Unis dans le deuil et l’espoir( «Dernière Heure» 9 septembre 1996 pg2)
Unis dans le deuil et l’espoir
Dès 9 h, l'église où avait lieu l'enterrement d'Eefje était déjà pleine à craquer. Entre 2.000 et 3.000 personnes se sont peu à peu rassemblées à l'extérieur de l'église Notre-Darne des Pauvres, pour suivre la cérémonie sur un écran géant. L'arrivée des parents d'enfants disparus ou tués, notamment ceux d'An Marchal, de Mélissa Russo, d'Élisabeth Brichet ou de loubna Benaïssa, a été saluée par des applaudissements, renouvelés lorsque la famille lambrecks est descendue de voiture. La dépouille d'Eefje a été transportéedans un corbillard blanc précédé d'un camion de pompiers et de quatre corbillards couverts de fleurs.
Les ministres de
La messe, que la maman d'Eefje préparait depuis des mois, persuadée très vite que sa fille était morte, s'est déroulée dans une grande simplicité. On retiendra notamment l'hommage des membres de la troupe de théâtre Harlekijn à laquelle appartenaient Eefje et An. Ils ont allumé sept bougies symbolisant les traits de caractère d'Eefje : paix, amour, confiance, simplicité, joie, justice et discrétion. Koen et Kris Wauters (Eefje était une fan de Clouseau) ont également chanté.
A l'issue de la cérémonie, des dizaines de ballons blancs, distribues dans la foule, ont été lâchés,avant que le cortège ne prenne la direction du cimetière de Kuringen. Eefje y repose aujourd'hui aux côtés de son petit frère Arjaan, mort à l'âge de 2 ans.
Lors des funérailles d'An, les premiers rangs de la cathédrale Saint Quentin étaient occupés par les parents des enfants disparus (ceux de Julie Lejeune s'étaient entretemps joints à eux), les Marchal estimant que tous faisaient désormais partie d'une même famille.
Un camion de pompiers et cinq corbillards couverts de couronnes et de bouquets précédaient la voiture blanche emmenant le cercueil de la jeune femme. Tout autour de la cathédrale, 4.000 à 5.000 personnes s'étaient rassemblées en silence. Un écran géant avait également été installé.
Dans l'église, décorée de fleurs blanches, Rubie a interprété en français une chanson consacrée aux récents drames. L'abbé Belder a ensuite évoqué dans son homélie la colère, l'horreur et l'impuissance » ressenties par la population. Helmut lotti a interprété Dont cry little child.
Comme pour Eefje, la cérémonie était placée sous le signe de l'espoir, mais aussi de l'amertume. Sur le cercueil d'An, son petit chien en peluche, Snoopy, qu'elle avait laissé à Westende en partant assister au spectacle de Rasti Rostelli de Blankenberge. C'était, pour ses parents, un signe qu'elle était retenue contre sa volonté. Sur les livrets distribués dans l'église, une phrase: « Cela aurait pu être évité. »
L'un des moments forts de cette cérémonie fut l'intervention du papa d'An, qui a trouvé les mots justes pour dire ce qu'il pensait des errements de la justice et pour demander, surtout, à la population de continuer à les soutenir.
Une fois encore, Paul et Betty Marchal, aux côtés de leurs trois autres enfants, ont fait preuve d'un courage et d'une dignité remarquables.
An Marchal a été inhumée au cimetière de Hasselt. Sur la pierre tombale, ces quelques mots, gravés dans les deux langues : Quand nous sommes rentrés de vacances, An a dit :
« Tu sais seulement ce qui manque quand ce n'est plus » là. Ce n'est que maintenant que nous savons ce qu'elle a voulu dire. » Dans la foule, samedi, il n'y avait ni Flamands, ni Wallons, mais des Belges unis dans le deuil. On n'a vu que des drapeaux tricolores en berne. De multiples drapeaux blancs aussi. Pas le blanc de la reddition, mais celui de l'innocence, et de l'espoir que jamais,plus jamais, de telles atrocités ne nous replongent dans un pareil cauchemar.
Pendant un an, nous avons formulé des critiques. On ne nous a pas écoutés. Pendant un an, nous avons posé des questions qui sont restées sans réponses. Pendant un an, nous avons dû chercher, chercher sans rien trouver. Pendant un an, on nous a abandonnés.
C'est la raison pour laquelle nous n'avons pas voulu que les personnalités occupent !es premiers rangs aujourd'hui. Et nous serons attentifs à la promesse faite par eux. Cela exige la solidarité de toute la population. Cette solidarité existe. Les milliers de lettres que nous recevons en témoignent (...).
Quelqu'un nous a écrit pour nous dire que des centaines de milliers de personnes rêvent d'un monde meilleur. Eh bien, rêvons, mais agissons aussi ensemble ! En tant que parents d'An et d'Eefje, il faut que nous combattions, que nous tendions /a main à tous les parents, à tous les hommes, toutes les femmes, jeunes ou âgés. Ne rêvons pas, mais battons-nous pour un monde meilleur (...).
Vous tous qui êtes réunis ici, ou à l'extérieur de l'église ou dans un autre endroit, c'est vous qui nous avez donné /a force de poursuivre. Nous vous resterons éternellement reconnaissants (...).
Maintenant, nous devons nous reposer, notre fatigue est grande. Nous voulons nous retrouver dans le cercle familial et y assimiler la disparition d'An. Si vous ne nous voyez plus durant quelques jours, ne pensez surtout pas que nous avons abandonne notre action. Avec votre appui, nous nous battrons.
Je me suis trompé. J'ai toujours espéré, toujours pensé qu'An et Eefje allaient être retrouvées vivantes. An aimait les animaux. A la maison, c'était un zoo d'animaux domestiques. Aujourd'hui, le jour même de son enterrement, sa chienne préférée a mis au monde 9 chiots (...).
Quand An a disparu, elle avait 16 ans. Y a-t-il quelque chose après la vie, un endroit d'où l'on peut voir sa famille, ses amis qui sont affligés ? II y avait encore tant de choses à faire ensemble. Existe-t-il quelque chose en cet endroit ? Non, il vaut mieux vivre.
Beaucoup de personnes, dont nous ignorions l'existence, nous ont apporté la preuve de leur attachement à An (...). Espérons que sa mort puisse avoir un sens pour chacun d'entre nous. Soyons solidaires. Combattons pour un monde meilleur.
Très rapidement, beaucoup de gens se sont pressés autour des arrières Nadar. D'autres ont préféré se mettre à l'écart, comme pour tenter de prendre un peu de recul face à une actualité qui, depuis trois semaines, défile à une allure vertigineuse.
« Dans des moments comme ceux-ci, il n'est de toute façon pas possible de contenir ses larmes »,confie une habitante du quartier qui, pudiquement, dissimule ses yeux gonflés par la tristesse derrière des lunettes de soleil. Peu importe qu'elle soit dans l'ombre.
Tout le quartier pleure ses morts.
Face à l'église, deux énormes bouts de tissu attirent le regard. L'un est blanc, l'autre noir. Pour que l'espoir survive dans le deuil.
«L'espoir que le drame vécu par ces deux gamines ne soit pas inutile. Il faut que tout cela change,les magistrats pourris, les politiciens véreux... Tout doit changer en Belgique », affirme Henry, pensionné. Si l'émotion génère des propos d'une telle rudesse, c'est plus souvent plus par dépit que par poujadisme. «Si seulement on avait déployé les mêmes moyens dès le début», soupire Ellen enserrant son enfant dans ses bras.
Le sentiment général de ces milliers de personnes venues «pour exprimer leur soutien aux familles des victimes » est un curieux mélange de révolte et de recueillement.
Silence bouleversant
« Je n'ai jamais été aussi nerveux pour conduire mon car », explique Luc. Il s'occupe de conduire les familles des autres victimes venues assister aux deux enterrements.
Les parents de Julie et de Mélissa,la maman d' EIisabeth... « Leur silence m'a littéralement bouleversé.
J'ai rarement vu autant de douleur que dans les yeux de ces parents pour qui les plaies doivent sans cesse se rouvrir.
Un peu plus loin, un bébé d'à peine quatorze mois hurle dans son landau. Il ne sait certainement pas pourquoi il est là, mais ces cris résonnent sur la place comme une oraison funèbre. A la sortie du cercueil, des milliers de ballons blancs se sont envolés vers plus de justice. Beaucoup emmènent avec eux une carte à l'effigie d'Eefje sur laquelle on peut lire : « Quand entendrons-nous à nouveau des jeunes gens chanter dans la rue simplement parce qu'ils sont heureux de vivre ?
Alors que la foule se disperse, quatre copains d'Eefje restent assis dans le gazon, a des dizaines de mètres de là. Devant eux, une bougie se consume, mais brûle toujours. Comme un souvenir éternel.
Sur la place du Marché, dans le centre-ville, les abords de la cathédrale Saint-Quentin sont pris d'assaut. Sur les balcons bondés, quelques drapeaux belges sont en berne. Les mêmes barrières, les mêmes bouts de tissu blancs et noirs, les mêmes photos et les mêmes applaudissements à l'arrivée des parents. Tout semble réglé comme du papier à musique. Peu de commerces sont fermés et les terrasses des cafés sont pleines. On consomme face aux écrans géants qui diffusent la messe d'enterrement. L'émotion est tout aussi forte. Ici aussi, plus de dix mille cartes en souvenir d'An sont distribuées contre quelques pièces par des scouts.
Jean-Charles, commerçant, se dit déçu du fait que les obsèques se soient passées séparément. »
Une famille bruxelloise a tenu à faire le déplacement « pour mettre en avant le combat qu'il faut désormais mener chaque jour contre ceux qui menacent nos enfants.
Et malgré le discrédit dont chacun affuble la justice, Suzanne « refuse de céder à la tentation du tous pourris». Sans plus croire en la justice, le tandem Bourlet-Connerotte semble garder toute la confiance des citoyens.
« Je suis chanteuse, la seule chose que je peux faire pour apporter mon soutien, c'est chanter. De plus, je suis francophone. Ma participation avait donc une valeur symbolique. Ça prouve que la peine n'a pas de frontière, surtout pas linguistique.
Rubie ne pensait pas que sa participation aux funérailles serait si pénible. « J'ai vraiment eu beaucoup de difficultés pour chanter. Je suis très contente d'avoir pu participer, mais mon émotion était incroyable. Se retrouver comme ça face aux parents, qui n'écoutent que vous... Je n'oublierai jamais.
Âgée de 22 ans, Rubie avoue qu'elle se sent très proche d'An, qu'elle ne connaissait pas. « Je suis à peine plus âgée qu'elle et je ne peux m'empêcher de penser que j'aurais pu être à sa place... »
La chanson choisie par les parents avait, pour Rubie, un sens particulier. « J'ai écrit la chanson en 1993, suite à la disparition de mon papa. C'était donc une chanson tout à fait appropriée aux circonstances. »
Si Rubie n'a pas chanté aux funérailles de Julie et de Mélissa ou d'Eefje, c'est uniquement suite à des problèmes d'organisation. Mais elle est de tout cœur avec les familles de toutes les victimes. « Je compatis évidemment à la douleur de tous les parents. Ils mènent tous le même combat. Ils doivent savoir que je suis à leurs côtés. Avec mes mots à moi...
Contrairement à ce qu'une partie du public pensait samedi,les deux aides de camp ne sont pas arrivés en retard... Le protocole veut que les représentants du Roi entrent en dernier lieu dans l'église, et en sortent les premiers.
Si l'arrivée du général-major Situons s'est déroulée discrètement, celle du colonel Van Keirsbilck a permis de voir d'autres aspects de ce protocole. Les prêtres ont quitté l'intérieur de l'église pour accueillir le représentant d'Albert Il. Les deux aides de camp ont également été raccompagnés vers la sortie par les célébrants.
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