mardi 2 juin 2009

PRESSIONS À LA GENDARMERIE (Soir Illustré du mercredi 13 novembre 1996 pages 30 ; 31 et 31)


PRESSIONS À LA GENDARMERIE

Soir Illustré du mercredi 13 novembre 1996 pages 30 ; 31 et 31

La semaine dernière, nous émettions l'hypothèse selon laquelle l'état-major de la Gendarmerie était au centre de la non transmission de données à la juge d'instruction liégeoise chargée du dossier Julie et Mélissa. De nouveaux documents nous sont parvenus. Ils permettent de confirmer et de préciser cette hypothèse.

- Dès le 7 juillet 1995, quinze jours après l'enlèvement des deux fillettes, la BSR de Charleroi signalait à celle de GrâceHollogne des renseignements concernant Marc Dutroux. A plusieurs reprises, Liège et Charleroi échangeront des fax. Pendant ce temps-là, Mme Doutrewe, la juge d'instruction liégeoise chargée du dossier, était partie en vacances. Mais, comme le soulignait un message interne Gendarmerie du 28 juillet 1995, répertorié très urgent, parti de Seraing à Charleroi, l'intérêt des enquêteurs était grand et ils souhaitaient travailler manifestement avec Mme Doutrewe: «Les renseignements que vous pourrez nous fournir détermineront d'éventuelles actions ultérieures, notamment mandat de perquisition de notre part», c'est-à-dire avec la juge Doutrewe. L'intérêt croît d'ailleurs au fil des jours. Le 7 août 1995, Seraing précise au Bureau Central de Recherches (BCR), dépendant de l'état-major de la Gendarmerie, qu' «il serait intéressant de «monter un dossier concernant les intéressés», en l'occurrence Marc Dutroux et son épouse Michelle Martin. Le lendemain, le BCR convoque une réunion à Charleroi des différentes sections de la BSR qui disposent d'information sur Dutroux.

LA RÉUNION QUI A TOUT FAIT BASCULER

- Cette réunion a lieu le 9 août C'est ici que tout va basculer. Pourtant, tant dans les interrogatoires menés par le procureur général de liège que dans ceux du procureur …

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…..général près la cour de Cassation Jacques Velu et ceux menés encore par le comité P, on ne retrouve pratiquement aucune question concernant ce qui s'est réellement passé lors de cette réunion.

- Cependant, un document daté du 16 août partant du district de Charleroi (degré de priorité urgent) est envoyé à divers participants à la réunion: «Nous maintenons l'hypothèse retenue lors de la réunion (...) à savoir sous le motif de vous, obtenir des mandats de perquisition afin de s'assurer du passage ou de la présence d'enfants dans une des demeures ou dépendances de Dutroux». Le dossier a donc «glissé» lors de cette réunion.

- Que s'y est-il réellement passé? Dans le dossier de l' enquête sur l' enquête, un seul participant en parle de manière fort évasive lors d'un interrogatoire le 4 octobre dernier devant le comité P: «Aucune décision n'est prise au cours de cette réunion. Il s'agit d'une réunion de concertation (...) Cette réunion dure +/- une heure. Il n'y a pas de rapport ou compte-rendu de cette réunion mais, ultérieurement, soit le 16 août 1995, le capitaine Bal ( ndlr: GD de Charleroi) rédigera un rapport de synthèse ( ndlr: celui auquel nous faisons référence supra). Je ne suis pas au courant du contenu de la note établie par le BCR. Il est possible que l'on ait parlé de la possibilité de transmettre cette affaire à Liège, mais je n'en ai pas le moindre souvenir». Interrogé sur qui a pris la décision de l'hypothèse retenue, à savoir garder le dossier à Charleroi sous le prétexte de vol,le gendarme interrogé ne répond pas. Et l'interrogatoire sur ce point s'arrête. Ce serait bien la première fois qu'une réunion d'une telle importance ne donne pas lieu à un procès-verbal.

- Serait-ce ce type de document qui aurait été détruit au BCR si l'on en croit le député Decroly (Écolo) et la sénatrice Milquet (PSC)? Ce sera au tour de la commission d'enquête de faire la lumière sur l'affaire, puisque ni Jacques Velu, ni Anne Thily, ni le comité P ne l'ont fait. Mais tout laisse donc penser qu'il s'agit d'une décision de l'état major de la Gendarmerie. Le comportement de cet état-major en août 1996, lorsque le

« Pot aux roses » sera découvert, va d'ailleurs dans ce sens.

ON NOTE TOUT, JUSQU'AUX COUPS DE FIL

- Mais reprenons le fil du temps. Le 16 août 1995 à 10h50, le compte-rendu de la réunion qui s' est tenue une semaine plus tôt sous l' égide du BCR arrive à la brigade de Grâce-Hollogne.

L'adjudant Lesage prévient alors la juge d'instruction Doutrewe qui s'apprête à repartir en vacances. Après quoi, il a un entretien téléphonique avec le BCR de Bruxelles dont la Gendarmerie a miraculeusement découvert trace en août dernier.

Selon cette note, la juge d'instruction Doutrewe ne se serait pas montrée fort chaude en ce qui concerne l'enquête sur Dutroux.

Deux remarques: d'une part, à la Gendarmerie, on ne fait pas de rapport d'une réunion entre cinq sections de la BSR mais un coup de fil entre deux gendarmes fait l'objet d'un compte-rendu archivé. D'autre part, cette note miraculeusement retrouvée rend la juge d'instruction responsable de l'absence d'enquête alors qu'une semaine plus tôt, il a déjà été décidé de la mettre à l'écart des informations.

- Mais les événements dramatiques de la fin du mois d'août 1996 vont encore accentuer ce malaise vis-à-vis de l'état-major de la Gendarmerie. Selon le substitut Hombroise, chargé du dossier à Liège, c'est le 17 août, lors de la découverte des corps de Julie et Mélissa à Sars-la Buissière qu'il a pris connaissance de l'existence du dossier Othello en surprenant des conversations entre les gendarmes présents sur les lieux.

Certains d'entre eux possédaient le dossier, comme l'adjudant Gilot de Grâce-Hollogne. Le substitut précise que la «juge d' instruction Doutrewe a demande a pouvoir consulter ces pièces, Monsieur l'adjudant Gilot lui a fait part qu'il s'agissait de rapports confidentiels internes Gendarmerie mais a quand même, à la demande du magistrat, exhibé ceux-ci»…….

Page 32 :

……Le commissaire de la P.J. Lamoque, qui assistait à la scène, est plus féroce: «Le capitaine W. était embêté de ma prise de connaissance des éléments du dossier gendarmerie Dutroux (...)

Je précise que, selon les propres termes de l'adjudant chef Gilot, il lui était interdit de donner ces documents et même de les montrer».

PRESSIONS À L'ÉTAT-MAJOR

- Le 20 août, la juge d'instruction demande à l'adjudant Gilot de rédiger un procès-verbal expliquant ce qu'avait fait la à propos de l'affaire Dutroux. Le lendemain matin, il se présente devant le juge d'instruction qui lui fait ajouter deux points.

Un des oublis concernait - un hasard sans doute - la présence du BCR à la fameuse réunion du 9 août 1995 où on a décidé de la contourner. L'adjudant Gilot, promettant de ramener son pv corrigé en début d'après- midi, retourne à sa brigade pour indiquer les modifications. Mais à 11h, une voiture vient le chercher pour le conduire à l'état-major général de la Gendarmerie pour y fournir des explications.

- A Liège, la juge Doutrewe ne voyant pas arriver son pv corrigé est contactée par un autre membre de la BSR de Grâce- Hollogne. Celui-ci, sur ordre d'un général, lui demande copie de son apostille où elle réclame des explications à Gilot. Quel est ce général qui se mêle ainsi de ce qui ne le regarde pas? Personne n'a posé la question. Mais, selon Gilot, l'explication qu'il devait fournir à l'état-major général de la Gendarmerie à Bruxelles s'est déroulée en présence du général Willy Deridder, le commandant de la Gendarmerie himself.

Finalement, au forcing, la juge d'instruction allait obtenir ce procès-verbal de l'adjudant Gilot.

- En quoi pouvait-il tant intéresser l'état-major général de la Gendarmerie jusqu'au commandant du corps? C'est que, précisément, le lendemain, le général Willy Deridder rentrait un rapport «secret» au ministre de la Justice Stefaan De Clerck, qui n'allait pas dans le même sens que celui de l'adjudant Gilot. Ce dernier a d'ailleurs dû rédiger un nouveau rapport dès le lendemain, rapport qui «chargeait» cette fois la juge d'instruction Doutrewe.

LE BOULOT DE LA COMMISSION

- Il est à espérer que la commission d'enquête tirera cette affaire au clair, au contraire de tous les rapports qui ont été rédigés jusqu'à présent. Dans les faits, il apparaît manifestement qu'au delà des dysfonctionnements de l'enquête ou des protections dont Dutroux et consorts ont pu bénéficier,

On a déjà souligné dans le passé sa propension à s'autonomiser se pose au niveau de la haute direction de la Gendarmerie, un problème spécifique et miser de la structure judiciaire et à mener des enquêtes parallèles. Dans l'affaire Dutroux, cela pourrait avoir eu des conséquences dommageables. On sait par ailleurs que, dans l'affaire Cools, la vérité n'aurait jamais commencé à apparaître sans, justement, une enquête parallèle de la Gendarmerie menée en accord avec certains membres de la PJ de la cellule Cools et contre l'avis de certains membres de l'appareil judiciaire liégeois.

- Un problème de fond surgit ici brutalement: la plupart des magistrats ont une vision de la criminalité lourde ou organisée structurel qui retarde de 10 ou 20 ans. La PJ, qui reste organisée sur une base locale de baronnies, est elle aussi victime de ce retard, à l'exception sans doute de la 23ème brigade nationale ou à l' OCEDEFO, la structure qui lutte contre le blanchiment d'argent. La nature ayant horreur du vide, la Gendarmerie s'est engouffrée dans cette brèche, espérant pouvoir ainsi «avaler» la PJ. L'échec de cette stratégie dans l'affaire Dutroux remet cette stratégie en cause. Il faut donc au maximum la masquer.

Philippe Brewaeys.

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Légende photo de la page 30

ÉMUS

Les députés n'ont pas caché leur émotion après deux heures d'inspection. Olivier Maingain et d'autres ont écouté les accusations des parents Lejeune venus, caméscope au poing, indiquer tout ce qui aurait dû mettre la puce à l'oreille des gendarmes. Des aménagements troublants mais ignorés !

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SI PRES DE L’HORREUR A MARCINELLE

Soir Illustré du mercredi 13 novembre 1996 pages 30 ; 31 et 31

« Je pense qu'on aurait pu sauver les fillettes: les gendarmes n'ont sans doute pas bien fait leur travail ».

Tel est le constat cinglant de Claude Eerdekens après la visite de la maison de l'horreur à Marcinelle.

Les députés ont vu « le trou à rats » où furent détenues Julie et Métissa; ils en sont ressortis effondrés.

- Douze députés sur quinze se sont déplacés au 128, de l'avenue de Philippeville à Marcinelle, où Marc Dutroux claquemura si longtemps Julie et Mélissa, Laetitia et Sabine. La Commission d'enquête parlementaire tenait à se rendre compte par elle même de la réalité des lieux, d'indices qui auraient pu fonder des soupçons quant à une cache éventuelle. Habitués aux séances feutrées du huis clos, déjà très éprouvantes, ils ont physiquement et moralement mesure le calvaire des fillettes. Ce n'étaient plus des politiciens qui s'exprimaient à la sortie, mais des hommes et des femmes atterrés par leurs décorvertes!

Cette descente sur le terrain - sans doute la seule des trois mois d'enquête prévus, célérité oblige avait pour but de clairement déterminer si, oui ou nos on aurait pu déceler la présence des fillettes lors des deux perquisitions des 19 décembre 1995. Les deux petites Liégeoises étaient bien derrière la cloison amovible aménagée par Dutroux.

On se rappelle que celui ci les avait menacées de représailles au cas où elles auraient appelé à l'aide. Recluses dans une vieille citerne minuscule, les deux amies ont vécu neuf mois d'enfer, un cauchemar devenu palpable et oppressant pour la délégation parlementaire menée par Marc Verwilghen.

- Ils ont dû surmonter leur émotion pour «questionner» les lieux. Escortés par les fleurs blanches et les messages de soutien qui ornent la façade,, ils ont franchi le seuil de cette prison blafarde, accompagnés par

Jean-Denis Lejeune, venu sur place indiquer les bizarreries de la cave. Pour le papa de Julie, le doute n'est pas permis, il ne cesse de l’affirmer avec véhémence.

« LA CACHE ÉTAIT DÉCELABLE »

La cache était décelable. Nous en avons fait la démonstration. Je ne sais pas si les gendarmes ont commis une faute ou si on a voulu qu'ils la commettent. Ce sera à l'enquête parlementaire de le déterminer.

Les gendarmes savaient que Dutroux aménageait des caches. Avec un simple marteau, en frappant sur le mur, on se rend compte qu'il résonne différemment. La surface au sol n'est pas la même. Enfin, il n'y a du plafonnage que sur le mur de la cellule. Autant de signes, assez voyants, qui auraient du attirer l’attention. Comment n'ont-ils pas immédiatement, au vu des antécédents de Dutroux, débouché sur une fouille plus minutieuse? Pourquoi ce qui saute aux yeux des parents a-t-il échappé aux enquêteurs? Il appartient aux députés de creuser cette embarrassante question. Le réduit n'était pas insonorisé. Certains visiteurs disent même avoir entendu des cris, aussitôt excusés par un Dutroux jamais à court de mensonges.

- On ne s'est pas donné la peine de sonder les murs, de mieux regarder, accuse M. Lejeune, choqué par tant de laxisme.

- Les députés voulaient en avoir le coeur net, ils s'apprêtent maintenant à écouter les explications des gendarmes carolos venus plusieurs fois si près des enfants. Faute grave ou raté admissible? Ils devront justifier leur manque de sagacité alors qu'il suffisait d'«écouter» les murs pour découvrir une pièce. A leur décharge, force est de rappeler que le procureur Michel Bourlet, descendu sur les lieux dès l'arrestation de Marc Dutroux à la mi-août, n'était pas parvenu non plus à percer le mystère d'une chambre bien dissimulée. Il avait fallu attendre les indications du pédophile lui-même pour délivrer Laetitia et Sabine. Ce qui semble, après coup, grossièrement maquillé devenait soudain évident. A moins qu'il ne faille dire accablant...

Bernard Meeus.

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