LA MARCHE BLANCHE («LE SOIR»21 octobre 1996 pg 5)
Les politiques : mais comment ne pas décevoir,
D'autant que la =société civile et le « corps politique »n'ont pas du tout la même notion de la gestion du temps.
Les manifestants exemplaires d'hier exigent des réponses. La création de l'une ou l'autre commission parlementaire d'enquête ou de vagues réformes structurelles ne constituent pas des réponses adéquates à un mécontentement aussi profond. Ou plutôt à des strates de mécontentements sectoriels ou locaux accumulés depuis deux décennies.
Cette manifestation, ramasse Xavier Mabille (le président du Crisp), c'est l'expression d'une attente et d'exigences. Le gros problème pour le monde politique, c'est d y répondre. Il n’est pas préparé, lui qui depuis quinze ans, gère des moyens budgétaires et institutionnels. Il lui faudra élaborer très rapidement un calendrier précis de décisions.
Par exemple, mettre l'enfant au centre de ses préoccupations. Mais le quadruple effet d'annonce de Jean-Luc Dehaene hier (lire en page 3) suffira-t-il à calmer les attentes?
Dimanche soir, en tout cas, il semblait avoir convaincu les familles des enfants disparus. Ainsi, la maman d'Élisabeth Brichet qui affirmait: M. Dehaene a son franc-parler. Il a pris des engagements. Je sais qu'il va les tenir. L'échéance de fin décembre me semble positive.
En sortant de la logique majorité contre opposition. Pour une politique d'urgence.
Louis Michel invite à une réflexion globale en vue d'humaniser la société. Pas seulement
Nous devons également réfléchir, souffle encore Louis Michel, à créer un consensus pour désacraliser l'argent fou, l'argent facile et mener une discussion sérieuse sur les écarts entre les salaires les plus bas et les plus élevés.
Louis Michel, rejoint en cela par Jacky Morael (Écolo), estime que la «marche blanche» n'est pas le point culminant d'une émotion. Ce n'est pas le chant du cygne de l'émoi. Ceux qui croient cela commettent une faute grave envers la démocratie, tonne Michel.
Morael ajoute, au sortir de la marche: Il ne sert à rien « d'attendre que cela passe». Les citoyens sont sortis des rituels classiques de manifestation. C'est un appelle évident à plus de participation.
Philippe Busquin, le président du PS, traduit cela en une volonté pour une citoyenneté responsable. J'ai participé à la marche. La volonté d'écoute et de dialogue que j'ai perçue me confirme dans la volonté de mieux organiser cela.
Les responsables politiques francophones semblent donc, et ce n'est pas le moindre paradoxe d'une marche où la prise de parole était réduite à sa plus simple expression, avoir pris la mesure des appels de la rue.
Il reste à voir s'ils seront capables d'y répondre de façon visible et rapide. Sans succomber à la tentation de la récupération politicienne.
S'ils n'arrivent pas à faire la preuve de cette capacité de décision, la marche de dimanche risque de n'être que la répétition « d'autre chose ».
D'infiniment plus grave. D'infiniment plus anti-politique.
Parmi les Belges d'âge mûr, qui n'a en mémoire les cortèges de la question royale,tragiquement ponctués par la mort de trois manifestants à Grâce-Berleur, en juillet 1950 ?
Les manifestations laïques et catholiques de la «guerre scolaire? Les gigantesques défilés ouvriers de l'hiver 1960-1961, contre la «loi unique de Gaston Eyskens, à Bruxelles le 22 décembre (un tué) et à Liège le 6 janvier (un tué, saccages Guillemins) ? Les marches flamandes sur Bruxelles, le 22 octobre 1961 et le 14 octobre 1962? Celles qui, à Louvain, six ans plus tard, jetèrent les «Walen buiten» ?
On peut citer aussi les nombreuses manifestations en rapport avec l'enseignement la plus importante, quantitativement, eut lieu le 18 novembre 1990 et le rassemblement contre le racisme du 22 mars 1992.
On le voit, à égrener ces souvenirs, la marche silencieuse et blanche de ce dimanche fut, avec celle contre les missiles, la plus imposante que le pays ait connue depuis cinq décennies. Mais également une des plus dignes, une des plus pluralistes. Une manifestation destinée à frapper les cœurs et les mémoires, comme le firent précisément les nombreux défilés anti-missiles des années 1981-1983, qui sortirent le pacifisme de sa marginalité.
Car, nous rappelle un observateur averti, témoin professionnel de nombreuses manifestations, celles-ci se différencient nettement selon qu'elles ont pour objectif la défense légitime d'intérêts sociaux ou matériels (l'emploi, le salaire, des subventions...) ou la lutte pour ou contre des idées, des concepts, des personnes (la paix, la dépénalisation de l'avortement, la frontière linguistique, Léopold III...).
Les premières s'analysent aisément en termes sociopolitiques, marquées par des slogans et des personnalités; les secondes ressortissent davantage à la psychologie des foules, tirant leur signification même du grand nombre et de la transversalité qu'il reflète.
Autant l'histoire garde peu de traces des premières, si ce n'est lorsqu'elles s'assortissent de bilans sanglants, autant les secondes pèsent sur le cours des choses: Léopold III dut abdiquer, un pacte scolaire fut signé, les francophones durent quitter Louvain, les gouvernements occidentaux durent prendre en compte l'émotion des populations avant de nuancer le déploiement de fusées à charge nucléaire... Alors que la loi unique fut votée à
L'extraordinaire «marche pour les enfants d'hier marquera par son pluralisme. Comme si les manifestants silencieux avaient crié «Gerecht, non di djû ! »
Révolution? Tout de suite, et de deux ordres!
Aujourd'hui, les partis sont des organisations basées sur le système fermé de la cooptation. Et nombre de barons campent sur leurs parcelles de pouvoir comme naguère ces maréchaux couverts de givre devant un défilé d'Octobre. Les partis vont précisément devoir se désenrégimenter.
Parler ? Oui: parler et expliquer sans jamais se fatiguer. Car enfin: à quoi sert un parti ?
A traduire et à transporter» le mouvement des opinions puis à les transformer en programme politique.
Or les partis jouent insuffisamment ce rôle. Ils leur faut donc travailler, avec une modestie sans borne, pour retrouver ce que les Anglo-Saxons appellent le « linkage », c'est-à-dire le lien, ou, mieux encore, le chaînon avec les citoyens.
Le voila, le défi démocratique exprimé ce dimanche. Et, pour fonder la démocratie, il faut tout simplement la faire aimer. Carine Russo a dit cette revendication vitale, primordiale, d'une façon extraordinairement juste ce week-end. «Nous, on tend vers plus de démocratie. Cela passe par un réveil des citoyens et une vigilance.
Nous avons le droit de vote. Il faut faire très attention de ne pas être un client. Il faut réfléchir à quoi on s'engage.
Tout le monde doit se réveiller. C'est de cela que dépendra notre avenir, et celui de nos enfants.» Tout, absolument tout est dit.
Et entendu ? Espérons-le. Sinon, gare cette fois au raz de marée populiste qui, comme le note Jacques Julliard, est ce châtiment que la démocratie inflige aux élites pour les punir de leur orgueil. Et de leur égoïsme.
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