ANDRÉ WEIS: «LA VERITE DEPASSE DE TRÈS LOIN, L'AFFAIRE DUTROUX »
Président de la Ligue contre la censure, André Weis dénonce avec force la dérive de nos institutions démocratiques débouchant sur le retour d'un certain fascisme moral et social. Humaniste engagé, il plaide pour un dialogue permanent, réel, entre le citoyen et les responsables politiques qu'il a élus.
« Soir Illustré » du mercredi 30 octobre 1996 pages 34 et 35
Les affaires Dutroux,Cools plongent la Belgique dans un climat délétère et insécurisant. En tant qu'humaniste, comment réagissez-vous à cette situation ?
- En tant qu'être humain, je me sens extrêmement très mal dans ma peau comme tout citoyen belge. Je souffre. D'emblée, je veux dire que la Belgique n'a pas l'apanage de la monstruosité. Il y a des Dutroux bien ailleurs. Ne tombons pas dans le piège de certains Flamingants et d'une certaine droite française, qui en font leurs choux gras. Nous avons hélas un Dutroux parmi nous. Quelle chance qu'il n'ait pas la peau basanée, nous entendrions encore plus d'horreurs! Le moment est venu de remettre tout à plat. De repenser aux fondements de la société pour créer une société moderne, nouvelle, progressiste, à la mesure de ce que la génération des jeunes attendent de nous. L'affaire Dutroux est le signe alarmant d'un profond phénomène de maltraitance des enfants, qui se compte par dizaines de milliers en Belgique. Nous devons absolument et tout de suite tirer les conclusions et poser des actes pour éradiquer ce fléau. A commencer par écouter les enfants, leur donner la parole. Les enfants restent incompris de leurs propres parents qui ne les écoutent pas.
Le manque de confiance de l'opinion publique dans la justice, l'absence de repères prêtent le flanc à un retour de manivelle inquiétant.
Ne sommes-nous pas en présence de l'émergence d'un ordre nouveau, d'une chasse aux sorcières tous azimuts et d'une nouvelle vague de puritanisme?
DES DEGRELLE ET DES LE PEN DANS LA RUE
- On fait un épouvantable bond en arrière. On revient à une forme de fascisme ambiant mais bien présent.
Ne nous voilons pas la face, ne nous bouchons pas les oreilles, il y a des Le Pen dans la rue, des Degrelle qui rêvent de sortir les pavés. Beaucoup de gens réagissent dans l'émotion, dans la précipitation, par des propos hauts et forts, de vengeance, de violence. L'instinct de vengeance est pernicieux. Ne devenons pas des Dutroux en retour !
Les responsabilités dans les affaires Dutroux-Nihoul sont celles de tous. En cause: la démission de chacun.
A force de renier la justice, le citoyen rejette ses responsabilités. Je dis: «Ouvrons les yeux, citoyens» car la vérité dépasse de très loin l'affaire Dutroux.
Ne nous faisons aucune illusion, une grande partie du public, déstabilisée, souhaite, peut-être dans sa majorité hélas, le retour à la peine de mort en Belgique. Si nous n'avons pas à cet égard l'appui des autres pays et notamment de l'Europe, on pourrait très bien demain concevoir qu'un Parlement nouvellement élu décrète le rétablissement de la peine de mort avec tout ce que cela implique sur le plan du respect des droits de l'homme déjà bafoués à plein pour le moment. La crainte d'être arrêté à cinq heures du matin en sortant de chez soi, c'est possible. Nous ne sommes pas à l'abri du pire.
- l'opinion publique, en colère, s'est déjà massivement mobilisée via une pétition lancée par l'asbl Marc et Corine en faveur de l'instauration des peines incompressibles pour les auteurs de délits graves. La démocratie, n'est-ce pas aussi respecter la volonté du peuple?
- C'est écouter mais aussi et surtout parler avec le peuple, même si, personnellement, je suis contre l'incompressibilité des peines. Dialoguer, expliquer, ré expliquer sans relâche, quitte à passer pour un emmerdeur. Il faut expliquer comment fonctionne la démocratie. Les «accidents» que nous connaissons actuellement ne sont pas une fatalité. Ils sont l'indice cruel et flagrant d'une absence de dialogue entre le politique et le citoyen. Les hommes politiques travaillent 20 heures sur 24. Il y a certes des fainéants partout. Mais la surcharge de travail de la plupart de nos élus politiques et sociaux les empêche de rester en contact avec la base. Des socialistes sont devenus lepenistes sans savoir pourquoi. Les responsables politiques doivent se fixer un calendrier pour discuter avec l'électeur, démonter les rouages complexes de nos institutions belges. Dans un but apparemment simple: retrouver une démocratie plus souple, plus humaine, plus sociale.
LE SEXE SALE, COUPABLE DE TOUS LES MAUX...
Internet est un espace de liberté totale où l'on peut trouver le meilleur et le pire, tels que des messages et images pédophiles et pornographiques. Où commence, où s'arrête la censure?
- La censure n'a ni début, ni fin. La Ligue contre la censure n'est pas là pour favoriser le crime. Protéger d'une agression ne constitue pas un acte de censure, dès lors qu'il y a soumission et donc victime. La censure est le fait d'une contrainte à la volonté, qu'il s'agisse d'une interdiction ou d'une obligation. Le gros problème avec Interne est l'impossibilité technique de contrôle. Si une intervention des autorités s'avérait nécessaire - pour préserver l'enfant - il ne faut pas qu'elle serve de prétexte à censurer l'information, à toucher aux autres libertés quelles qu'elles soient. On protège l'enfant et on ne touche pas à autre chose. De grâce, ne faisons pas d'amalgame. La pédophilie, portant atteinte au libre arbitre, est absolument intolérable.
A fortiori, elle implique sujétion, soumission, torture, mort. Dans cette définition, elle ne peut qu'être conditionnée a l'ordre moral et soumise à la tutelle sociale. La pornographie est l'affaire d'un individu adulte, libre, qui s'en sert à son profit et de plein gré. Je dénie à qui que ce soit le droit d'imposer sa morale à un autre adulte. Sa libido lui appartient en toute souveraineté. Il est maître de son destin. Je ne vois pas pourquoi une femme et un homme n'ont pas le droit de faire une partouze s'ils ne sont pas drogués, s'ils n'y sont pas contraints. Revoilà le sexe considéré comme sale, coupable de tous les maux aux yeux des éternels hypocrites.
Recueilli par Corinne Le Brun.
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