mardi 31 mars 2009

LE ROI OUVRE LA MARCHE (« Soir Illustré » 23 octobre 1996 pg 36 et 37)


LE ROI OUVRE LA MARCHE

« Soir Illustré » du mercredi 23 octobre 1996 page 36 et 37

- Moins de 48 heures avant la vogue populaire qui a déferlé sur Bruxelles, le Roi avait lancé un des avertissements les plus nets qu'un Souverain belge ait jamais adressés aux pouvoirs en place. Si le monde politique, quant à lui, avait d'abord donné l'impression qu'il n'avait pas bien jaugé la profondeur de la fracture créée entre la population et lui, Jean Luc Dehaene s'est cette fois empressé, en recevant les parents, d'annoncer des mesures.

« UNE TRAGÉDIE NATIONALE »

- Avant de présider la table ronde, à laquelle les familles des victimes et des enfants disparus ainsi que des experts étaient conviés pour envisager les moyens de lutte contre la pédophilie, le roi Albert II a prononcé un discours exceptionnel. En voici les passages les plus importants:

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« Ce que nous avons vécu en Belgique avec la disparition et la mort d'enfants innocents dans des circonstances horribles constitue une véritable tragédie nationale. Je le répète: une clarté totale doit être faite sur ce drame, ses origines et toutes ses ramifications, et cela dans un délai raisonnable ».

« La Reine et moi sommes convaincus que cette tragédie doit maintenant être l'occasion d'un sursaut moral et d'un changement profond dans notre pays. Cela suppose d'abord de la part de chaque autorité une attitude d'humilité, et de remise en question. Une des tâches essentielles de l'État est d'assurer la sécurité de tous les citoyens, et en particulier des plus vulnérables: nos enfants. Il faut reconnaître que dans ce cas ce fut un échec, de nombreuses erreurs ont été commises, et dans les contacts avec les familles des victimes il y a eu un manque d'humanité...»

« Le changement sera une oeuvre de longue haleine, mais il se fera, j'en suis convaincu. Il faudra persévérer, tenir bon, car changer les mentalités et les règles de la société ne s'accomplit pas du jour au lendemain. Il faudra aussi rester vigilant pour ne pas retomber dans l'ornière. Suivre et accompagner ce changement, c'est une autre raison de notre rencontre d'aujourd'hui. Nous garderons à l'avenir le contact avec les familles...» ---

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TROIS COULEURS, BLANC

« Soir Illustré » du mercredi 23 octobre 1996 page 37

Aller à pied du Nord au Midi, à Bruxelles, ce n'est pas le bout du monde, même pas une lieue. Et pourtant, dimanche dernier, plus de trois cent mille d'entre nous ont fait au coude à coude, mètre par mètre, sur ce parcours d'une banalité extrême, une expérience qui les marquera. Nous y avons appris, si nous l'avions oublié, le goût de nous sentir des citoyens d'un pays où, même si les dés du pouvoir sont pipés, les gens conservent le droit de manifester librement. Et où, quand l'enjeu est essentiel, miracle, ils marchent les uns à côté des autres, dans un même but, avec une attitude de profond respect mutuel.

Tous ceux qui étaient là ont été frappés de l'absence quasi totale de frictions communautaires ou racistes dans cette marée où existait un sentiment d'appartenance à une véritable communauté, d'abord humaine les parents des victimes appartiennent à trois des communautés coexistant en Belgique et leur communion dans le malheur a sans doute fait plus que toutes les campagnes pour la compréhension mutuelle des Belges.

Oh, pas question de faire de l'angélisme unitariste. De la communion à l'union, il y a certes plus de chemin à faire que du Nord au Midi.

Mais, dans tous les grands rassemblements nationaux - souvenez-vous de la mort du roi Baudouin -l'impression dominante est que les Belges pourraient bien le faire en famille, ce chemin que, tout compte fait, ils connaissent bien. Si on les laisse faire, comme le disait le procureur Bourlet.

Bien sûr, les motivations des marcheurs étaient différentes – un « peu de tout », comme dit la pub TV: en mémoire des victimes, en soutien aux parents, au juge Connerotte, le ras-le-bol d'une justice malade, la nausée de la guerre des polices, des camouflages, le dégoût de la politique corrompue, la peur diffuse de l'avenir -, mais cette foule s'est comportée dignement, respectant très largement le souhait des parents de ne pas voir a marche récupérée au bénéfice d'une couleur politique quelconque. Les panneaux dénonçant les

«pourris » étaient finalement rares.

Comme aux élections, le parti le plus important était celui du blanc, mais pas le blanc du refus: le blanc de l'innocence enfantine, et aussi le blanc de le lumière, celle que tout un peuple exige sur des horreurs que, croit-il à tort ou à raison, et sans doute à raison, seules des complicités puissantes et durables ont permis. Trois cent mille personnes viennent de montrer que, cette fois, c'en était fini du mensonge et de l'illusion.

Dans leur foulée, très simplement, est née la plus grande force politique active du pays.

- Trois cent mille, et personne d'autre que des parents et des victimes à leur tête. Quel leader politique pourrait prétendre à pareil résultat? Un des plus grands rassemblements que cet étrange pays ait jamais connus a été initié et mené à bien hors de tout slogan, de toute consigne, de toute intervention des groupes de pression traditionnels. Il a été le fait de citoyens qui ont - peut-on dire «enfin»? - réalisé que la liberté et la démocratie sont incroyablement fragiles, comme les enfants que nous chérissons. Comme eux, elles réclament une vigilance de tous les instants.

- Or, la vigilance, c'est précisément ce qui est le plus difficile à exercer dans une société où tout vise à l'endormir. Pour la réveiller dans la population, il a fallu une marche forcée au plus profond de l'horreur, entamée le jour où nous avons appris que des enfants qui ressemblaient à des anges étaient mortes de faim, de chagrin et d'abandon dans un réduit froid comme une tombe. La marche blanche de dimanche, elle, devrait aboutir au résultat que nous espérons tous, le réveil de la vigilance de ceux qui nous dirigent.

Des responsables si souvent irresponsables - et jamais coupables - jusqu'aux fossiles de la cour de cassation, rarissimes sont ceux qui se donnent la peine de communiquer réellement avec l'opinion, autrement que par ukases ou en lui envoyant des « signaux », comme on dit aujourd'hui.

Trois cent mille Belges en marche, voilà le vrai signal: celui de la loi dans la rue à la rue de la Loi.

Cette fois, il faut que toute la lumière soit faite et que les responsables paient.

Stève Polus.

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LE NUMÉRO VERT SONNE TOUJOURS ROUGE

« Soir Illustré » du mercredi 23 octobre 1996 page 36 et 37

Chaque jour apporte son lot d'innombrables témoignages d'abus sexuels, pédophiles via le désormais célèbre n° vert 0800-97779. Dans la cellule du Bureau Central de Recherches (BCR) de la gendarmerie à Bruxelles, dix-huit gendarmes francophones et néerlandophones sont accrochés au téléphone 24 heures sur 24.

- Le récent appel à témoins lancé par le juge Connerotte a fait mouche. «Un vrai succès», dit-on à l'intérieur de la cellule «0 800» à l'état-major de la gendarmerie de Bruxelles. Une vingtaine d'appels par heure sont recueillis quotidiennement par les dix-huit gendarmes, hommes et femmes, spécialement formés à cet exercice. «Tous ne sont pas pris en compte, car trop pauvres en matière d'éléments concrets», déclare le jeune lieutenant Tom Smets, responsable de la cellule «0 800» et membre du service «traite des êtres humains».

«En outre, certains faits apparemment étouffés remontent à plus de trente ans. Sur le plan civil, il y a prescription... et nous ne pouvons plus rien faire contre l'agresseur. Par contre, nous gardons précieusement le nom de ce dernier, s'il est identifié, car on sait que, souvent, le pédophile continue à commettre des délits».

1.500 DOSSIERS ENVOYÉS A NEUFCHATEAU

- Depuis plus de trois mois, renforcé par le «coup de feu» du deuxième appel à témoins demandé par le juge Connerotte, chaque gendarme-réceptionniste remplit une feuille de renseignements tels que le nom de l'appelant - s'il le souhaite -, le lieu du délit, la date, le(s) auteur(s) éventuels, les véhicules... bref, les informations contrôlables qui permettent de mener une enquête normalement.

- Dès le 19 août dernier, JeanMarc Connerotte, juge d'instruction de Neufchâteau, avait demandé à la gendarmerie de lancer un premier appel à témoins. Les témoignages furent déjà très nombreux mais, souligne le lieutenant Tom Smets, «essentiellement liés à l'affaire Dutroux».

- Aujourd'hui, les témoignages recouvrent une réalité plus large et dépassent de loin l'affaire Dutroux. Une fois la fiche signalétique de chaque appel établie, le gendarme introduit les éléments d'information dans une banque de données sur ordinateur.

«Nous procédons quotidiennement à un tri: Neufchâteau / autres arrondissements judiciaires.

En gros, nous préparons les dossiers – environ 1500 -, qui ensuite sont tous envoyés à Neufchâteau. Le Procureur du Roi, Michel Bourlet, décide, au vu des faits - suffisamment clairs ou non -, de garder, de renvoyer ou non les dossiers aux Parquets locaux (Bruxelles, Namur...).

Ce qui est déjà sûr, c'est que, - la masse d'informations affluant l'indique -, les abus de mineurs par des pédophiles ou des «organisations» de pédophiles continuent. «Nous assurons discrétion et anonymat», explique Laurence qui recueille les témoignages.

«Souvent, ce sont des femmes victimes qui appellent, et veulent garder l'anonymat. La plupart ont encore peur d'être confrontées à leur agresseur. La plupart des appelants gardent leur calme. D'autres sont au bord des larmes ou éclatent en sanglots parce que, pour la première fois, vingt ans après les faits, ils racontent leur drame. Par contre, les personnes qui, aujourd'hui, sont victimes d'actes pédophiles, n'osent pas encore s'exprimer, surtout par téléphone et à un gendarme...sauf si elles ont déjà porté plainte».

TOUTE LA BELGIQUE APPELLE

- Bon nombre d'appels à témoins ont déjà apporté des éléments importants pour le dossier à Neufchâteau mais aussi pour d'autres faits de pédophilie isolés.

Le but de la gendarmerie est de détecter un éventuel réseau de pédophilie en Belgique. Autrement dit, de déceler une possible organisation criminelle, structurée, hiérarchisée, et dont le seul but est lucratif. Le commanditaire, le ravisseur, le conditionneur, le protecteur, le transporteur, le client constituent les principaux maillons de la chaîne. «La pédophilie existe bel et bien en Belgique, reste à savoir si elle fait partie d'un ou plusieurs réseaux», précise le lieutenant Tom Smets.

- Les témoignages téléphoniques proviennent indifféremment de Bruxelles, de Wallonie et de Flandre. La durée des appels des victimes est généralement longue -jusqu'à 20 ou 30 minutes.

«C'est toute la Belgique qui nous appelle», conclut le lieutenant.

- Depuis une semaine, le nombre d'appels a sensiblement diminué. En raison du dessaisissement du juge Jean-Marc Connerotte?

A la gendarmerie, la discrétion est de rigueur. Néanmoins, la cellule « 0 800» entend continuer son patient travail. Jusqu'au jour où le ou les nouveaux juges de Neufchâteau en décideront autrement, ou non...

Corinne Le Brun.

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