vendredi 7 novembre 2008

Dutroux distille l’angoisse (« Soir illustré» 9 octobre 1996 pg 28 et 29)


Dutroux distille l’angoisse

« Soir illustré » du  mercredi 9 octobre 1996 pages 28 et 29

Tandis que les parents des victimes appellent à manifester le 20 octobre pour la vérité,une ancienne galerie de mine est explorée à Jumet. Dutroux a laissé entendre que ce tunnel pourrait se révéler intéressant.

Les parents des victimes de Marc Dutroux ont lancé un appel à tous ceux qui veulent marcher pour la vérité, dans le cadre de l'affaire qui secoue tout notre pays. Le 20 octobre, à Bruxelles, une délégation de ces manifestants, anxieux de vérifier si l'enquête ira bien jusqu'au bout de ses révélations, sera reçue par le premier ministre. Jean-Luc Dehaene, budget bouclé, a reconnu que d'autres priorités existaient. Notamment celle des moyens à accorder à la rénovation de la justice. Face au dépôt de la pétition sur les peines incompressibles dans certains cas, par l'asbl Marc et Corine, les deux millions et demi de signatures recueillies forcent, au moins, à réfléchir.

Au même moment, depuis plusieurs jours déjà, le pays de Charleroi a de nouveau les nerfs à vif.

Sur base des indications de Marc Dutroux, des fouilles se déroulent dans des conditions particulièrement pénibles, à Jumet, dans une ancienne galerie de mine située dans un décor verdoyant, proche des étangs Caluwaert. Cette petite route qui part de Roux, surplombe le canal Charleroi-Bruxelles, longe Jumet et retombe sous Gosselies, est connue des amateurs de raccourcis et des pêcheurs qui fréquentaient les étangs Caluwaert, autrefois agrémentés d'une guinguette champêtre. Dutroux disposait d'une caravane sur ce terrain où il est revenu, après avoir laissé entendre aux enquêteurs qu'ils pourraient bien y trouver quelque chose d'intéressant. Comme les agents du FBI l'avaient expliqué, en août, Dutroux cherche à exercer le contrôle dont il dispose. C'est un des traits de sa personnalité intelligente et manipulatrice. Il distille ses informations avec condescendance, selon son bon vouloir.

Désormais barbu et portant des lunettes, il fait danser ses interlocuteurs. Ceux-ci savent qu'il n'a pas menti, jusqu'à présent. Il avait désigné le fond de la propriété de Sars la Buissière, et on retrouva Julie et Mélissa, ainsi que Weinstein. Il avait évoqué la maison de la rue Daubresse, à Jumet, et ce fut la découverte, après une infernale semaine, d'An et Eefje. Chaque fois, le pays fut submergé d'émotion, lors de funérailles qui étaient celles de beaucoup d'illusions.

Aujourd'hui, d'autres parents d'enfants disparus accomplissent un calvaire, tandis que les hommes de la protection civile et deux spéléologues explorent une ancienne galerie d'évacuation des eaux du puits Saint-Louis. Haute d'un mètre cinquante, en mauvais état, envahie par l'eau, cette galerie doit être étançonnée pour ne pas se refermer sur les fouilleurs.

Ceux-ci mesurent le taux de méthane d'un air pauvre en oxygène, ce qui signifie des risques d'explosion. Impossible de travailler debout dans cet environnement qui est comparable à celui que connurent les mineurs, autrefois. A 90 mètres, un éboulement a arrêté les enquêteurs, qui ont découvert qu'un autre tunnel s'orientait vers la gauche, après 200 mètres. Un autre éboulement, naturel celui-ci, devrait constituer le point extrême du chantier des macabres recherches. Une fois encore, Dutroux entretient l'angoisse, comme s'il se réservait de savourer les heures et les jours d'efforts qui rongent les nerfs des autres. De ceux qui ne sont pas comme lui, comme étrangers à toutes les horreurs dont il est l'auteur, mais dont il accable Weinstein, ce compagnon qu'il enterra vivant, après l'avoir endormi.

Avec ce nouveau chantier de l'enfer, l'image de l'enquête sur Dutroux, explorant les tréfonds d'une Belgique qui cherchait à cacher ses problèmes, revient à la surface. Les hommes que dirige le juge Connerotte doivent aller bien au-delà des apparences, creuser à même la société, au risque de provoquer des éboulements, d'effriter la confiance. Mais cette démarche est essentielle. Ce travail, long, pénible, complexe, doit être étançonné, construit sur base de preuves et de témoignages. La longue marche vers la lumière, pour les enquêteurs, s'apparente à l'exploration des maisons et du tunnel, ces lieux qui définissent les exactions de Dutroux, qui ricane, et qui nous fait peur.

Marcel Leroy.

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LE «SOS JUSTICE» DES BELGES

« Soir illustré » du  mercredi 9 octobre 1996 pages 28 et 29

Alors que le suspense sur le dessaisissement du juge Connerotte agitait l'opinion, des fleurs furent déposées sur les marches du palais de justice de Neufchâteau, où l'enquête progresse, malgré les pièges.

A Neufchâteau, comme partout dans le pays, la semaine écoulée a été marquée par les recours, et montre la cassure profonde entre le droit pur et le sentiment d'angoisse profonde de la population. Pour un spaghetti et un stylo-bille valant mille francs et des poussières, le juge Connerotte devrait, peut-être, remettre son tablier, avant que le procureur Bourlet ne soit frappé, à son tour. De la sorte, après avoir pas mal dérangé et, surtout, obtenu des succès incommensurables, la juridiction de Neufchâteau pourrait en revenir aux vols de vaches qui lui seraient propres, selon ce que d'aucuns avaient dit, avant les événements de cet été (la décision de la cour de cassation est attendue ce mercredi). Il y a eu tout d'abord le recours en cassation de Nihoul. Manqueraient au dossier quelques procès-verbaux. Ce sont ses avocats qui le disent, mais rien qu'eux. Tout au plus, nous dit-on, ces PV avaient été mal répertoriés dans un dossier qui en comptent déjà près de 2.000?

Quoi qu'il en soit, la cour, la semaine dernière, avait confirmé le mandat d'arrêt à charge de Michel Nihoul, ce sinistre joyeux compagnon dont le dossier s'alourdit.

L'AVOCAT SE TROMPE DE CLIENT

Il y eut ensuite, d'une tout autre envergure, la requête en suspicion légitime déposée par Dutroux. Ou, plus précisément, par Me Julien Pierre. Car nous apprenions, de sources très bien informées, que Me Pierre s' était lancé dans cette aventure sans que son client ne soit trop d'accord, en dépit de son paraphe au bas de la requête. Lorsque le procureur Bourlet a appris l'existence de la requête, quasi à l'instant de son dépôt à la cour de cassation, un très large sourire a éclairé son visage. Pour lui, c'était cousu de fil blanc.

Il se remémorait l'année 1994, et la piste des titres volés. Puis il a appelé le juge Connerotte qui passait par là. Lui aussi a souri. N'a pas été surpris. «La cour prendra ses responsabilités» Et de glisser: «On pourra peut être relâcher les mesures de sécurité».

La requête va bien au-delà du célébrissime spaghetti de Bertrix. Elle porte surtout sur les craintes que nourrit l'avocat du barreau liégeois à l'égard de la police judiciaire. Le plaideur redoute le travail du juge Connerotte lorsque celui-ci enquête dans les milieux PJistes carolorégiens. Me Pierre cite en vrac des opérations qui jusqu'à présent en tout cas, ne concernent pas vraiment Marc Dutroux: l'arrestation de Georges Zicot, l'opération Zoulou, l'interpellation d'un inspecteur retraité. Il aurait pu évoquer l'inculpation (qui s'accompagne d'un mandat immédiatement suivi d'une libération sous conditions) du supérieur de Zicot, M Vanderhaegen.

Un goût de déjà vu... Les premiers ennuis de la juridiction chestrolaise, dans son enquête sur les «titres volés» avaient débuté très précisément lorsque le juge Connerotte a osé toucher à l' inspecteur de la PJ liégeoise, Gilbert Preud'homme, défendu aussi par Me Pierre.

Les avocats de Michel Nihoul, Me Baranyanka et Me De Cléty, ont emboîté le pas à Me Pierre.

On connaîtra très rapidement le résultat des deux premières requêtes. Les premières car, Me Pierre, au cas où il serait débouté, en garderait d'autres dans les manches de sa toge.

Ces requêtes ont suscité un immense sentiment d'incompréhension, quasi d'injustice, au coeur de la population. Au nord et au sud du pays, d'Anvers à Florenville, des milliers de personnes se sont mises en marche, en toute dignité, les bras parfois chargés de fleurs, pour demander à la justice qu'elle conserve sa

Confiance en Jean-Marc Connerotte et à Michel Bourlet. Qu'elle laisse à Neufchâteau l'enquête sur la bande de Marc Dutroux. les manifestants ont lancé un «SOS Justice», comme on a pu le lire sur un calicot déposé sur le monument aux morts, sur le parvis du palais de justice de Neufchâteau.

Une certitude: la population, elle, fait totale confiance au duo de choc. Même si elle doit rester de marbre, la paire Bourlet-Connerotte n'est pas restée insensible à une telle vague Dans le genre «rétention d'informations», ce gendarme, déplacé de la BSR à la brigade de Dinant, tenait le pompon. Il n'a fourni des indications à sa hiérarchie, sur les trafics de Dutroux et Lelièvre que lorsqu'il a appris l'affaire, à la mi-août. Décidément, l'affaire Dutroux est aussi une affaire de protections policières. Au fil des jours, les enquêteurs de Neufchâteau dessinent avec plus de précision le rôle de Georges Zicot. On parle aujourd'hui d'un nouveau dossier «Pinon-Zicot» et compagnie, relatif à un trafic de voitures. Gérard Pinon et Georges Zicot ont été libérés après un mois de préventive. Pinon, le possesseur d'un hangar de Dutroux, et indic' de Zicot, tombe une seconde fois, pour complicité d'assassinat de Bernard Weinstein. Que devien dra l'inspecteur Zicot dans ce contexte?

Reste le trafic des armes. Les enquêteurs de Neufchâteau ont donné un sacré coup de pouce à la PJ de Nivelles pour découvrir la cache de Trazegnies, chez Patrice Charbonnier, l'un des braqueurs, copain de Dutroux, d'un transport de fonds. La cache, semblable à celle de Marcinelle, a-t-elle pu dissimuler des enfants? Pas sûr.

Elle servait plutôt de planque pour des armes, comme celles volées chez un armurier de Châtelineau où Georges Zicot avait ses habitudes.

Dutroux avait-il des liens plus étroits encore avec les braqueurs? Une quasi-certitude, il était présent à l'endroit où l'on a soudé le butoir de wagon de chemin de fer sur le camion utilisé pour immobiliser le véhicule de la firme GMIC, à Mellet, le 14 août!

 

La longue liste des faits à charge de la bande à Dutroux va peut être s'allonger encore dans les jours à venir. On attend effectivement les résultats d'une analyse d'ADN qui permettra peut-être d'élucider un viol à Obaix, datant de novembre 1995, une période que l'on sait très suspecte.

L'agresseur a tenté de mettre fin aux jours de sa jeune victime, il lui a profondément entaillé le cou. Très vite, «l'enquête» a abouti à un non-lieu. Une enquête diligentée dans un premier temps par la police locale. A laquelle à succédé Georges Zicot. Décidément, on le retrouve partout.

 

Michel Petit

 

 

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