dimanche 30 août 2009

Chronique de la délation ordinaire (« Le Soir Illustré » du mercredi 18 décembre 1996,pages 28 et 29)


Chronique de la délation ordinaire

« Le Soir Illustré » du mercredi 18 décembre 1996,pages 28 et 29

La Marche Blanche fait partie de ces trop rares moments où l'on est fier d'être Belge. En lisant l'intégralité des trois dossiers «a charge» d'EIio Di Rupo, nous avons pu hélas! Nous rendre compte qu'une poignée de nos concitoyens n'hésitent pas à exprimer leurs frustrations en se cachant derrière la lâcheté de l'anonymat. Il devait y avoir de l'ambiance au siège bruxellois de la Gestapo, entre 40 et 45, quand on ouvrait le courrier.

Depuis plusieurs semaines, les lecteurs du Soir illustré savent que le premier dossier envoyé à la Chambre sur base des dénonciations du mythomane Oliver Trusgnach porte les stigmates de la manipulation.

L'enquête menée par le conseiller à la cour de Cassation Francis Fischer, et qui comporte plus de 1300 pages de devoirs d'instruction, blanchit entièrement Elio Di Rupo. Mais les 4 et 10 décembre dernier, le procureur général de Bruxelles, André Van Oudenhove, transmettait deux nouveaux «dossiers» à charge du vice premier ministre socialiste.

Depuis cinq ans, Le Soir illustré a montré par son travail d'investigation qu'il ne pouvait être suspect d'idolâtrie socialiste. Après avoir eu accès à l'intégralité des pièces des trois dossiers, nous sommes inquiets.

Inquiets du fonctionnement de la justice qui transmet des accusations aussi légères, essentiellement anonymes, non vérifiées et qui joue ainsi avec l'honneur d' un homme et la crédibilité des institutions.

Inquiets de voir des libéraux hurler avec les loups alors qu'ils savent pertinemment bien qu'au stade actuel, il n'y a rien dans les dossiers. Mais que ne feraient-ils pas, au nord comme au sud du pays, pour retourner au gouvernement?

CONFUSES ET IMPRÉCISES

C'est d'autant plus inquiétant que la lettre du procureur général de Bruxelles datée du 4 décembre qui accompagne le «dossier 2» parle de lettres anonymes, de déclarations spontanées qui, selon les termes mêmes de M. Van Oudenhove, sont «confuses et imprécises». Elles «n'opèrent pas de distinction bien nette entre la notion d'homosexualité et celle de pédophilie. Leur examen requiert, en outre, la plus grande circonspection». Cela n'a pourtant pas empêché ce même procureur général de transmettre les pièces à

la Chambre et de faire trembler le gouvernement avec deux dossiers qui sont à la densité d'informations ce que le vide intersidéral est au plomb.

Ainsi, les 14 annexes du dossier 2 commencent par trois lettres anonymes concernant un dossier de moeurs qui aurait été étouffé à Mons. On y parle également de relations entre Elio Di Rupo et le fils mineur d'une haute personnalité du PS. Suite à l'enquête du conseiller Fischer, ces délations courageusement anonymes ont été démontées. Mais l'annexe 4 de ce deuxième dossier devient plus précise. On découvre enfin un témoignage, auprès de la police de Namur, dont l'auteur est identifié. Le témoin signale avoir participé à des partouzes avec de petits jeunes, Elio Di Rupo et Jean-Pierre Grafé.

Manifestement, les policiers namurois prennent ce témoignage avec des pincettes. Ils signalent qu'en juin de cette année, ce même témoin a fait des déclarations sur des faits de moeurs mais sans citer aucun des deux ministres. Et ses nouvelles déclarations ont lieu une bonne semaine après que le dossier Trusgnach ait été rendu public.

De plus, ce témoin a été à plusieurs reprises soigné dans un établissement spécialisé pour dépression nerveuse. Le «témoin» s'estimant mal traité par la police de Namur, il se présente ensuite à la BSR de Bruxelles où il fait de nouvelles dépositions en contra diction avec celles faites à Namur...

L'ARCHETYPE DE LA RUMEUR

Vient ensuite le fameux accident qu'Elio Di Rupo aurait eu à Sars-la-Buissière en sortant du domicile de Marc Dutroux. Il s'agit ici d'un excellent exemple de propagation d'une rumeur, à mettre entre les mains des étudiants d'un institut de sociologie du pays. Six personnes (dont cinq anonymes) y font référence dans le dossier. Mais il n'y a accord sur rien entre les différentes versions. Pire, un témoin anonyme le tient de son coiffeur qui le tient de son cousin. Enquête faite auprès du coiffeur, il apparaît que celui-ci n'a pas de cousin et que se sont ses propres clients qui en parlaient entre eux dans son salon de coiffure. Une autre source de la gendarmerie, réinterrogée pour apporter plus de précisions recoupables par les enquêteurs, revient soudain en arrière pour préciser cette fois qu'il ne s'agit plus d'Elio Di Rupo mais de son frère.

Ce n'est plus à Sars-la-Buissière mais ailleurs dans la région de Charleroi...

Pour sa défense, le ministre a présenté un élément devant la Commission spéciale de la Chambre chargée d'examiner ces «dossiers». En 1992, en effet, son chauffeur a eu un accident spectaculaire dans la région, à Chapelle lez-Herlaimont, sa voiture ayant pris feu la nuit. Mais pas de trace du ministre à bord du véhicule.

Le travail s'étant poursuivi fort tard au cabinet ce 26 novembre 1992, le chauffeur d'Elio Di Rupo avait été chargé de reconduire à leur domicile deux secrétaires du cabinet, parmi lesquelles Clara Di Rupo, membre de la famille du ministre. Est-ce ce vieil accident qui a servi de base à la propagation d' une rumeur complètement

folle, un des témoins anonymes précisant que cet accident avait eu lieu le soir même des perquisitions chez Dutroux, à deux rues de son domicile ?

L'ANONYMAT RÈGNE EN MAÎTRE

Les annexes 6 à 8 ne sont guère plus reluisantes puisqu'elles sont constituées de coups de téléphone anonymes au numéro de téléphone 0.800 mis en oeuvre à Neufchâteau et de deux lettres anonymes envoyées au procureur du Roi Michel Bourlet. On s'étonnera ici de retrouver dans ce dossier du procureur général de Bruxelles des éléments de nature invérifiable, que le parquet de Neufchâteau refuse d'utiliser,

pour sa part, dans ses propres dossiers.

L'élément le plus scandaleux est sans aucun doute l'annexe numéro 9 du deuxième dossier.

Dans un rapport de cinq pages, la police de Bruxelles décrit le milieu de la prostitution homosexuelle qui prospère aux alentours de la place Fontanas à Bruxelles. Certains parlementaires glissaient aux oreilles des journalistes qu'il s'agissait d'un élément important concernant Di Rupo.

Nous avons lu cette pièce, comme les autres, intégralement. La seule mention concernant Elio Di Rupo

précise que ce dernier aurait assisté aux funérailles du patron d'une boîte homosexuelle de Bruxelles et qu'il fréquenterait un lieu de rencontre et d'information du milieu gay. Point. Aucun lien d'Elio Di Rupo avec la pédophilie ou la prostitution...

Deux autres ragots prennent encore l'allure de témoignages. Deux personnes ayant été témoins de conversations dans deux bistrots, l'un d'Anvers et l'autre de Bruxelles, rapportent des conversations de comptoir sur Elio Di Rupo et la pédophilie. L'un des deux «témoins» a au moins le mérite de signaler que son interlocuteur était passablement éméché lorsqu'il tenait de tels propos. Voilà, Messieurs Reynders et De Croo, de quoi faire vaciller un gouvernement!

SEXE, MENSONGES ET VIDÉO

Un autre courageux anonyme mentionne encore que G., travaillant pour le cabinet d'Elio Di Rupo, aurait vu des petites filles de moins de dix ans être amenées auprès du ministre. Vérification faite, aucun G. n'a jamais fait partie de la liste du personnel du cabinet du ministre. Et voilà soudain Elio Di Rupo qui s'intéresse aux petites filles?

Voici enfin la déclaration la plus sérieuse du dossier. Madame D. a appris par son frère qui lui même a une connaissance qui lui a déclaré, à propos d'un immeuble à appartements de Zaventem, que «des jeunes garçons (...) viennent régulièrement à cet appartement et ce durant la nuit».

Selon cette connaissance du frère du témoin, Elio Di Rupo aurait lui aussi été vu à plusieurs reprises alors qu'il sortait de cet immeuble. Heureusement pour lui, devant la Commission spéciale, le vice-Premier a pu expliquer ces visites dans cet immeuble.

Quant à la fameuse cassette vidéo présentée par la députée néo-fasciste Bastien, elle ne concerne ni Elio Di Rupo ni Jean Pierre Grafé, mais le responsable d'une formation d'extrême droite concurrente ainsi que sa compagne. A l'extrême droite aussi, on donne dans le frais.

Le fameux troisième dossier est du même tonneau, le procureur général Van Oudenhove ayant d'ailleurs la prudence de signaler dans sa lettre introductive que «les autres dénonciations (...) se caractérisent par leur imprécision et visent soit des accusations de pédophilie formulées de manière générale, soit la fréquentation de lieux jugés «suspects». Dans un de ces «témoignages» anonymes, on précise ainsi qu'Elio Di Rupo racolerait des petits jeunes majeurs. Rien de répréhensible. Si ce n'est cette fois qu'ils lui accorderaient leurs

faveurs en échange de cocaïne. Di Rupo n' est plus seulement pédophile, le voici maintenant pourvoyeur

de drogue. Mais ici encore, dans ce troisième dossier,c'est la lâcheté de l'anonymat qui règne en maître.

Un des anonymes connaît un libraire qui connaîtrait des choses, un autre dénonce une relation entre

Di Rupo et un des barons du PS.

Quelle crédibilité y accorder ? Le témoin fournit lui-même une réponse convaincante: «Je suis membre actif du PSC depuis quelques années et c'est comme cela que je peux vous faire ces déclarations»...

Seul un gendarme de Liège, dans un PV du 22 novembre dernier, ose mettre en doute la validité des ragots colportés: «Cet entretien (...) ne contient aucun élément précis déterminant en rapport avec les «accusations» révélées par les médias». Est-il si difficile, dans le contexte actuel, pour des membres de l'appareil judiciaire de prendre leurs distances par rapport aux «informations» qu'ils collectent ?

Le sommet est sans doute atteint dans la déposition recueillie, de manière non anonyme pour une fois, par

la Gendarmerie de Namur le 27 août dernier. Le témoin explique qu'il a eu une proposition de se livrer à des attouchements sexuels par un «homme d'une trentaine d'années, de taille moyenne, mince, cheveux noirs longs et ondulés. Il portait une boucle d'oreille à l'oreille droite. Il portait une fine moustache».

Que fait ce témoignage dans le dossier Di Rupo? On se le demande toujours.

Reste qu'aujourd'hui, au stade actuel des dossiers, il était évident que des poursuites ne devaient pas être entamées contre le vice premier ministre. D'autant que la loi spéciale adoptée permet à la cour de Cassation de continuer l'enquête mais sans que des ragots de bas étage ne viennent polluer l'atmosphère sur base de jeux politiciens. La position des libéraux, accusant la majorité d'étouffer le dossier, est donc purement et simplement contraire à la vérité. Leur attitude n'est guère plus digne que celle de quelques dizaines de nos compatriotes, quasiment tous francophones, qui se sont livrés à l'activité favorite des régimes forts et des citoyens faibles: la délation. Ils ne méritent que notre mépris.

Philippe Brewaeys.

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