Et ceci se fait dans le secret. On peut me faire interroger par des policiers, des gendarmes ou des juges d'instruction, je ne dirai rien. Je ne révélerai jamais l'identité des personnes qui me font confiance. C'est une garantie que je leur donne et je m'y tiens.
Je ne me fais pas que des amis, commente Claude Lelièvre. Après une conférence sur la pédophile, à Charleroi comme par hasard, j'ai retrouvé trois pneus de ma voiture crevés.
Le délégué n'est pas le seul personnage visé. La porte du domicile de Marie-France Botte a été dernièrement maculée de couleur.
Des plaintes et des menaces pas toujours simples à vivre, mais qui, à contrario, démontrent que l'on frappe aux bons endroits...
B. F.
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Actrice porno pour Dutroux
« La Dernière Heure » du mardi 27 août 1996 page 4
BRATISLAVA - On se doutait de la réalité des voyages de Marc Dutroux vers les pays de l'Est. Mais qu'y faisait-il? La police slovaque vient d'apporter une première réponse : Dutroux recrutait de jeunes actrices pour des films pornographiques, qu'il ramenait en Belgique. Certaines ont été droguées.
La police slovaque a en effet recueilli ces derniers jours des témoignages d'une dizaine de jeunes femmes slovaques qui avaient eu des contacts avec le pédophile belge Marc Dutroux, mais sans trouver de traces d'An et d'Eefje, les deux jeunes filles enlevées en Belgique en août 1995, a indiqué lundi le directeur du bureau slovaque d'Interpol, M. Rudolf Gajdos.
De même en Tchéquie, l'enquête en cours n'a-t-elle toujours pas permis de découvrir des indices sur une éventuelle présence dans le pays des adolescentes.
Agées de 18 ans
Les enquêteurs slovaques ont réussi à interroger une dizaine de jeunes femmes âgées d'environ
18 ans, dont plusieurs avaient voyagé en Belgique à l'invitation de Marc Dutroux ou l'avaient rencontré lors de ses déplacements en Slovaquie, a indiqué M. Gajdos.
Certaines des jeunes femmes invitées par Dutroux en Belgique y auraient été, engagées comme
« Actrices dans des films porno », selon M. Gajdos, mais « elles s'y étaient déplacées volontairement et sont toutes rentrées dans leur pays d'origine", a-t-il précisé.
Certaines d'entre elles ont cependant affirmé avoir été « sous l'influence de stupéfiants " et qu'elles " ne se souvenaient pas de détails " de leur séjour en Belgique.
L'une des filles interrogées a déclaré avoir «sommeillé pendant trois jours » en Belgique, mais aucune d'entre elles n'a voulu porter plainte contre Marc Dutroux, a précisé M. Gajdos.
Selon le directeur du bureau d'Interpol à Bratislava, l'enquête en cours a également confirmé des déplacements de Dutroux en Slovaquie, en Autriche, en Hongrie et en République tchèque. Il n'y a cependant jamais eu aucune plainte pour disparition d'enfants déposée en Slovaquie même.
Officier belge à Prague
Par ailleurs, un officier de contact de la police belge est arrivé lundi à Prague pour contribuer à la coordination » de l'enquête menée en République tchèque sur l'affaire Dutroux, a indiqué le directeur du bureau pragois d'Interpol, M. Frantisek Zelenicky.
Jusqu'à présent, « il n'y a pas eu de nouveaux indices » sur l'éventuelle « piste tchèque », ni de traces d'An Marchal ou d'Eefje Lambrecks en République tchèque, selon M. Zelenicky.
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Dutroux dans les Pyrénées ,Elisabeth : Qu’attend t’on ?
« La Dernière Heure » du mardi 27 août 1996 page 4
NAMUR - Deux Dinantais affirment avoir vu Elisabeth Brichet et Marc Dutroux dans les Pyrénées françaises. La PJ de Namur tente de vérifier. Le 5 septembre 1995, Michèle et son mari, des habitants de la région dinantaise, en vacances en voiture, s'étaient égarés en chemin, alors qu'ils venaient de quitter lourdes pour se diriger vers l'Espagne. Elle explique: « En cherchant notre route, nous avons pris un petit chemin à travers un bois. Et là, soudain, j'ai vu arriver un couple à pied. J'ai immédiatement reconnu la jeune femme. C'était Elisabeth Brichet. Elle était pâle et avait l'air malade.
Son regard n'a pas quitté la plaque belge de notre voiture. » Les voyageurs sont restés, disent-ils, hantés par cette rencontre. De retour en Belgique, ils avaient alerté la gendarmerie.
Mais faute de localisation précise, les recherches se révélaient impossibles.
Le couple était donc retourné dans cette région un mois plus tard pour tenter de donner un nom à la localité qui se trouvait à la sortie du bois. En vain. Ce n'est que cette année, en juin, et avec l'aide de la gendarmerie locale, qu'ils avaient retrouvé l'endroit, près de Bagnères-de-Bigorre. On leur précisait que les habitants du quartier étaient tous honorablement connus.
«A la sortie du sentier, il y a une maison et un café à l'enseigne des Trois S. Nous sommes entrés dans ce café pour essayer d'en savoir plus. Nous y sommes restés trois heures. Nous avions pris une photo d'Élisabeth pour la montrer, mais nous l'avons cachée très vite, car on s'est rendu compte qu'elle dérangeait. Alors qu'on nous avait dit que c'était un établissement normal, nous avons clairement entendu un client demander une chambre au serveur qui est monté en prenant une clé. Albert un client belge qui parlait avec nous, avait noté : Il faut être jeune pour aller en chambre. » Pour Michèle, il ne fait aucun doute que dans ce bar on prostitue une ou des filles qui sont enfermées dans les chambres.
Furieux
En sortant de l'établissement, les Dinantais ont aperçu un homme qui les attendait devant la maison
Il regardait la plaque de notre voiture. Il semblait furieux comme un lion. Il m'a fait peur. » Aujourd'hui, après avoir vu sa photo dans les journaux, Michèle affirme que cet homme n'était autre que Marc Dutroux. La PJ de Namur a été alertée, mais Michèle dénonce la lenteur mise à effectuer les vérifications parce que, semble-t-il, la gendarmerie veut se saisir du dossier. La bonne foi de ces témoins qui sont retournés sur place à deux reprises et à leurs frais ne peut pas être mise en doute.
« Qu'est-ce qu'on attend ? De la retrouver aussi emmurée? » demande Michèle.
S. Dorval
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Gérer la pédophilie à la rentrée scolaire ;Les réponses des instituteurs
« La Dernière Heure » du mardi 27 août 1996 page 4
BRUXELLES - « Ne mentons pas aux enfants. Soyons avec eux, les plus honnêtes possible ».
Psychothérapeuthe au sein de l'équipe SOS-enfants de l'ULB, Yves-Hiram Haesevoets ne rencontre plus un gosse, ces jours-ci, qui ne soit au courant des tristes développements de l'affaire Julie et Mélissa.
Et parce que ces gosses-là -même à 5 ans seulement cauchemardent, s'inquiètent et se posent des tas de questions, le spécialiste, qui, à d'autres moments dans l'année, suit d'autres enfants, victimes d'abus sexuels, se dit qu'il faut faire quelque chose. Qu'il faut rassurer.
A d'autres niveaux, on s'organise dans le même sens : la rentrée scolaire est proche, et, au vu des dimensions importantes et graves que prend le dossier Dutroux, nul doute que les enseignants seront confrontés, eux aussi, aux interrogations de leurs élèves.
Ce mardi, à l'initiative de l'Office National de l'Enfance (ONE), de sa présidente Marie-José Laloy, de son Comité d'accompagnement à l'enfance maltraitée, une réunion se tiendra tout l'après-midi, en concertation avec le délégué général aux droits de l'enfant, Claude Lelièvre et le cabinet Onkelinx.
On devrait notamment y réfléchir à l'utilité d'un nouvel outil pédagogique pour les enseignants, qui sont nombreux - et souvent désemparés - à se manifester par téléphone auprès des différentes institutions. « ils se demandent comment aborder de la manière la plus juste, la plus équilibrée, le drame pour lequel de nombreux enfants n'ignorent plus rien ».
Retrouver confiance
« Ce qui a déterminé notre action, au départ, souligne Mme Laloy, ce sont précisément les coups de fil d'enfants auprès de nos équipes SOS-enfants. Par jour, cela représente des centaines d'appels.
Ceux-ci concernent aussi nombre de parents perturbés et d'enseignants qui se demandent comment aborder la prochaine rentrée.
C'est notre rôle, en tant qu'organe de protection de l'enfance, de faire quelque chose. Nous voulons restaurer un peu la confiance dans la population, et que cela se fasse dans un climat serein ».
« Il faut absolument que la Communauté française développe des projets de prévention », surenchérit Claude Lelièvre. Il ne faut pas en arriver à surprotéger nos enfants et les empêcher de sortir.
Nous devons les guider vers l'autonomie avec un maximum de sécurité. Leur donner des réflexes de sécurité personnelle. On peut utilement recommencer la campagne article 34, avec la diffusion des brochures
Un enfant n'est pas un partenaire sexuel.... Des propositions dont on attend rapidement du concret : la rentrée c'est la semaine prochaine.
N.F.
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Le papa d’Élisabeth :Lettre ouverte
« La Dernière Heure » du mardi 27 août 1996 page 4
NAMUR - Francis Brichet, le papa d'Elisabeth, dit son désespoir dans une lettre intitulée « Une incommunication de 7 années avec la justice ».
M. Brichet écrit notamment « On ne m'a pas vu aux obsèques nationales de Julie et Mélissa. On me m'y a pas entendu prendre la parole : 7 années bientôt que le cauchemar dure m'ont rendu trop vulnérable pour cela, une éternité pour ronger un coeur de père nourricier.
Et pourtant en 7 ans j'en ai renversé des montagnes d'indifférence. Les affiches diffusées par milliers, y compris à l'étranger, c'était moi.
Pour moi aussi les recherches inutiles mais épuisantes, la réception de centaines de propositions d'aide ou de propos pervers et l'histoire mille fois racontée avec pour rançon quotidienne l'angoisse, la rancoeur et aussi la révolte.
Un parcours des ténèbres qui, hélas, deviennent le lot de parents de plus en plus nombreux. Mais 7 ans c'est beaucoup trop long.
On a le temps de ressasser s débuts d'une enquête qui n'a pas démarré quand il aurait fallu, tout de suite.
Le temps pour les témoignages de tant de gens crédibles qui n'ont pas été crus, de tomber dans l'oubli.
Ainsi, le témoignage de cette institutrice qui avait vu une fillette se débattre à l'arrière d'une voiture aux heures de la disparition.
Des voisins peu interrogés car jugés difficiles ou à ménager. Des négligences jugées insignifiantes, mais sans doute essentielles. Et toujours cette guerre entre gendarmerie et PJ qui ne permet ni le regroupement ni le recoupement des informations.
Et pourtant tant de bonnes volontés individuelles d'enquêteurs attachés au dossier, ainsi a la PJ.
Au-dessus de ces gens qui font leur métier avec conviction, le mutisme d'un juge qui promet d'informer mais ne le ait pas, reste parfaitement indifférent et toujours évasif.
Au bout de 7 ans, je ne veux pas que cessent les recherches, car ce serait abandonner tout espoir. Elisabeth est peut être encore en vie, comme le croient ces personnes de Dinant, dignes de considération.
Pour tous les parents d'enfants disparus, la plaie reste toujours béante. La justice ne peut continuer à rester muette à leur égard.
Elle existe pour protéger la société, poursuivre les coupables, non pour alourdir, par son mutisme, le fardeau des victimes. La déshumanisation de l'appareil judiciaire est devenue légendaire jusqu'à devenir caricatural.
D'une justice pour des robots, la société n'a que faire. D'une justice de fonctionnaires, les enfants meurent aujourd'hui ».
Sabine Dorval