dimanche 14 décembre 2008

La grande menace («CinéRevue» 17 octobre 1996 page 4 et 5)


La grande menace

« Ciné Télé Revue »  du jeudi 17 octobre 1996 page 4 et 5

Lorsque, d’une voix rapide et basse, presque en chuchotant et sans relever la tête, le premier président Oscar Stranard a lu l'arrêt de la Cour de cassation, lundi après-midi, une chape de plomb est tombée sur le prétoire, tandis qu'un peu plus tard, les réactions de la foule massée sur les marches du palais exprimaient assez ce que pense la rue ». Au-delà des arguments juridiques, la population semble retenir qu'en dessaisissant Jean-Marc Connerotte, les plus hauts magistrats du pays ont démontré leur volonté de faire rentrer dans le rang des enquêteurs qui dérangent.

Sur Ie fond, et quoi que l'on pense par ailleurs de cette décision que de nombreuses voix autorisées ont déjà qualifiée de « regrettable », cette perception prouve à quel point la justice, dans ce pays, est désormais suspecte.

A force de voir des juges accumuler les erreurs et s'endormir sur leurs dossiers, le peuple, à qui l'on vient d'infliger une nouvelle gifle, en est venu à croire que les magistrats n'étaient guère plus que des marionnettes s'agitant au bout de fils tirés par les politiques et autres puissants. Et la loi, un simple « mode d'emploi ».

Voilà, nous semble-t-il, qui est nettement plus grave que le dîner litigieux reproché à Jean-Marc Connerotte.

On critique essentiellement celui-ci parce qu'il n'aurait pas respecté les apparences de l'impartialité. Mais, en le dessaisissant (tout en cherchant un compromis en laissant le dossier à Neufchâteau ), la Cour de cassation, qui a surtout eu peur d'une décision pouvant faire jurisprudence à l'avenir, achève de ruiner, aux yeux du public, l'image même de la justice. Qui réparera les dégâts ?

Bien sûr, on peut toujours hausser les épaules et penser que la rue se trompe. Ce serait une erreur. Dans un état civilisé, la justice ne se décrète pas de droit divin : elle n'est rien d'autre que le produit des contradictions et des tensions de la société et émane, en définitive – comme tout en démocratie , du peuple.

Quand celui-ci, unanime, donne de la voix, il est bon de l'écouter si l'on veut éviter les crises majeures. Et tout ce qu'il demande, n'est-ce pas, au fond, un peu plus de considération pour les victimes

Il faudra bien - et rapidement, si l'on veut inverser le cours des choses - veiller à assurer à ces victimes, dans le processus judiciaire, la place qui est la leur. Laissée pour compte, oubliée de tous, à peine entendue par les juges, la victime est pourtant ce membre blessé de la communauté vers lequel devraient se tourner, dans un simple réflexe fraternel, la compassion et la solidarité de la nation.

Aujourd'hui, elle n'est pourtant, le plus souvent, qu'un nom sur un dossier poussiéreux. A peu de choses près, un empêcheur de juger en rond. Comme certains aimeraient, on l'imagine, une justice « sans victimes », avec seulement des juges, des avocats et des coupables. C'est d'ailleurs trop souvent ainsi qu'elle fonctionne : aux coupables les meilleurs avocats, soit qu'ils peuvent se les payer, soit que les ténors du barreau se battent pour assumer une défense jugée « médiatique ». Aux victimes, trop souvent, un avocat commis d'office, stagiaire du barreau, qui parlera quelques minutes à l'audience, et qui sera à peine entendu.

Blessée une première fois par son agresseur, la victime se voit ainsi achevée par une « machine » qui la rejette et la broie plus sûrement que n'importe quel coupable ne le sera.

C'est pour refuser de jouer plus longtemps dans cette pièce hypocrite - personne ne dit qu'il faut juger arbitrairement et sans objectivité, mais n'est-il pas insupportable d'entendre que coupable et victime doivent être traités de même : la violée et son violeur, l'assassiné et son tueur, le toxicomane et son dealer ?

- Que le juge Connerotte a payé.- Arrêtons-nous donc, un instant, à cet homme volontaire et courageux en qui les gens se reconnaissent, à ce petit juge intègre qui réussissait ce que les politiques ont raté, à cet âtre à l'émotion difficilement contenue lorsqu'il a évoqué l'irréparable et qui, aujourd’hui, traverse un drame personnel qui ne peut laisser indifférent.

Le juge chestrolais, dans son désir d faire bouger les choses, de forcer les mentalités et, surtout, l'appareil judiciaire, à évoluer, a sans doute eu tort d'oublier que l'on ne crève pas un abcès à chaud.

Chargé d'une enquête explosive, sachant qu'on l'attendait au tournant, victime déjà, par le passé, de circonstances fâcheuses, Jean-Marc Connerotte aurait dû se montrer plus prudent.

Qu'il nous soit permis, cependant, de préférer la générosité que révèle son acte un peu brouillon à la froideur et à la rigidité des magistrats de cassation, qui confondent le droit (lequel, en d'autres lieux et dans d'autres affaires, est allègrement bafoué) et sa lettre, et l'opposent ainsi à la simple morale dont nous pensons, naïvement peut être, qu'il devrait pourtant être la traduction.

A l'aube d'une manifestation nationale qui pourrait faire date ce dimanche - et, espérons le, pas de manière dramatique, car elle risque d'être infiltrée par des casseurs et des groupuscules extrémistes (les services spécialisés ont reçu, ce mardi, la mission de s'intéresser de près à cette manifestation)

L’écoeurement des Belges doit être une nouvelle source de réflexion pour nos pouvoirs. Car, à force de vouloir protéger un État démocratique en masquant ses errements, ses fautes et ses compromissions, on l'expose aux plus viles menaces : la révolution et l'anarchie.

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Légende des photos :

Page 4 (Photo du haut)

Dessaisi, le juge Jean-Marc Connerotte paie très cher sa « faute d'humanité » et rentre dans le rang. Un drame pour cet homme intègre qui, depuis le début, s'est donné corps et âme a son enquête, résistant à toutes les pressions. Il n'aura finalement commis qu'une erreur : montrer que la justice pouvait avoir un autre visage. Mais selon certains, le droit doit toujours supplanter le cour.

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Photo du bas :

Tous les Belges derrière nos juges intègres la formule n'est plus un vain mot. lis seront des milliers a manifester. « Pour les enfants du monde entier... Nous porterons le deuil de tous les enfants, tant que toute la lumière ne sera pas faite. Ainsi, ils ne seront pas morts pour rien. Mais le rassemblement sera celui de tous les dangers.

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Page 5 :

Même si la décision de la Cour de cassation appartient exclusivement au pouvoir judiciaire en raison de la séparation des pouvoirs, le dessaisissement du juge Connerotte – intervenu malgré les nombreuses manifestations populaires, comme en témoigne notre photo prise à la Cour de cassation apparaît comme une

nouvelle entrave dans l'évolution du dossier et de la recherche de la vérité.

Celle-ci est réclamée par tout le peuple belge. Mais elle risque d'éclabousser des hommes politiques et toutes nos institutions.

Elle pourrait donc bien être sacrifiée au nom de « la raison d'État », en dépit des déclarations apaisantes de Jean-Luc Dehaene et de son gouvernement.

 

 

 

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