GENEVOIS - - LA LONGUE MARCHE DE LA BELGIQUE BLANCHE ( « Le Soir Illustré » du mercredi 18 décembre 1996, page 34)
OU ÉTAIT JACQUES GENEVOIS?
Viviane Lefèvre, après ses quatre ans de vacances, purge désormais ses peines d'emprisonnement, totalement étrangères à l'affaire Dutroux et aux enlèvements d'enfants. Elle a pourtant été entendue dans le cadre de l'enlèvement de la petite Marocaine. La raison coule de source: en août 1992, elle a raconté, mais par écrit, avoir croisé Jacques Genevois gare du Midi, à 12 h 26, lorsqu'elle est descendue du train en provenance de Liège. Autrement dit, dixit à l'époque Viviane,Genevois était loin du lieu du rapt.
Pourtant, dans le bistrot d'Ixelles, deux clients disent avoir vu Genevois quitter l'établissement au moment où passait Loubna. C’est ainsi que Genevois, pourtant indic, est suspecté et privé de liberté, huit jours après la
disparition. La lettre de Viviane Lefèvre, remise à son avocat (et avocat de Genevois) Me Daniel Van Bossuyt, et l'absence d'éléments probants, permettent à Genevois de recouvrer la liberté, le 14 août, après 24 heures d'audition. L'actuel revirement de Viviane Lefèvre nourrit les angoisses de Genevois. Planqué le week-end de
celui-ci dit l'inverse. Le dossier à charge de Genevois a-t-il du plomb dans l'aile? Quatre jours après l'arrestation, le président Moinet, à l'issue de l'audience de la chambre du conseil, s'est accordé quelques heures de réflexion. Puis il a ordonné la libération du prévenu. Aussitôt, le procureur Bourlet a interjeté appel. D'ici quelques jours, la chambre des mises en accusation, à Liège, prendra ses responsabilités face à une libération éventuelle.
Le nouvel avocat de Jacques Genevois, Me René Swennen du barreau de Liège (et de Paris), fustige le parquet de Neufchâteau: On sait que l'on suit trois pistes simultanément. On a pris Genevois pour fermer une porte. Je ne peux accepter que ce soit sur le dos de mon client, qui nie farouchement avoir participé d'une quelconque façon à l'enlèvement. On veut le garder en prison le temps d'autres confrontations.
L'avocat conteste que l'alibi de Genevois se soit effondré par la récente déclaration de Viviane Lefèvre:
Celle-ci, à l'époque, se rendait à Bruxelles les lundis et mercredis. Simplement, quatre ans aprés sa première déposition, elle ne sait plus avec certitude si elle a vu Genevois un lundi ou un mercredi, jour de l'enlèvement.
L'avocat se pose des questions à propos d'un autre témoin, la tenancière du bistrot de la rue Gray. Cette dame prétend qu'elle a participé à une seconde reconstitution au cours de laquelle, dit elle, Genevois aurait reconnu avoir été présent chez elle peu avant l'enlèvement.
Surprise de l'avocat: Il n'y a aucune trace de cette soi-disant reconstitution. Pas de P.V., rien. Au moment où les enquêteurs de Neufchâteau se retrouvent à Jumet, où ils ont entrepris de nouvelles fouilles, on se demande évidemment s'il y a un lien entre ces investigations et l'arrestation de Jacques Genevois. Ce lien est démenti de toutes parts puisque Michelle Martin, l'épouse de Dutroux, semble avoir fourni de nouvelles précisions sur le lieu d’éventuelles caches aménagées par celui-ci.
Deux détails encore, à propos des avocats. Si Me Swennen a pris le relais, dans la défense de Jacques Genevois, c'est que Me Van Bossuyt est inculpé de faux et usage de faux (l'utilisation de la lettre de V. Lefèvre) dans le dossier de l'enlèvement. Quant à Me Julien Pierre, on attend désespérément de le voir à Neufchâteau. Même son client, Marc Dutroux qui, pour une fois, a daigné se présenter devant la chambre du conseil.
M.P
« Le Soir Illustré » du mercredi 18 décembre 1996, page 35
Des comités blancs seront à l'écoute des personnes en difficultés, partout dans le pays. La charte qu'ils publient est un gage de citoyenneté responsable. Une trouée de ciel bleu dans une lugubre fin d'année.
Carine Russo,la maman de Métissa, en apportant son soutien, et celui de tous les parents, à la charte des Comités blancs, a rappelé le chemin difficile qui a conduit à cette prise de conscience de citoyens rêvant d'une société plus humaine, plus attentive aux enfants, parce qu'ils sont les plus fragiles d'entre nous.
Avec l'émotion qui ne la quitte jamais, Carine a parlé du rêve de cette Marche blanche, qui était la manière la
plus digne de soutenir la cause des enfants. « Depuis, a-t-elle ajouté, beaucoup de choses se sont passées. Elles prouvent que la marche qui résultait d'un rêve a fait bouger la réalité ». Dépassant les peurs de ceux qui assistent à la remise en cause des institutions, cette maman a insisté pour que, la peur dépassée, les uns et les autres, citoyens de bonne volonté, continuent à faire pression pour que les institutions fonctionnent mieux. Il ne s'agit pas de démolir, mais d'améliorer. Au-delà des pouvoirs traditionnels, les parents veulent faire entendre leur voix. Nous l'avions déjà écrit, ils ont donné ce qu'ils avaient de plus cher au monde pour avoir le droit de s'exprimer et de revendiquer des changements.
Avant Carine Russo, Gino avait présenté le CD offert par des artistes voulant rendre hommage à Julie et Mélissa, avec des ballades, du folk rock, du rap. A partir du 18 décembre, ce CD sera en vente dans les bureaux de poste. Et Jean Denis Lejeune a précisé que les comités blancs seraient le meilleur soutien qui puisse leur être apporté. Entre les auditions et les audiences, les plateaux télé et les interviews, les centaines de coups de fil et les voyages, les parents sont à bout, mais continuent à travailler, pour que leurs filles ne soient pas mortes pour rien. Marie Noëlle Bouzet, la maman d'Élisabeth, Nabela Benaïssa et son papa, au nom de Loubna, étaient là pour épauler l'équipe qu'ils forment depuis des mois.
Paul Marchal, à Hasseit, préparait une autre conférence de presse. Les hommes et les femmes, issus de tous les milieux, et qui sont à la base des comités blancs en train de se fédérer, ont exposé leur démarche, et lu la charte que nous publions intégralement, parce qu'elle est un signe d'espoir, pour tous ceux qui voient notre pays en noir. Un cri respectueux de la démocratie.
UNE VOLONTÉ DE SOLIDARITÉ
Muriel, une jeune femme sans emploi, a dit vouloir se mettre au service de comités de citoyens ayant besoin de gens formés. Puis Bénédicte, étudiante, a dit combien les jeunes aspiraient à un changement de société. Ils attendent une société plus humaine... Marianne, qui n'a pas précisé son métier, a parlé au nom du petit groupe avec qui elle effectue un travail dans son quartier. La fondatrice de « Pour nos Enfants » a confié avoir souffert seule, en raison d'une affaire de pédophilie ayant touché sa famille, et a dit chercher à briser l'isolement des victimes, des parents et enfants victimes. Un délégué principal, représentant des travailleurs de VW-Forest, a rappelé que l'arrêt de travail consécutif au dessaisissement du juge Connerotte était une manière de réclamer plus de respect humain, que ce soit dans le monde judiciaire ou dans une usine. S'adressant à Nabela Benaïssa, il lui dit qu'elle avait fait plus contre le racisme, par son exemple, en quelques mois, que lui en vingt ans de syndicalisme. Enfin, un jeune ingénieur civil a confié être guidé par le même esprit.
Gino Russo, reprenant la parole, a insisté sur le fait que les parents ne rejettent personne. Des personnalités politiques participaient à
Marcel Leroy.
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« Le Soir Illustré » du mercredi 18 décembre 1996, page 35
Les membres des Comités Blancs et du Réseau d'Attention et de Solidarité s'engagent à:
- Collaborer dans l'esprit pluraliste et non violent de
- Mettre la protection et la défense des enfants au-dessus de tout autre intérêt.
- Travailler à modifier les mentalités et les structures dans tous les domaines concernés pour que priorité soit donnée à l'enfance.
- Organiser la pression et le contrôle autour des pouvoirs et institutions existants sans se substituer à eux, afin qu'à tous les niveaux puisse s'installer un dialogue de citoyen à citoyen.
- Se former, apprendre, se documenter, faire l'inventaire des ressources, analyser, communiquer, innover.
- Aider à l'expression des besoins véritables vécus par les citoyens et les victimes, de telles façons que les pouvoirs en place et les décideurs soient amenés à faire leur travail en trouvant des solutions.
- Accueillir, écouter et orienter les victimes et les soutenir dans leur besoin d'être reconnues comme citoyens; les aider à faire entendre leur voix sans jamais parler en leur nom.
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« Le Soir Illustré » du mercredi 18 décembre 1996, page 35
- A Neufchâteau, on ne fait pas dans la justice à deux vitesses. Tout autant qu'une voiture par ses points de rouille ou ses pneus souffreteux, une belle Cadillac attire le regard du pandore. Et son crayon de justicier.
Or donc, l'autre jour, un gendarme du cru s'attarde sur une belle américaine. Elle a du chien. Curieux comme peut l'être la profession, le gendarme recherche l'identité de l'heureux propriétaire, par le biais de la plaque d'immatriculation. Un nom apparaît, aussi rutilant que la berline: Frédéric Clément de Cléty. Maître, en plus.
Pendant que cet avocat plaide la cause de Jean-Michel Nihoul devant la chambre du conseil, le gendarme, suspicion légitime, pousse plus avant pour dresser un constat, fatal: ni assurance, ni contrôle technique pour ce véhicule fraîchement acquis. Au sortir du palais, le contrevenant fut prié de rejoindre la gendarmerie pour s'entendre dire qu'il pourrait revenir au tribunal de Neufchâteau. L'autre, celui de police. Plus plaideur, mais poursuivi. Avocat cherche avocat. Pas sérieux, s'abstenir.
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DUTROUX: HAUTEMENT SUSPECT, JAMAIS DÉFAIT
« Le Soir Illustré » du mercredi 18 décembre 1996, page 34
La commission d'enquête parlementaire sur Julie et Métissa en a acquis la certitude: Marc Dutroux était bien le suspect N° I, sans que jamais le lien avec les enlèvements ne déboucha sur une arrestation. Gendarmes et magistrats ont pataugé. Ils se rejettent aujourd'hui la faute, tous unis dans leurs contradictions.
Si le faisceau d'informations désignant Marc Dutroux avait été correctement interprété, l'enquête aurait peut-être abouti et les fillettes auraient été sauvées. C'est la terrible conclusion à laquelle arrivent les membres de
DES RATÉS CONSTERNANTS
Dès la disparition de Julie et Mélissa en juin 95, deux gendarmes de Charleroi – Didier Bouvy et Christophe Pettens - possédaient ces éléments d'information. Le passé chargé de Dutroux - sa condamnation à 13 ans de prison en 1989 pour le rapt et le viol de cinq jeunes filles - les amenèrent à perquisitionner les immeubles du suspect. Parallèlement, deux opérations discrètement menées - Décime et Othello - avaient pour but de surveiller Dutroux. Tout était réuni et pourtant ces informations vitales ne furent pas transmises à la juge d'instruction, Martine Doutrèwe, à Liège. Aucun officier de gendarmerie – à commencer par le commandant Legros - n'a établi de lien incontestable avec les disparitions! On est passé à côté du coupable faute de perspicacité et d'intelligence des faits!
Écoutés de près par les parents Russo (à qui on refusa l'accès aux différents huis clos demandés par des enquêteurs clairement sur la sellette), magistrats et gendarmes ont cherché à se dépatouiller d'un dossier peu glorieux. Comment ont-ils pu ignorer les pires évidences? Pourquoi la justice fut-elle à ce point aveugle?
Les députés ont tenu à comprendre les raisons d'une suite de ratés tous plus consternants les uns que les autres. Thierry Marchandise connaissait bien Marc Dutroux. Il avait eu à traiter de son dossier en 1986 avant de requérir au tribunal correctionnel. Il savait que les faits étaient graves, et l'individu dangereux. En octobre 95, il est nomme procureur du Roi à Charleroi.
L'affaire Julie et Mélissa bat son plein. Il est, dit-il, rapidement mis au courant de l'opération Othello. Il commence par s'informer de la nature des travaux entrepris par Dutroux, puis de la fiabilité d'informateurs «non-codés». Ces vérifications faites, il acquiert une première vision, assez étrange en regard de ce qu'on sait aujourd'hui. Nous avions, avec certitude, affaire à un pervers sexuel grave, mais bas à un pédophile. Les cinq enlèvements déjà connus portaient sur trois jeunes filles de 18, 19 ans, une de 15 ans et demi, et une dernière de 11 ans et demi.
Un informateur nous avait aussi précisé que Dutroux trouvait certaines femmes «trop jeunes et pas assez formées». Sa mère le décrit comme un obsédé sexuel. Pour lui, toutes les femmes sont des objets sexuels. En 86, c'était déjà le sentiment qu'on avait le concernant. A cette mauvaise analyse du personnage, Thierry Marchandise ajoute un manque de transparence de la gendarmerie, promettant de citer à huis clos "sept points qui auraient entraîné une autre attitude du parquet de Charleroi". "Nous n'avons pas reçu toute l'information", martèle-t’il, jetant une pierre dans le jardin d'en face.
Jamais, il ne pensera que Dutroux puisse être l'auteur des enlèvements, la recherche d' éléments objectifs et matériels paraissant insuffisante.
Chacun travaille pour son compte, dans son coin,dans le secret de ses propres convictions. Dutroux profite de ces rivalités. Au centre des soupçons, il passe à travers les mailles d'un filet mal tendu.
II nous a manque une vision globale, une autorité centralisée, un lieu où convergeraient tous les indices et tous les relevés, a concédé
Thierry Marchandise face aux députés prenant le relais pour le pousser dans ses derniers retranchements.
POURQUOI ça N'A PAS FAIT TILT?
Au lieu de ça, il faut bien parler d'absence de collaboration structurée, de contacts francs et directs, et d'efficacité médiocre. Sur son banc, Gino Russo (qui, la veille, avait vu confirmer le dessaisissement du juge
Connerotte) ne cachait pas son amertume
Pourquoi l'enquête a-t-elle échoué, lui fut-il demandé avec insistance?
Pourquoi le déclic ne s'est-il pas produit ?
Un examen attentif des faits et gestes de Dutroux aurait dû faire tilt.
Et pourtant, personne n'a pris l'exacte mesure du drame en train de se jouer.
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