lundi 16 mars 2009

Charles Picqué («Wallonie» 21 octobre 1996 pg 9)


Charles Picqué

Ministre-président de la Région de Bruxelles-Capitale, Ministre de la Culture de la Communauté française

« La Wallonie » du lundi 21 octobre 1996 page 9

Entretien: Erik Rydberg et Jean-Pierre Désiron

Photos: Alain Boos

Plus encore que par la passion qu'il voue à la Butte et à tous ceux qui courent derrière la gloire passée du football saint-gillois, Charles Picqué puise sans doute les racines de son fédéralisme d'union dans son itinéraire personnel.

Un père flamand et une mère wallonne, un environnement familial et culturel - collège puis UCL - catholique alors qu'il est agnostique l'ont placé au croisement de différentes influences. Peut-être pourrait-on dire au carrefour d'une certaine belgitude.

Bourgmestre de Saint-Gilles depuis plus de 20 ans, ministre-président du gouvernement bruxellois depuis septans - sept années qui paraissent plus ou moins longue au gré des rodomontades de son nouveau partenaire Hasquin -, Charles Picqué, qui colle décidément aux évolutions institutionnelles, a ajouté à son chapeau, depuis les dernières élections législatives, la plume de la culture en Communauté française.

Par rapport à certains de ses prédécesseurs à cette fonction, s'il ne dispose pas de moyens financiers supplémentaires - or le nerf de la guerre, même culturelle, c'est l’argent.  Picqué peut néanmoins compter sur un avantage non négligeable : sa curiosité. Ce qui fait de cet économiste un grand lecteur il avoue ou revendique, c'est selon, un livre tous les deux jours -; de cet amateur de cinéma, avec un penchant pour le cinéma fantastique, un fana du ballon rond; de ce citadin professionnel, un rural éclairé à qui on ne la fera pas sur telle ou telle essence... végétale et surtout pas sur la... culture du lavatera, dit aussi faux hibiscus.

L'éclectisme, constitue pour lui, la meilleure façon de garder un équilibre que la vie politique, si elle ne sort pas cénacles, peut mettre à mal.

Picqué rêvait d'entomologie : en lieu et place d'insectes, il observe les hommes. Le grand Charles hexagonal disait de ses compatriotes qu'ils étaient des veaux. Le grand Charles bruxellois regarde ses contemporains avec plus d'humanité. Un mot qui lui va bien.

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Se réconcilier avec l’État

« La Wallonie » du lundi 21 octobre 1996 page 9

- La confiance en les institutions vacille; certains évoquent mime une crise de régime. N'est-ce pas somme toute la conséquence logique du dépeçage de l'État réalisé depuis nombre d'années?

Le citoyen entend être rassuré et attend du pouvoir et des services publics de l'efficacité. Et, sans tomber dans de l'idéologie facile, je dis que nous sommes dans une époque où nous avons plus que jamais besoin de la puissance publique alors que, dans le même temps, elle n'a jamais été autant contestée par un individualisme forcené, par le désintérêt des valeurs collectives et de manière générale par une sorte d'hostilité à l'égard de la contrainte et du devoir civiques. Si on ne recrédibilise pas plus la puissance publique - et elle ne résume pas uniquement un palais judiciaire -, le désaveu des citoyens continuera à s'alimenter, affaiblissant un pouvoir jugé inapte à répondre aux aspirations et aux angoisses des gens. Nous sommes alors dans un cercle vicieux qui est tout à fait dangereux parce qu'il conduit à une crise de régime.

Ce cercle vicieux n'a-t-il pas été alimenté par les politiques eux-mêmes qui n'ont cessé de s'inscrire dans le moins d'État ?

Dans cette idéologie ambiante du moins d'Etat, on finit par atomiser le corps social: le citoyen n'a plus le sentiment de l'utilité de l'État. Puis il y a l'effet amplificateur qui alimente l'idée qu'il faut moins d'état puisque l'état est impuissant. A un moment donné il faut pouvoir dire - ce que j'assume pleinement comme social-démocrate - que nos sociétés modernes doivent se réconcilier avec la notion de puissance publique et avec la notion d'État. Et cela vaut tant pour le rôle de régulateur économique que pour le rôle éducatif et même pour le rôle de contrôle des médias sans, évidemment, porter atteinte à la liberté de la presse.

- Cette « révolution sociale-démocrate» appelle des changements de comportement chez tout le monde, y compris et peut-être même surtout chez les politiques?

C'est une révolution des rapports entre le pouvoir et le citoyen. Le politique a aussi péché. Qu'a-t-il choisi comme stratégie de communication ? Je dois raccourcir mon message - il doit prendre peu de temps - et il faut que je le simplifie à l'extrême pour qu'il puisse être ou compréhensible ou capable d'accrocher l'intérêt.

Et là aussi c'est un cercle vicieux. Parce que plus l'homme politique se contente de montrer sa tête sur des 20 m2, plus il se satisfait de spots télévisés où il bombarde d'images au détriment des mots, plus il recherche le coup médiatique facile à comprendre et plus il participe à cela. Il ne fait que s'adapter. L'homme politique est très suiviste en matière de communication: dans la frénésie du temps qui passe, dans l'encombrement des messages adressés au citoyen, il lui fallait adopter la rhétorique du raccourci.

C'est d'ailleurs très significatif aujourd'hui que l'appréciation du citoyen sur l'homme politique se réduit parfois à des expressions du type « il a l'air sympa », « il a l'air honnête » , « il est gentil avec les gens ».

Moi qui suis un homme politique qui a eu de bons succès électoraux, je peux en parler à mon aise: je sais très bien qu'il y a une dimension très affective dans les choix des hommes politiques.

Nous revoilà en plein péril de l'émotion?

Trop peu d'émotion est inquiétant. Parce qu'alors nous sommes devant une population de poissons froids. Mais trop d'émotion finit par rendre l'analyse et l'émotion absentes. Aujourd'hui, en Belgique, on dit que les citoyens ont les hommes politiques qu'ils méritent. Mais les hommes politiques ont les citoyens qu'ils façonnent quelque part. Il faut sortir de cette dichotomie schizophrénique décideurs-population qui consiste à dire que les hommes politiques sont la cause de tous les maux.

On oublie l'essence même de la démocratie: les politiques sont les élus du peuple et les représentants de la population. On rentre dans un mur si on consacre le principe d'une société de décideurs et de dirigeants et une société de gens qui subissent les décisions et les résultats. C'est pourquoi je n'aime pas l'expression de « société civile » parce que cela veut dire qu'il y a rupture avec la société politique.

- Et pour éviter le mur?

Il faut revivifier les partis, la pratique militante, l'intérêt politique des citoyens à la base: on ne peut pas faire l'économie aujourd'hui de ce genre de réflexion sur le fossé qui s'est amplifié entre le citoyen et l'homme politique. Il faut en étudier les raisons. A moins bien sûr de considérer que le système de représentation est un mauvais système. On accrédite alors des thèses aussi dangereuses que celle selon laquelle nos sociétés modernes s'accommodent mal des régimes démocratiques. Cela pourrait donner des idées à certains qui prendraient appui sur les dysfonctionnements de la démocratie pour en nier l'utilité et la vertu. C'est le discours de l'extrême droite qui prône plusieurs thèses: le leader éclairé, l'oligarchie dominante, le fractionnement clanique de la société, le far west individualiste. Tout est alors possible.

- Relancer le militantisme, c'est le but avoué du congrès du prochain congrès du PS bruxellois. Vous en attendez quoi ?

Qu'au-delà de la réflexion, cela débouche sur une nouvelle pratique, une meilleure transparence du fonctionnement de l'appareil.

- C'est le sens de la proposition d'instauration d'un cadastre des mandats?

C'est un aspect du problème mais plus important consiste à évacuer l'image d'un appareil où sont confinés un certain nombre de débats insuffisamment relayés vers la base. Le débat avec les militants de base suppose des efforts pédagogiques.

- Vous avez des propositions concrètes?

Nous devons privilégier une catégorie d'élus qui sont pour moi les meilleurs garants de la démocratie: les élus locaux. Que le parti subordonne la promotion d'un militant, dans les cabinets ministériels par exemple, à sa présence sur le terrain. Nos congrès deviennent de plus en plus des réunions d'experts, d'employés et de mandataires et les militants y sont de moins en moins nombreux.

- On veut renouer avec la base mais on voue aux gémonies les soirées boudin...J'en assez des procès en populisme. J'en assez des procès faits aux kermesses au boudin. II ne faut pas diaboliser ce genre de choses: le parti doit garder le contact avec les gens qu'il veut former et informer. On ne peut avoir un parti divisé en deux: une élite intellectuelle d'une part et des militants sans considération d'autre part. Si le PS perd son essence populaire, il perd son âme et sa vocation à mobiliser les gens autour de ses valeurs.

- Où est le point d'équilibre du mandataire?

Les gens ne se rendent pas compte que l'étude des dossiers est à ce point exigeante, sur le plan technologique notamment, qu'il faudrait rester 24 heures sur 24 dans son bureau. Or l'éclectisme veut qu'on aille aussi au football, qu'on mange aussi des escargots sur un marché alors qu'il faut par exemple négocier des implantations européennes à Bruxelles. Et c'est très bien ainsi. La vie politique est psycho-pathogène.

Il ne faut pas perdre le sens et la réalité des choses. Il ne faut surtout pas rompre le lien avec les gens.

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Crier son désarroi ne suffit pas

 

« La Wallonie » du lundi 21 octobre 1996 page 9

 

- Les manifestations ne cessent de se multiplier contre le dessaisissement du juge Connerotte,quel regard portez-vous sur ces réactions?

Je ne crois pas qu'il faut voir dans le climat général uniquement des sources d'inquiétude. Il me paraît assez légitime que l'opinion publique manifeste à un moment donné, surtout quand l'affaire renvois à un aspect très émotif. Il y a là, déjà, une manifestation positive: c'est que nous ne sommes pas un peuple d'indifférents et qu'il reste, dans la population, une grande capacité à s'indigner et à s'émouvoir. Et qui va s'en plaindre ?

Cela dit, on ne peut pas laisser le champ exclusivement à l'émotivité.

Entre manifestation positive et trop plein d'affectivité, la marge est étroite...

Le climat actuel peut engendrer des choses positives pour autant que la population soit soucieuse de procéder à une véritable analyse des dysfonctionnements et des problèmes de société qui sont derrière les affaires. Cela implique un souci de l'écoute quant aux explications, aux justifications, aux analyses: il ne suffit pas de crier son désarroi, il faut aussi s'employer à écouter, à rechercher l'information, à confronter les idées et à éviter une forme de diabolisation suicidaire du pouvoir ou de tout ce qui tourne autour de lui. Le sursaut des citoyens doit s'inscrire dans le souci de valoriser pleinement la citoyenneté.

- Et le renforcement de la citoyenneté par le politique?

Pour transformer le désarroi en positivité, pour le rendre porteur d'espoir, le pouvoir doit avoir le souci de communiquer, il doit procéder à son autocritique, il doit lancer un message clair à la population pour lui rendre confiance.

Car nous vivons une énorme crise de confiance qui a pour cibles la justice et le pouvoir politique. Mais derrière toute cette détresse, il y a un gros problème existentiel de la société belge qui se trouve devant des défis économiques qu'on explique mal, devant le sentiment d'impuissance des dirigeants, devant les déchirements institutionnels et devant la conviction, à juste titre, qu'on ne va pas au bout des affaires.

- Vous confirmez: on ne va pas au bout de certaines affaires?

On a trop le sentiment que, dans des dossiers comme l'assassinat d'André Cools, les tueries du Brabant, Agusta, les obus de Jersey, les plans de secteur flamands et d'autres encore, on aboutit rarement à une conclusion. L'affaire Inusop est intéressante à cet égard car, quelle que soit l'appréciation que l'on peut avoir sur la culpabilité des uns et des autres et sur la valeur du jugement rendu, c'est une affaire qui a abouti.

Mais un pays démocratique peut-il vivre avec des assassinats sans mobile, en bande, avec la violence que l'on sait comme ceux perpétrés par les tueurs du Brabant sans que l'on ne puisse dégager des pistes vraiment solides?

Cette affaire est emblématique car, à part certaines dictatures ou des assassinats politiques comme celui d'Olof Palme, peu de démocraties peuvent ainsi gommer de leur mémoire quelque chose dont nous savons bien qu'il était révélateur de choses secrètes et souterraines qui gangrènent la démocratie.

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Culture de société, société de culture

« La Wallonie » du lundi 21 octobre 1996 page 9

« …Quand on gère un parti politique, il faut considérer que les gens puissent venir à vous mais accepter aussi que leur fidélisation n'est pas acquise pour toujours et qu'elle ne doit pas passer par un rituel d'appartenance aussi contraignant qu'il l'a parfois été…. »

« ….Attention qu'une communauté comme la Wallonie et Bruxelles ne finisse par se « racrapoter » sur un esprit de terroir qui nous condamnerait….. »

- L'affaire Dutroux révèle, à tout le moins, une crise de société. La société dont rêve Charles Picqué répondrait à quels critères?

Il faut une société qui assure aux gens un épanouissement personnel, une capacité critique, un goût de la curiosité parce que c'est cela qui peut donner une culture de la société. Une société de la culture donne une culture de la société parce qu'alors les gens sont équipés, armés pour réfléchir aux problèmes de notre temps, pour se situer dans le monde moderne. Mais il y a aujourd'hui un côté « enfantilisant » dans la manière dont on sollicite l'intérêt des gens.

Et s'il ne faut pas les bombarder de débats trop techniques ni prendre le choix d'un langage incompréhensible, je reste persuadé que ce vecteur de l'information capital qu'est la presse doit prendre aussi la dimension de son rôle essentiel. Aujourd'hui, la voie de la facilité prédomine. La dictature de l'audimat et du lectorat domine le champ des médias.

Les médias responsables, ce n'est pas une manière pour les politiques de refiler la patate chaude à d'autres?

Je ne peux manquer de m'interroger sur l'immaturité de certains médias qui eux aussi sont tombés dans le piège de l'émotion, de l'image choc, du raccourci d'analyse. Il n'est plus possible aujourd'hui d'introspecter une société sans aussi parler du rôle de certains médias.

- Mais encore?

Nous sommes menacés par le défaut de communication, par la crise de la formation et de l'éducation, par la déresponsabilisation parentale, par la complexité technocratique, par la mondialisation qui donne aux citoyens le sentiment que les politiques proches d'eux n'ont plus un pouvoir significatif pour influer sur le cours de choses. Les remèdes à ces problèmes ne peuvent être apportés sans que les citoyens se mobilisent pour participer à l'analyse et a la recherche de solutions, sans que le pouvoir public prenne la mesure d e la crise, sans que l'on renoue le lien social sur base des deux piliers qui fondent le rapport des gens entre eux: la solidarité et la connaissance, c'est-à-dire la culture. La connaissance et la culture sont d'autant plus intéressantes qu'elles constituent des antidotes évidents à l'égoïsme, et l'intolérance et au fanatisme.

- C'est l'appel au grand remue méninges. Encore faut-il trouver l'espace où installer ce débat d'idées?

Il faut qu'on fasse u n effort. On peut déjà profiter des espaces existants où le lien social existe encore: l'école, l'entreprise, la commune, le quartier, le tissu associatif, le syndicat...

- les partis politiques?

Oui, les partis politiques à la condition qu'ils ne tournent pas sur eux-mêmes et qu'ils fassent un effort d'ouverture en poussant à de nouvelles adhésions. Quand on gère un parti politique, il faut considérer que les gens puissent venir à vous mais accepter aussi que leur fidélisation n'est pas acquise pour toujours et qu'elle ne doit pas passer par un rituel d'appartenance aussi contraignant qu'il l'a parfois été. Les partis politiques doivent de plus en plus tenir des assemblées ouvertes, des réunions en dehors du cercle de militants classiques. Pour partie de leurs activités, ils doivent devenir des agoras de rencontre avec les citoyens, ce qui n'est pas tout à fait le cas aujourd'hui puisqu'on voit très bien que les partis politiques adopte des positions très défensives. Chaque fois que nous avons une communauté d'hommes et de femmes, il faut s'employer à provoquer le débat. C'est finalement ça la redynamisation du lien social. C'est un peu une révolution de notre pratique à tous.

Les magistrats peuvent aussi descendre dans la rue et participer au débat.

A vous entendre, on se sauve tous ensemble ou personne ne se sauve?

Quelque part oui. Il n'y a d'issue pour la société démocratique de l'an 2000 que dans une grande mobilisation. Et ce qui manque le plus pour redynamiser le lien social, c'est, outre le débat d'idées, un projet mobilisateur. Il faut aux peuples, aux nations et aux communautés des projets. Pas seulement pour taire rêver, parce que ça pourrait être pernicieux.

Mais pour qu'il y ait le sentiment de l'existence d'un destin commun ou la perspective d'un destin commun.

- Wallons et Bruxellois ont un destin commun?

Un beau destin commun serait de s'affirmer la scène internationale, se tourner davantage vers le monde en profitant de la vitrine internationale qu'est Bruxelles pour conquérir des marchés économiques mais aussi pour s'affirmer dans le champ culturel grâce à nos créateurs. Attention qu'une communauté comme la Wallonie et Bruxelles ne finisse par se « racrapoter » sur un esprit de terroir qui nous condamnerait.

- La culture, pour le ministre qui en est titulaire, c'est quoi?

Ce qui m'excite dans la culture, c'est bien sûr de préserver les grands équipements, les grands événements indispensables. Mais il est tout aussi important de se rapprocher le plus possible des populations qui ne sont pas traditionnellement utilisatrices des grands outils culturels. Il faut faire pénétrer la culture dans les quartiers, les familles. Un gros effort a déjà été engagé. Pour aider et moderniser les bibliothèques publiques,pour les faire travailler vers des publics cibles; pour donner plus de moyens aux centres culturels, pour pousser à l'itinérance des événements culturels.

Pour essayer aussi d'immergé, mais il faut des années et peut être d'autres moyens, la population dans une ambiance plus gratifiante, où la culture est plus accessible.

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La modernité sociale-démocrate

« La Wallonie » du lundi 21 octobre 1996 page 9

- Étant donné sa structure politique, la Belgique s'est fait une spécialité du compromis,

Cette nécessité de compromis n'a-t-elle pas conduit à un dommageable gommage des différences et à la mise entre parenthèses des valeurs auxquelles beaucoup veulent retourner?

 

Ce n'est pas la fin de l'Histoire. Il y a encore des courants d'opinions,des sensibilités très différentes dans la manière de concevoir le rapport entre les hommes et le rapport de l'homme à la société.

C'est pourquoi il faut considérer qu'un des pièges les plus grossiers, qu'un des perversités les plus dangereuses c'est le fameux spectre de la pensée unique. Il n'y a pas de pensée unique. C'est assez étonnant d'entendre que nous vivons sous la dictature de la pensée unique alors que, dans le même temps, on voit resurgir les spectres fascistes, les dangers des fanatismes religieux, le nationalisme le plus étroit.

- Et la pensée socialiste dans ce contexte?

Un des problèmes des socialistes n'a-t-il pas été, très longtemps, de trop circonscrire le débat d'idées aux rapports productivistes. Lors de mes premiers pas dans le parti et dans le monde socialistes moi qui ai été élevé dans un monde plutôt catholique, j'y ai constaté beaucoup trop – et c'est assez logique puisque nous sommes tous un peu dans la gauche les enfants de la pensée marxiste - de rapports à l'économique.

Or aujourd'hui, nous constatons bien qu'une société ne se gère pas seulement sur fond de rapports économiques et marchands. La gauche, peut-être en Belgique plus qu'ailleurs, ne s'est pas suffisamment intéressée par certaines choses.

Il y a eu une insuffisance par rapport au débat sur la culture, au mouvement associatif, au patrimoine et à l'esthétique urbaine, aux problèmes de famille, à l'écologie. Je pense que la modernité de la social-démocratie est de dire que plus que jamais sans doute l'économie nous impose ses logiques et que le bonheur de l'homme passe évidemment par la satisfaction de toute une série de besoins matériels légitimes mais qu'il y a d'autres aspirations. Attention de ne pas devenir nous-mêmes des escalves de logiques productivistes et exclusivement économistes. Et cela d'autant plus qu'on sait bien que les leviers de l'économie mondiale nous échappent. Une fuite en avant dans le bonheur matérialiste est non seulement une erreur en période de haute conjecture mais certainement une chimère en période de crise sociale.

Marx mais pas que Marx?

- Il y a des solidarités nouvel les que nous devons intégrer.Il n'y a toutefois pas la moindre hésitation: l'emploi et la sécurité sociale restent les piliers forts de mon engagement. Mais à coté de cela n'oublions la culture, la formation du citoyen, l'environnement.

S'il faut en revenir aux valeurs, sans qu'on ne sache toujours très bien ce que cela recouvre, ce sont des valeurs réactualisées?

- Bien sûr tout en se disant bien que l'enjeu majeur de la gauche aujourd'hui est la réactivation des valeurs collectives et communautaires. Ces valeurs ne se réduisent pas à la seule satisfaction d'une meilleure redistribution de la richesse: c'est le socle des valeurs collectives et communautaires puisque c'est le principe même de la solidarité qui est inscrit dans cette meilleure redistribution des richesses. Mais à côte de cela, l'homme est à la recherche d'autres natures aussi.

- Vous vous revendiquez social-démocrate, d'autres socialistes. C'est la querelle des anciens et des modernes?

Il y a des histoires différentes, des références différentes mais, aujourd'hui dans le parti socialiste, il y a une communauté d'idées en ce qui concerne le refus de la logique économique égoïste. On ne peut pas nier les bagarres de tranchée de nos ministres fédéraux ces dernières semaines: elles montrent bien que cette communauté d'idées reste forte même si chacun aborde les difficultés avec des sensibilités différentes.

- Il n'y a donc pas de ligne de démarcation?

Les choses évoluent. Busquin est un type intéressant à cet égard car c'est quelqu'un de très attentif aux petits leviers du changement de la vie.

- A propos de Busquin, votre discours, c'est celui d'un futur président?

Mais je suis président, de la Région bruxelloise.

- Et la présidence du parti,vous y aviez déjà pensé?

Non. Vous savez, je ne suis pas un homme d'appareil. Ce qui est important pour un homme politique, c'est d'avoir la maîtrise de son action et de respecter des principes. A Bruxelles, exemple même de la fracture sociale, ce qui me motive, c'est de pouvoir développer un projet de ville en aidant par exemple les communes et les quartiers les plus défavorisés, en développant les programmes de logements sociaux et d'insertion professionnelle, en appuyant l'associatif.

- Avoir des principes, c'est la qualité première d'un homme politique?

Quand on fait de la politique, il faut des principes pour d'évidentes raisons morales. Il faut aussi de l'instinct... pour d'aussi évidentes raisons de survie.

 

 

 

 

 

 

 

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