mercredi 1 avril 2009

La vérité sur les cassettes se cache à l’Est ( "CinéTéléRevue"24 octobre 1996 pg 30 et 31)


La vérité sur les cassettes se cache à l’Est

Ciné Télé Revue du jeudi 24 octobre 1996 pages 30 et 31

«Un simple échange aurait permis de brouiller les pistes, explique un enquêteur, et de rendre impossible jusqu'ici l'identification des enfants belges »

A la mobilisation de la rue ont répondu, enfin, des initiatives concrètes du gouvernement. Le Parlement, de son côté, s'est saisi du dossier, et les élus du peuple rendront, dans trois mois, un rapport d'enquête sur

« L’enquête sur l'enquête ». C'est beaucoup et c'est peu tout a la fois : au-delà des paroles et des promesses, il est, désormais, plus que temps de se mettre au travail.

Ministres et parlementaires pourraient utilement s'inspirer de l'exemple que donnent, à Neufchâteau, les enquêteurs qui, dans la discrétion, oeuvrent sans relâche.

Depuis dimanche dernier, la donne, incontestablement, a changé. L'incroyable mobilisation de la rue a forcé le gouvernement à prendre les premières mesures que tous attendaient et qui permettront peut-être de débloquer le système et, à terme,de le changer pour qu'il devienne, enfin, plus efficace et plus humain. Dépolitisation de la magistrature, création d'un Centre des enfants disparus en Belgique, appui (que l'on espère sans arrière pensée) à l'enquête de Neufchâteau, création d'une commission d'enquête parlementaire : pêle-mêle, quelques-unes des décisions prises ces derniers jours permettent de juger de l'ampleur du chantier désormais ouvert. Et qu'il faudra mener à bien.

Après les mots, les actes doivent suivre. Vite. Sinon, nos autorités auront définitivement perdu le peu de crédibilité qu'elles ont réussi à sauver en surfant sur la vague blanche. Jean-Luc Dehaene n'a plus droit à l'erreur et ses conseillers doivent faire une lecture juste des événements dimanche après-midi, ce n'est pas le Premier ministre qui a fait des concessions aux familles des disparus, ce sont les familles qui, en lui accordant leur confiance, ont sauvé le gouvernement. Si cette confiance est trahie, le gouvernement, miné par ses contradictions internes, tombera. C'est aussi simple et aussi grave que cela.

Ils ont la mort de Julie et de Mélissa

sur la conscience

Mais venons-en aux plus importantes de ces décisions. Le Centre des enfants disparus.

Une excellente idée, à condition qu'il soit rapidement mis sur pied, qu’il se montre efficace et, surtout, qu'il ne devienne pas un machin » de plus, juste bon à caser « les copains des amis » et autres clients et obligés.

La dépolitisation de la magistrature ? Elle ne peut pas faire de tort, mais, ici aussi, attention au système que l'on mettra en place, l'impératif absolu devant être, bien entendu, de privilégier la volonté, l'intelligence et la sensibilité ; et non de monter de toutes pièces une nouvelle mécanique à promouvoir les médiocres, les paresseux et les incapables chroniques.

La commission d'enquête parlementaire ? Très bien,si elle va au fond des choses sans interférer avec l'enquête judiciaire, et pourvu que l'on ne s'empresse pas d'oublier les bonnes résolutions, qui, n'en doutons pas, seront adoptées dans trois mois, comme ce fut le cas dans le passé après les « tueries du Brabant ».

Du reste, si la commission, qui devait commencer ses travaux cette semaine, les mène à bien, le « risque politique » est grand. C'est que les erreurs qui seront bientôt et incontestablement révélées sont criantes et leurs conséquences, horribles. La première de ces « erreurs », et la seule que nous épinglerons pour le moment, est la plus terrible de toutes : d'un jour à l'autre, la commission comprendra qu'au delà de toute polémique, si chacun, sans même montrer un zèle particulier, avait simplement fait son métier (c'est-à-dire effectué le travail qu'il a librement choisi et pour lequel il est payé...), l'affaire «Julie et Mélissa » aurait été résolue il y a près d'un an.

Une source très proche de l'enquête nous le confirmait solennellement et définitivement, à Neufchâteau, il y a quelques jours:

« Dès le mois de décembre dernier, lorsque Marc Dutroux fut arrêté, la simple confrontation d'éléments disparates, qui auraient, normalement, dû se trouver dans un dossier unique, centralisé et bien géré, aurait permis de libérer Julie et Mélissa,Vivantes. »

En français dans le texte ceux qui ont fauté, et l'on saura bientôt qui porte cette effrayante responsabilité, ont la mort des deux fillettes (An et Eefje, sans doute, étaient déjà décédées) sur la conscience.

L'arbre qui cache la forêt

Loin du Parlement, c'est une autre enquête qui, bientôt, révélera sans doute toutes les dimensions de la tragédie. Le coup de tonnerre qui se prépare, en silence et en toute discrétion, à Neufchâteau pourrait montrer sous peu que Marc Dutroux, pour monstrueux que soient ses actes, n'est que l'arbre qui cache la forêt. Une forêt dense, profonde, et terriblement sombre, où plus d'un enfant s'est déjà perdu pour tomber aux mains des ogres modernes. Le dossier n'est pas encore mûr. Bien du travail reste à réaliser pour les enquêteurs, et de nombreuses questions doivent encore trouver leur réponse.

Et aucune de ces questions, même la plus banale, quoi que l'on en pense, n'est saugrenue. Il importe, entre autres, pour ne citer qu'un seul exemple, autant de savoir si quelqu'un payait bien Marc Dutroux pour ses enlèvements que de comprendre pourquoi Michel Diakostavrianos se fatiguait à importer en Belgique des pneus allemands de récupération dont une bonne partie n'étaient pas utilisables et dont le reste était vendu trop bon marché pour lui assurer, étant donné les quantités qu'il mettait en circulation, un revenu lui permettant de vivre. En d'autres termes, et pour parler clair : ce commerce (au noir) n'était-il pas, simplement, la couverture de bien autre chose et la justification d'incessants voyages vers l'Est ? Un Est européen qui pourrait bien, comme on l'a cru dès le début de l'enquête, apporter des éléments de solution à l'ensemble du problème posé par le réseau Dutroux : « La simple logique », nous affirmait récemment un enquêteur,

« Voudrait que les cassettes tournées en Belgique avec des enfants aient été exportées à l'étranger et que le « réseau belge » ait importe des cassettes produites dans d'autres pays. Ce simple échange aurait permis de brouiller les pistes et de rendre quasiment impossible toute identification des enfants...»

Or, nous le révélions la semaine dernière : jusqu’à présent, les gendarmes n'ont découvert dans les « cassettes Dutroux » que des scènes de viol concernant des victimes slovaques. De là à penser que des cassettes concernant des victimes belges pourraient avoir été mises en circulation en Slovaquie ou ailleurs, il n'y a qu'un pas.

Autre question : pourquoi est mort Bruno Tagliaferro, le ferrailleur de Keumié ? Empoisonné, c'est désormais certain, il aurait, peut-être, approché de trop près, sans doute en raison de ses liens « professionnels » avec Diakostavnanos, une vérité mortelle.

Question subsidiaire : qu'allaient faire sur le terrain lui servant de dépôt, durant l'été 1995 et alors qu'il était en vacances, Marc Dutroux, Michel Lelièvre et Michel Diakostavrianos ?

Et est-ce vraiment te seul hasard si un proche de ta belle famille de Tagliaferro est aujourd'hui emprisonné pour des faits de pédophilie?

Des questions de ce type, il y en a des dizaines et même des centaines dans cet énorme dossier. Et toutes doivent trouver leurs réponses, alors que les enquêteurs n'ont que leur bon sens et leur expérience pour boussole. La personnalité de certains prévenus les déconcerte. Nous pouvons notamment vous confirmer que Marc Dutroux a bien indiqué que trois corps étaient cachés à Jumet. Or, jusqu'à ce pour, rien n'a été trouvé dans le tunnel, où les recherches ont été abandonnées. Pour la première fois, Dutroux aurait-il menti ? Et pour quelle raison ?

Volonté délibérée de brouiller les cartes? Désir de « gagner du temps » ou simple imprécision ?

Un mensonge n'arrangerait rien à son cas ,les jours à venir pourraient lever cette incertitude. Car il n'est pas sur que Dutroux ne revienne pas à Jumet.

Claude MONIQUET

Ses révélations portent leurs fruits,

le Centre américain aura une antenne belge

Anne-Marie LIZIN :

« Des représentants des familles doivent siéger au Centre des enfants disparus »

Ciné Télé Revue du jeudi 24 octobre 1996 page 31

Les révélations publiées par « Ciné-Télé-Revue » il y a trois semaines sur les graves questions que se posent les experts américains du « National Center for Missing and Exploited Children » (NCMEC) ont fait mouche ; et porté leurs fruits puisque, après avoir dérangé (et, surtout, après avoir été très officiellement confirmées à Washington), elles ont obligé le gouvernement à mettre les bouchées doubles en envisageant officiellement de confier l'examen des « cassettes Dutroux » aux experts du NCMEC, mais aussi en annonçant, enfin, la création d'un Centre belge des enfants disparus. Un projet qui fut longtemps porté, dans l'indifférence générale, par Anne Marie Lizin.

- Pour vous, c'est une victoire : ce projet, c'est votre fameux « Interpol enfants » qui va enfin voir le jour.

- Je dirais plutôt que c'est une victoire commune. Nous sommes quelques-uns, avec nos amis américains - je pense à M. Rodrigues, qui a été le père de l'idée d'« Interpol enfants », à Glenn Miller, un magicien des programmes de gestion photographiques, ou encore à Élisabeth Yore -, à avoir soutenu ce projet.

« Ciné-Télé-Revue » y a cru et lui a donné le retentissement considérable, qui a permis aux maximums de leurs partenaires des décisions rapides.

Mais assez d'autocongratulation : je pense, avant tout, que l'adoption de ce projet est une victoire pour les victimes et qu'il permettra, si on ne peut réparer le passé, d'éviter qu'il se reproduise à l'avenir. Le Centre belge sauvera certainement des vies.

- Concrètement, que va-t-il se passer ?

- Les événements doivent s'enchaîner, maintenant que tout le monde a pris conscience de la situation et que la « marche blanche » a fait comprendre à tous qu'on ne jouait plus, mais qu'il fallait agir. Le gouvernement doit prendre des mesures qui, au fond, sont très simples.

Il faut trouver un bâtiment « fédéral » pour abriter le Centre, dégager un budget de fonctionnement d'une centaine de millions, mettre au point les arrêtés qui permettront le détachement de policiers et de gendarmes, engager des experts contractuels et, bien entendu, rassembler un conseil d'administration dans lequel devront siéger de hauts fonctionnaires, des « personnalités », mais aussi, parce que leur place est là, des représentants des familles de disparus.

A mon avis, maintenant que la volonté politique a été clairement exprimée, tout peut être bouclé d'ici la fin de l'année, et le Centre pourrait commencer à travailler début 1997.

Nous sommes loin de ce printemps 1996, pourtant si proche, où un important responsable policier belge haussait les épaules et rétorquait avec mépris à Élisabeth Yore, qui évoquait l'existence probable d'un réseau de pédophilie organisée : « On peut toujours rêver... »

- Pour ce qui est des actions immédiates, que va-t-il se passer pour les « cassettes Dutroux » ?

- Le magistrat national André Vandoren a demandé à l'officier de liaison des services judiciaires à Washington, M. Van Mol, de prendre contact avec le NCMEC et de lui en faire un compte rendu. Le rapport qui vient d arriver à Bruxelles est, m'a-t-on assuré, enthousiaste. Plus rien ne s'oppose donc à ce que le travail commence, d'autant plus que le général de Ridder, qui commande la gendarmerie, est lui-même un farouche partisan de cette collaboration. Et, du côté des Américains, nous sommes soutenu au plus haut niveau. Imaginez que la Maison-Blanche, voici quelques jours, a pris contact avec le NCMEC pour l'assurer qu'il aurait tout le soutien nécessaire pour nous aider. C'est dire à quel point Washington se sent concerné.

- L'équipe du NCMEC confirme les informations qui vous avaient été données sur l'implication de personnalités en vue dans le « réseau » ?

- Oui, totalement. Tout a été confirmé à notre ambassade à Washington par le NCMEC, et le gouvernement américain, au plus haut niveau, a fait savoir à nos autorités qu'il considérait que l'affaire était très sérieuse.

J'en profite quand même pour souligner que, sans être béate d'admiration pour autant, ces réactions politiques américaines démontrent, à contrario, à quel point la rigidité de nos décideurs cache souvent, en définitive, une manière de ne pas faire son métier ou de fuir ses responsabilités.

A Washington, la Présidence s'en mêle spontanément, mais, à Bruxelles, il a fallu que le Premier ministre soit mis au pied du mur pour qu'il bouge.

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