NABELA, SIMPLEMENT DIGNE
« Soir Illustré » du mercredi 23 octobre 1996 page 38 et 39
- Devant le palais de justice de Bruxelles, alors que la cour de cassation venait de rendre l'arrêt dessaisissant le juge Connerotte, Nabela Benaïssa lança un appel au calme et à la raison. Parmi les gens qui manifestaient leur désarroi s'étaient infiltrés des extrémistes cherchant à détruire la société, plutôt qu'à la rendre meilleure.
Il fallait du courage à Nabela pour tenir ces propos, avec fermeté. Elle parlait avec sagesse. Depuis le mois d'août, cette jeune fille de 18 ans, qui porte le voile, signe de sa foi, est sortie de l'anonymat. Ses parents lui ont demandé d'être la porte parole de la famille, pour que l'impossible soit fait pour retrouver sa sueur Loubna, qui a disparu à Ixelles, le 5 août 1992.
Loubna aurait 13 ans, aujourd'hui. Les Benaïssa n'ont jamais baissé les bras. Ils ont toujours lutté, guidés par l'espoir, alors que personne ne les écoutait, ainsi que Corinne Le Brun l'expliquait, dans ces colonnes. Quatre années au cours desquelles l'affaire de la disparition de Loubna ne fut même pas mise à l'instruction.
Quatre années épuisantes, marquées par le virage tragique de cet été. Depuis le rapt de Laetitia, à Bertrix, et la suite des événements, le cas de Loubna a enfin été pris en compte.
«Tout le monde est touché, explique Nabela. Les riches comme les pauvres, les familles de toutes les communautés. Même si tout ceci ne déterminait qu'un rapprochement entre communautés, ce serait déjà quelque chose».
Solidaires dans le malheur, les Flamands et les Wallons sont redevenus belges, et partagent leur peine avec une famille immigrée du Maroc. Une famille comme toutes les autres de ce pays.
4 ANS DANS LE NOIR
La famille Benaïssa vit en Belgique depuis 1975. Vingt ans plus tôt, la situation était plus simple, le travail ne manquait pas encore cruellement, attisant tous les problèmes sociaux. La Belgique n'avait pas encore commencé à changer de peau institutionnelle. Pour le papa de Loubna, qui est ouvrier, - il nettoie des wagons à la SNCB -, la disparition obscurcit le bonheur d'une vie consacrée à sa famille.
Loubna est une des huit enfants de cette famille qui s'est enracinée dans ce quartier d'Ixelles, non loin de la place Flagey. Les Benaïssa rentrent à Tanger une fois par an, mais ils se sentent à la maison en Belgique.
Nabela, née en Belgique, malgré sa discrétion, est devenue un symbole, elle aussi. Elle participe à des débats avec des professeurs d'université, des magistrats, des avocats. «Au début, prendre la parole en public était intimidant.
Maintenant, je me sens à l'aise. Du jour au lendemain, bien des choses ont changé. Avant, nous étions entourés par ceux qui nous ont toujours soutenus. Maintenant, même ceux qui ne nous connaissaient pas nous encouragent. Dans la rue, on me fait un petit signe, et je comprends que les gens veulent dire».
Étudiante en rhéto à l'institut Madeleine Jacquemotte, à Ixelles, Nabela s'intéresse à l'actualité.
Les livres qu'elle préfère sont consacrés à l'évolution de la société. La jeune fille veut comprendre les mécanismes de son époque. Elle ne lit plus de romans. Ils sont dérisoires, en comparaison avec l'épreuve qu'affronte sa famille.
Pour transmettre le plus justement possible les sentiments des siens, Nabela trouve les mots instinctivement. Ils traduisent ce qu'elle ressent et cette vérité touche ceux à qui elle parle. A l'école, il arrive qu'un professeur évoque les moments difficiles que traverse la Belgique. Nabela, dans ces cas là, explique ce qu'elle vit.
ADIEU A L'ADOLESCENCE
Les parents des enfants disparus avaient peur que la marche silencieuse ne soit perturbée par des gens qui ne partagent pas leur tolérance. Les Benaïssa font corps avec eux tous: «Ensemble, nous nous sentons plus forts pour soutenir les enquêteurs.
Après sa première rencontre avec le ministre De Clerck, Nabela garde une bonne impression. A 18 ans, participer à des contacts de ce niveau devrait être au moins un peu écrasant, mais Nabela ne se laisse pas facilement impressionner. Elle parle avec le coeur et la raison, comme ses parents le lui ont enseigné, sans honte, sans excès. Sa religion la guide également: l'Islam des Benaïssa est tolérant, attentif aux idées des autres, respectueux des différences, exigeant pour celui qui le pratique. Pas si simple à rappeler, et, surtout, à vivre.
C'est le cas de Nabela, qui s'exprime avec clarté, dans un français parfait. On imagine qu'elle ferait une avocate brillante. A cette suggestion, elle garde la tête sur les épaules, dit qu'elle doit finir sa dernière année secondaire, et réfléchir à son avenir. La jeune fille qui a mûri trop vite, depuis l'été 1992, qui est sortie brutalement de l'adolescence, en découvrant ce que le monde des adultes peut être, devrait faire honte au prédateur Marc Dutroux, s'il éprouvait des sentiments humains.
Marcel Leroy.
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