LES SILENCES DU PARQUET DE CHARLEROI
(Suite de la page 29)
…………………il semble bien d'après la suite de l'enquête du procureur Velu que ce soit après qu'un autre substitut du parquet de Charleroi, Mme Troch, apprend fortuitement l'existence des suspicions pesant sur Dutroux.
Non seulement Mme Robert ne pipe mot de l'opération Othello à ses successeurs mais en plus, elle ne met même pas le "dossier à représenter", ce qui aurait impliqué que ceux-ci auraient été obligatoirement informés des suites de l'observation de la gendarmerie.
Explication avancée par Mme Robert en ce qui concerne ce point-là: "Je n'ai plus reçu après le 4 septembre de nouvelle dans le cadre du dossier Othello. Je ne m'en suis plus occupée. (.. .) J'étais certaine que tout élément nouveau résultant des observations (... ) serait porté à la connaissance du Procureur du Roi ou à ma propre connaissance, auquel cas j en aurais référé à M. le Procureur du Roi".
Et c'est donc sans que quiconque s'en préoccupe vraiment au parquet de Charleroi que la gendarmerie poursuit ses démarches dans le dossier Dutroux.
Des observations sont encore menées par les spécialistes du Posa, les 8 et 19 septembre 1995, les 13 et 16 octobre 1995. A ce moment, les gendarmes s'intéressent notamment à un certain P., un ancien militaire de carrière qui avait été aperçu dans un véhicule à proximité de chez Dutroux. Mais la piste est abandonnée.
Les observations ne donnant pas plus de résultats.
Après avoir fait confiance aveuglément à la gendarmerie, ne lui ayant demandé aucun devoir, ni même de comptes précis, s'étant seulement contentée d'attendre la suite des événements avant de carrément oublier la piste Dutroux, Mme Robert n'en garde pas moins des certitudes.
Interrogée le 3 septembre dernier par le procureur Velu à propos d'éventuelles protections de Dutroux à Charleroi, elle répondait tout de go: « J'ai lu cela dans la presse. Cela m'a sidérée parce que ces informations venaient d'un amalgame d'informations que la presse a l'habitude de se procurer. Pour moi, je considère comme une évidence que Dutroux n'a pas bénéficié de protections de la part d'autorités judiciaires ou de police dans l'arrondissement judiciaire de Charleroi ». Un avis crédible?
Poursuivant sur cette lancée, cette magistrate de Charleroi justifiait encore ses silences de la manière suivante:
Mme Robert. - J'ai considéré, comme je l'ai déjà dit dans une autre partie de mon audition, que ces informations avaient été portées à la connaissance des différentes gendarmeries du Royaume. Pour moi, il était indéniable que les magistrats concernés dans les autres arrondissements que celui de Charleroi étaient au courant.(s..)
M. Velu. - Vous présumiez donc que le parquet de Liège avait été avise des informations contenues notamment dans le rapport du 25 août 1995. C'était une présomption. Pourquoi, étant donné la gravité des faits que constituait la disparition de Julie et Mélissa, n'avez vous pas estimé devoir vous assurer que cette présomption correspondait à la réalité? (NDLR: Un appui qui aurait peut-être convaincu Mme Doutrewe qu'il était plus important de s'occuper de Dutroux que d'aller visiter les châteaux de la Loire.)
Mme Robert. - Parce que j'étais certaine que l'information avait circulé. J'en étais certaine.
Et l'entretien se poursuit sur la base des mêmes certitudes. Inébranlables. Malgré le drame qui est en train de se jouer dans une maison de Marcinelle et dont on entrevoit aujourd'hui toute l'horreur.
M. Velu. - A la lumière de l'expérience actuelle, agiriez-vous encore comme vous l'avez fait?
Mme Robert. - (...) J'aurai eu toujours la même certitude quant à la transmission des éléments. Je serai toujours persuadée que les enquêteurs et éventuellement le magistrat instructeur ou le magistrat de parquet chargés d'un dossier d'enlèvement étaient au courant. (...) Je tiens à souligner que mon intervention dans le cadre du dossier Othello, en ce qui me concerne, était faite de la même manière suivant laquelle je m'efforce de travailler, c'est-à-dire avec diligence et en essayant toujours de protéger l'intérêt public., en tout cas, I intérêt des enfants, puisque c'est à la section Jeunesse que j'exerce mes fonctions.
Commentaire du procureur Velu: "Ayant eu connaissance de ces explications de Mme Robert, le colonel Lemasson et le commandant Legros ont fait observer qu'il (leur) aurait paru tout aussi clair et logique que, dans le cadre d'une telle affaire, le parquet de Charleroi informe celui de Liège des devoirs menés par un corps de police sur son ressort concernant un suspect". Et comme de son côté la juge d'instruction liégeoise
Doutrewe avait autre chose à faire que de s'occuper de Dutroux...
Restent enfin les silences du substitut Robert au sein même du parquet de Charleroi. Du 1er septembre 1995 au 23 octobre 1995, le premier substitut Lambert prend les rênes du parquet de Charleroi. Mais le procureur du Roi intérimaire ignore tout de l'opération Othello. Interrogé lui aussi par le procureur Velu qui lui demandait « si Mme Robert n'aurait pas dû le tenir au courant de existence des documents du 25 août et du 1er septembre ou, tout au moins, des renseignements de la gendarmerie qu'ils contenaient », le magistrat carolo venait à la rescousse de sa collègue: "Lorsque la farde Bic relative à l'opération Othello a été ouverte, soit le 25 août 1995,j'étais en congé et le procureur du Roi faisant fonction était Mme Robert. Je puis peut-être ajouter que lorsqu'une farde Bic avait été ouverte concernant des événements antérieurs à mon entrée en fonction, je ne l'apprenais que quand un élément nouveau amenait ou pouvait amener un nouveau devoir.
(...) C'est le motif pour lequel moi je n'ai été informé ni de cette opération, ni de la farde Bic la concernant".
Traduction: alors que Julie,Mélîssa An et Eefje sont entre les griffes du réseau Dutroux, il est tout à fait normal que le dossier concernant l'observation du monstre reste enfoui dans un tiroir en attendant d'éventuelles nouvelles de la gendarmerie puisque la coutume est de ne pas s'informer automatiquement de ce type d'opération quand un magistrat remplace l'autre à la fonction de procureur du Roi intérimaire.
Résultat des courses: lorsqu'il prête serment en qualité de procureur du Roi, M. Marchandise ignore tout, lui aussi, de l'opération Othello. Et comme Mme Robert traite "avec diligence" d'autres dossiers visant à "protéger l'intérêt des enfants", il le reste jusqu'au début novembre 1995. Epoque à laquelle le substitut Troch apprend de la bouche du gendarme M. l'existence de l’opération Othello et l'en avertit aussitôt.
Les détails édifiants de cet épisode sont consignés dans le rapport Velu. On découvre ainsi que suivant la gendarmerie de Charleroi, la rencontre du maréchal des logis M. et de Mme le Substitut Troch eut un caractère fortuit. (...)
M. le Procureur du Roi Marchandise prit pour la première fois connaissance du dossier Othello le 2 novembre 1995 par Mme le Substitut Troch qui lui rendit compte de sa conversation avec le chef M. ". En d'autres termes,on peut s'estimer heureux que le gendarme M. ait ressenti le besoin de se confier à un magistrat, sinon le dossier Othello restait dans son tiroir pour cause d'absence d'éléments nouveaux...
C'est aussi ce qui ressortait de l'audition de Mme Troch, le 3 septembre dernier devant le procureur général Velu.
Mme Troch. - (...) Monsieur M., membre de la BSR de Charleroi, est venu en mon bureau afin de me demander si j'étais au courant d'une opération Othello, Monsieur M. sachant évidemment que ,je m'occupais de dossiers relatifs aux cas de maltraitance infantile.
M. Velu. - Mme Robert n'avait pas pris l'initiative de vous parler de cette opération. (...)?
Mme Troch. - Non. Lorsque j'ai appris l'existence de cette opération (...), j'ai effectué une démarche auprès de M. le Procureur du Roi Marchandise afin d'en connaître l'objet. (...)
M. Velu. - (...) Celui-ci vous a t-il paru connaître l'existence du dossier Othello?
Mme Troch. - Pas à ma connaissance. (...) Je pense qu'il en a eu connaissance suite à mon entretien.
Ensemble, Troch et Marchandise consultent alors les documents relatifs à cette si discrète opération "Othello". Et ils ne sont pas au bout de leurs surprises.
Mme Troch. - J'ai marqué mon étonnement quant à la rédaction du rapport du 25 août (NDLR: la première demande de la gendarmerie de mise sous observation de Dutroux que le magistrat Robert s'était contentée de signer sans demander de devoirs particuliers, ni même de mettre le dossier "à représenter" dont les éléments me paraissaient insuffisants. J'ai suggéré à M. le Procureur du Roi de convoquer le rédacteur de ce rapport. (...) (Dans le rapport du 25 août) L'objet des rumeurs persistantes n'était pas explicité. On faisait état d'une perquisition effectuée en 1993 dans le cadre d'un dossier mais sans spécifier le contenu de ce dossier.
M. Legros mentionnait l'existence de deux informateurs non codés. Pourquoi ces informateurs n'étaient-ils pas
codés? Quelle était l'identité de ces deux informateurs? Quelle est l'identité du gendarme qui avait ces informations?
Lorsqu'il prend à son tour connaissance du rapport du 25 août, le procureur du Roi l'annote et demande lui aussi "un certain nombre de vérifications". Le 4 septembre dernier, alors qu'il était auditionné par le procureur Velu à propos des éventuelles imprécisions de la demande de démarrage de l'opération Othello, le commandant de gendarmerie Legros apportait un certain nombre d'éclaircissements, ainsi que ce commentaire lapidaire renvoyant la balle dans le camp du parquet de Charleroi et plus particulièrement de la très silencieuse Mme Robert: « J'estime que si le magistrat souhaitait avoir de plus amples explications NDLR: en août 1995), il suffisait de poser la question. Nous aurions donné une réponse précise !
Michel Bouffioux
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