mardi 15 juillet 2008

Pour les enfants du monde entier(La Meuse vendredi 23 août 1996)


Pour les enfants du monde entier

« La Meuse » du vendredi 23 août 1996 page 11

En nous quittant, Julie et Mélissa ont emporté une partie de nous-mêmes, mais aussi une partie de notre enfance a tous a dit Gabriel Ringlet, lors de l'office

Quelle belle célébration ! Émouvante, digne et populaire.
Dans cette basilique Saint-Martin de Liège, nulle autorité n'avait de place à son nom.
Tous, du plus humble au plus rand, devaient prendre place selon les chaises disponibles.
C'était une volonté des parents: c'étaient les gens qui les avait soutenus durant 14 mois, c'était à eux que revenait cette cérémonie.

« Est-ce que le bon Dieu est sourd? »
C'est vers 11 h 30, sur la superbe musique du film « La leçon de piano », que les deux petits cercueils blancs, surmontent des couronnes des deux frères, entrèrent dans la basilique. Précédé des trois célébrants, Gino Russo s'installa au premier rang, en plaçant son grand fils Grégory et Carine a sa droite. Jean-Denis Lejeune s'assit à ses côtés, son petit arçon Maxime et son épouse Louisa sur sa gauche. Les deux mamans étaient en blanc, le blanc de l'espérance en l'avenir.
Au fond du choeur se trouvaient tous les amis de toujours, les membres du comité de soutien «Julie et Mélissa», les voisins de Mons-Crotteux. A la droite de l'autel, la classe de l'école de Mons-lez-Liège : avec tous les copains des deux fillettes.

C'est un ami de Gino, le prêtre-ouvrier Gaston Schoonbroodt, un ancien conducteur de bus, qui célébra l'absoute, en tremblant d'émotion:
« Est-ce que le bon Dieu est sourd? », lança-t-il d'emblée avec son franc parler.
« Et ce n'est pas un blasphème que de parler ainsi. Ces 14 mois de calvaire insoutenable, et que pourtant vous parents avez soutenu. A quoi ont-ils servi ? »

Reprenant ensuite son calme, il poursuivit : « Que cette célébration ne serve pas à retourner encore le fer dans la plaie. Qu'elle serve d'abord à donner à Julie et à Mélissa la place qui leur revient, qui est aussi celle de tous les enfants du monde.

Les mamans me disaient: «Nos deux petites filles appartiennent aujourd'hui a tout le monde... Mais quand les décideurs tiendront-ils plus compte du coeur des gens ? »

Pour les enfants du monde entier


S'avance alors devant l'autel François Saussus (12 ans), un jeune chanteur namurois qui s'est présenté spontanément, pour interpréter la chanson d'yves Duteil «Pour les enfants du monde entier».
Des minutes d'intense émotion, quand on pense à ces deux petites fillettes assassinées à l'aube de leur vie. Les gorges sont nouées, les mouchoirs sortent de partout.

Gabriel Ringlet, le recteur de l'UCL, reprend ensuite la parole pour dire qu'on ne peut plus accepter cette indifférence, cette intolérance vis-à-vis des plus faibles: « Qui touche aux plus petits des miens mérite qu'on l'attache à une meule et qu'on le jette à la mer. Ce texte est très dur et il est pourtant dans l'Évangile », reprend-il.

« Tout un pays a fait alliance avec nos filles, me disait Gino. En nous quittant, elles ont non seulement emporté une partie de nous-mêmes, mais aussi une partie de notre enfance à tous. »
A la demande d'une des deux mamans, c'est la chanson de Michel Fusain « Où s'en vont les gens qu'on aime?» qui suit l'intention de Gabriel Ringlet.
Elle lui rappelle de bons souvenirs avec sa fille. Carine Russo serre très fort la main de son Grégory, Jean-Denis Lejeune se prend la tête entre les mains.
Nouveau moment d'intense émotion lorsque Anne-Marie Bouzet, la maman de la petite Elisabeth Brichet disparue depuis 1989, monte à la tribune et lance: «Julie et Mélissa, vous êtes les deux petites soeurs d'Élisabeth ! »

Admirables parents
Les textes suivants seront lus ensuite par trois «spécialistes», mais qui sont aussi trois personnes devenues des amis des parents Lejeune et Russo pour les avoir soutenus durant ces longs mois.
Il s'agit du psychothérapeute De Kaiser, du criminologue Daniel Martin et du journaliste José Dessard. Ensemble, ils souligneront l'admirable courage qu'ont sans cesse montré Gino, Carine, Jean-Denis et Louisa

«Il fallait durer. Il fallait défier ceux qui disaient d'attendre sagement. Julie et Mélissa, être révoltés était pour vos parents la seule manière d'être sages et raisonnables. «Nos filles sont toujours vivantes», criaient-ils sans arrêt.
« Cet acharnement était fondé. Ils ont tout fait, ils n'ont rien laissé au hasard face au non soutien judiciaire et au déni d'existence des réseaux de pédophilie qu'on leur a toujours opposé.
« Était-ce une prétention excessive que de demander d'être associés à l'enquête? On a constaté l'incroyable difficulté de dialoguer avec l'appareil judiciaire.

«Julie et Mélissa, vos parents ont porté vos souffrances au même titre que vous. Quand votre agresseur vous disait de vous soumettre, de faire confiance, de vous taire, on disait la même chose à vos parents. Aujourd'hui, vos cris, associés aux leurs, ne pourront plus jamais se taire. »
Gino pleure à chaudes larmes.
Victor Hissel, l'avocat des deux familles, reprend le même thème «Julie et Mélissa, des hommes vous ont soumis à l'agonie pendant que d'autres se croisaient les bras. Alors que vos parents se battaient pour vous ramener à la vie. Alors que, Julie, ton petit frère maxime; alors que toi, Mélissa, ton grand frère Grégory, vous attendaient pour reprendre ensemble vos jeux d'enfants.
« Au revoir Julie et ... » La voix écrasée par l'émotion, il ne parvient pas à finir sa phrase.

Le prochain départ
Baignée dans la musique d'Enya, l'assemblée se recueille en silence. Carine pleure et serre la main de son fils très fort. Jean-Denis aussi. Et c'est le mouchoir à la main que le prêtre-ouvrier Gaston Schoonbroodt reprend la parole : « Il n'y aura plus de grand départ, vers l'Amérique du Sud ou ailleurs (allusion au voyage qu'avaient encore effectue Gino et Jean-Denis, en juillet dernier) Le prochain grand départ sera pour les retrouvailles.

Toute l'assemblée se recueille sur ces paroles. Sur les musiques d'Andréa Bocelli « Con te partiro » et de Céline Dion « Vole », chacun au plus profond de lui-même repense au calvaire vécu ar ces deux petites filles, loin de leurs parents adorés. Et tout le monde est rempli d'émotion. Fait rarissime : même le banc de la presse et les photographes sortent leurs mouchoirs.

Un dernier baiser

A 12 h 40, la cérémonie se termine et c'est le début du long défilé du millier de personnes présentes dans la basilique. Malheureusement, vu le nombre, la foule massée à l'extérieur ne pourra pas venir s'incliner devant les dépouilles.

Les deux familles passent les premières. JeanDenis se penche vers le cercueil de Julie pour l'embrasser et lui dire un dernier petit mot, il fera la même chose pour le cercueil de Mélissa, qui depuis un an est également devenue sa fille. Carine, Gino et Louisa diront également un dernier message à voix basse à leurs filles adorées.
En se rasseyant, Jean-Denis prendra Gino dans ses bras et le serrera très fort, avant de faire de même avec leurs deux petits garçons.

Le long défilé des anonymes durera une heure sur les très beaux chants du choeur de l'Opéra de Liège. A 13 h 30, les deux familles embrasseront le père Schoonbroodt et se tiendront tous par la main pour sortir de la basilique, derrière les deux cercueils.
Les applaudissements qui, spontanément, sortiront du public leur feront esquisser un sourire avant qu'ils ne s'engouffrent dans les voitures du cortège.

Dernier moment terrible: les larmes aux yeux, Jean-Denis Lejeune sortira de la voiture pour étreindre une dernière fois très fort les parents d'An Marchal: «J'espère que pour vous, on la retrouvera vivante... »

Luc Gochel

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