mercredi 4 mars 2009

La marée blanche («LE SOIR» 21 octobre 1996)


La marée blanche

UNE de « LE SOIR » du lundi 21 octobre 1996

 

L'émoi d'un peuple a déferlé dans une sereine détermination.

Pour les enfants. Pour que «ça» n'arrive plus !

Combien étaient-ils ? 200.000 ? 300.000? Les chiffres n'ont finalement guère d'importance pour tenter de décrire la plus grande manifestation que le pays ait connue depuis des décennies.

Les parents des enfants disparus avaient voulu une «marche blanche» sur Bruxelles. Ce fut une vague, une déferlante, un raz de marée. C'est à une véritable occupation du centre de la capitale que l'on a assisté, tant les boulevards étaient trop étroits pour canaliser l'immense foule. Jeunes, vieux, Belges et étrangers, ouvriers, étudiants, chômeurs, enseignants... ils étaient tous là pour exprimer leur solidarité avec les parents.

Ils sont venus sans calicot, sans slogan mais avec des fleurs, des casquettes, des ballons blancs et avec un immense espoir, résumé sur cette banderole: «Plus jamais ça»:

Et la vague blanche a déposé son écume jusque chez le Premier ministre. Jean-Luc Dehaene a en effet reçu les familles des enfants décédés ou disparus. Et d'abord les deux adolescentes qu'on a pu sauver: Sabine et Laetitia.

C'est une des rares réunions dont on est sortis un peu satisfaits, a déclaré Gino Russo, le père de Métissa, après l'entrevue avec le Premier ministre. Et les grands vainqueurs sont les enfants.

M. Dehaene a pris des engagements, a ajouté Marie-Noëlle Bouzet, la maman d'Elisabeth Brichet. Je sais qu'il va les tenir !

Le Premier a en effet annoncé diverses initiatives législatives qui devront être bientôt discutées en Conseil des ministres.

La dépolitisation des promotions dans la magistrature, par exemple. Ou la création d'un Centre national des enfants disparus, qui sera indépendant des services de police et de la magistrature, sur le modèle du

“Center for Missing and Exploited Children américain.”

Le Premier ministre a précisé, après sa longue entrevue avec les familles, qu'il les avait félicitées pour le déroulement digne et serein de la manifestation. ll s'agit là d'un signal impressionnant dont il faut tenir compte, a-t-il souligné.

Le ballon blanc est maintenant dans le camp politique. A lui d'apporter les réponses adéquates à cette demande de plus de participation, d'humanité, de respect qui est celle des 200.000 à 300.000 promeneurs du dimanche pas comme les autres. Pour que cette marche blanche ne soit pas un chant du cygne mais l'aube d'un renouveau.

Légende de la photo :

La plus grande manifestation de l'après-guerre à Bruxelles: record du défilé « anti-missiles », en 1983, battu, si l'on se réfère aux chiffres des forces de l'ordre. Sans calicots ni slogans, des dizaines de milliers de personnes ont salué la mémoire des enfants assassinés. Photo A. Dewez.

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L’électrochoc

 UNE de « LE SOIR » du lundi 21 octobre 1996

 

Un raz de marée, un océan blanc a submergé Bruxelles dimanche, 

et provoqué un véritable électrochoc

, non seulement dans la société belge mais aussi dans toute l'Europe. Nos voisins observent avec une extrême attention ce qui se passe dans notre pays, devenu laboratoire des crises de cette fin de siècle. Un vrai mouvement populaire au sens le plus fort du terme s'est manifesté regroupant des gens venus de tous les horizons, de tous les milieux sociaux. Des gens qui, bien souvent, ne militaient nulle part et n'avaient jamais manifesté mais qui tenaient, hier, à âtre «là». Ils ont d'abord exprimé leur solidarité. Un mot si noble mais devenu si abstrait que même des mouvements qui l'arboraient sur leurs fanions en ont parfois oublié le sens! La solidarité avec les victimes, leurs parents, avec tous les enfants. Une solidarité active qu'on avait trop négligé dans un monde devenu hyper-individualiste.

Cette foule en appelait aussi à un changement des valeurs. Beaucoup demandent «que cela change)). Pour cette marée blanche, notre société a perdu le sens des vraies priorités. L'humain, le développement harmonieux de chacun, le respect des autres se sont fourvoyés dans la lutte du chacun pour soi, l'argent qui domine tout, la perte des liens sociaux, le discours fort technocratique des ((élites)). Le malaise, déjà profond et provoqué par l'insécurité, le chômage et l'exclusion s'est focalisé dans le drame des enfants abusés et torturés. Et l'espoir d'un changement s'est incarné dans les parents des victimes et quelques juges. Une société qui ne privilégie plus l'homme, s'égare, ont indiqué tous ces marcheurs calmes et déterminés.

La marche de dimanche est aussi un cri pour « qu'on nous écoute, qu'on ne nous méprise plus ». Des franges entières de l'opinion estiment que leurs aspirations sans cesse répétées ne sont jamais entendues. Le dialogue avec le politique et avec la justice s'est rompu au fil des conclaves de l'austérité et des scandales jamais résolus (tueurs du Brabant, affaire Cools). Le discours des autorités, aussi légitime qu'il soit, ne passe plus et la confiance en est minée.

Le défilé de dimanche doit interpeller tous les pouvoirs pour qu'il y ait un « après marche blanche», pour que les valeurs changent et que les mots pour le dire retrouvent tout leur sens. Cela prendra du temps et de l'intelligence, car tous les changements ne sont pas possibles et les contraintes extérieures, comme la mondialisation de l'économie, corsètent le pouvoir d'initiative des autorités politiques ou économiques belges.

Mais qu'au moins le monde politique indique rapidement qu'il a reçu le message et qu'il compte y répondre et que plus personne ne se retranche derrière son autorité ou ses privilèges pour refuser d'entendre cette rumeur qui enfle et qui enflera encore si elle n'est pas prise en compte.

GUY DUPLAT

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 EN PAGES INTÉRIEURES

UNE de « LE SOIR » du lundi 21 octobre 1996

« Bruxelles blanche d'émotion, Cela fait chaud au coeur », disent les parents. EN PAGE 2

Les chiffres des forces de l'ordre ... et leur soulagement: très peu d'incidents. EN PAGE 2

Les familles chez J.-L. Dehaene : Deux heures, un quadruple engagement. EN PAGE 3

Un centre « Enfants disparus » aux États-Unis, l'expérience est un succès. EN PAGE 3

Portraits de manifestants : Pourquoi ils sont venus. EN PAGE 4

Avec les collègues de Gino , au milieu des métallos de Ferblatil. EN PAGE 4

A leur tour de s'exprimer, les « politiques » au sortir du bois. EN PAGE 5

Nos grandes marches du siècle, une des plus dignes et des plus pluralistes. EN PAGE 5

Au-delà de l'événementiel ; Opinions, débats : une donne nouvelle. EN PAGE 6

Partis contraints au renouveau ; Le P.S. sous la loupe. EN PAGE 9

 

 

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