lundi 9 février 2009

Quand la colère rencontre la tristesse( «Dernière Heure » 21 octobre 1996 pg 4)


Ils ont fait entendre leur voix

 Une marche qui nous rend fiers

 « La Dernière Heure »  du lundi 21 octobre 1996 page 4

Le peuple belge vient de démontrer, à ceux qui osaient encore en douter, qu'il est capable de se mobiliser pour les causes les plus nobles.

Le triomphe de la marche blanche d'hier, la dignité dont ont fait preuve ceux et celles qui y ont participé et l'absence totale de tensions linguistiques au sein du cortège prouvent que le bon sens et le courage n'ont pas déserté ce pays.

Bruxellois, Wallons, Flamands et familles issues de l'immigration ont défilé côte à côte, unis dans la même douleur. Toutes les différences étaient gommées, tous nos conflits un peu mesquins oubliés le temps d'un après-midi.

Pas de cris, peu de banderoles, énormément de chaleur humaine et d'émotion. Trois cent mille citoyens responsables, soutenus par la quasi-totalité de la population, ont redoré le blason de notre démocratie.

Oui, la marée humaine qui, pendant de longues heures, a pacifiquement occupé le centre de Bruxelles nous a remplis de fierté. Comme elle a, sans aucun doute, mis beaucoup de baume au coeur des parents des petites victimes, devenus de véritables héros aux yeux de l'opinion publique...

La marche blanche tant attendue a rencontré toutes les espérances. Il faudra maintenant qu'elle soit suivie d'effets dans le monde politique et judiciaire. Et cela, ce n'est pas gagné d'avance.

Certains misent manifestement sur un essoufflement du magnifique mouvement de solidarité qui, depuis plusieurs jours, traverse la Belgique comme un électrochoc. Ce lundi constituera sans aucun doute un jour-test pour la poursuite des événements.

Vendredi, le Roi, couvert par Stefaan De Clerck, a très clairement pris position, en critiquant les carences structurelles et humaines de la justice. le chef de l'État s'est engagé personnellement dans la bataille.

Il sait qu'il ne peut pas décevoir. Manifestement, Jean-Luc Dehaene a décidé d'écouter le message lancé par Albert II, puisqu'il a annoncé hier des mesures concrètes pour améliorer le fonctionnement de la magistrature. Voilà un bon début...

Michel Marteau

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 Quand la colère rencontre la tristesse

 « La Dernière Heure »  du lundi 21 octobre 1996 page 4

TÉMOIGNAGES DANS LA FOULE VENUE DE PARTOUT

BRUXELLES - « Nous n'avons pas hésité une seule seconde. C'est le moins que nous puissions faire pour montrer notre solidarité avec les parents, c'est évident. »

Elles sont trois. Mariette, Maria et Marie-Madeleine. Trois dans leur chaise roulante. Trois moins valides perdues dans une mer humaine. Trois dames d'un certain âge déjà, mais d'une gentillesse exquise, qui ne connaissaient pas vraiment bien Bruxelles – elles viennent de Visé -, mais ont voulu surmonter leur handicap. Pour rien au monde, elles n'auraient manqué cette marche blanche. Elles ont pris le train en gare de Visé à 9 h 38. Elles embrassent sur les joues les bagagistes des chemins de fer, qui les ont aidées.

C'est un dimanche où tout le monde est aimable, ou tout le monde se rend service, en souvenir de quatre petites filles dont les yeux se sont éteints à jamais, mais qui - disparues - n'ont jamais été aussi présentes.

« Nous sommes très motivées, disent-elles, parce que rien ne nous touche plus au coeur que les enfants. Si seulement cette marche pouvait empêcher à jamais les atrocités de cet été... »

Albert Bodson, 68 ans, est venu de Glimes. Ancien fonctionnaire au ministère de la Justice, Albert, foulard blanc au cou et larmes aux yeux, n'a qu'une confiance limitée dans l'appareil judiciaire. « J'ai fait

40-45, dit-il, puis la Corée. Je croyais pouvoir dire que j'avais à peu près tout vu dans ma vie. Les affaires de Dutroux et de toute sa bande, je ne m'en remets pas.

Quand le pense beaucoup à ces petites malheureuses qui ne demandaient qu'à vivre et à toutes ces crapules qui se sont rempli les poches sur leur martyre. Dutroux, c'est vrai, c'est une vermine, mais il y a plus haut que lui et ces gens-là, il faut qu'ils crachent. Quand j'entends l'avocat de Dutroux oser prétendre que son client se sent un peu dépressif depuis quelques jours! Et les parents d'Élisabeth, qui attendent depuis sept ans ?

Injustice

Les gendarmes ont travaillé quinze jours dans les trous de mines de Jumet, enchaîne un autre, ça nous a coûté combien, alors qu'on avait des types comme Dutroux, Nihoul, Lelièvre, Martin et tous les autres sous la main ? Il aurait fallu leur donner des pelles et des pioches pour travailler dans la boue. Personne n'aurait pleuré si les galeries s'étaient effondrées ou si les gaz les avaient asphyxiés, ça n'aurait été quel justice. C'est un peu facile, dormir en prison. Au fond du trou, Dutroux aurait vite craché le morceau... »

Les familles Houbeke et Pollet arrivent de Seneffe. « Par solidarité. Parce que nos enfants, Anatoon et Darleen, ont l'âge de Julie et Mélissa. Nous avons hésité à prendre les enfants. Nous nous sommes demandé si c'était bien prudent. Mais maintenant que nous sommes là, nous sommes heureux qu'ils soient avec nous.

Car cette marche blanche, c'est d'abord la leur. On est en train de montrer aux juges qu'ils ne peuvent plus reculer ni rien cacher. Je m'amuse aussi à chaque fois qu'on croise tous ces policiers et ces gendarmes qui nous surveillent et nous comptent. C'est très bien, mais, à l'époque, ils n'avaient pas 200.000 personnes à surveiller,ils n'en avaient qu'une, Marc Dutroux. Et ils n'ont pas été capables de le faire. »

Willy Houbeke regrette, lui, que cette marche blanche ait oublié quelqu'un, « ce petit jeune homme, dont personne ne connaît même le nom, mais lui a fait davantage à lui tout seul que nous tous réunis, en relevant l'immatriculation de la camionnette de Dutroux après l'enlèvement de Laetitia à Bertrix.

Le Roi a décoré Dirk Frimout, qui est allé se promener dans l'espace. Pourquoi pas ce garçon dont la perspicacité a fait éclater le scandale et a sauvé Sabine et Laetitia ?

Gilbert Dupont

 

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 Vedettes mais surtout citoyens

 NOMBREUSES PERSONNALITÉS PRÉSENTES

 « La Dernière Heure »  du lundi 21 octobre 1996 page 4

BRUXELLES - « Si je n'étais que grand-père, vous m'auriez vu à la marche blanche. Mais je suis aussi Premier ministre et, en tant que Premier ministre, je ne crois pas que ma place était là. »

Beaucoup d'hommes politiques, qui sont aussi parents ou grands-parents, ont pensé, comme Jean Luc Dehaene. Soit ils ne sont pas venus, soit ils se sont montrés très discrets. Toujours est-il qu'on ne les a pas beaucoup vus hier.

Dans la foule anonyme, des visages étaient pourtant connus. Vers 16 h, nous avons ainsi croisé le chanteur Claude Barzotti visiblement content d'être là et surtout heureux d'une telle mobilisation.

Le message est clair, a-t-il encore ajouté. « Il faut changer certaines choses dans notre société. »

Le comique François Pirette est venu avec ses deux filles Sacha et Romy. « La raison de ma présence, elle est là », a-t il expliqué devant les caméras de RTL-TVi en montrant ses deux enfants. « Mais ce n'est pas François Pirette qui défile ce dimanche. C'est un anonyme et père de famille comme il y en a des dizaines de milliers aujourd'hui... »

Discrétion

Philippe Geluck a lui aussi décidé de participer à la marche blanche avec ses amis et toute l'équipe du jeu des dictionnaires. De même que Jean-Claude Defossé (RTBF) et Jean-Charles De Keyser, venus en famille, qui se suivaient à quelques mètres de distance.

Comme il l'avait promis, et malgré un agenda très chargé, Salvatore Adamo avait fait également le déplacement. Pendant près de trois heures, il a montré, lui aussi, qu'il avait été touché par les dramatiques événements qui ont secoué la Belgique ces dernières semaines. « Personne ne peut être indifférent. Nous sommes tous concernés par ce qui est arrivé et nous devons tous réagir. »

Portant la couleur blanche, comme l'avaient souhaité les parents des victimes, le dessinateur Tibet n'a pu cacher sa joie. « Comme de nombreux Belges, je suis venu manifester dans le calme et la dignité. Je m'attendais à voir du monde. Mais pas autant. Cette marche est une réussite totale. »

 

Ces vedettes, comme sans doute le chanteur de Soulsister, le champion de moto Gaston Rahier ou encore un des Snuls, voulaient surtout qu'on ne les mette pas en exergue. Elles soulignaient, à très juste titre, du reste, que, ce dimanche, c'était la population prise dans son ensemble qu'il fallait saluer pour cette mobilisation qui a dû faire chaud au coeur des parents des victimes...

Luc Lorfèvre

 

 

 

 

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