lundi 10 novembre 2008

Les 2.700.000 signatures de « Marc et Corine » au Parlement (« Le Soir»10 octobre 1996 pg18)


Les 2.700.000 signatures de « Marc et Corine » au Parlement

« Le Soir » du jeudi 10 octobre 1996 page 18

Par paquets de 5.000, 10.000 et 20.000, les 2.700.000 signatures recueillies par la pétition de l'ASBL Marc et Corine, réclamant un régime transitoire de peines incompressibles pour certains criminels, sont arrivées, mercredi matin, au Parlement, convoyées par Jean-Pierre Malmendier lui même,

Le vice-président de l'association était accompagné de François Kistemann, son président, et de deux responsables d'organisations néerlandophones équivalentes. Ils ont tous été reçu  par le président de la Chambre, Raymond Langendries, et par le président de la commission des pétitions. Ces derniers auraient promis de transmettre leur message aux parlementaires pour qu'un large débat s'ouvre sur les conditions d'application des peines.

Francois Kistemann et Jean Pierre Malmendier sont les pères de Marc et de Corine, tués gratuitement pour le vol d'une voiture.

La libération anticipée de Marc Dutroux, avant que celui-ci n'enlève vraisemblablement Julie, Métissa et d'autres, a renforcé leur volonté de voir rouvrir le débat sur la libération conditionnelle.

- Des peines incompressibles de 15 ans, par exemple, explique M. Malmendier, permettraient au juge de mieux qualifier et donc de démontrer la gravité de certains faits.

On prouverait ainsi aux victimes qu'on évalue bien l'importance de ce qu'elles ont subi. Ces peines ne seraient prévues que pour les crimes crapuleux, pervers, multiples et pour les atteintes aux personnes qui ne recèleraient pas un appliquée plus justement.

- Nous ne sommes pas par principe contre la loi Lejeune (NDLR: de libération anticipée), enchaîne M. Kistemann, mais cette loi très ancienne doit être caractère passionnel, La politique de libération anticipée des détenus actuellement menée offre trop peu de garanties aux victimes, selon les responsables de l'association

Nous dénoncons l'énorme déficit des moyens qui entourent actuellement la libération conditionnelle, poursuivent MM.Malmendier et Kistemann.

Un régime transitoire de peines incompressibles donnerait le temps à la justice de mieux former les gens qui prennent en charge les détenus, une fois qu'ils ont été libérés, et de mieux détecter les individus dangereux qui risquent de récdiver. La justice doit aussi mieux déterminer le moment auquel on peut libérer un détenu, avec le soutien suffisant, sans prendre trop de risques de récidive.

Les signataires de la pétition réclament également une plus grande considération pour les victimes

Les victimes doivent être plus associées aux libérations de ceux qui leur ont nui. En être informés personnellement et obtenir des garanties pour que les condamnés ne leur portent pas, à nouveau, préjudice.

Les victimes devraient aussi pouvoir bénéficier de soins médicaux et psychologiques et d'un accompagnement judiciaire gratuits.

Les présidents des groupes politiques et des Commissions de la Chambre réunie à Val Duchesse, ont décidé hier soir d'apporter une « réponse forte » à la pétition qui gourait être examinée en séance plénière ou en

Commission de la Justice et non en Commission des pétitions, comme c'est l'habitude.

MICHELLE LAMENSCH

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Les dossiers Cools et Dutroux, objets de commissions d’enquête parlementaire

 « Le Soir » du jeudi 10 octobre 1996 page 18

Le débat sur l'enquête sur l'enquête est en principe toujours prévu à la Chambre à partir du 16 octobre.

Mais les députés ne disposent jusqu'ici que du rapport Velu (sur le parquet de Charleroi, qui doit encore être complété par le rapport Liekendael sur la cour d'appel de Mons), du rapport Thily (sur les informations fournies dans le cadre de l'instruction de Liège sur les disparitions de Julie et de Mélissa) et du rapport du procureur général de Gand Frank Schinz (sur les disparitions d'An et d'Eefje).

Le comité P (qui contrôle les services de police) n'a pas encore remis au ministre de la Justice l'avis demandé sur les rapports Velu, Thily et Schinz.

Cet avis ne devrait être déposé au plus tôt que vendredi ou lundi, avec ou sans le rapport complémentaire du procureur général de Cassation Liekendael. Ces jours-ci, à la suite de la publication de son rapport annuel dont la première mouture (amendée) de l'avant-propos ainsi que la postface ont été critiquées parce que jugées injurieuses à l'égard du Parlement comme du gouvernement, plusieurs articles de presse ont à nouveau jeté le discrédit sur le comité P, laissant même sous-entendre qu'il ne serait pas capable d'exécuter les tâches qui lui sont confiées.

Hier, au Sénat comme à la Chambre, les présidents des commissions d'accompagnement, Frank Swaelen et Robert Delathouwer, ont répondu en soulignant que rien ne permet de mettre en doute la volonté et les capacités du comité de donner au ministre un avis sur l'enquête sur l'affaire Dutroux.

Par ailleurs, un consensus s'est dégagé hier de la réunion des députés à Val Duchesse: les députés ont décidé de prendre les enquêtes en main. En créant deux commissions d'enquête sur les dysfonctionnements des enquêtes relatives à l'assassinat d'André Cools et à l'affaire Dutroux.

 La commission de la Justice devant laquelle doit avoir lieu le débat de l'enquête sur l'enquête, avant le débat sur la note dite « de consensus sur la répartition des tâches entre les services de police, ne peut en outre prendre en charge l'examen des dossiers Cools et Dutroux.

Dès ce jeudi, la conférence des présidents examinera la manière d'organiser le travail. C'est le 16 octobre, a l'issue de la réunion de la commission de la Justice de la Chambre, que sera officialisée la décision.

Comme pour l'enquête sur les tueries du Brabant wallon, les députés entendent partir d'un cas particulier pour tirer des conclusions générales et empêcher, si possible, de nouveaux incidents du même style.

Les deux commissions devraient travailler sur le dossier Cools avant les développements survenus au début de septembre et les déblocages actuels, ou dans le dossier Dutroux, avant qu'il ne soit mis à l'instruction à Neufchâteau (enquête sur Dutroux par la gendarmerie, instruction sur la disparition de Julie et Mélissa, etc.). Ce jeudi midi, les députés libéraux exposeront à Liège les raisons pour lesquelles ils ont demandé ces commissions d'enquête.

O.AI. et R. Hq.

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 La disgrâce d’un bienfaiteur de l’enfance

« Le Soir » du jeudi 10 octobre 1996 page 18

Un mythe s'effondre à Charleroi.Robert Bracq est au centre d'un scandale et entraîne dans sa chute la fondation du même nom.

Les jours de la Fondation Robert Bracq, du nom de l'ancien substitut du procureur du Roi de Charleroi, sont comptés. Début septembre déjà, le Roi lui avait retiré son haut patronage.

Pourquoi? Il s'agit d'une affaire extrêmement pénible qui met sur la scène publique un délit vieux de vingt ans.

Le baron Bracq est en effet accusé d'avoir commis des abus sexuels sur une de ses anciennes pupilles, Mme M. B., âgée aujourd'hui de près de 50 ans. Comme le constatait le procureur du Roi de Charleroi, il n'y a pas d'infraction » : les faits sont prescrits. Mais M. B, dont la vie affective et sexuelle a été brisée, a voulu obtenir une réparation morale: retirer à la fondation le nom de Bracq. Il lui semblait insupportable qu'une association qui aide les enfants en détresse porte le nom de quelqu'un qui avait abusé d'elle et sans doute d'autres jeunes filles également.

L'enfance de M. B. est terrible: placée à l'âge de neuf ans parce que ses parents la maltraitaient, elle a fait tout le parcours d'un « enfant du juge», tel qu'a pu le dénoncer Jules Brunin dans « L'Enfer des gosses » : elle fait le tour des homes de la région et est même placée à 17 ans dans un asile d'aliénés. Pendant deux ans, elle vit sous le régime des calmants et des électrochocs. A 20 ans, elle se retrouve dans un foyer familial.

C'est là qu'elle va rencontrer M. Bracq qui devient son protuteur. Et elle, deviendra son «esclave» sexuelle.

- C'est mon futur mari qui a fini par me sortir de ses griffes, explique-t-elle. La jeune femme s'est aussi confiée à la directrice d'un home de protection de la jeunesse, qui est aujourd'hui juge de la jeunesse à Charleroi.

C'est elle qui fera pression sur le substitut Bracq pour qu'il arrête ses relations avec M. B.

J'avais tellement peur d'être abandonnée, dit-elle. Qu'on me mette en prison ou en asile. Il ne me menaçait pas, mais me faisait comprendre qu'il était tout puissant.

Pendant près de 23 ans, M. B. a gardé le silence pour préserver l'avenir de ses deux enfants. Je craignais qu'en dénonçant un magistrat tellement renommé, on ne place mes enfants. Je le voyais à la télévision. J'ai vu qu'il avait été nommé baron.

Il était considéré comme un saint, et, moi, ma vie était brisée. M. B. est soignée par un psychiatre qui lui dit, un jour, qu'elle n'est pas la seule, qu'il connaît d'autres victimes du substitut. Pour moi cela été le déclic.

Ce n'était pas moi la coupable, mais lui. Je regardais des émissions sur l'abus sexuel On disait qu'il fallait parler.. .M. B. ne cherche pas à se venger. Elle veut seulement obtenir des excuses de son ancien protecteur.

Avec son thérapeute, elle va voir le baron Bracq. Il a fait semblant de ne pas me reconnaître. Puis il a menacé de me faire un procès en correctionnelle. Il m'a salie devant mon thérapeute.

M. B. en sort complètement effondrée. Après quelques mois, elle finit par prendre contact avec le délégué général aux droits de l'enfant, Claude Lelièvre, il y à un an. Qui écoute, abasourdi, son histoire.

J'ai d'abord vérifié si elle était saine d'esprit. Puis si les faits dénoncés étaient exacts. Trois thérapeutes m'ont certifié quelle était tout à fait équilibrée. Claude Lelièvre contacte le ministre de la Justice et le procureur général de Mons. L'enquête a été confiée au procureur du Roi de Charleroi, M. Marchandise. Qui recueille - entre autres - le témoignage de l'ancienne directrice de home et considère fondées les accusations de M. B.

Et même si la jeune fille était majeure au moment des faits, elle était complètement dépendante de lui sur le plan social et psychologique.

Une action disciplinaire était possible, précise le magistrat. Elle est d'ailleurs ouverte. Mais une expertise psychiatrique a conclu que M. Bracq (NDLR: très âgé et malade) ne pouvait plus être entendu de manière adéquate.

Pour M. B., la simple intervention du procureur du Roi est vécue comme une délivrance: J'étais très révoltée par le monde de la justice. Tous ces médecins, ces juges qui savaient et se sont tus...

Avec Claude Lelièvre comme médiateur, commence alors une longue négociation avec la Fondation Bracq. Le 1er avril 1996, le président de la fondation, le substitut G.-H. Simonis,finit par promettre de changer le nom de la fondation. Les semaines passent, les lettres du délégué aux droits de l'enfant restent sans réponse. Comme si la fondation misait sur le découragement de la victime.

La mort de Julie et de Métissa a joué comme un électrochoc, raconte Claude Lelièvre. Nous avons donné un ultimatum à la Fondation Bracq, pour le 30 septembre. Et, malgré les efforts de médiation de M. Marchandise, les pressions, les menaces, tant sur le délégué que sur M. B., s'accentuent encore.Leur action, dit-on, allait porter préjudice à tous les démunis de Charleroi. M. B. s'est même fait traiter de « psychopathe ».

Le 26 septembre, le conseil d'administration de la Fondation Bracq décidait de rencontrer M. B. et les médiateurs pour le mercredi 9 octobre. Mais, pour M. B, les choses étaient allées trop loin: Je veux que tout le monde sache, nous dit-elle. Et surtout les autres victimes. Quand elles se seront manifestées, je me sentirai délivrée.

MARTINE VANDEMEULEBROUCKE

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L’attentisme de la Fondation Bracq

« Le Soir » du jeudi 10 octobre 1996 page 18

Dissoudre la Fondation Bracq contre le silence de M. B. C'était un peu les termes du «deal» qui s'était conclu entre les médiateurs et la Fondation Bracq. Mais l'ambiguïté de la fondation quant à sa réelle volonté de rencontrer la demande de réparation morale et surtout le scepticisme affiché quant à la véracité des abus sexuels ont changé la donne.

Je me considère comme dégagé de ma réserve parce que la partie adverse n'a pas tenu ses engagements, expliquait, mercredi, Claude Lelièvre. Et je veux que le fils de la victime sache qu'une justice fonctionne encore. Claude Lelièvre et M. B.étaient en effet convaincus qu'à l'issue du conseil d'administration du 26 septembre, la Fondation Bracq avait accepté de disparaître. En réalité, comme nous l'ont encore rappelé mercredi, les membres de la fondation, lors d'une conférence de presse improvisée au palais de Justice de Charleroi, il s'agissait de discuter avec M. B. sur ses intentions.

Les membres du conseil d'administration de la fondation disent avoir été pris de court.

- J'ai été mis au courant des faits au début de septembre par M. Simonis, nous disait Philippe Andrianne, ancien secrétaire général d'Arc-en-ciel et membre du CA de la fondation. S'il n’y a pas d'autre alternative que de changer le nom, on le fera, mais on nous demande de réparer quelque chose, de nous ériger en juges pour des faits à propos desquels nous ne savons rien.

Comment expliquer que le conseil d'administration soit resté aussi inactif alors que son président, M. Simonis, s'était engagé, le 1er avril, à accéder à la demande de M. B.? L'information semble, et c'est un euphémisme, circuler assez mal au sein de la fondation. Ce mercredi, un membre du CA semblait encore ignorer le retrait du haut patronage royal.

Visiblement, la fondation n'est pas parvenue à oser dire l'indicible tant à ses donateurs qu'aux permanents et aux bénévoles qui travaillent dans les associations fondées par Robert Bracq.

Comment maintenir les équipes en place? Notre souci était de permettre que le travail sur le terrain continue, constate Philippe Andrianne. La zone de turbulence va être dure, mais ces associations vont continuer à vivre.

De fait, l'ASBL Arc-en-ciel semble avoir déjà tourné la page. Elle ne bénéficie (?) plus de la «présidence d'honneur» de Robert Bracq depuis quelques semaines. Officiellement, à la demande de la famille.

Pour J.-Ph. Mayence, avocat de M. B., comme pour Claude Lelièvre, il ne faut effectivement pas confondre les oeuvres du baron et la personne de Robert Bracq.

Les premières n'y peuvent rien, mais risquent de payer cash et injustement le refus obstiné d'un vieil homme et de sa famille de prononcer les mots d'excuse, quand il était encore temps.

M. Vdm.

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Robert Bracq, une double personnalité

« Le Soir » du jeudi 10 octobre 1996 page 18

Un être généreux, imaginatif, à l'enthousiasme communicatif ? Un personnage autoritaire, excessif, manoeuvrier ?

A 83 ans, Robert Bracq a toujours eu ses plus chauds partisans et ses plus rudes détracteurs au pays de Charleroi.

Les premiers n'ont jamais cessé de tarir d'éloges à son sujet; les seconds se sont toujours tus. Parce qu'on ne s'attaquait pas a une «institution» comme celle-là; parce que toute critique aurait été comprise comme une souillure à l'enfance malheureuse dont il s'était fait le porte-drapeau sinon le symbole.

Aujourd'hui encore, au palais de Justice, nombreux sont ceux qui continuent à se demander au nom de quelle protection supérieure son secrétariat bénéficie toujours (et gratuitement) de locaux qui font pourtant cruellement défaut aux institutions. Un privilège qui n'aurait été remis en cause que récemment.

SUR TOUS LES FRONTS

On a dit sa vie privée réglée comme papier à musique: couché et levé tôt, allergique à la télévision, ni loisirs ni passions, trois semaines de vacances annuelles dans sa caravane de Normandie, pas de sorties et peu de lectures si ce n'était un San Antonio à l'occasion.

On l'a vu sur tous les fronts de la mendicité, au sens noble du terme. La sébile à la main à l'occasion des opérations Arc en-ciel, aux côtés des souverains (Baudouin le fera baron en 1990), des hommes politiques de tous bords, qui ne lui ménageaient pas leur sympathie au demeurant, pendu aux basques des financiers et des industriels qui supportaient (mal) ses assauts revendicatifs.

MONSIEUR LE JUGE

Dans les homes et foyers qu'il a inaugurés à foison, on le confondait parfois dans des rôles de bâtisseur et de gardien intransigeant. Dans la rue, on saluait avec respect « le juge » qu'il n'a jamais été puisqu'il termina sa carrière comme premier substitut du procureur du Roi au parquet de la jeunesse.

Dans les mouvements de jeunesse précisément, on se flattait de pouvoir lui servir du «Serpent à coulisse», ce totem dans la peau duquel ses frères scouts l'avaient si judicieusement glissé.

Robert Bracq a bâti, nul ne le contestera. Au bénéfice de qui, c'est toute la question? Certains se souviennent bien sûr de son omniprésence sur le terrain, de ses engagements, de l'espèce de concurrence irritante qu'il a opposée aux institutions. D'autres, des mots durs et des attitudes cassantes qu'il a pu avoir en certaines circonstances, de gestes paternalistes qui ont pu blesser davantage qu'ils n'ont rassuré, de jugements irréversibles qui n'autorisaient aucun appel.

Avec en bout de course un regard figé sur un monde devenu inaccessible. Robert Bracq a-t’il finalement servi la jeunesse ou s'est il enfermé dans l'image d'un certain type de société, «sa» société, idéalisée?

Avec les faiblesses et les excès que l'une ou l'autre attitudes ont pu générer ? La réponse lui appartient.

OLIVIER COLLOT

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Quel avenir pour la Fondation Baron Bracq ?...

« Le Soir » du jeudi 10 octobre 1996 page 18

Il ne s'agit pas de remplacer M. Bracq, qui est irremplaçable. Mais, cette fondation, c'est au contraire la manière pour qu'il puisse continuer...

C'est par ces mots que Philippe Maystadt commentait, en avril 1995, la création d'une Fondation Robert Bracq («Le Soir du 7 avril 1995). En la circonstance, le ministre PSC était entouré d'autres figures politiques, comme la sénatrice libérale Jacqueline Mayence et le bourgmestre socialiste Van Cauwenberghe, qui avaient, eux aussi, accordé leur parrainage à l'initiative. Le «juge» Bracq était la, lui aussi, visiblement très affaibli, s'exprimant avec difficulté. Sa santé s'est encore beaucoup dégradée depuis lors.

Peu de temps auparavant, pourtant, il s'astreignait à garder le mode de vie épuisant qui a été le sien pendant des décennies: levé avant l'aube, couché tard le soir, honorant chaque jour son perpétuel rendez-vous avec la misère de sa région. C'est là, pendant le rigoureux hiver de 1985, qu'il a fait surgir spectaculairement le visage de la «nouvelle pauvreté» aux yeux du pays. Vingt ans après l'abbé Pierre, auquel il aime s'identifier, le magistrat émérite avait ainsi, lui aussi, lancé son appel au secours, largement répercuté par les médias. L'opération «Faim et Froid, depuis, continue à mobiliser à chaque saison hivernale les élans de la générosité publique, par des récoltes d'argent, de vivres, de vêtements, de combustibles...

Les activités caritatives de Robert Bracq datent de bien avant. Nommé substitut du procureur du Roi à Charleroi en 1947, il porte une attention toute particulière au sort des enfants placés.

En 1950, il devient président du comité de patronage des enfants moralement abandonnés.

Quatre ans plus tard, il lance l'opération Arc-en-ciel, une collecte de vivres menée a grande échelle par les mouvements de jeunesse pour offrir des vacances aux enfants des homes. Il sera, dans les années suivantes, à l'origine de la fondation de nombreuses institutions d'accueil pour enfants du juge, jeunes gens et jeunes filles en difficulté, repri de justice...

Sa mise à la retraite, en 1982, n'interrompt pas mais stimule ses multiples combats contre les situations de détresse. Chaque matin, une file de gens désespérés colonise le rez-de-chaussée du palais de Justice où, entouré d'une équipe de bénévoles et d'intervenants sociaux, l'ancien magistrat a pu conserver des bureaux.

Jusqu'au bout de ses possibilités physiques, le vieil homme a dirigé en personne les opérations sur le terrain; il ne dédaignait pas de tendre la sébile dans les rues et les supermarchés, ni d'aller solliciter la générosité des paroissiens dans les églises. Sa force de persuasion, la hauteur morale que la nature semble avoir voulu qu'il incarnât physiquement, étaient payantes. Au meilleur de sa forme, dit on, il pouvait, lui seul, recueillir une quinzaine de millions par an.

On comprend que, s'interrogeant sur l'« après-Bracq », ses proches aient conçu le projet d'une fondation. L'idée était de collecter auprès d'entreprises et de riches donateurs un capital suffisant pour assurer la pérennité des «oeuvres du juge »).

Les fonds récoltés jusqu'ici - quelque deux millions – sont loin d'atteindre le montant espéré.

Le coup porté à la réputation du grand homme compromet davantage l'avenir de la fondation.

DENIS GHESQUIÈRE

 

 

 

 

 

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