jeudi 4 décembre 2008

Suite de « La veillée d’arme des parents de Julie et Mélissa »(«Soir illustré»16 octobre 1996 pg 32 et 33)


 Suite de «  La veillée d’arme des parents de Julie et Mélissa »

« Soir illustré » du mercredi 16 octobre 1996 page 32 et 33

«COURAGE» ÉCRIVENT LES ENFANTS

Infirmière spécialisée en ophtalmologie, Louisa se concentre sur le travail à la maison, et veille sur Maxime, leur fils. Un petit garçon sympa, qui aime dessiner.                                                                                                                                                    Ses parents sont torturés, comme lui, par l'absence de sa soeur qui lui manque. Des dessins d'enfants arrivent par brassées, au courrier, avec les lettres. Impossible de tout lire, mais l'ampleur du soutien leur fait du bien. Ils ont répondu en faisant distribuer plus d'un million de photos de Julie et Mélissa.

Un jour, Louisa espère reprendre son travail. Une manière de rendre service, de vivre l'instant en oubliant, un instant, la petite, les petites.

Elle montre un beau portrait envoyé par un artiste sensible à leur peine infinie, sort plusieurs dessins et aquarelles. Les Lejeune savent que les gens peuvent être vraiment chaleureux. Eux, ils se sentent plus proches que jamais des Russo. Avec les autres parents des disparus, les Russo savent ce que c'est que de rentrer le soir à la maison et de savoir que plus jamais on n'embrassera son enfant. Cette longue marche, ils l'ont entamée depuis bien plus d'un an et l'ont accomplie en se heurtant à des incompréhensions.

Personne, jamais, ne les empêchera de prendre la parole pour dire les vérités. Ils en ont conscience, cette responsabilité pèse sur eux, mais ils l'assument. Ils auraient tant voulu rester une famille pareille à tant d'autres, avec ces petites joies, ces grandes espérances et ces moments de déprime vite écartés. Tant qu'on est ensemble, rien ne peut vous arriver, n' est-ce pas? Jusqu'au moment où des monstres sortent de l'autoroute pour attaquer. Des monstres qui ont pu continuer à agir, en toute impunité, alors qu'eux imploraient, en vain, les représentants de la justice, fatigués par ces victimes dérangeantes.

UNE PERMANENCE A GRÂCE-HOLLOGNE

Les Russo ont vidé leur salon pour y installer de grandes tables chargées de matériel et de dossiers: ordinateur, fax, téléphone. Aux murs, des photos et dessins des petites filles, et un poème de Kipling. Le célèbre « Si ». Ils consacrent des heures -à trier la vague du courrier quotidien, à répondre à des appels, à recevoir les journalistes et ceux qui veulent leur parler.

Les Lejeune et les Russo rodent la future permanence de leur asbl. Un bureau a été loué à Grâce-Hollogne. Il comportera une pièce où écouter les personnes.

Comme chez les Lejeune, des caisses rouges sont bourrées de dossiers. Un classement les répartit: courrier des enfants, lettres officielles, courrier des personnalités politiques, faits portés à leur connaissance, idées et propositions, témoignages de sympathie, offres d'aide concrète. Ils croulent sous la tâche, mesurent, effarés, que ce torrent de confidences qui leur arrachent des larmes, ne révèlent que la pointe d'un iceberg de crimes contre l'enfance. Gino, Carine, Louisa et Jean-Denis participent à des débats, sont invités à des inaugurations, devraient se démultiplier pour répondre aux invitations. Le suivi du dossier de Julie et Mélissa reste leur priorité. Carine Russo, qui découvre des lettres d'enfants, des encouragements touchants, répète, comme à la conférence de presse de Liège, qu'ils veulent rendre la justice plus humaine. Ils cherchent à améliorer, avec les gens de bonne volonté qui le souhaitent, des institutions qui fonctionnent mal. Mieux traiter les victimes revient à resituer les vraies valeurs. Il faut que les institutions soient moins glaciales. Ils savent de quoi ils parlent. «Après la prise de conscience, il faudra organiser la pression» explique Gino.

- Les quatre amis soudés par le malheur sont fatigués. Ils ne cherchent pas à analyser le cours que prend leur vie, ils font face. Ils avancent, en pensant que c'est la seule manière de garder leurs enfants vivantes, dans les consciences.

C'est ce qui les sauve, alors que le travail de deuil n'est pas entamé.

Pour synthétiser le message qu'ils voudraient que la foule porte avec eux tous, les parents des enfants disparus,, dimanche, Gino tend simplement une photo de Julie et Mélissa, et on lit cette phrase dont la clarté serre le coeur:

 «Nous n'avions que huit ans et beaucoup de rêves. On croyait que la vie serait belle.......

Vous, les grands préparez nous un monde meilleur».

 Marcel Leroy

 

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DIMANCHE 22, 14 H, GARE DU NORD

 Un numéro de compte unique permet de soutenir le comité Julie et Mélissa: 240-0285928-73.

La manifestation du 20 octobre démarrera à 14 heures, à la gare du Nord, et se disloquera à la gare du Midi, après avoir suivi les grands boulevards. Répétons que les parents veulent que cette marche, par sa dignité et sa retenue, soit un signe non-violent, et d'autant plus ferme.

 

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 LA LETTRE D'UN DÉTENU:

« A MES YEUX PERSONNE NE POURRA PROUVER, MIEUX QUE VOUS, CE QUE SIGNIFIE LA  DIGNITÉ. »

 Ému par un bouquet de fleurs envoyé par les prisonniers de Lantin, au funérarium, à la veille des funérailles de Julie et Mélissa, Jean Denis Lejeune est allé à la prison, pour parler aux détenus. Il a serré la main à une délégation d'entre-eux et les a remerciés, en disant qu'il ne les confondait pas les pédophiles violeurs. Une lettre lui a ensuite été adressée de la prison de Verviers. Pour le papa de Julie, ce texte est d'un grand réconfort.

En voici un large extrait, parce que ce message reflète ce que tant de Belges voudraient exprimer...

«Votre démarche auprès des détenus de Lantin est pour moi (j'ai 45 ans) lé geste de plus touchant rencontré dans ma vie. Je ne suis pas certain de voir une autre personne aussi «noble» que vous sur les années qu'il me reste à vivre. Je n'avais pas de mots pour qualifier les actes de ces individus. Je n'en ai pas plus pour vous remercier de m'avoir montré que certains êtres humains sont merveilleux et rehaussent à eux seuls la race dont j'ai parfois honte de faire partie.

Je ne suis pas mieux que quiconque, je suis en prison pour payer des coups de canif à la morale, mais c'est vous et votre grandeur d'âme qui me font ressentir combien je suis petit et commun.

Vous êtes à mes yeux, Monsieur, ce qui devrait culpabiliser à jamais les pauvres et simples humains que nous sommes, avec nos défauts et parfois certaines qualités. Personne ne pourra me donner de plus grande leçon de savoir-vivre. Je suis détenu et je sais ce que pensent les uns, victimes de petits méfaits et les autres, victimes de plus grandes pertes, et je ne leur ferai jamais aucun reproche. Ils ont raison, je me mets à leur place (sérieuse ambiguïté) et je reste convaincu que tous autant que nous sommes (détenus) nous avons nos victimes et «nos» gens qui nous en veulent et en veulent à tous les détenus sans aucun discernement. Tous dans le même sac. Vous qui avez connu le drame le plus cruel, le plus inacceptable, même par nous, Vous,vous donnez au monde entier, seul, la preuve de la nécessité d'exister en tant qu'être humain, rien que pour vous faire honneur. A mes yeux, Monsieur, personne ne pourra prouver, mieux que vous, ce que signifie la dignité. J'ai fait des années de prison et je n'ai jamais rencontré que la misère humaine en dedans comme en dehors, des mesquineries, des bassesses. Des personnes qui fuient leurs responsabilités. Un système déviant, dévié, et moi-même qui ne suis pas des plus acceptables au sein d'une société dont je n'apprécie pas tous les agréments. A qui la faute? Là n'est pas la question.

Je viens de me réconcilier avec l'être humain. Votre geste, votre désarroi, votre courage (il en fallait pour braver tous les bien-pensants qui nous mettent tous dans la même auge), me font un bien énorme. Merci.

Pierre, un détenu de Verviers.

 

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VISAGES

Les visages des parents de Julie et Métissa (la photo: à gauche, les Lejeune, à droite, les Russo) disent le calvaire qu'ils ont enduré depuis le jour de la disparition de leurs fillettes.

Le living-room des Lejeune est devenu leur quartier général. Leurs destins sont désormais indissolublement liés et leur histoire est aussi devenue la nôtre.

Pour qu'elles ne soient pas mortes pour rien et pour tous les enfants de Belgique et d'ailleurs, ils iront pourtant jusqu'au bout, y compris de leurs forces.

En face, l'avocat de Dutroux, lui, met aussi toute son énergie et son talent à défendre un client difficilement défendable, utilisant la loi au maximum.

PORTAITS

Chaque jour, une vraie marée de courrier arrive chez les parents, triée dans des caisses, nécessitant un travail et une attention de tous les instants.

Parmi les envois, beaucoup de portraits de Julie et Métissa, certains naïfs, d'autres très professionnels, tous touchants. Comme les avis de recherche des disparues toujours affichés aux fenêtres et que personne ne se résigne à enlever.

 

La veillée d’arme des parents de Julie et Mélissa («Soir illustré»16 octobre 1996 pg 30 et 31)


Avant la marche de dimanche prochain à Bruxelles

 La veillée d’arme des parents de Julie et Mélissa

 « Soir illustré » du mercredi 16 octobre 1996 page 30  et 31 

 Dimanche, avec tous les parents qui ont lancé l'appel pour une marche de la vérité, silencieuse et digne, les Lejeune et les Russo poursuivront le combat entamé le 24 juin 1995.

Pour tous les Belges, dont la confiance est ébranlée par l'affaire Dutroux, ces parents sont devenus des modèles et des symboles. Veillée d'armes en leur compagnie.

- Jean-Denis Lejeune a construit sa maison avec l'aide de son père. A la limite de Flémalle et de Grâce-Hollogne, cette demeure taillée pour un bonheur simple, dans un quartier souriant, est à quelques minutes à pied de celle des Russo. Celle-ci se tourne vers un paysage marqué par l'autoroute de Wallonie.

Les automobilistes savent qu'ils approchent de chez Julie et Mélissa en regardant le pont qui porte leur photo. Jour après jour, depuis le 24 juin 1995, date de la disparition des petites filles, les Lejeune et les Russo se sont unis pour sauver leurs enfants, sans jamais baisser les bras.

Depuis qu'ils savent qu'elles sont mortes, ils luttent pour la vérité à propos de l’enquête, et pour sauver d'autres enfants en péril. Ils ont aussitôt suivi Marie-Noëlle Bouzet, la maman d' Élisabeth Brichet, quand elle lança l'idée de la marche qui se déroulera à Bruxelles le dimanche 20 octobre.

Les familles Benaïssa et Marchal ont signé avec eux un communique explicatif. Ils demandent aux Belges de marcher, en silence, sans calicots, en arborant des signes de couleur blanche, pour une démonstration populaire, pacifique et digne de leur solidarité avec tous les enfants. Ils veulent rappeler que le 25 novembre 1991, en signant les 54 articles de la Convention internationale des droits de l'enfant, la Belgique s'est engagée à protéger les enfants contre toutes les formes d'exploitation et de violences sexuelles et à prendre toutes les mesures pour empêcher l'enlèvement, la vente ou la traite des enfants.

Pour ces parents dont la dignité impressionne, toute revendication politique doit être exclue, pour empêcher les dérives. Si le blanc est leur symbole, c'est parce qu'ils veulent défendre sans violence l'enfance trahie.

RETOUR DE WASHINGTON

Jean-Denis et Louisa Lejeune reviennent de Washington, où ils ont visité le National Center for Missing and exploited children.

Les 17.650 corps de police des USA sont raccordés à ce bureau équipé d'ordinateurs, où l'alerte est déclenchée avec un maximum d'efficacité, très rapidement.

Des fonds publics et privés permettent d'assurer ce service que les Lejeune voudraient voir lancer en Europe: de Grâce-Hollogne, il faut 20 minutes pour passer en Hollande!

«A un moment, je me sentais tout perdu. Je me demandais ce que nous faisions là, nous deux, en Amérique. J'ai compris comme notre vie avait été déviée de sa trajectoire. Des gens nous parlent de notre dignité, de notre courage. Moi je ne sais pas. je suis un ouvrier, j'agis comme on me l'a appris. Ce que je sais, c'est que nous n'avons jamais abandonné notre recherche pour la vérité de Julie et Mélissa, même pas devant le Roi. Des gens viennent à nous, nous envoient des lettres, se confient. On ne les a jamais vraiment écoutés, avant ce que nous avons enduré. Ils nous font confiance. Nous voulons les aider. C'est ce qui me permet de tenir.

Moi, je suis malade à vie. Avec l'asbl, nous ferons ce que nous pourrons pour aider les autres.

Nous sommes bien entourés, par des amis de confiance».

- Carrossier dans un garage de la région liégeoise, Jean-Denis ne parvient plus à fixer son attention sur une griffe dans une carrosserie.

Tout lui paraît dérisoire, face à la mort de sa fille. Il ne juge pas ceux qui aiment leur voiture, il les comprend.

Il n'est plus de leur monde.

Ce sentiment est dur à encaisser. Jouer au tennis, aller au cinéma? Fini. Plusieurs fois par jour, le père de Julie se rend au cimetière. Il y va parfois en pleine nuit, avec une lampe de poche. Parfois, il tente de regarder un match de foot à la télé, mais, sur l'écran, il ne voit que sa petite. Sauver d'autres enfants en travaillant dans un comité portant le nom des disparues est la seule manière de résister à ce qu'ils endurent, à chaque instant, quand les autres pensent à autre chose.

 

 

Avec vous pour nos enfants, jusqu’au bout !(«Soir illustré»16octobre1996)


Avec vous pour nos enfants, jusqu’au bout !

 

« UNE » du « Soir illustré » du mercredi 16 octobre 1996

 

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