lundi 11 mai 2009

Paul Marchal petit père du peuple blanc ( « Soir Illustré »30 octobre 1996 pg 30,31 et 32


Paul Marchal petit père du peuple blanc

« Soir Illustré » du mercredi 30 octobre 1996 pages 30,31 et 32

Profondément meurtri par la mort de sa fille An, Paul Marchal a choisi d'ouvrir les bras à son destin. Il est devenu, en quelque sorte, le père de la «nation de la Marche blanche» et son porte-parole. Il n'y a plus un soir où il ne passe à la télé et les lecteurs du journal Het Laatste Nieuws ne ratent pas une seule de ses Chroniques quotidiennes.

Pourquoi ? Parce que Paul Marchal jette un regard lumineux sur les événements qui secouent notre pays, sur notre société et sur l'avenir. Rencontre.

- Dix-huit heures. Sur le dernier petit coin de la table de la salle à manger qui ne soit pas submergé par les fleurs blanches et les piles branlantes de documents, Paul Marchal se concentre sur la rédaction de la chronique qu'il doit faxer sans tarder au journal.

- Dans le salon, où trône un immense portrait d'An et Eefje, la soeur cadette d'An, Kris (14 ans), et son petit frère Gert (12 ans) regardent la télé. Karen (16 ans), l'aîné, est au téléphone non loin du fax qui déroule ses messages jusqu'à terre.

- Betty, la femme de Paul Marchal, rentre d'avoir fait des courses.

- Ça va? As-tu mangé ce midi ? demande-t-elle. Non.- Rien ? - Rien.

- Aujourd'hui, Paul Marchal s'est rendu à Bruxelles, pour sa déposition devant la Commission d'enquête parlementaire. Télés, photos, interviews... Depuis plusieurs mois, Paul Marchal mène une vie de fou. Sa petite maison coquette, dans la périphérie verte de la ville d'Hasselt, est devenue un centre de presse. Le téléphone sonne sans arrêt, sept jours sur sept, depuis trois heures du matin jusqu'à minuit. Et il faut changer deux fois par jour le rouleau de papier du fax, tant il y a de messages.

- Pour ce quadragénaire barbu, amaigri par tant d'épreuves, enseignant dans une école spécialisée pour enfants handicapés mentaux, la vie a basculé fin août 1995, quand sa fille aînée, An, a disparu en compagnie d'Eefje. Après la découverte des corps d'An et Eefje en septembre dernier, Paul Marchal n'a pas réagi de façon banale. Il aurait pu s'effondrer dans son malheur, s'effacer; il a choisi d'ouvrir les bras à son destin. Et son destin, c'est celui d'un homme simple et lumineux auquel tout le peuple de Belgique, qui a perdu ses points de repère, s'identifie désormais.

- Le Soir illustré: - Vous êtes devenu un personnage charismatique, une autorité morale, une personnalité importante, en Belgique. En êtes-vous conscient?

- Paul Marchal: - Oui. Mais je ne fais pas cela pour moi-même. Il y a des gens qui me disent qu'en fait, j'aime bien me trouver devant les caméras. Mais ce n'est par pour cela que je le fais. Quand on a retrouvé An et Eefje, j'ai pensé: « Et maintenant, qu'est-ce que je vais faire ?» A ce moment, c'était très difficile pour moi. Alors, il y a des amis qui m'ont dit: «Maintenant que tu as réussi à ouvrir tant de portes, garde-les ouvertes pour les autres». C'est vrai que maintenant, je connais beaucoup de monde, des ministres et tout ça... Aujourd'hui, il y a des gens qui me contactent et qui me demandent: « Est-ce que vous pouvez m'aider ?

Pouvez-vous faire quelque chose pour moi?»

Ce rôle-là, je veux bien le remplir maintenant. Pour les enfants et pour les jeunes. Parce que dans notre société, les jeunes ont beaucoup de problèmes...

- C'est le but de l'asbl An et Eefje que vous venez de créer?

- Par mon travail dans cette asbl, je veux oeuvrer pour que le monde soit plus beau pour les enfants. Je veux une société enfants admis, avec des institutions dans lesquelles ils se sentent bien. Prenez Sabine et Laetitia, par exemple. Elles ont subi une expérience très mauvaise. Je pense que notre pays se doit de faire quelque chose pour elles. Parce qu'on fait beaucoup de choses pour les criminels - on les défend et on les protège - mais on ne fait rien pour les victimes. Moi, je veux me battre pour défendre les victimes, surtout quand il s'agit de jeunes. Et puis, il n'y a pas que cela. Les jeunes sont confrontés à beaucoup de problèmes: la drogue, le sida, la pédophilie, les abus physiques, les abus psychiques... Il faut sensibiliser les autorités, mais aussi les parents, pour que nos enfants et nos jeunes puissent vivre dans un monde meilleur. Je pense aussi que certaines institutions doivent être améliorées et que d'autres doivent être créées. Je veux y aider de manière constructive tout en restant une sorte d'aiguillon pour le monde politique. Tels sont les buts de mon asbl(1).

- M. Lambreks, le papa d'Eefje, veut vous faire un procès pour cette initiative. Pourquoi est-il si fâché sur vous?

- Je ne sais pas ce qu'il veut. Moi, je ne suis pas en guerre avec lui. S'il le souhaite, il peut aussi faire partie de l'asbl. S'il veut la guerre, il la fera contre lui-même. La seule chose qui m'importe, c'est d'aider les enfants et les jeunes qui en ont besoin.

- Quel était, selon vous, le message des 300.000 participants de la Marche blanche?

- Pour moi, ils ont dit deux choses. D'abord, ils étaient là pour nos enfants. C'est pourquoi ils sont venus en blanc, calmes et dignes. Deuxièmement: les gens ont voulu dire que le pays a besoin d'être reconstruit. Ils ont dit que les politiciens et le gouvernement ne comprennent plus les citoyens. La population est très nerveuse parce qu'elle ne sait pas ce qui va se passer. Elle a un compte à régler avec le gouvernement. Maintenant, c'est au monde politique de jouer et d'agir. S'il ne fait rien maintenant, c'est très grave pour lui et pour notre pays.

- Pensez-vous que, depuis le 20 octobre, quelque chose a changé dans ce pays?

- Du côté des gens, oui. Dans la population, maintenant, les gens n'hésitent plus à dénoncer ce qui ne va pas, et je pense que c'est très bien qu'ils critiquent ce qui doit l'être. De cette manière, ils exercent leur rôle de citoyens responsables. Dans le monde politique, en revanche, je ne sais pas encore si les choses ont changé. Je reste très prudent. C'est vrai qu'aujourd'hui, vendredi, j'ai été entendu par la Commission d'enquête parlementaire alors que, dimanche dernier, lorsque nous avons évoqué ce point avec M. Dehaene, il n'en était pas question.

C'est vrai, j'ai eu la chance de pouvoir parler et, surtout, d'être écouté. Ce n'est que la deuxième fois que l'on m'écoute. La première fois, c'était à Neufchâteau, chez M. Bourlet. Cela dit, vis-à-vis du monde politique, je reste méfiant. Je ne leur accorde guère de crédit et je n'ai pas confiance.

- Lors de la manifestation, Flamands et Wallons ont marché ensemble, malgré le clivage qui...

- Mais non! La Belgique n'est pas constituée de deux pays!

- En tout cas, ce dimanche-là, les Belges n'étaient pas désunis...

- Non. Mais avant non plus. Le clivage, c'est pour les politiciens. On n'a pas les Flamands d'un côté et les Wallons de l'autre: on a seulement les Belges. Voyez les familles Russo et Lejeune, ils sont Wallons, mais ce sont avant tout mes amis. Nous sommes devenus des frères et des sueurs...

- Aujourd'hui, vous avez, d'une certaine manière, un grand pouvoir: des centaines de milliers de personnes écoutent ce que vous dites. Cette responsabilité ne vous fait-elle pas peur?

- D'abord, parler à 300.000 personnes, comme le jour de la manifestation, c'est un sentiment extraordinaire, indescriptible. Si j'ai eu peur? Oui, un peu. J'espérais que les gens écouteraient notre demande, et que c'était bien pour nos enfants qu'ils viendraient marcher, et pas pour autre chose. J'espérais aussi qu'il n'y aurait pas de violence, parce que la violence n'est pas bonne. - Vous êtes contre la violence? - Moi, je suis contre la violence, en effet. Parce que nos enfants ont subi beaucoup de violences. Fautil faire la violence contre la violence? Peut-être contre les agresseurs, oui, mais sûrement pas contre notre pays. Parce qu'il y a un futur, en Belgique. L'avenir de notre pays, ce sont les enfants et les jeunes. Moi, je veux que cet avenir soit digne. Pour qu'il soit digne, il ne faut pas que les enfants vivent dans la peur. Or, quand il y a beaucoup de violence, les enfants ont peur. Je n'aime pas cela.

- Seriez-vous prêt, le cas échéant, à vous lancer dans la politique?

- Non.

Si vous vous présentiez demain à des élections, vous seriez sans doute élu...

- En premier lieu, je vous signale qu'il n'y a pas d'élections prévues prochainement. Secundo, je n'aime pas la politique. Dès lors, si j'entrais en politique, je ne crois pas que je pourrais y faire du bon travail. Non. Je peux faire un bien meilleur travail au sein de mon asbl, en contrôlant le travail des politiciens, en leur donnant un petit coup d'aiguillon quand il le faut.

- A la fin de votre discours, lors de la manifestation, vous disiez que vous continueriez votre action «si on vous laissait faire»... Subissez-vous des pressions? Avez-vous peur?

- Je n'ai pas peur. J'ai seulement peur des chiens, parce que j'ai été mordu quand j'étais petit, mais je n'ai pas peur des politiciens. Non, je ne subis pas de pressions. Mais je constate qu'actuellement, je suis extrêmement fatigué, trop fatigué.

Et cela m'inquiète un peu parce que, si je suis si fatigué, c'est parce que les autorités «veulent bien» que je le sois, qu'elles s'arrangent pour que je le sois. De cette manière, elles espèrent me faire taire, je pense. Je souhaite seulement que tout le monde, dans notre pays, va rester à nos côtés. C'est le plus important, parce que c'est dans toutes ces personnes, de Flandre et de Wallonie, qui sont à nos côtés, que nous puisons l'énergie qui nous permet de poursuivre notre action.

- Précisément: beaucoup de personnes vous admirent et se demandent, après tout ce que vous avez vécu, comment vous arrivez à «tenir le coup»?

- Je reçois beaucoup de forces de ma femme et de mes enfants, de notre famille... Il y a aussi nos amis, nos connaissances et tous ceux, ici en Belgique, dont la présence à nos côtés nous donne du courage. Hier, j'ai parlé avec des étudiants. Ils m'ont offert des fleurs blanches et quelques bouteilles de bières. Certains m'ont confié leurs problèmes et leurs difficultés. Cela m'a fait plaisir de les aider, parce que j'ai eu le sentiment de leur être utile. C'est comme si j'étais non seulement le papa de mes enfants, mais aussi, un petit peu, leur papa à tous...

Combien d'enfants avez-vous?

- Nous avons encore trois enfants. Deux garçons et une fille. Mais en fait, pour nous, c'est toujours comme si nous étions une famille de six...

- Est-il possible de reprendre une vie «normale», après ce que vous avez vécu?

- Une vie normale? Je ne crois pas que cela soit possible, parce qu'il y a un immense vide dans notre vie, celui laissé par l'absence d'An. Donc, je ne peux pas avoir de vie normale. Actuellement, je ne travaille pas. Je reprendrai peut-être mon boulot d'enseignant en janvier... on verra. Actuellement, je ne peux pas le faire, pour une deuxième raison: c'est que j'ai lancé cette asbl et que je veux que ce travail là soit bien fait. Pourquoi? Parce que je ne peux plus rien faire pour An, maintenant...

C'est fini. Par contre, au travers de cette asbl, je peux aider tous les enfants. De cette manière, peut-être la mort d'An a-t-elle un sens?

Propos recueillis par Jean-Marc Veszely.

(1) Asbl An et Eefje, Singelbeekstraat, 151, 3500 Hasselt. Compte bancaire: 3350511161-17

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