Le justicier des enfants (« Le Vif / l’Express » du vendredi 4 octobre 1996 pages 26 et 27)
Le justicier des enfants
Celle, aussi, pas vraiment terminée, qui poussa des juges de la jeunesse à jeter en prison des adolescents à peine pubères, faute de solutions alternatives. Puis, l'engouement pour le « milieu ouvert ».
Et, plus récemment, l'ère de la « déjudiciarisation », dont il fut l'une des têtes pensantes : soustraire le jeune en difficulté à l'orbite judiciaire et lui éviter le placement en institution.
Son fil blanc ? La médiation, la recherche éperdue de consensus. Déployant des trésors d'ingéniosité, maniant plutôt le gant de velours, parfois la main de fer (débarquer d'autorité dans une école ou dans un home public, y exiger des documents, interpeller le personnel), l'homme excelle à dénouer les situations les plus inextricables. Et, parfois, les plus explosives : réclamer à un juge une justification de sa décision, ou informer un ministre que son conseiller « enfance », par ailleurs directeur d'institution, est pédophile...
Ses atouts majeurs ? Les contacts qu'il a tissés pendant près de trente ans dans le secteur de l'Aide à la jeunesse, dont il connaît à merveille les coulisses, les rouages et les susceptibilités. Il sait quels leviers actionner pour convaincre un préfet d'école ou un fonctionnaire. Dans les arcanes les plus politisés de l'administration, il se mue comme un poisson dans l'eau. Si son étiquette en irrite plus d'un (fils et petit-fils de militant socialiste, ancien délégué syndical, apparatchik du PS), il peut ranger au tiroir ses sympathies politiques et collaborer avec n'importe qui, si l'intérêt de l'enfant est en jeu.
Conséquence: tout ce qui pourrait risquer de ternir l'image de son service (une équipe de 6 personnes, tenues très discrètement au second plan) est perçu par lui comme une menace pour la survie à long terme de son institution. Un fantasme ?
Non. Bien qu'unique dans le monde francophone, cette fonction de délégué a parfois été jugée un peu trop dérangeante par ceux qui, de près ou de loin, tiennent les cordons de la bourse.
Alors, l'homme, infatigablement, rappelle ses incontestables succès. La coordination de la lutte contre la maltraitance (dès 1991), la pétition de 370 000 signatures contre la pédophilie, la promotion des ouvrages destinés à prévenir les abus sexuels (Mimi fleur de cactus, Ta sécurité personnelle, penses-y), la dénonciation des comptes bancaires « oubliés » appartenant aux jeunes placés en institution, etc.
Le propre de Lelièvre, dans ces grandes campagnes de sensibilisation, c'est le pragmatisme, l'action sans tarder. De tels projets sont mis sur rail en quelques semaines. Dame ! Lelièvre est un taureau astrologique.
Jovial et bon vivant, curieux mélange de « papy » et de patriarche, riant de (presque) tout, Lelièvre n'en est pas moins l'homme des déchirements intérieurs. Les dossiers les plus lourds le plongent dans l'angoisse de n'avoir pas fait, peut-être, tout ce qu'il était possible de faire.
Déchiré, il l'est aussi entre son respect profond, presque inné, de l'institution judiciaire et son constat personnel réalisé presque a contrecoeur - de voir une justice bien éloignée des idéaux dont elle devrait se parer : saine, dénuée de réflexes corporatistes, ouverte a l'autocritique... Celle où, par exemple, l'autorité sur un jeune, voire la privation de sa liberté, peuvent s'avérer indispensables si elles se réalisent en respectant ses droits élémentaires.
Cette sensibilité, qui siérait mal aux aspects les plus carrés de sa mission, il la couche dans des poèmes. Envoyés, par exemple, aux parents de Julie et de Mélissa.
1968 : décroche son diplôme de régent (français, histoire et morale laïque). Puis, en 1973, celui d'assistant social.
Et, en 1975, celui d'éducateur spécialisé.
1975: chef de section au home (public) de Wauthier-Braine.
1986: directeur au centre fermé (public) de Braine-le-Château.
1988: entrée au cabinet de Valmy Féaux (protection de la jeunesse).
1991: directeur du home (public) de Jumet et premier délégué aux droits de l'enfant.
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