lundi 11 août 2008

Neufchâteau Alerte maximum !('Soir illustré' 4 septembre 1996 p6,7 et 8)


Neufchâteau Alerte maximum !

« Soir illustré » du mercredi 4 septembre 1996 page 6 , 7 et 8

Le climat est à la nervosité, en Belgique.


Pendant que les fouilles dans la maison de la rue Daubresse marquaient un temps d'arrêt, comme une pause dans l'angoisse, l'étrange affaire d'enlèvement de deux jeunes filles, à Liège, trouvait une conclusion heureuse et rapide.

Et à Neufchâteau, le climat de l'enquête sur Dutroux et ses complices rappelait ce que la justice italienne a connu. Un procureur du Roi et un juge d'instruction véhiculés en Mercedes blindée sous la garde des super gendarmes, des inculpés systématiquement revêtus de gilets pare balles, ce n'était pas de la dramatisation médiatique, mais une mesure de protection justifiée par des menaces prises au sérieux.

Pour éclairer mieux les enjeux de l'enquête, le point sur les possibles connexions entre l'affaire des titres volés et les trafics de voitures. Ce sont bien toujours les mêmes qu'on retrouve partout.

Le 25 mars 1994, Armand Spirlet, avocat général près la cour d'appel de Liège, écrit au procureur général Léon Giet. A l'époque, le juge d'instruction Véronique Ancia, à Liège, et son collègue, Jean-Marc Connerotte, à Neufchâteau, enquêtent tous deux sur l'assassinat d'André Cools.

Tandis que dans la Cité Ardente, les enquêteurs de la Cellule Cools s'appliquent à travailler, sans trop y croire, sur ce que l'on peut appeler «la mouvance Van Der Biest", dans le Luxembourg, on remonte la piste des titres volés. Et, d'un côté comme de l'autre, on tombe sur les mêmes individus.

Ce qui ne va pas sans poser quelques problèmes. Au parquet général, de même que chez le magistrat national André Van Dooren, on s'inquiète des «tensions croissantes entre les deux pôles d'enquête de Liège et Neufchâteau ».

C'est donc, dans le cadre de ce qui va devenir «la guerre des juges », qu'Armand Spirlet prend la plume et tente de faire le point. Et, surtout, d'obtenir une décision du procureur général afin d'autoriser Jean-Marc Connerotte d'instruire à la fois sur les titres volés et la «mouvance Van der Biest », puisque Liège ne croit guère à cette piste et déploie énormément d'énergie à entraver le travail des enquêteurs de la B S R de Bastogne chargés du dossier.


Léon Giet décidera de ne pas décider et laissera la cour de cassation s'emparer de l'affaire. Le 1er juin 1994, Jean Marc Connerotte sera dessaisi du dossier titres volés au profit de Véronique Ancia qui laissera l'enquête en l'état, estimant, une fois pour toutes, que cette piste ne peut mener aux assassins d'André Cools.

Mais voilà que deux ans plus tard, l'histoire repasse les plats. Et Armand Spirlet fait maintenant figure de visionnaire. Dans sa lettre du 25 mars, il écrivait, en effet, que:

« Ces différentes personnes (ndlr. Richard Taxquet, Pino Di Mauro,Silvio De Benedictis et Mauro De Sentis) sont impliquées dans des vols, recels et négociations de titres volés depuis 1986 et participent à une organisation mafieuse d'envergure internationale ».

Et de poursuivre ainsi: "Ces deux hommes (ndlr: Taxquet et Di Mauro), une fois perçus hors de leurs fonctions officielles, participent à un puissant réseau de malfaiteurs et brassent des millions à l'instar de grands professionnels du crime". Concluant en ces termes: "Le magistrat national, enfin, après avoir confronté les données recueillies à Neufchâteau avec d'autres données relevant de dossiers qui lui sont étrangers, a été formel: "la mouvance Van der Biest ressortit à l'évidence à un mouvement mafieux d'envergure internationale".

L'ÉNIGMATIQUE MONSIEUR ZICOT
Et ce sont, justement, ces "dossiers qui nous sont étrangers " qui refont surface, à Neufchâteau, avec l'arrestation de l'inspecteur principal de la PJ de Charleroi, Georges Zicot (voir article par ailleurs). Que reproche-t-on, en fait, à ce policier que ses amis considèrent comme brillant et que ses ennemis traitent, sans précaution oratoire, de ripou? Pas grand-chose à première vue: des faux procès-verbaux pour couvrir un informateur qui avait retrouvé un camion volé, quelques jours plus tôt, à Braine-l'Alleud.

Or, ce camion volé était au centre de l'affaire de séquestration qui devait conduire Marc Dutroux en prison, début décembre 1995. Dutroux, et son complice assassiné, Bernard Weinstein, étaient soupçonnés d'avoir séquestré les deux jeunes voleurs du camion, et l'amie d'un de ceux-ci, parce qu'ils les soupçonnaient de les doubler dans cette affaire.

C'est sur commande de Dutroux que les deux jeunes gens avaient volé le camion.

Or, Georges Zicot avait été, sans conteste, mis au courant des détails de cette affaire de séquestration par son informateur, Gérard Pinon, puisque c'est dans le hangar de ce dernier (à Ransart), où était planqué le camion, que les faits de séquestration avaient débuté.

Faute de preuves, Marc Dutroux sera relâché après trois mois de détention préventive. Il faut dire qu'il avait auparavant éliminé son comparse, Bernard Weinstein, retrouvé enterré aux côtés de Julie et Mélissa, à Sars-la-Buissière.

Georges Zicot apparaît, ainsi, comme le protecteur d'une série d'individus spécialisés dans le vol et le trafic de voitures. Si, à Neufchâteau, on reste très discret sur les autres volets du dossier à charge de l'inspecteur principal, des informations viennent de l' étranger.

Ainsi, la police de Cologne, mettant nommément Zicot en cause, s'est plainte de n'avoir pu faire aboutir une importante enquête sur un trafic de BMW entre l'Allemagne et la Belgique. C'était en 1994 et Charleroi était la plaque tournante du réseau. A la même époque, les polices allemande et luxembourgeoise refusaient de participer à une réunion Europol où l'inspecteur Zicot devait représenter la Belgique.

L'ombre de l'inspecteur plane donc sur les activités d' une bande spécialisée dans le trafic de voitures volées, une bande qui ne serait, elle-même, qu'une des branches d'une véritable structure mafieuse basée dans la région carolorégienne.

De nombreux vols de voitures sont à mettre à l'actif de cette bande. Ainsi, en 1995, la gendarmerie intercepte, à Sterpenich, une voiture suspecte. Le conducteur est un certain Tedesche, originaire de Châtelineau. Son passager est un certain Di Felice, garagiste au Luxembourg. Les enquêteurs sont rapidement convaincus d'avoir affaire à une véritable bande organisée. Pas moins de 176 vols de voitures lui sont attribués et l'enquête remonte sur Charleroi.
Mais, dans la capitale du Pays Noir, le parquet refuse de prendre le dossier en charge et l'instruction reste à
Arlon. Plusieurs procès-verbaux, rédigés par Zicot, apparaissent dans ces dossiers.

ET REVOILA MAURO DE SANTIS
Or,il faut savoir que Di Félice est décrit par plusieurs informateurs comme le bras droit de Mauro De Santis en matière de trafic de voitures volées. Et qu'il a fait à des enquêteurs des déclarations concernant l'affaire Cools!

Mauro De Santis n'est pas un inconnu pour les lecteurs du Soir illustré. Il est un des témoins-clés de l'affaire des titres volés et de l'assassinat d'André Cools. C'est Mauro De Santis qui fournit, en avril 1991, les titres volés que le coiffeur De Bock tente d'écouler, à Liège, avec l'aide de Silvio De Benedictis. Le coiffeur, pris sur le fait, sera incarcéré à la prison de Huy où il recevra la visite de Pino Di Mauro, alors chauffeur au cabinet Van der Biest. C'est encore Mauro De Santis qui fournira, ennovembre 1991, d'autres titres volés à Pino Di Mauro.

Celui-ci chargera Pol Beaujean, entreprepeur à Bastogne, et le gendarme Jean-Marie Van Mullen, de les écouler au Liechstenstein avec l'aide de Balakrishna Menon et Roman Abegg. Roman Abegg, directeur de la société Bali, sera arrêté quelque temps plus tard aux USA, dans une affaire de titres et autres actions volés à la Citibank par la mafia.

Lorsque l'opération du Liechtenstein foire, une réunion d'urgence est organisée chez Mauro De Santis à laquelle participent Pino Di Mauro et plusieurs truands albano-yougoslaves à qui sont attribués les vols de titres à l'aéroport de Zaventem. Mais c'est également à Mauro De Santis que l'on s'adresse pour recruter le tueur chargé d'éliminer André Cools. Un contrat que De Santis refusera. Parrain oui, tueur non...

Trafic de voitures volées, titres volés, Mauro De Santis apparaît comme le personnage central de la structure mafieuse dénoncée par Armand Spirlet. Et ce n'est pas tout.

LE DOSSIER AUQUEL MME ANCIA N'A PAS VOULU TOUCHER
Depuis deux ans, les gendarmes des BSR de Bastogne et de Bruxelles, ainsi que le Bureau Central de Recherche (BCR) de la gendarmerie, enquêtent sur les agissements d'une bande spécialisée dans le percement de coffre-forts.
C'est le dossier Walkowiak, du nom d'un des perceurs: Eric Walkowiak. Condamné en France et détenu à Toulon, il s'est rendu à la justice belge à sa sortie de prison. Mis au secret à la prison d'Arlon puis transféré à Huy, l'homme s'est révélé particulièrement prolixe.

Plus d'une centaine de cambriolages sont à mettre à l'actif de la bande dont il faisait partie. Placée sous l'autorité du magistrat national André Van Dooren, l'enquête montre d'étonnantes ramifications.

C'est ainsi qu'au mois de juin dernier, le juge d'instruction liégeois Prignon, qui seconde Véronique Ancia, a tenté de confronter Eric Walkowiak à... Mauro De Santis et à deux perceurs de la bande encore en liberté ! La confrontation n'a pu avoir lieu, malgré les pressions de Prignon qui a déclaré à cette occasion "être le seul à pouvoir enquêter sur les titres volés, en Belgique" !

La démarche est d'autant plus étrange que Liège a toujours considéré l'affaire des titres volés comme un dossier de "voleurs de portefeuilles". Mais elle montre surtout qu' à Liège, comme à Bruxelles et Neufchâteau, on sait que Mauro De Santis joue un rôle central dans toute cette affaire. La bande Walkowiak a, en effet, commis plusieurs des casses commandités par De Santis dans l'affaire des titresvolés.

Entre autres, le cambriolage commis chez le notaire François, à Fleurus, le 27 septembre 1990. Un dossier dont Véronique Ancia n'a jamais voulus' occuper, prétextant n'avoir pas "à s'occuper d'affaires de vols". Pourtant, l'enquête a permis de déterminer que Pino Di Mauro s'était adressé à Eric Walkowiak pour commettre un casse dans un restaurant de Tilf. Il s'agissait d'y vider un coffre-fort de son contenu.


Un casse à réaliser de toute urgence. Walkowiak s'en était référé à son patron, Mauro De Santis, qui lui avait interdit de le faire. "Ça pue", lui aurait-il déclaré.
Simple coïncidence?

Ce restaurant très discret était fréquenté par André Cools. • De plus, cette bande possède à son actif de nombreux casses d'administrations communales. A cette occasion, des dizaines de documents d'identité vierges furent volés. Or, à Neufchâteau, Silvio De Benedictis avait raconté aux enquêteurs, à une époque où il était particulièrement bavard, que ces pièces d'identité vierges étaient remplies à l'administration communale de GraceHollogne où l'on pouvait discrètement les retirer par l'intermédiaire de son neveu Richard Taxquet. Taxquet, policier communal à Grâce-Hollogne mais, surtout, à l'époque, secrétaire particulier d'Alain van der Biest.

Ajoutons à cela que c'est à deux jeunes voleurs de voitures de Charleroi que fut commandée, par Pino Di Mauro et Richard Taxquet, la voiture devant servir à l'évacuation des tueurs d'André Cools, voiture qui devait être livrée par Carlo Todarello, à Tongres, et l'on aura compris que l'on se trouve bien en face d'un véritable phénomène de criminalité organisée implantée dans la région de Charleroi avec ses bandes spécialisées, ses tapis, ses ramifications internationales, son parrain et ses protections dans le milieu judiciaire.

C'est à cette mouvance, dont ils avaient décelé l'existence, dès 1992, que s’attaque à nouveau le procureur du Roi Michel Bourlet et le juge d'instruction Jean-Marc Connerotte.

Au péril de leur vie, puisqu'ils sont désormais sous protection permanente et ne se déplacent plus qu'en Mercedes blindée.

Tout comme Georges Zicot sur la tête duquel court, désormais, et réellement, cette fois, un contrat. Un contrat qui ne trouverait pas nécessairement son origine dans le milieu mafieux que nous venons d'évoquer.

L.S.I.

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NOUS NE SERONS PLUS JAMAIS LES MÊMES

« Soir illustré » du mercredi 4 septembre 1996 page 6 , 7

Nous ne serons plus jamais les mêmes, après les événements que nous traversons avec les parents de Laetitia et Sabine, de Julie et Mélissa, d'An et Eefje, Loubna et de tous les autres enfants arrachés à notre affection. La Belgique a perdu un peu de son âme et de ses illusions, dans la tourmente d'août.

Alors qu'elle reprenait espoir, avec l'extraordinaire bonne nouvelle du retour de Laetitia et Sabine, elle fut confrontée à l'horreur, en la personne de Marc Dutroux, monstre et bourreau.


La Belgique a fait bloc pour pleurer Julie et Mélissa, et encourager leurs parents à vouloir empêcher que d'autres enfants ne connaissent le sort funeste des petites de Grâce-Hollogne.


La Belgique fait bloc derrière le procureur du Roi Michel Bourlet et le juge Jean Marc Connerotte. Face à la dignité de Stefaan DeClerck, le ministre de la Justice qui a garanti au Procureur que rien n’entraverait ses recherches, la Belgique espère que les mesures de réforme annoncées par Jean-Luc Dehaene seront suivies d'effets.

Les Belges sont plongés dans les ténèbres. L'inspecteur Zicot était-il un ripou, ou est-il victime de la guerre des polices qui a empêché la libération de Julie et Mélissa?

Qu'une enquête sur l'enquête ait dû être ordonnée dépasse les normes de l'entendement. Confrontés à ces sinistres égarements, ceux qui ne veulent qu'un emploi pour éduquer leurs enfants, leur assurer un avenir et une élémentaire sécurité, ceux qui paient leurs impôts et ont peur du chômage, se sentent mal dans leur peau. A la fin de ce mois d'août, au moment où les enfants rentrent à l'école, chacun a peur. Il faudrait dépasser ce sentiment qui casse le moral. Il faut croire en la vie, s'accrocher à quelque chose de positif.

La vérité est que les raisons d'espérer ne sont pas apparentes

La récente déclaration du procureur du roi de Tournai, M. Poncelet, n'a rassuré personne.

Le père de l'inspecteur de la PJ abattu alors qu'il était de permanence à Mons pense que la justice est froide, et regrette d' être tenu à l'écart de l'enquête.


Il se place aux côtés des parents de Julie et Mélissa, espère que l'hypothèse d'un lien entre la mort de son fils et les trafics internationaux de voitures ne sera pas rejetée trop hâtivement, comme si cela gênait.


 Les enquêteurs de Neufchâteau ont-ils pénétré au coeur d'un système mafieux international dont la Belgique serait un carrefour majeur?


Les patrons de l'enquête entament un travail gigantesque, qui demande une extrême précision, du temps, et des moyens.

Le fait que Michel Bourlet et Jean-Marc Connerotte soient protégés par l'ESI et se déplacent en Mercedes blindée renforce encore l'impression que la Belgique est au bord d'une menace non encore clairement définie, mais à laquelle personne ne peut s'empêcher de penser. Où sont les tueurs du Brabant wallon? Où sont les assassins d'André Cools?

Qui protégeait Marc Dutroux?


Qui, dans ce pays, a perdu toute humanité au point de se repaître d'enfants, notre bien le plus sacré, pour faire du fric? Ceux qui s'attaquent aux enfants ont dépassé la volonté de pouvoir, à un point qui nous donne le vertige.

Septembre sera noir, en 1996. Et nous veillerons sur nos enfants, en n'oubliant jamais le sourire de Julie et Mélissa.

Marcel Leroy


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