Le cri de colère d’un membre de l’état-major de la gendarmerie(« Télé Moustique » du jeudi 10 octobre 1996 pages 24 à 26)
Le cri de colère d’un membre de l’état-major de la gendarmerie
Du jamais vu. Malheureusement, ce déploiement technologique et humain presque unique dans les annales judiciaires camoufle un passif gênant fait d'incompétences, d'attitudes bureaucratiques et d'indifférence. Le membre de l'état-major qui s'était confié à Télé Moustique la semaine dernière poursuit sa confession alors qu'entre-temps deux parlementaires, Vincent Decroly et Olivier Deleuze d'Ecolo, ont témoigné publiquement dans un communiqué à la presse de la « crédibilité », de la « fiabilité » et de « l'intégrité » de notre témoin qu'ils connaissent.
Le gendarme de l'état-major. - Que cela ne Fonctionne pas très bien, en effet. Mais il n'y a rien d'étonnant à cela ! Jusqu'il y a peu, les disparitions d'enfants n'étaient pas une priorité. Le bras armé de la loi s'est toujours concentré, par tradition, sur la lutte contre les infractions visant les biens et la propriété plutôt que celles visant I'intégrité des êtres humains. Aujourd'hui, on amorce un virage sellé. Sans doute parce que les enlèvements d'enfant déstabilisent toute la société.
- C'est vrai. Mais lorsqu'on regarde les choses de plus près, ce n'est plus si positif que cela!
Un peu d'histoire, si vous le voulez bien: en 1993, une poignée d'hommes venus de différents services furent désignés pour constituer une cellule « Criminalité contre les personnes ».
Ils étaient installés rue Fritz Toussaint dons les locaux du BCR (Bureau central de recherche) au 5e étage. C'était dans une pièce de
- Ils devaient récupérer les procès-verbaux et centraliser toutes les données en vue de fournir un appui informationnel aux unités sur le terrain, principalement
- Voilà, on y est. Dons le contexte de l'affaire « Julie et Mélissa », le ministre décide en septembre 1995 de mettre en place un service central chargé de traiter la problématique disparitions. Et donc il demande au commandement de gendarmerie de créer au sein du BCR une "cellule nationale des disparitions" qui aura des tâches de coordination, de soutien et d'expertises au profit de tous les services de polices belges (en ce compris
Cette cellule, selon le souhait du ministre, se compose d'un officier, d'un sous-officier supérieur et de trois sous-officiers. Suite aux événements, deux sous-officiers francophones sont venus renforcer l'effectif.
- Dans la réalité, l'officier du BCR adjoint, le major D., a déboulé un jour dans le bureau de la cellule "Crime contre les personnes" et a désigné d'office six sous-officiers pour Former la nouvelle « cellule Disparitions ».
Soit un francophone et cinq néerlandophones. On s'est contenté de leur dire simplement qu'ils faisaient désormais partie I la nouvelle « cellule Disparitions ». Ils attendront quelques semaines avant de changer de locaux et émigreront au 2e étage du même immeuble qui leur offrira deux bureaux au lieu d'un et même, quel luxe, plusieurs PC ! D'un coup, ces six gendarmes sans expérience spécifique devront se coltiner une masse de travail invraisemblable: 317 dossiers de disparitions diverses et inquiétantes de septembre 1995 à fin juillet 1996. Le seul francophone était encore plus débordé puisqu'il devait traiter environ 40 à 50 % de cette masse d'informations, soit environ 150 dossiers ! Comment pouvait-il faire, le pauvre homme?
Les néerlandophones Fournissaient quand ils le pouvaient un coup de main mais ceux-ci ne sont pas parfaitement bilingues. Or, la sensibilité de la langue est un facteur capital lorsqu'on traite des procès verbaux et des informations sensibles. Malgré leur bonne volonté, l'efficacité du travail et les résultats s'en sont immédiatement ressentis.
- Exactement. Pourtant, on pouvait très bien s'inspirer de l'expérience d'autres pays. Mais voilà, aucun ordre précis, aucun conseil de la haute hiérarchie n'allait en ce sens. Ils étaient donc perdus et se sont débrouillés vaille que vaille.
Exemple qui est toujours d'actualité: lorsqu'un des "experts" de la cellule est avisé par un service d'une disparition, il arrive dare-dare sur les lieux avec l'étiquette du "spécialiste". Mais sur place, il doit se contenter de faire le même travail que les autres collègues: un coup de pelle par-ci, un coup de main par là sans trop savon ce qu'il doit exactement faire pour se rendre utile. Est-ce bien là la tâche d'un membre d'une cellule nationale qui doit coordonner les informations et orienter les enquêteurs de terrain?
- C'est vrai. La routine de la cellule a brutalement pris un énorme coup d'accélérateur. La découverte de Sabine et laetitia, des repaires de Dutroux, des corps de Julie et Mélissa ont focalisé l'attention du public, des médias et enfin de l'état-major sur l'activité de ces « spécialistes ».
Le francophone qui demandait désespérément du renfort a enfin été entendu. L'homme n'a reçu malheureusement que deux jeunes recrues fraîchement sorties de l'école et nouvellement versées a la réserve générale (ARG). Donc, sans vouloir blâmer ces hommes, il s'agit de gendarmes sans expérience au niveau judiciaire, sans pratique du terrain, sans l'expérience psychologique nécessaire aux contacts avec les familles des disparus.
Et aujourd'hui, jusqu'à preuve du contraire, l'effectif et les compétences sont toujours les mêmes.
- A mon avis, la méthode de travail de la cellule, nous devrons attendre une dizaine d'années avant que cette cellule « autodidacte » soit vraiment opérationnelle.
Dès lors, je pose deux questions: que tait l'état-major avec les priorités urgentes définies par le ministre? Que fait le ministre lui même?
- Je rappellerai d'abord ce que tout le monde sait: dès 1993, la brigade de gendarmerie de Charleroi est avisée par un informateur du profil du personnage: il aménagerait ses caves en cellules afin d'y cacher des mineurs d'âge avant de les envoyer vers l'étranger et il les marchanderait a
A savoir: des antécédents spécifiques (NDLR: une condamnation par la cour d'appel de Mons le 26 avril
1989 à 13 ans pour viols de mineurs avec séquestration illégale entre autres). Et d'autre part, un modus opérandi des enlèvements de ces enfants proches de celui observé pour Julie et Mélissa.
Sur le terrain, on constate que les perquisitions ont été bâclées et que Dutroux jouissait toujours, en toute impunité, de la liberté.
OTHELLO N’A PAS DISPARU
On précisera que ce communiqué a été publié avant la parution de notre article et que, prudent, le commandement de la gendarmerie avance qu'aucune pièce de l'opération "Othello" n'a été détruite. En tout cas, précise-t-il, « pour autant qu'il sache »
Les rapports Othello ont été transmis aux autorités suivantes:
1. Le Lundi 12 août 1996 après-midi, le juge d'instruction Connerotte et le procureur du Roi Bourlet et du Parquet de Neufchâteau ont reçu Othello.
2. Le Parquet de Charleroi a reçu les rapports Othello le 25 août 1995, le 1er septembre 1995, le 29 novembre 1995 et le 25 janvier 1996.
3. Le procureur général Demanet du Parquet général de Mons o fait savoir, le 21 août, au ministre de
4. Le procureur général près
5. Le vendredi 27 septembre 1996, le chef du service enquêtes du Comité P a reçu du Bureau central des recherches tous les documents du dossier Dutroux (dont les rapports Othello font partie) que le comité P juge utiles pour formuler son avis.
Suite à l'article qui paraît demain jeudi 3 octobre 1996 dans 1 hebdomadaire Télé Moustique, la gendarmerie déposera plainte contre X.
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Pour sa part, Télé Moustique est en mesure d'apporter lui aussi quelques précisions supplémentaires sur cette affaire.
Selon notre informateur privilégié:
« Entre le 16 et le 18 septembre 1996, le BCR ressemblait plus à une ruche dans laquelle on a donné un joli coup de pied qu'un outil de collecte et d'analyse de l'information appartenant à la gendarmerie. Plusieurs hommes dont un informaticien non civil ont été dévolus au "nettoyage" du service. Des informations ont été effacées purement et simplement de leur support informatique, des documents ont été passés au broyeur ou ont été ventilés, c'est-à-dire déménagés vers un lieu plus "sûr ", selon toute probabilité vers l 'ESI (Escadron spécial d'intervention)" ».
Notre source ne nous affirme pas qu'il s'agissait exclusivement d’une destruction d'informations relatives à l'opération "Othello" dans son ensemble comme l'affirme le démenti de la gendarmerie mais bien d'une destruction et d'une dissimulation de ce qui pourrait être gênant pour le BCR si un organe de contrôle venait à visiter les bureaux. Une autre pièce qui a été détruite concerne par exemple une fiche avec photo relative « à une dirigeante de
Beaucoup de questions sont ici posées qui mériteraient d'obtenir des réponses claires et définitives.
Au sein de la gendarmerie, il existe des bonnes volontés qui sont prêtes à vous aider dans le combat que vous devrez encore mener. Malheureusement, ces "bonnes volontés" ne peuvent pas se signaler nommément car elles sont contraintes aujourd'hui de se poser en critique du système et de la hiérarchie pour voir les choses changer... Ce qui comporte des risques.
Par cette lettre que je vous adresse au nom de tous ceux qui veulent chez nous plus de démocratie et de transparence, je désire souligner certains points qui sont les causes des errances des enquêtes.
Concernant la cellule Disparitions, celle-ci ne se composait que de six personnes avant la découverte de Julie et Mélissa - ils n'ont pas de qualifications ni de formations spécifiques (diplômes, formations, stages en la matière, etc.- Il n'existe pas de fichiers vraiment informatisés à disposition de la cellule, fichiers à plusieurs entrées qui permettraient de travailler sur base d'une méthode de croisements d'informations. (Exemple: un cadavre avec une phalange en moins est découvert. Par méthode de croisement informatique avec tous les P.-V encodés, on peut facilement retrouver cette personne.
Mais jusqu'à ce jour, les spécialistes travaillent manuellement et sont contraints de lire un à un des tonnes de P.-V pour vérifier et croiser les informations.) Il n'est pas normal, en outre, qu'une cellule dite nationale soit aussi déséquilibrée linguistiquement.
Restent alors certaines questions embarrassantes pour l'état-major: les enquêteurs proprement dits ont-ils étudié les antécédents de Dutroux, observé et remarqué le modus operandi particulier des enlèvements? Sinon, pourquoi? Si oui, pourquoi ces informations n'ont-elles pas été utilisées à bon escient pour pratiquer une perquisition approfondie?
Un gendarme déçu, en colère et à votre disposition !
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