lundi 9 février 2009

La plus émouvante des solidarités(«Dernière Heure» 21 octobre 1996 pg 5)


La plus émouvante des solidarités

 DES FLEURS BLANCHES PAR MILLIERS

 « La Dernière Heure »  du lundi 21 octobre 1996 page 5

BRUXELLES - Encadrée de ses parents, une fillette aux cheveux blonds s'approche du panneau à fond bleu où les noms des petites victimes ont été inscrits. Elle commence à lire la liste : « Inge, Julie, Élisabeth, Mélissa, Nathalie, Kim, Patricia, Ken, Gevrije, Eefje, An, Laetitia, Liam, Sabine, Sylvie et les autres... Papa,, tu as vu ? Ils ont oublié Loubna

Le papa de la fillette aux cheveux blonds sort un stylo et rajoute à la hâte le nom de loubna. Les policiers qui canalisent la foule le regardent d'un air complice. La fillette aux cheveux blonds se dresse alors sur la pointe des pieds et jette une rose blanche sur un amas de fleurs. Elle regarde une dernière fois le panneau avant de disparaître. Anonyme comme ces dizaines d'autres milliers de gosses et de parents qui, après avoir marché du bd Emile Jacquemain au bd Lemonnier, ont laissé en fin de parcours un dernier symbole d'espoir et de pureté.

Ce qui frappe d'abord au carrefour du boulevard Lemonnier et du boulevard du Midi, c'est le calme. Lourd. Pesant. Révélateur aussi de l'état d'esprit qui caractérisera ce dimanche 20 octobre qu'aucun Belge n'oubliera. C'est dans le calme qu'ils ont défilé. C'est dans le calme qu'ils iront déposer les fleurs. C'est dans le calme qu'ils quitteront ensuite le cortège pour rentrer chez eux.

Applaudissements

C'est donc sans aucune bousculade mais malgré tout dans le désordre que pratiquement tous les marcheurs blancs vont répéter les mêmes gestes. Une approche difficile, un bref mais sincère moment de recueillement, un regard tendu vers ces noms qui représentent l'innocence volée et, parfois, une larme qui coule sur la joue. Certains s'attardent plus longtemps que d'autres. Ils écrivent un mot qu'ils glissent dans le bouquet ou se font carrément la courte échelle pour inscrire un message sur le panneau. A l'instar de ce scout namurois qui sortira un marqueur noir pour griffonner une formule en lettres capitales que personne ne contestera :

« Tous les enfants du monde entier sont égaux et doivent le rester. »

Régulièrement aussi, des salves d'applaudissements viennent rythmer cette émouvante procession.

A 15 h 20, quand les papas de Julie et Mélissa, ayant pris place dans un combi de la police communale, font leur apparition sur le boulevard du Midi, ce n'est même plus une salve mais un tonnerre de bravos et d'encouragements qui les accueille. Les mamans qui suivent suscitent les mêmes ovations.

A quelques mètres de là, des familles, tout de blanc vêtues, procèdent à un lâcher de ballons. Des milliers d'yeux suivant alors ces petites boules blanches valser dans le ciel gris.

Je suis restée bloquée de très longues minutes à la Bourse, nous explique Martine, 38 ans et mère de deux enfants. Mes gosses étaient fatigués et je craignais de ne jamais arriver jusqu'au point de dislocation de la marche. Mes enfants m'ont dit qu'ils ne voulaient pas partir et nous avons été jusqu'au bout pour déposer ces fleurs. C'est la première fois que je descends dans fa rue et je trouve que cette ambiance est formidable.

Plus loin, une maman d'origine marocaine regrette qu'on ait oublié le nom de la petite Loubna sur le panneau. « La seule fausse note » de cette journée, confie-t-elle.

Pour le reste, nous avons donné une belle leçon à tous ceux qui voudraient étouffer cette affaire.

II est 18 h et on ne distingue déjà plus le panneau. Pas à cause du soir qui tombe, mais des fleurs qui n'en finissent plus d'être déposées. La plus belle des signatures que les marcheurs blancs pouvaient laisser...

 

Lorfèvre

 

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 FRANÇOIS CHANTE DUTEIL

Le cœur rempli d'espoir

 « La Dernière Heure »  du lundi 21 octobre 1996 page 5

BRUXELLES – « Pour les enfants du monde entier Qui n'ont plus rien à espérer je voudrais faire une prière à tous les maîtres de la Terre ».

L'émotion était éminemment palpable dans cette foule d'une exceptionnelle ampleur, hier, vers 13 h 30, lorsque François Saussus a entonné les premières notes de la merveilleuse chanson d'Yves Duteil

Pour les enfants du monde entier véritable hymne à l'amour, à la tolérance et au respect. Lors des funérailles de Julie et Mélissa, le 22 août, le jeune Namurois avait profondément ému l'assistance par sa très belle interprétation de ces quelques couplets aussi purs que du diamant.

« Je n'ai pas l'ombre d'un pouvoir, mais j'ai le coeur rempli d'espoir et de chansons pour aujourd'hui qui sont des hymnes pour la vie. »

Autour du podium installé devant les bâtiments de la Communauté flamande, à deux pas de la place Rogier, des dizaines et des dizaines de milliers de regards convergents vers François, qui intervient après les discours des parents des petites victimes. A ses côtés, Laetitia et Sabine lâcheront, un peu plus tard, deux colombes, merveilleux symboles de paix et de pureté.

« A chaque enfant qui disparaît, c’est l'Univers qui tire un trait,sur un espoir pour l'avenir,de pouvoir nous appartenir. »

Larmes aux yeux

Jocelyne, une jeune maman venue de Tournai, enserre dans ses bras sa petite fille, Sandra, âgée de six ans. « J'aime cette chanson, parce qu'elle exprime avec des mots simples ce que je ressens. J'en ai les larmes aux yeux, chaque fois que je l'entends. »

Ce sentiment, chacun le partageait profondément. « La voix de ce garçon traduit si bien l'émotion qui nous anime tous aujourd'hui », raconte Élisabeth, qui a effectué le voyage depuis Gand. « Je n'ai pas d'enfant, mais cela ne m'empêche évidemment pas d'être solidaire d'un combat qui concerne l'ensemble de la population. » René, un pensionné de Mons, remet un mouchoir dans sa poche : « Le temps cicatrisera peut-être les blessures, mais elles ne se refermeront jamais vraiment ».

Pour les enfants du monde entier... François, pour la seconde fois en une poignée de semaines, nous a fait frissonner.

j. M.

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 Bilan positif pour la Croix-Rouge

 C'EST PRESQUE... MIRACULEUX

 « La Dernière Heure »  du lundi 21 octobre 1996 page 5

BRUXELLES - Vers 19 h 30, au moment de la fin du cortège, le bureau Infopol de la police de Bruxelles n'avait recueilli, sur près de trois cent mille participants, que vingt-quatre enfants perdus, dont treize avaient déjà été restitués à leurs parents. Il en restait onze en attente de papas. Six cas étaient en passe d'être réglés. En restaient cinq plus difficiles...

Le plus patient était Christophe. Guère inquiet, il attendait depuis l'après-midi que ses parents viennent le récupérer en feuilletant un Spirou. Christophe n'osait pas le crier trop haut, mais il n'était pas pressé de rentrer chez lui, chouchouté comme i l l'était par des demoiselles de la police. Il faisait partie d'un groupe de scouts que la maire e humaine avait emporté tel un fétu de paille. Ayant perdu le contact, il s'était adressé au premier policier qu'il avait croisé. Au commissariat, la figure bonhomme du commissaire Cools l'avait vite rassuré.

Il avait pu choisir jeux, boissons et bédés préférés. Le psychologue n'a même pas eu à intervenir.

Le bureau des enfants égarés a eu du pain sur la planche. Il a recueilli Thibaut (10 ans), Christophe (7), Tarik (12), Yannik (12), Suares (13), puis Christophe (14), Jonas (10), Cindy (12), Sarah (16), Laurence (17), Geoffrey, Sébastien (11), loris (8) et encore Sarah (16).

Les parents ont bien compris le message : ils ont su exactement où et à qui s'adresser... et tout est à chaque fois rentré dans l'ordre.

Un Sébastien, qui avait perdu sa maman, a pensé comme un grand qu'il la retrouverait sans doute au commissariat. Elle y était !

Cent interventions

Saluons aussi le travail efficace de la Croix-Rouge : avec la police et la gendarmerie, elle est partie prenante au succès de la marche blanche. Quelques chiffres : 400 bénévoles avaient finalement formé des équipes d'intervention échelonnées tous les 400 mètres sur le parcours. Avec 35 ambulances prêtes à foncer sur l'hôpital le plus proche, c'est la participation la plus importante de la Croix-Rouge depuis les funérailles du roi

Baudouin. Son rôle s'est avéré plus qu'indispensable puisque, au dernier bilan, elle avait comptabilisé près de cent interventions, dont 1 (ou 2) malaise cardiaque.

La plupart - une soixantaine - des interventions ont été enregistrées en début de parcours. Les médecins les attribuent à l'engorgement qui s'est créé au départ de la gare du Nord. Ils ont eu à traiter des cas classiques d'hyperventilation, d'hypoglycémie et de crises d'asthme. Ajoutez quelques cas d'éthylisme et d'épilepsie.

La Croix-Rouge a assuré vingt transferts vers des hôpitaux, mais aucun de ces cas n'est préoccupant.

Ce qui, au vu au succès phénoménal de la marche, est purement et simplement miraculeux.

 

Gilbert Dupont

 

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 POUR UNE FAMILLE DINANTAISE EN TRAIN VERS BRUXELLES

 

Participer à la marche un devoir moral en famille

 « La Dernière Heure »  du lundi 21 octobre 1996 page 5

DINANT - Il est 10 h chez les Colot. Derrière la fenêtre garnie d'une photo de Julie et Mélissa, l'ambiance, dans leur maison située sur la superbe place de Bouvignes, est aux préparatifs. Une longue journée s'annonce, en effet : celle de la fameuse marche blanche dans Bruxelles, à laquelle prendront part Jean, 40 ans, professeur de langues germaniques à l'Institut Cousot, Cécile, 39 ans, femme au foyer, et leurs deux aînés, Yannick, 13 ans, et Kathleen, 12 ans. Le petit dernier, Nicolas, 8 ans, restera chez ses grands-parents.

Devoir moral

Vers 10 h 20, la sympathique famille embarque dans le train à destination de la capitale. Quelques collègues de Jean l'ont rejointe à la gare de Dinant. Dans le compartiment de plus en plus bondé au fil des arrêts, les conversations vont bon... train. « J'ai un peu peur des grands rassemblements, explique Cécile, mais il faut dépasser cette crainte, car si on n'y va pas cette fois-ci, on n'ira jamais. » « Pour moi, participer a cette manifestation est un devoir moral, poursuit Jean. Il faut montrer aux parents des enfants disparus qu'on est derrière eux, pour leur donner l'énergie de continuer. Honnêtement j'y vais aussi parce que je râle. En tant qu'enseignant on me demande de bien m'occuper des enfants. Or, ici, on avait un juge qui, dans son domaine, agissait de la sorte et on le dégomme

Kathleen et Yannick sont, eux aussi, convaincus de l'utilité de leur démarche. « C'est pour me défendre symboliquement contre Dutroux », raconte Yannick. Et sa maman de souligner que ce sont les enfants eux-mêmes qui ont décidé de suivre. Les événements, en effet, sont loin de les avoir laissés indifférents, comme en témoigne cette interrogation qui a fait suite au dessaisissement du juge Connerotte : « Pourquoi est-ce qu'on donne raison à Dutroux ? »

Mais voilà qu'il est 12 h 15. Le train entre en gare du Nord, son terminus. Au milieu de la foule, chacun-cherche à s'assurer de ne pas perdre les autres. Après avoir délesté son sac à dos de quelques sandwiches, le groupe parvient à la place Rogier vers 13 h 30. Ce sera le début d'une longue attente qui le verra se mettre très lentement en route plus d'une heure après...

Laurent Belot

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Les enfants, venus nombreux, ont aussi droit à la parole

 MARQUÉS PAR LES ÉVÉNEMENTS

 

« La Dernière Heure »  du lundi 21 octobre 1996 page 5

BRUXELLES - Des milliers d'enfants ont participé à la marche blanche. Ceux que nous avons rencontrés sur le parcours n'avaient pas suivi leurs parents par hasard.

Tous ont été marqués par les événements des dernières semaines.

Mélanie (10 ans), de Mons : « C'est la première fois que je manifeste... J'ai moi-même demandé à mes parents de venir ici. Il faut aider !es familles des enfants. On a parlé à l'école de ce qui s'est passé.

C'est dégueulasse. Mais je ne sais pas ce que l'on doit faire pour que cela n'arrive plus. C'est à la justice d'agir, pas à nous !

Eric (11 ans), de liège : A l'école, certains enfants ont encore peur. On essaie de moins en parler entre nous. C'est bien de voir autant de gens. On est tous ici Pour soutenir les parents de Julie et Mélissa. Si je pouvais les croiser, je leur dirais de continuer à se battre pour connaître la vérité. »

Rémy (10 ans) et Céline (8), de Thuin : « On vient dire aux ministres qu'on n'est pas d'accord avec la justice!

Les parents des enfants ne doivent pas se décourager. On leur dit bonne chance. »

Quentin (8 ans), de Charleroi : «Je n'ai pas envie que cela m'arrive, ça me fait peur. Aujourd'hui, tous les enfants disent qu'il faut que cela s'arrête.

Marie (10 ans), de Hamois : « C'est vrai que j'ai maintenant un peu peur. Je pense à elles. Je ne voudrais pas que cela m'arrive. Je suis venue avec papa et maman pour soutenir les parents des enfants tués ou disparus. Je crois que, pour eux, c'est un réconfort de voir tous ces gens à Bruxelles. »

Jessica (8 ans), de Godarville: «Je manifeste pour Julie et Melissa, pour les enfants disparus et pour le respect des enfants. Moi aussi, un jour, une voiture s'est arrêtée près de moi. C'était bizarre, j’ai un peu peur.»

Laurent (5 ans), de Hollain : « Dans ma classe, il y a une photo de Julie et Mélissa. Aujourd'hui, c'est une manifestation pour les enfants morts, comme si on allait au cimetière. Les gens ici disent qu'ils sont gentils.»

Nathan (11ans), Julie (7) et Jérémy (6), de Vaux-sous-Chèvremont: « Il y a vraiment beaucoup de monde et c'est normal. C'est pour Julie et Melissa; pour dire à leurs parents qu'on est avec eux. Dutroux, on doit le pendre, parce qu'il est très méchant ! »

B. F.

 

 

 

 

 

 

 

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