Suite de : Stefaan de Clerck : « Je suis devenu prudent »
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LSI: À Genève, des magistrats européens se sont réunis pour se plaindre des moyens archaïques dont ils disposent dans des enquêtes sur la criminalité organisée ou la corruption, de la lenteur des commissions rogatoires, de la tutelle du politique,... Le dossier Dassault, par exemple, est bloqué à Paris depuis près d'un an.
SDC: C'est vous qui le dites et je ne le démens pas. Mais c'est une situation étrangère. En Belgique, cela ne se passe pas comme cela. Je suis très heureux que des magistrats se soient exprimés dans ce sens à Genève. Les politiques ne doivent pas faire les enquêtes et, dans notre pays, nous sommes mieux placés à cet égard qu'en France. Il faut le souligner pour la population. Il faut mettre à la disposition de la magistrature les moyens nécessaires à son travail, comme des GSM, des ordinateurs, des bâtiments corrects. Dans nos palais de justice, on n'a pas l'espace utile pour faire un travail convenable. Pour en venir à votre question, les commissions rogatoires, c'est un vrai scandale. La manière dont cela fonctionne n'est plus adaptée à notre époque. Il s'agit encore, à l'heure de l'électronique, d'envoyer des diligences pour rechercher de l'information. C'est inacceptable. Lors du sommet de Dublin, j'ai demandé que nous mettions au point des outils modernes nous permettant de travailler en temps réel. Dans les dossiers liégeois, cet élément nous pose problème. La Cour de Cassation m'a demandé de changer les délais de prescription dans des dossiers qui dépendent des commissions rogatoires. Sans quai, certains dossiers pourraient être prescrits simplement parce que les procédures à l'étranger traînent.
LSI: Il est paradoxal de constater qu'on parle de la libre circulation des personnes et des biens mais que les informations judiciaires, elles, restent bloquées aux frontières.
SDC: Pour les commissions rogatoires et la coopération internationale intra européenne, il faut travailler avec un réseau efficace de magistrats nationaux qui centralisent les informations, qui seraient responsables pour ces dossiers sans qu'il ne passent par les politiques comme cela se fait actuellement via Ies ministres turcs de la Justice et des Affaires étrangères. Malheureusement, ces magistrats nationaux n'existent pas encore dans les autres pays. C'était la raison de mon intervention il Dublin.
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LSI : En dehors de la modification de la loi sur l'aide aux victimes, quelles sont les outres mesures concrètes en préparation qui visent à donner une image et un contenu plus humain à la justice?
SDC: L'aide aux victimes est le premier point. Mais il est malheureux que le projet Franchimont, qui prévoit de donner un rôle actif aux parties civiles dans les procédures soit bloqué depuis si longtemps. Les familles pourraient avoir accès au dossier et on pourrait aussi parler de la communication. Car il ne suffit pas (le transmettre des photocopies (les pièces. Est-ce qu'on informe les parties civiles, est-ce qu'on discute avec elles'' Et quand ne transmet-on pas les pièces? Car une partie veut être suspecte dans le dossier. Il faut donc garder la possibilité de dire non, et de ne pas transmettre, car il peut y avoir d'autres intérêts, contradictoires avec ceux de la famille. Il faut renverser le principe: actuellement, c'est non, sauf dans des cas exceptionnels. La situation devrait être l'inverse: en principe, il y a transmission sauf dans des cas qui devraient être motivés par le juge.
Quant à l'aspect humain, il faut arriver à un changement de mentalité du monde judiciaire, du monde policier, pour acquérir le respect de la victime Pas seulement lors du dépôt de la plainte, lorsqu'on doit Faire le récit de ce qui est arrivé, mais pendant toute la procédure, jusqu'à son achèvement. La victime doit être acceptée comme partenaire dans cette procédure. Il ne s'agit pas de changer des lois mais de créer cette culture d'entreprise dans l'appareil judiciaire.
LSI : Les affaires liégeoises touchent deux de vos partenaires gouvernementaux, le SP et le PS. Cela ne met-il pas en cause l'existence du gouvernement?
SDC: Je constate qu'avec les (yens que je rencontre chaque jour, il n'y a aucune intervention négative ou aucun frein à mon action de ministre de la Justice.
Si on me disait «arrêtez-vous», cela changerait, évidemment. Mais on n'en est pas là. Je ne crois pas que ces obstacles surviendraient avec les gens que je côtoie au gouvernement. Au niveau des partis, ce n'est pas à moi d'en discuter. Jean-Luc Dehaene contrôle bien la situation politique et j'ai toute confiance en lui. Il m'a accordé une grande confiance ainsi que les autres membres du gouvernement cet je leur en suis reconnaissant. Ils m'ont permis de mettre en route tout un train de mesures de changement. J'espère que je pourrai les mener jusqu'a la gare suivante: le vote de toutes ces mesures,
Mais politiquement parlant, j'ai l'impression que la Justice est considérée par ce gouvernement comme une priorité centrale. En cours de route, dans le travail qui nous attend on verra bien ce qui se passe. Je suis devenu prudent parce que chaque jour, par les médias, par les dossiers,on apprend de nouveaux éléments. Je ne sais pas ce qui pourrait encore se passer dans ce pays.
Propos recueillis par Philippe Brewaeys
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Enquêtes sur les réseaux pédophiles
« Soir illustré » du mercredi 16 octobre 1996 pages 36 et 37
Par son appel à témoins géant, Neufchâteau est passé à la vitesse supérieure.
Objectif: les réseaux de pédophilie qui existeraient dans le pays depuis longtemps. Comme ils ne sont pas liés à Marc Dutroux, la Cour de Cassation ne pourrait pas en dessaisir Neufchâteau Quand un procureur fait de la résistance.
On vit aujourd'hui une situation paradoxale. D'habitude, on se plaint des interventions politiques dans les dossiers judiciaires. Mais dans le cas qui nous occupe, le gouvernement ne cesse de proclamer son incapacité à «peser» sur la Cour de Cassation, histoire de ne pas avoir à assumer un éventuel dessaisissement du juge Connerotte mais surtout du procureur Bourlet.
Mais dans les allées du pouvoir, on ne cesse de «pester» contre la Cour de Cassation qui «devient un véritable État dans l'État».
Preuve de l'inquiétude du gouvernement: la réunion très secrète qui s'est tenue ce dimanche après-midi entre le ministre de la Justice Stefaan De Clerck et le procureur du Roi de Neufchâteau. Rien n'a filtré du contenu de cette réunion. Mais on imagine que la discussion a dû tourner tant sur l'éventuel dessaisissement que sur l'état des enquêtes menées à Neufchâteau.
On sait que depuis la mi-août, deux dossiers sont ouverts: l'un, le 86/96, concerne l'enlèvement des fillettes. L'autre, le 87/96, concerne le volet protectionnel de Dutroux, et tourne autour de deux assassinats, de l'égorgement d'une jeune fille et de la séquestration de voleurs de camions.
Des dossiers fort lourds.
Mais, dans le fil de l'enquête, la Justice de Neufchâteau a récolté plusieurs témoignages très sérieux faisant état de l'existence en Belgique de réseaux de pédophilie parfois fort anciens.
Nos confrères de « La Libre Belgique » ont ainsi révélé qu'un premier témoin parlait d'un réseau tenu par un proxénète de Seraing qui serait alimenté par des enfants polonais. Un second réseau, vieux de 20 ans, aurait bénéficié à Bruxelles et à Liège de hautes protections.
Un pédophile condamné en 1995 à Bruxelles s'est lui aussi mis à table. Il y a longtemps qu'il parlait de personnalités impliquées dans un réseau pédophile. On parle ici de magistrats, d'hommes d'affaires et d'avocats.
C'est dans ce cadre que Neufchâteau a transmis une série d'informations au parquet général de Liège, voire à d'autres arrondissements judiciaires du pays.
Est-ce le passé de résistance du Luxembourg qui a inspiré le procureur du Roi de Neufchâteau?
Toujours est-il qu'il semble s'être lancé dans une sorte de guérilla juridique avec la Cour de cassation qui se comporte, à son égard, d'une toute autre manière que lorsqu'il s'agit des erreurs flagrantes du commissaire Brose dans l'affaire Cools. Sur base des informations recueillies auprès des témoins, le parquet de
Neufchâteau a décidé d'ouvrir trois nouveaux dossiers et les a mis à l'instruction chez le juge Connerotte.
Ces trois dossiers n'étant pas liés à Marc Dutroux, la Cour de Cassation ne pourrait dessaisir Neufchâteau de ces nouveaux dossiers.
Si toutefois elle en prenait le risque, il serait alors démontré que le problème de fond n'est pas celui d'un malencontreux spaghetti mais d'un acharnement à l'encontre de magistrats honnêtes, compétents et travailleurs. Thyl Uylenspiegel avait-il des ascendants luxembougeois ?
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