Le long parcours du monstre
« La Dernière Heure » du mercredi 9 octobre 1996 page 3
Dutroux de 1956 à 1996
1956, Marc, Paul, Alain Dutroux naît à Ixelles, le mardi 6 novembre. Il est le premier enfant de Victor et Jeanine Dutroux, tous deux instituteurs. La famille de Victor est originaire de Tirlemont, celle de Jeanine de
Jemeppe-sur-Sambre. Très vite, le couple d'enseignants part pour les colonies belges en Afrique. Johan, petit frère de Marc, naît là-bas. Après les événements du Congo, en 1960, les Dutroux rentrent en Belgique et s'installent entre Nivelles et Charleroi, à Obaix, rue des Deux Chapelles, puis rue du Village.
1968, Marc Dutroux entame ses études secondaires. Le début d'un parcours agité. Il passe successivement pas l'Athénée de Morlanwelz et trois écoles professionnelles, à Fleurus, Charleroi et Nivelles. Il veut devenir électricien. Il décroche son diplôme d'A3 électricien en 1974. Il a 18 ans. Il n'accomplit pas son service militaire, réformé pour raison médicale. Il quitte alors définitivement Obaix, pour vivre seul.
Il s'installe d'abord rue Emile Vandervelde, à Monceau-surSambre.
-En 1975, il se trouve rue Haute, dans la même localité. Dutroux décroche ses premiers boulots en usine, comme tourneur, puis comme électricien.
1976. Le 3 mars, Marc Dutroux épouse Françoise, à Haine Saint-Paul. Ils se sépareront en 1983, alors que le divorce officiel n'interviendra que le 24 janvier 1985. Le couple s'installe à Onoz, puis à La Louvière et à Goutroux. Interrogée, la première épouse de Marc Dutroux reconnaît qu'elle était une femme battue, mais que
Dutroux ne s'en était jamais pris à leurs enfants, deux garçons. En 1981, Dutroux exerce un nouveau boulot: surveillant à la patinoire de Forest...
1983, Dutroux rencontre celle qui deviendra sa seconde épouse. Michelle Martin a alors 23 ans. Originaire de Waterloo, elle a une formation d'institutrice.
En juin 84, un premier enfant, Frédéric, voit le jour. C'est le troisième garçon de Dutroux qui aura encore avec Martin deux autres enfants, Andy (2 ans et demi aujourd'hui) et Céline (10 mois).
Dutroux et Martin se marient le 16 décembre 1988 à Ham-surHeure.
-D'abord en concubinage, ils vont vivre à Marcinelle, chaussée de Philippeville, dans la maison (achetée en 85) où l'on retrouvera Sabine et Laetitia. Officiellement, Dutroux est domicilié à Marcinelle entre 1989 et 1992, puis entre 1994 et 1996. On sait aussi aujourd'hui qu'il a vécu au début des années 80 dans une caravane à Jumet aux abords des étangs Caluwart.
1985, L'année des premiers crimes connus du couple infernal. En janvier, juin, octobre et décembre, Dutroux (officiellement entrepreneur à cette époque) et un complice enlèvent des jeunes filles.
Trois de celles-ci, enlevées à Gilly, Roux et Marcinelle, sont mineures. Elles sont séquestrées, violées, filmées. Michelle Martin est également considérée comme complice. Un autre crime est mis à charge de
Dutroux: l'agression sauvage d'une vieille dame. C'est la prison.
Le 24 juin 1988, le tribunal correctionnel de Charleroi condamne Martin à 3 ans. Le 12 avril 89, Dutroux écope de 13 ans et 6 mois devant la cour d'appel de Mons.
1992, Après avoir passé un peu plus de la moitié de sa peine en prison, Dutroux est libéré conditionnellement, le 8 avril. Marchand de pièces de voitures, il va vivre quelque temps avec Martin dans la maison de la rue Lenoble, à Jemeppe su rSambre. --En dispute avec sa mère à propos de cette maison, Dutroux achète une autre propriété, celle de Sars la Buissière.
-A ce moment, lui et sa femme ne travaillent plus officiellement et touchent des allocations de la mutuelle.
1995, En décembre, Dutroux retourne en prison, à Jamioulx. Il est incarcéré jusqu'en mars 96, pour la séquestration de trois jeunes, cette fois pour une histoire de camion volé. Avant de retourner derrière les barreaux, il assassine son complice Weinstein.
1996, Le 13 août, Marc Dutroux et sa femme sont arrêtés à Sars la Buissière. La Belgique va plonger dans l'horreur et découvrir que Marc Dutroux, père de 5 enfants, était un monstre. Laetitia et Sabine sont retrouvées saines et sauves. Il est trop tard pour Julie, Mélissa, An et Eefje. Pour d'autres aussi, peut-être.
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Disparitions : l’exemple américain
Les parents de Julie ont passé une semaine aux Etats-Unis
« La Dernière Heure » du mercredi 9 octobre 1996 page 3
LIÈGE- Julie et Mélissa. Deux prénoms qui resteront gravés dans la mémoire de bien des Belges durapt de longues années. Deux prénoms qui ont mis le feu au monde judiciaire. Qui sont associés à une des plus horribles affaires criminelles belges de ces dernières années.
Les manifestations de soutien aux parents des victimes ont été incroyables. Aujourd'hui, soit un mois et demi après la découverte des corps, les familles doivent encore répondre à de nombreuses sollicitations, tant des journalistes que de la population. Les parents n'ont maintenant qu'un souhait que personne n'oublie jamais Julie et Mélissa...
Milliers de lettres
Ces dernières semaines, des dizaines de milliers de lettres sont arrivées au domicile des parents des enfants. Hier, dans la boîte aux lettres des Lejeune, on trouvait encore une dizaine d'enveloppes.
Parmi les témoignages de soutien, une lettre a touché plus particulièrement la famille Lejeune. Elle mérite d'être soulignée. Il s'agit d'un courrier émanant d'un détenu de la prison de Verviers et simplement signé Pierre. « Je me permets en mon nom propre et certainement au nom de tous mes codétenus de vous remercier de cette leçon d'humanisme, de cette démonstration de courage, de cet élan de votre charité », écrit le détenu, faisant allusion à la visite de Jean-Denis Lejeune aux prisonniers de Lantin.
Vous êtes à mes yeux, Monsieur, ce qui devrait culpabiliser à jamais les pauvres et simples humains que nous sommes avec nos défauts et parfois certaines qualités... Personne ne pourra me donner de plus grandes leçons de savoir vivre. Je viens de me réconcilier avec l'être humain... Votre geste, votre désarroi, votre courage (il en fallait pour braver les bien-pensant qui nous mettent tous dans la même auge) me font un bien énorme... Merci! »
Avec Anne-Marie Lîzin
La semaine dernière, les parents de Julie se sont rendus aux États-Unis, à Arlington (Virginie) plus précisément, où se situe le siège du « National Center For Missing and Exploited Children ». Fondée il y a 12 ans, cette association se préoccupe des enfants disparus et maltraités. Elle est présidée par Mme Élisabeth Yore, une amie de Mme Anne-Marie Lizin. Louisa et Jean-Denis Lejeune sont restés une semaine sur les bords du Potomac en compagnie de la députée bourgmestre hutoise. « Ce que nous avons vu là bas est génial; formidable ! Tout d'abord cette association est exceptionnelle. Rien de ce type n'existe en Europe. Elle emploie 80 personnes et a un grand pouvoir sur les autorités américaines. Il faut savoir que là, il existe 17630 corps de police différents, qui arrivent à travailler ensemble... L'association sait mettre la pression sur eux car elle a aussi des renseignements à donner. Conclusion, aucun dossier ne dort au fond d'un tiroir », commente le papa de Julie.
Et en Belgique
Si l'association a autant de pouvoir, c'est avant tout parce qu'elle possède des moyens. « Elle est financée en partie par les pouvoirs publics mais aussi par des particuliers; des entreprises et des citoyens américains. Ainsi, par exemple, la société « Pizza Hut », qui a investi 8 millions de dollars (NDIR: environ 250 millions de francs belges !) pour mettre en place 400 centres de données un peu partout aux Etats-Unis. Il s'agit d'espèce de cabines téléphoniques équipées d'une TV, comme un minitel. Dans la banque de données, on trouve des photos de personnes disparues, des conseils de prévention,...
C'est très simple à utiliser; pas besoin d'être magicien ! », poursuit Jean-Denis Lejeune, émerveillé.
Les Liégeois ont également été impressionnés par un système de photos satellites qui couvre tout le territoire des États-Unis. « Tout est répertorié, même les bosquets.
Quand quelqu'un disparaît, on entre les données sur l'endroit de la disparition et immédiatement on peut visionner les lieux », explique M. Lejeune. Aux États-Unis, es disparitions sont prises très au sérieux. « Oui, il faut savoir que chaque semaine, 61 millions de foyers reçoivent un «toute boîte» reprenant les photos de 3 ou 4 enfants disparus ».
Une telle association pourrait elle être mise en place en Belgique, au niveau européen ? Peut-être, et c'était la raison sur place de Mme Lizin. Mais le nerf de la guerre restera évidemment l'argent... Où trouver des moyens pour financer un centre de cette envergure ? Un appel est d'ores et déjà lancé aux sponsors !
Nathalie Evrard
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La Maison de l’Horreur livrée à la démolition
ÉPILOGUE DE L'AFFAIRE WEST
« La Dernière Heure » du mercredi 9 octobre 1996 page 3
GLOUCESTER - Une douzaine d'ouvriers ont commencé lundi la démolition de la Maison de l'Horreur de Fred et Rosemary West à Gloucester, pour débarrasser la ville du souvenir des tortures et meurtres qui s'y sont déroulées pendant 20 ans, et décourager tout tourisme morbide.
A l'aube, devant des dizaines de caméras et appareils photos, les ouvriers ont érigé échafaudage et palissade autour de la terne demeure edwardienne de trois étages du 25 Cromwell Street.
En 1994, après d'interminables fouilles, les policiers avaient découvert les restes de neuf filles et jeunes femmes martyrs du couple pervers.
La rue a été bloquée pendant la durée de la démolition, et tout au long du week-end, la police a monté une garde discrète pour éviter des raids de dernière minute d'amateurs de souvenirs morbides.
Un scénario « Mur de Berlin » que le conseil municipal de Gloucester (ouest) veut justement éviter en faisant détruire le No 25: depuis deux ans, pas une journée ne s'est déroulée sans visites de grappes de touristes ou de curieux, en quête d'une photo souvenir.
La démolition, qui durera 15 jours et coûtera à la ville 120.000 livres, se fera minutieusement, pierre par pierre, la ferraille sera fondue, les briques réduites en poussière, meubles et charpente en cendres, mélangés à des déchets puis enfouis dans une vaste décharge.
Une dalle de béton sera ensuite coulée sur le site du No25, ainsi que sur le No23 mitoyen, à l'abandon et également promis à la démolition.
« C'est le dernier chapitre de la terrible affaire Cromwell Street », a déclaré, soulagé, l'élu local John Holmes, en assistant au début de la démolition, « la meilleure chose que nous puissions faire pour la ville ».
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Nouvelles inculpations pour Martin
PENDANT QUE L'ENQUÊTE SE POURSUIT À NEUFCHÂTEAU
« La Dernière Heure » du mercredi 9 octobre 1996 page 3
NEUFCHÂTEAU - Philippe Darge, l'avocat de Michelle Martin doit aujourd'hui être satisfait. Le juge d'instruction de Neufchâteau, Jean-Marc Connerotte, a copieusement allongé la liste des faits qu'il reproche à l'épouse de Marc Dutroux. Ces inculpations s'accompagnent aussi d'un nouveau mandat d'arrêt.
Vendredi dernier, Me Darge avait obtenu la libération de sa cliente, libération contre laquelle le parquet avait de suite interjeté appel. L'action du parquet empêchait évidemment Michelle Martin de quitter sa prison de Namur.
Me Darge demandait « que le juge sorte du bois, qu'il précise les inculpations, que je sache très précisément les charges qui pèsent sur Martin ». Selon lui, en fonction de l'inculpation initiale (juste l'enlèvement de Laetitia), on ne pouvait rien reprocher à sa cliente puisque, le jour des faits, Michelle Martin faisait du tourisme en famille, avec ses enfants, à Dinant.
Exaucé
Le juge n'a pas traîné à exaucer l'avocat. Après une journée d'audition de la détenue, il a délivré un mandat d'arrêt pour association de malfaiteurs, complicité dans l'enlèvement et la séquestration de Laetitia mais aussi de Sabine, Julie, Mélissa, An et Eefje. A quoi s'ajoute la circonstance que quatre des victimes des kidnappeurs sont décédées lors de leur séquestration à Sars la Buissière et à Jumet.
En septembre dernier, le juge avait regretté que l'on réunisse trop rapidement la chambre des mises en accusation, instance d'appel. Cette fois, semble-t-il, c'est le parquet qui a demandé que l'on fasse vite et que l'on rassemble 3 détenus. Ceci afin d'éviter les aller retours incessants du dossier entre Neufchâteau et Liège.
Aussi, c'est jeudi que la chambre des mises décidera du sort immédiat à réserver à Michelle Martin, Annie Bouty (victime de l'appel du parquet suite à l'ordonnance de libération, vendredi dernier) et Michaël Diakostavrianos.
Sur le plan des investigations proprement dites (pédophilie et trafic de voitures), rien ne filtre pour le moment. On sait que les enquêteurs entendent de nombreuses victimes de pédophilie, souvent inconnues de la justice.
Rien ne dit que ces auditions, tôt ou tard, ne déboucheront pas sur de nouvelles instructions. L'enquête se poursuit aussi à Bouillon où les gendarmes de la brigade locale et la cellule disparition n'ont pu encore identifier les agresseurs des deux jeunes filles venues de Corbion.
En tout cas, ils ne sont, semble-t-il, pas en mesure d'attribuer l'enlèvement, tel que décrit par les deux adolescentes, à Aouali, ce Français habitant Vresse et toujours détenu à Châlons-sur Marne, notamment pour des menaces proférées contre un gendarme et le procureur Bourlet.
M. Pe.