lundi 5 octobre 2009

L'ENQUÊTE SUR L'ENQUÊTE (« La Wallonie » du vendredi 20 décembre 1996 page 14)


L'ENQUÊTE SUR L'ENQUÊTE

Après six semaines de contre-enquête

« La Wallonie » du vendredi 20 décembre 1996 page 14

Un regard dans le rétroviseur, déjà? En suspendant ses travaux, jeudi, aux petites heures de la nuit, la commission d'enquête Dutroux n'est certes pas arrivée au bout de ses peines. Reprise le 6 janvier.

Les images, les émotions, les révélations, les coups de théâtre et les bassesses tristement ordinaires forment déjà une impressionnante fresque. Dans le rétroviseur.

Ce sont des heures kilométriques de retransmission télévisée, des tonnes de retranscriptions sténographiques - et, épousant leurs rubans, des constantes.

Redoutable commission

Des constantes humaines. Chez les membres de la commission dont le nom est, d'ores et déjà, inscrit parmi les hauts faits des annales parlementaires. Les trois mousquetaires socialistes, Patrick Moriau, trompeusement débonnaire, Serge Moureaux, méthodiquement incrédule, Claude Eerdekens, à l'intransigeance suave. Le «petit» Ecolo aussi, Vincent Decroly, presque sacerdotal dans sa quête de la vérité. L'intraitable Jacqueline Herzet (PRL) . Le légalisme outré de Tony Van Parys (CVP) . Et, bien sûr, imprimant d'une main de fer une admirable stature aux débats, le président Marc Verwilghen (VLD) - il en est sorti grandi. Avec son équipe. Pas négligeable, en des temps où les institutions marchent sur la corde raide d'un honneur perdu.

La constante humaine a un autre visage. Celui d'une totale absence d'autocritique. Chacun les a vu défiler. Les hauts responsables des enquêtes judiciaires. Avec superbe. Avec brio. Avec leur mémoire de défense, blindé, sous le bras. Avec leurs réponses toutes faites.

Défilé de marbres

On a vu le procureur du Roi de Bruxelles, Benoît Dejemeppe se lancer dans un cours ex cathedra sur l'organisation judiciaire et, s'étant vu ramené sur de plus pertinents sentiers, déclarer que si on avait si peu fait pour la disparition de la petite Loubna Benaïssa, c'est parce que l'affaire sortait de l'ordinaire. «Nous n'avons que deux affaires semblables sur vingt ans.» Pardi ! Son palais de justice est dynamité et voilà qu'on ne saurait plus très bien comment procéder, judiciairement, vu que c'est pas tous les jours que cela arrive.

On a vu l'ancien ministre de la Justice, Melchior Wathelet, sortir les mille et une excellentes raisons qui expliquent pourquoi la liberté conditionnelle de Marc Dutroux était, sur papier, le bon choix – et pourquoi elle fut si mal contrôlée ensuite, par sa propre administration (pas moi, elle, n'est-ce pas) .

Sur ce point, son successeur, Stefaan De Clerck, ajoutera que Dutroux était un truand hors norme.

Entendez, ici, rusé. Qu'il s'entendait comme pas deux à donner le change, à tromper son monde, à induire la justice en erreur en se conformant, sur papier, aux administratives conditions mises à sa liberté. Là, c'est rigoler. Car, là, c'est le BA-ba du truand. Jamais avouer. Ruser. Pas griller un feu rouge après le hold-up. Etc. Si la justice découvre cela, anno 1996, c'est à se demander. Au suivant...

Mais, on l'a vu avec le procureur du Roi de Charleroi, Thierry Marchandise, c'est un thème promis au succès. Dutroux, diabolique, l'a également trompé ! Ce qui est gênant, c'est que M. Marchandise s'est aussi trompé.

Une de ses lignes de défense, en effet, est que le passé de Dutroux n'étant pas celui d'un pédophile, il pouvait pas se douter. Pas se douter ? Lorsqu'il dispose des infos Othello, il était question de trafic d'enfants, pas de pédophilie cette thématique-là est venue après, quand Dutroux sera arrêté, quand Marchandise prépare son plaidoyer... Faut-il poursuivre?

Les substituts bruxellois et carolorégiens, Mme Doutrèwe, les pontes de la gendarmerie, pas l'esquisse d'une ombre d'un doute qu'ils n'aient pas fait un sans faute. La tragédie ne les touchent, au mieux, qu'intellectuellement. La voix ne tremblera, ne trahira sa détresse que chez les hommes et femmes de terrain.

A découvert

Sur le terrain? La chose est devenue tout à fait évidente. L'enquête policière, conduite par la gendarmerie, disposait dés l'été 95 et sans l'ombre d'un doute en décembre 95, les données qui auraient permis de coincer la bande Dutroux. Et peut-être sauver Julie et Mélissa. Un jeu occulte, qu'on devine dans les sphères dirigeantes de la gendarmerie, a tantôt empêché tantôt freiné la transmission de ces données à la justice, à

Liège et Charleroi.

La commission d'enquête a disséqué le comment. Il lui reste à trouver le pourquoi.

E.R.

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PATRICK MORIAU

« Le dossier Julie et Mélissa est loin d'être terminée »

« La Wallonie » du vendredi 20 décembre 1996 page 14

Le député socialiste Patrick Moriau est un des attaquants de la commission d'enquête Dutroux. Arrive à l'étape, son bilan provisoire.

- Impression, après six mois?

«On a fait un pas de géant. Jusqu'à présent, on pouvait penser que l'explication résiderait dans le manque de moyens, le système obsolète ou les dysfonctionnements.

Depuis hier, on sait que sur un point, au moins, il y a une personne qui a sciemment menti. C'est une dimension supérieure. J'ai toujours dit que le but de la commission est,d'une part, de voir les dysfonctionnements et, d'autre part, découvrir s'il y a eu une volonté de cacher certaines choses. Et, si oui, pourquoi!

Maintenant, nous passons à ce troisième stade!

- le pourquoi, en effet...

«Jusqu'ici, on n'avait pas de preuves, on pouvait penser qu'un certain système amenait à réagir ainsi. Maintenant, nous avons un élément qui nous permet d'avancer. Est-ce une réaction de corps, de protection, cela reste nébuleux... »

Tout le monde pensait que nous terminerions le dossier Julie et Mélissa mercredi. II n'en a jamais été question! Il y aura encore des auditions, des confrontations...

- On est frappé par la fermeté de la commission.

«Nous sommes là pour faire la lumière. Nous l'avons toujours dit. On ne nous a peut-être pas cru, on a essayé de nous décrédibiliser... Je crois que c'est essentiel dans un État de droit. Il faut tout de mime bien se rendre compte que ce ne sont pas trois petits délinquants qui ont fumé du haschich, ce sont des magistrats, des substituts, des commissaires! Étaient-ils bien conscients qu'il s'agissait de deux petites filles - la dimension humaine est cruellement absente. Quand on constate ce que les familles disaient, elles, dès le départ, eh bien... Ici, nous démontrons que, dans une démocratie, le Parlement joue un rôle essentiel. Qu'il en est le garant.

- Aucune crainte que le volet gendarmerie n'éclipse toutes les autres errances?

«J'ai l'horreur de la logique du bouc émissaire. Nous ne sommes pas ici dans un système manichéen, avec les bons d'un côté et les mauvais de l'autre. Il faut apporter beaucoup de nuances. II n'y a pas que le problème de la gendarmerie. Indépendamment du droit pour un magistrat de partir en vacances : à l'avenir, il n'y a rien à faire, il faut une solution concrète, structurelle, légale, qui fasse qu'une famille ne doive plus attendre cinq semaines pour rencontrer le responsable de l'enquête. On est dans un système où la disparition d'un enfant ne permet pas de contact avec la famille – cela existe pourtant en Hollande. Là, le chef de l'enquête doit inscrire dans son procès-verbal ce qu'il a fait pour aider les familles. C'est un exemple.

- Patrick Moriau est un homme différent, aujourd'hui ?

«Certainement. Deux moments, surtout, resteront gravés. La photo de la petite Laurence Mathues, martyrisée, cela me poursuit. Et puis, c'est de savoir que le 13 décembre 95, lors des perquisitions, les enquêteurs ont une vingtaine de présomptions qui convergent tous vers Dutroux. Se dire qu'à ce moment-là, on aurait pu... »

Propos recueillis par Erik Rydberg

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Confrontations au scalpel

« La Wallonie » du vendredi 20 décembre 1996 page 14

L'adjudant Jean Lesage, troisième et dernier témoin entendu par la Commission d'enquête, a donné mercredi soir une image diamétralement opposée des « contacts » qu'entretenait « son » équipe de gendarmes avec la juge Doutrewe et le commissaire Lamoque,qui dirigeait l'enquête sur la disparition de Julie et Mélissa.

Lesage, attaché à la BSR de Seraing et qui avait traité à les informations concernant Marc Dutroux, a affirmé avoir fait état devant Mme Doutrewe des renseignements dont il disposait en des termes beaucoup plus précis que celle-ci ne l'avait déclaré au cours de son audition de la veille. Le gendarme est formel: au mois d'août, il a informé la magistrate à deux reprises de cette piste.

Sur foi de ces déclarations contradictoires, le président de la Commission, Marc Verwilghen a décidé de convoquer Mme Doutrewe, ce mercredi soir, afin de la confronter à l'adjudant Lesage.

La séance a été suspendue vers 22H45, en attendant l'arrivée de la juge d'instruction.

La tension était à son comble, mercredi en fin de soirée, au sein de la Commission d'enquête, à l'occasion de la confrontation entre la juge d'instruction Martine Doutrèwe et l'adjudant de gendarmerie Jean Lesage. Avec en toile de fond, le sentiment qu'un des protagonistes commettait un faux témoignage.

Les deux témoins ont campé résolument sur leurs positions. Mme Doutrewe a affirmé que M.Lesage ne l'avait pas informée avec insistance et clarté de la piste Dutroux lors d'une réunion de coordination organisée à son

cabinet, à son retour de congé, le 31 juillet 1995. Selon elle, les « bribes » d'information reçues ce jour-là, ne laissaient en aucune manière à penser que Dutroux pouvait être impliqué dans l'enlèvement de Julie et Mélissa.

L'adjudant de la BSR de Seraing, en revanche, a soutenu qu'il avait déclaré, lors de cette réunion ainsi que lors d'une réunion tenue le 16 août, en présence du commissaire de la PJ Lamoque (chef d'enquête), du premier substitut Hombroise et de l'adjudant Gilot, qui dirigeait les gendarmes de Grâce-Hollogne, au sein de la cellule d'enquête sur les disparitions.

A l'écoute de ces déclarations on ne peut plus divergentes, le président de la Commission, Marc Verwilghen, s'est dit très « perturbé ».

« II y en a un de vous deux qui ne dit pas la vérité. J'espère qu'il ou elle se rend compte de ce qu'il fait. J'espère qu'un jour je pourrais vous croiser et vous regarder dans les yeux ».

MM. Gilot et Lamoque, qui ont été invités peu 'de temps après à se joindre à la confrontation, n'ont guère apporté de nouveaux éclaircissements. Le premier nommé ne se souvient pas avoir participé à la réunion du 16 août. « J'ai beau fouiller dans ma mémoire, M. le Président, mais je ne me souviens d'avoir été là. J'étais peut-être dans mon bureau ».

Le commissaire Lamoque, lui, se souvient très bien. Selon lui, M. Gilot était bel et bien présent à cette réunion.

Ambiance glaciale

Ces nouvelles contradictions ont jeté un froid supplémentaire sur les travaux. Au cours de la confrontation de ce mercredi soir, Marc Verwilghen, manifestement énervé par ces atermoiements, a interpellé l'adjudant Lesage à trois reprises au moins pour lui rappeler qu'il comparaissait sous serment.

Les débats ont une nouvelle fois été suspendus vers 23H45. Le président a fait convoquer le substitut Hombroise ainsi que le greffier de Mme Doutrewe. Ces deux personnes ayant assisté à la réunion du 16 août devraient être en mesure de corroborer les déclarations de la juge d'instruction et du commissaire Lamoque.

La confrontation mettant en présence les principaux acteurs de l'enquête sur la disparition de Julie et Mélissa devait avoir lieu au cours de la nuit.

La commission d'enquête a suspendu ses travaux jeudi vers 1h15 du matin, sur une confrontation au cours de laquelle les différents témoins se sont retranchés sur leurs positions.

D'une part, Mme Doutrèwe, qui a réaffirmé avec insistance que l'adjudant de gendarmerie Jean Lesage avait présenté Marc Dutroux de telle manière que rien ne laissait supposer qu'il pouvait s'agir d'un suspect d'importance.

Le caractère « anecdotique » de cette présentation de Dutroux par le gendarme a été confirmé par le greffier de Mme Doutrèwe, qui porte le mime patronyme, Lesage. Bernard, de son prénom, celui-ci n'était pas présent à la réunion du 31 juillet. En revanche, il assistait à la rencontre de coordination du 16 juillet. Et à cette occasion, a-t-il dit, les mots de séquestration, de viol et d'enlèvement d'enfants n'ont pas été prononcés en rapport avec Dutroux.

Le premier substitut Hombroise, qui n'était pas présent le 31 juillet, a affirmé ne pas avoir entendu parler de Dutroux lors des autres réunions de coordination.

Du côté de la gendarmerie, les adjudants Lesage et Gilot ont également confirmé leurs déclarations antérieures.

C'est sur une note de discorde et de crispation manifeste, tant au près des commissaires, du président que des témoins, que s'est clôturée une séance longue de prés de 16 heures. Avec un prochain rendez-vous, sans compter un éventuel rebond au niveau politique et de responsabilité ministérielle, au 6 janvier prochain.

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NOUVELLE «AFFAIRE DI RUPO »

Dehaene: un rapport, pas un dossier

« La Wallonie » du vendredi 20 décembre 1996 page 14

Le premier ministre Jean-Luc Dehaene a été interpellé, jeudi à la Chambre, sur la nouvelle affaire Di Rupo concernant l'achat de sa maison à Mons. Selon M. Dehaene, il n'y a pas de dossier à ce sujet mais un rapport du procureur général près la Cour de Cassation Éliane Liekendael qui a été transmis à la Commission d'enquête Dutroux.

Dans ce rapport, elle fait référence à une lettre du Comité supérieur de contrôle. Mme Liekendael ajoute qu'elle a interrogé le procureur général de Mons Demanet à ce sujet.

De cet interrogatoire il ressort que M. Demanet a fait une enquête et qu'il a conclu qu'il n'y avait pas d'indice de culpabilité.

Mme Liekendael, a ajouté le premier ministre, ne fait aucune remarque sur cette façon d'agir du procureur général.

Jean-Luc Dehaene a encore précisé à la Chambre qu'il avait été informé du rapport de Mme Liekendael au moment où celui-ci a été transmis à la Cour de Cassation.

Il a conclu en disant que dans ce dossier la justice avait fait son travail. Il a aussi souligné qu'à l'époque le justice avait une interprétation moins stricte de l'article 103 de la Constitution. Cette interprétation n'est pas contestée par la Cour de Cassation.

Dans leurs interpellations, geert Versnick (VLD), Bart Laeremans (VI. Blok) et Karel Van Hoorebeke (VU) ont interrogé le premier ministre sur l'intervention du ministre de la justice de l'époque, Melchior Wathelet, dans ce dossier. Ils ont critiqué ce qu'ils ont appelé le « droit d'injonction positive » utilisé par le ministre. Sur ce point, le premier ministre n'a pas répondu aux interpellateurs.

Les interpellateurs ont aussi dit que l'actuel ministre de la Justice avait reçu le rapport de Mme Liekendael le 30 novembre et l'avait retenu trois semaines avant de le transmettre à la Commission Dutroux, attendant ainsi le vote de la nouvelle loi sur la responsabilité ministérielle, conséquence de la première affaire Di Rupo. Sur ce point, le premier ministre est également resté silencieux dans sa réponse.

Dans leur réplique au premier ministre, les interpellateurs ont manifesté leur insatisfaction. Ils ont été rejoints par Didier Reynders, chef de groupe PRL-FDF,qui a notamment dit qu'il s'interrogeait sur l'attitude « étonnante » du ministre de la Justice Wathelet qui aurait dû, a tout le moins, informer le président de la Chambre de l'existence du dossier. Il a ajouté que la nouvelle loi était d'application pour tous les dossiers. Pour le reste, il a rappelé que la Commission Dutroux était saisie du rapport et a demandé que celui-ci soit aussi transmis à la commission de la Justice de la Chambre.

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