Martine Doutrèwe : « On m’a caché ce qu’on savait sur Dutroux ! »(« Le soir illustré » du mercredi 25 décembre 1996 pages 30 et 31)
les divisions de tous ceux qui, en principe, devaient unir leurs efforts pour retrouver les fillettes... vivantes !
Elle réfute les reproches d'instruction « passive et d'amateur ». Elle la diligente même, dit-elle, avec «une logique intellectuelle» ! Enquête de voisinage, sur les familles, les proches, les familiers, surveillance des lignes téléphoniques, des communications GSM, vérification du carnet intime de Mélissa, d'une cinquantaine de suspects moeurs, d'une foule de témoignages en Belgique et à l'étranger, appel aux services de radiesthésistes, deux survols en hélico de Grâce-Hollogne avec caméra infra-rouge
pouvant relever la présence de corps, contrôle de 2000 Peugeot 205 suite à un témoignage d'une vieille dame elle-même évaluée par un géro-psychiatre, contrôle des voitures flashées sur autoroute ou volées, des dépannages de Touring Secours, des fiches d'hôtel à Liège et Huy, surveillance trois samedis de suite des lieux de la disparition, battues, appels à témoins, auditions des deux mamans sous hypnose, vérifications bancaires des cartes de crédit et de paiement sur les restoroutes et dans les stations d'essence. La liste est longue et non exhaustive: on a ratissé de nombreuses pistes, la juge a ordonné de nombreux devoirs
d'enquête, cette démonstration appliquée se résumant finalement en une phrase: « On n'attendait pas, on allait au devant dans une réelle dynamique d'enquête ».
Après la fâcheuse impression laissée par l'adjudant Michaux, qui rate sa perquisition malgré les chuchotements des fillettes, suite aux graves accusations de
Marc Dutroux ? On ne l'évoque que brièvement, oralement, en août 95, puis plus rien jusqu'à la délivrance de Sabine et Laetitia. Tout le désigne pourtant comme un client sérieux. L'explication réside ailleurs: dans le jeu personnel voulu par l'état-major de la gendarmerie et le B.C.R., le Bureau central de Recherches, en particulier.
La gendarmerie soutient qu'elle m'a donné toutes les informations en sa possession. C'est faux et contraire à tout ce que révèle le dossier, assène Martine Doutrèwe. On parle de Dutroux avec très peu d'insistance, à la limite de l'anecdotique et sans établir de rapport précis avec Julie et Mélissa. Or, la gendarmerie possède sur Dutroux des renseignements de première importance et d'extrême gravité. Elle sait qu'à Charleroi, il aménage des caves pour abriter des jeunes filles. Je suis laissée dans l'ignorance, je n'ai jamais eu connaissance de ses antécédents. Dans le même temps, on rédige des P.V. sur des suspects qui n'ont pas le 10 ème des charges de Dutroux!
Sûre d'elle et de ce qu'elle avance, Martine Doutrèwe donne enfin le coup de grâce, en rappelant au passage n'avoir pas été associée aux données possédées par la gendarmerie de Grâce-Hollogne. Celle-ci était pourtant informée, affirma le major Decraene du B.C.R. dans une confrontation publique redoutable, «c'est elle qui n'a pas transmis les renseignements nécessaires».
La gendarmerie a voulu jouer cavalier seul et elle a commis une grave erreur de jugement en se privant de moyens d'investigation essentiels.
Marc Dutroux serait passé aux aveux face à des policiers de talent, rompus à ce genre d'interrogatoire, et j'en avais à disposition!, a tranché la juge.
Une fois de plus, la mésentente une somme de carences collectives et individuelles, corrigent certains commissaires - se double d'une méfiance réciproque, de calculs inqualifiables, voire d'hostilité savamment entretenue.
On dissimule, on se met des bâtons dans les roues, on retient ou on freine la diffusion d'informations capitales. Au passage, l'opération Othello en prend pour son grade. L'heure est aux explications sans pitié. Martine Doutrèwe assume, sous l'oeil vigilant des époux Lejeune et Russo, et dans le silence nerveux d'une
salle consternée de découvrir que Dutroux l'insaisissable le fut surtout par la faute de luttes d'influence P.J.-Gendarmerie magistrate et de défiances intestines.
Mis en cause, le commissaire Daniel Lamoque de
Manifestement mal à l'aise, peu affirmatif, voire même évasif, il eut cette appréciation révélatrice: La gloire que la gendarmerie aurait pu retirer d'une issue heureuse est passée devant l'efficacité. C'est désolant, ce qui s'est
passé est incompréhensible. Il suffisait d'avoir des mandats de perquisition; on s'est enferré dans un système à Charleroi alors que c'était si simple de s'adresser à Liège.
Tout autres furent les auditions de Gilot et Lesage. Le premier fut penaud, timoré et confus. Le second fut plus ferme pour contre dire totalement la version de Martine Doutrèwe. Pour lui, la juge était au courant de la piste Dutroux.
Je lui ai parlé de Dutroux. Dès la fin juillet 95, je lui ai signalé l'existence d'un suspect intéressant, connu pour avoir enlevé et violé des enfants. Elle n'a eu aucune réaction.
Tard dans la nuit, soumis à une confrontation multiple qui devait apparaître comme le moment de vérité, chacun est resté sur ses positions. Marc Verwilghen a pris note des antagonismes et de l'aveu de l'adjudant Lesage, selon lequel il a été briefé par sa hiérarchie avant audition. Une préparation peu démocratique, que les commissaires devront percer à jour, en démêlant le vrai du faux.
Car, manifestement, une des deux parties a menti, en commettant un faux témoignage. La commission n'aura pas trop de la trêve de Noël, jusqu'au 6 janvier, pour mettre ses convictions au clair avant de reprendre ses travaux.
Elle a aussi noté l'escarmouche - peut-être essentielle – autour d'une phrase supprimée ou pas dans le P.V. de synthèse après le drame. Il y est fait mention des soupçons pesant sur Dutroux. La juge liégeoise aurait demandé des explications en ajoutant: «Je ne veux pas vous assassiner, mais j'exige la vérité».
Les deux gendarmes soutiennent exactement le contraire; ils prétendent que la juge a voulu qu'ils retirent cet élément, en leur disant: «Vous allez m'assassiner». Une pièce de plus à verser dans une nébuleuse de questions dérangeantes où dialogue de sourds et cloisonnement des infos brouillent le jugement.
J'ai été horrifiée et j'ai ressenti douleur et tristesse. En conscience, j'ai fait tout ce qui était en mon pouvoir, a-t-elle précisé en préambule.
Plus humaine que le portrait robot dressé par les parents (d'ailleurs peu convaincus par ses efforts), elle a justifié son refus de leur laisser voir le corps de leur fille après les tragiques découvertes.
«Humainement, je ne pouvais pas, le spectacle était insoutenable ». Elle a justifié sa conduite, agissant dans le cadre de la loi, du code d'instruction criminelle, repoussant les demandes de Me Hissel qui, à «situation exceptionnelle», demandait un «sort exceptionnel».
Une approche légaliste qu'on prit pour du désintérêt. Les parents? Elle comprend leur animosité, leurs propos virulents: «J'ai été comparée à une sadique, mais je ne suis pas rentrée dans la polémique. Je ne pense pas avoir été inhumaine. J'ai été juge de la jeunesse, avec des qualités relationnelles, a-t-elle ajouté. Ils ont vu en
moi l'autorité, ce qui a empoisonné nos rapports. Ils n'ont pas accepté de ne pas avoir accès au dossier - la législation devrait changer en ce sens, mais ce n'était pas à moi à anticiper – et puis, ils ont mené leurs propres investigations».
Ses vacances qu'on a présentées comme trop longues et maintenues alors même que l'enquête débutait ? Elle les a prises comme toute une série d'autres juges d'instruction. Mais elle les a écourtées aussi, annulant un voyage en Grèce, s'octroyant quelques jours aux châteaux de
Huit heures d'audition plus tard, au terme d'une journée sévère et dense, Martine Doutrèwe quittait la salle, libérée d'un poids terrible que la commission, aux deux tiers de son mandat, commence à évaluer avec précision dans le chef des uns et des autres.
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