lundi 16 mars 2009

Une force immense et tranquille ( «Meuse »21 octobre 1996 pg 9)


Une force immense et tranquille

 « La Meuse » du lundi 21 octobre 1996 page 9

 Le mouvement enclenché hier engage l'avenir de notre société

 Combien étaient ils? 200.000 ? 300.000 ? 325.000 ? L'essentiel n'est pas dans un chiffre, même s'il établira un record de mobilisation dans l'histoire du pays : ces dizaines de milliers de citoyens qui ont déferlé dimanche sur Bruxelles viennent surtout de symboliser l'immense espoir de la population dans un changement fondamental de la société.

Cette énorme voix silencieuse, toute en dignité, chargée d'une émotion intense, traduit un véritable cri de révolte adressé au « système » et à l'ensemble de ceux qui en actionnent les leviers de commande.

Voici plus de vingt ans que les responsables politiques nous parlent d'austérité, d'assainissement, de normes budgétaires et de critères de Maastricht. Voilà des années que l'on nous construit un nouveau paysage institutionnel, dont les contours ne sont connus que de quelques spécialistes et dans lesquels le public y perd son latin. Depuis que Jean-Luc Dehaene s'est installé au 16, Rue de la Loi, toute la classe politique traditionnelle fait le même constat : le fossé entre les décideurs et le grand public n'a jamais été aussi profond.

Depuis le début des années '90, les partis de la majorité promettent qu'ils vont mettre au point le nouveau

« contrat pour la citoyenneté » et , en même temps, expliquent qu'ils n'ont pas les moyens financiers de leur politique.

Depuis toutes ces années d'austérité, la population a encore vécu la saga de l'argent sale: de l'affaire Agusta aux caisses noires de financement de partis , en passant par les démissions en cascade d'une série de personnalités politiques, la suspicion morale s'est ajoutée a l'incompréhension a l'égard du Landerneau politiqué. La Belgique a reçu le coup de grâce l'été dernier, en découvrant, au-delà de l'horreur et de la tragédie vécues par les enfants disparus et les familles de toutes les victimes, les atermoiements, les faibles ses et les dysfonctionnements de l'appareil judiciaire. Le désarroi est aujourd'hui à son comble, une semaine après le dessaisissement d'un juge devenu héros, pour avoir transformé des dossiers d'instruction en dossiers « sacrés comme la vie, sacrés comme l'amour», pour avoir tout fait, comme le disait dimanche encore la maman de Mélissa, pour que la vérité soit faite après le martyre des « petites princesses » disparues.

 «Merci»

La marche historique de dimanche ne peut s'arrêter à un chiffre record de participation, à l'intensité de l'émotion partagée par tout un peuple. Pour la première fois dans ce pays, au-delà de tous les clivages politiques traditionnels, de toutes les frontières linguistiques et de toutes les générations, un même message a été lancé d'une seule voix par la population : plus jamais cela. Cette grande marche d'espoir pour que l'enfant redevienne la priorité des priorités est aussi une très sérieuse salve d'avertissement lancée à tous les décideurs. Les marcheurs, dont la couleur blanche de l'espoir était le signe de ralliement, ont martelé les pavés de la capitale pour qu'un changement fondamental intervienne. Pour que cela change. Pour que l'espoir renaisse. Pour que des mesures concrètes soient mises en oeuvre pour reconstruire cette société. La rendre plus humaine. Plus proche des gens, des victimes de la pédophilie et de leurs familles. Et de tous les exclus tombés du train de la sacro-sainte croissance économique.

Cette cruelle absence d'humanité dans les contacts avec les parents des victimes a été évoquée et reconnue par le Roi Lui-même, à la veille de la marche blanche.

Mais l'ampleur sans précédent de cette marche « des fleurs », de cette marche « de la résistance » comme la qualifiait dimanche la maman d'Elisabeth Brichet dépasse tous les constats de carence, aussi exceptionnels soient-ils dans le chef du Roi.

Les remerciements émouvants adressés par les parents à l'ensemble des participants encourageaient à aller jusqu'aubout; à poursuivre les actions.

Le signal fort lancé par des parents acclamés sur tout le parcours de la marche blanche est clair: «devenez de nouveaux citoyens ». Dimanche, le pouvoir du citoyen s'est manifesté: «une nouvelle force est arrivée, née de l'innocence des petites victimes » constatait la maman d'Élisabeth Brichet.

Cette force, le pouvoir en place devra désormais en tenir compte et y répondre par des mesures concrètes. Interrompant la marche,les parents des victimes se sont rendus, dimanche après-midi, à la résidence du Premier ministre pour un entretien de trois heures au cours duquel des premières propositions concrètes ont été débauchées. Comme celle de la mise sur pied d'un National Center indépendant susceptible de rétablir l'équité quant aux droits des victimes.

Le mouvement qui a été enclenché lors de cette marche pour les enfants engage l'avenir de notre société. Initiée par l'ensemble des citoyens, les décideurs sont priés de prendre le train en marche. D'urgence.

Dirk VANOVERBEKE

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Bel effort de la SNCB

 « La Meuse » du lundi 21 octobre 1996 page 9

Combien étaient – ils exactement? Les chiffres officiels des forces de l'ordre se sont télescopés hier, passant de 275.000 à 100.000 pour ensuite repartir à la hausse. « Nous n'avons pu appliquer nos techniques de comptage, expliquait hier soir le capitaine Stratsaert, porte- parole de la gendarmerie. Tout le trajet était envahi, les gens revenaient à contresens, se dispersaient dans les artères latérales... »

Petit exercice arithmétique néanmoins: 115.000 tickets vendus par la SNCB + 200 bus d'une cinquantaine de passagers (10.000) + 25.000 véhicules stationnés sur les parkings de dissuasion = 150.000. Un strict minimum, auquel il convient d'ajouter tous ceux - les Bruxellois notamment ! - venus sur place par d'autres moyens... Conclusion: le chiffre de 200.000 est un seuil minimum!

La SNCB a fait un effort considérable. Si les horaires n’étaient pas tout à fait respectés, les trains se sont succédés à une cadence jamais vue. Au départ de Charleroi, peu avant midi, trois trains sont partis vers

Bruxelles en un quart d'heure. Bondés à chaque fois (1.500 personnes!). Aucun arrêt n'était prévu. Pourtant, au moins un train a fait une halte pour embarquer des passagers supplémentaires. Mais personne ne s'en plaindra.

A la gare du Nord, nous avons croisé Napoléon. Un des passagers marcheurs voulait sans doute montrer ainsi que nos lois ont été faites sous le règne d'un empereur qui a fait tuer pas mal de monde pour satisfaire sa gloire personnelle...

Ballons blancs, fleurs blanches, foulards blancs même au cou des chiens: le blanc, couleur de l'espoir, était de mise.

Mais pour certains fleuristes, comme celui de la gare du nord, c'était le jour de l'arnaque. 100Fb pour un brin de fresia blanc, un jour comme ça, c'est un peu fort de café noir, non ?

 Pas facile de trouver la sortie de la gare du Nord. Et quand plus de 100.000 personnes veulent sortir par des portes vitrées larges de 2 mètres, ça donne une idée de ce que doit ressentir un grain de sable dans un sablier. Heureusement, la bonne humeur était de mise. Et les messages diffusés par la SNCB agrémentaient la chose. Pas tant qu'ils aient été intéressants (sauf pour leur destinataire).

Mais ils étaient suivis d'un commentaire bien bruxellois offert par la speakerine... qui pensait que son micro était fermé. Le Mariage de Mademoiselle Beulemans en direct, en quelque sorte.

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Dehaene :  Des mesures concrètes en faveur des victimes

 « La Meuse » du lundi 21 octobre 1996 page 9

Le contact est-il sur le point de se renouer entre le chef du gouvernement et les parents des victimes lassés jusqu'ici de n'entendre que des mots, plutôt que des mesures concrètes? En tout cas, la teneur de l'entretien de trois heures qui se déroula à la résidence du Premier ministre, tandis que la marche continuait à battre son plein, a satisfait les parents.

Même s'ils ont chacun insisté sur la vigilance qu'ils continueraient à exercer, ils n'ont pas masqué que le premier ministre a ouvert la porte aux premières mesures concrètes.

Quant à Jean-Luc Dehaene, il s'est déclaré impressionner par le déroulement de la marche:

« Son succès est un signal.» Le Premier ministre a rappelé que l'enquête sera menée, sans entraves et jusqu'au bout et que le politique donnera les moyens nécessaires à la Justice pour atteindre cet objectif. II a aussi affirmé que l'on oeuvrera pour une Justice plus humaine, en la faisant passer du 19e au 20e siècle.

Jean-Luc Dehaene a certifié que des sanctions seraient prises après les dysfonctionnements mis en exergue dans le rapport de l'enquête sur l'enquête. II a précisé que les parents seraient entendus par ta commission parlementaire qui vient d'être constituée sur l'affaire Dutroux, Nihoul et consorts.

Deux projets de lois s'apprêtent encore à être déposés. le premier sur le fonds d'aide aux victimes, dont les critères seront assouplis, l'autre sur le collège des procureurs, afin de mieux organiser le Parquet. Le Premier ministre a encore ajouté que l'on mettra fin à la politisation des promotions dans la magistrature et que, d'ici à la fin de l'année, un conseil des ministres exceptionnels rétablira la balance en faveur des droits de la victime par rapport à ceux des accusés. II s'inspirera pour cela du modèle américain, en créant au niveau européen, en Belgique, l'équivalent du National Center, une institution privée, indépendante de la gendarmerie comme de la police judiciaire. Les premiers résultats de la mobilisation des citoyens?

D.V.

 

 

 

 

 

 

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