lundi 21 juillet 2008

La longue attente('Nvel Gazette'28 août 1996 p4)



La longue attente

Au carrefour de l’angoisse


«La Nouvelle Gazette» du mercredi 28 août 1996 page 4

Il n'y a qu'un vieux Jumétois pour vous situer la rue Daubresse, quelque peu parallèle à la chaussée de Bruxelles, à partir du quartier de Saint Antoine à Lodelinsart jusqu'à celui de Puissant à Jumet. Partant des confins des limites des anciennes communes de Lodelinsart et de Jumet, la rue Daubresse constitue une des quatre branches d'un carrefour qu'elle forme avec les rues Remoncheval, Pastur et Cerisier. Des rues bordées d'anciennes maisons, très souvent rénovées, à la guise des propriétaires.

C'est là à ce carrefour que s'agglutinaient, tôt hier matin, journalistes, cameramen et curieux, bloqués par des Nadar et quelques gendarmes fatigués. En fait, c'est un cordon de sécurité de quelque deux cents mètres qui a été dressé tout autour de l'habitation de Weinstein, construite en retrait de la rue et dont la vue est masquée par quelques buissons et une végétation sauvage. Un sentier étroit longe l'habitation de bois, construite comme un bungalow, jusqu'au fond de la propriété. C'est en l'empruntant que les véhicules de la Protection civile accèdent -difficilement- à l'arrière du terrain.

Durant de longues heures, journalistes et curieux n'observeront rien d'autre, et de loin, que le ballet des véhicules entrant et sortant de la propriété de Weinstein.
«Mais, hier soir déjà, vous savez», nous précise une dame toute émue, «la protection civile était là; ils ont sorti sept containers de saletés, de détritus de toutes sortes et un homme de la protection civile m'a dit qu'il y en avait encore au moins deux fois autant.»

Vers onze heures, le soleil commence à taper dur; pas de café dans les environs; une petite épicerie installée au coin de la rue, «Chez Minou», assure le service. Le jeune commerçant connaissait Weinstein, comme client...
«Oui-oui, il venait assez souvent ici. Il achetait des pâtes...celles-là des italiennes, toujours les mêmes. Un homme poli, gentil.
Mais attention, Dutroux, je ne l'ai jamais vu...mieux ainsi.» «Ça ne fait rien», ajoute une cliente zaïroise de la rue Pastur, «cette nuit, il est venu, Dutroux. Mon mari l'a vu, vers 11 heures 30. Il descendait d'une camionnette de la gendarmerie, arrêtée devant la maison de Weinstein. »

Des voisins confirment: «C'est vrai et on l'a embarqué vers une heure du matin.» Voilà de quoi alimenter des conversations qui se faisaient plus rares et de réactiver quelques rumeurs mourantes.
«Vous rendez bien compte que si on l'a amené ici, c'est pas pour rien...», en déduit un vieux fumeur de cigarillos.

Évidemment, on parle de cadavres... comme à Sars-la Buissière. Avec effroi, avec émotion, avec quelques larmes aussi: «J'ai trois petites filles, Monsieur, je me fais du souci, vous savez. On n'est plus tranquille. Je dors mal», son menton tremble d'émotion contenue; elle continue, cette habitante du quartier: «Weinstein, on ne le connaissait pas pour dire; c'est, il y a quelques jours seulement, que j'ai appris qu'il allait de temps en temps boire un verre à la chaussée de Bruxelles, chez l'Italien. C'est tout. Mais, ici, près de chez nous, vous croyez qu'on va encore trouver des cadavres de petites filles?», cette fois-ci, elle pleure carrément.

Côté journalistes, ce n’est pas la joie non plus. Même les photographes, armés de leur téléobjectif, se trouvent bien loin de «l'événement». Ils tentent de squatter des fenêtres de chambre à coucher. Mais, les gens préviennent: «On ne voit pas grand-chose de plus d'ici, même à l'arrière, la vue est bouchée à cause de l'atelier. »
Charitable, une habitante conseille: «Allez par la rue du Cerisier, il y a une ruelle, derrière les jardins, de là peut-être qu'il y a moyen de voir quelque chose.»
Las, même les ruelles du quartier sont bloquées par les gendarmes. Seule solution, celle du photographe de notre quotidien: l'hélicoptère pour saisir une vue panoramique du site des recherches. C'est ainsi que Bernard Delentrée précisera, peu avant midi, qu'une grue est utilisée pour percer le toit de la maison.

Pendant ce temps, un nouveau container est sorti de la propriété par les gars de la protection civile: à l'évidence, on est en train de dégager le terrain et de vider la baraque de fond en comble. On fait place nette pour entrer dans la phase décisive des recherches, pense-t-on au carrefour.
Où de plus en plus de gens se rapprochent des Nadar, les informations -vraies ou fausses- s'échangent en fumant une cigarette ou en buvant un coca. Le temps tourne à l'orage... lourd.

Qu'importe, les chaînes de télévision montent leur antenne sur les camions, chaque chaîne travaille dans une rue... Techniquement, tout est prêt.
On n'attend plus que le pire... Mais les heures s'écoulent lentes encore; on sait que rien ne se saura tant que les responsables du parquet de Neufchâteau n'arriveront pas sur les lieux... à quelques centaines de mètres du cimetière de Lodelinsart.
Longtemps prostrée sur le seuil de sa porte, une vieille rentre chez elle; elle maugrée: « Pour voir ça...»

Ch. B. (Photos Denis Gauvain)
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Communiquer mieux ?

«La Nouvelle Gazette» du mercredi 28 août 1996 page 4

Une chose est de respecter le nécessaire secret de l'instruction, et d'une manière particulière dans une affaire aussi sensible que celle-ci. Une autre est d'opposer aux légitimes demandes d'information de la presse un mur de silence, en faisant semblant qu'il ne se passe rien et en légitimant, du même coup, les rumeurs les plus folles. On en a connu de pénibles exemples, hier, â l'occasion des fouilles entreprises rue Daubresse, à Jumet.

Qu'a t’on entendu dire, dès les premières heures?
Que la nuit d'avant, Marc Dutroux était venu sur les lieux, entouré d'enquêteurs à qui il aurait indiqué les endroits où se trouveraient les corps d'autres victimes; que ces victimes seraient au nombre d'une dizaines, et qu'il s'agirait d'enfants tchèques, importes puis tués par son complice Weinstein qui leur aurait fait tourner des films pornographiques: ce même Weinstein que Dutroux a ensuite assassiné, comme il l'a avoué, qu'enfin rien de tout cela n'était vrai, et qu'aucun corps ne se trouvait là, puisque les recherches n'avaient pas encore commencé,et qu'on n'en était encore qu'à déblayer un hangar. Tout cela, pour s'entendre dire enfin de matinée qu'on était prié de cesser de diffuser en radio des informations sans aucun fondement.

La tactique est vieille comme les rapports entre la presse et le monde judiciaire. A chaque enquête, ou presque, le même grief est fait à la presse de dire ou d'écrire n'importe quoi. Mais on lui adresse ce reproche après les faits, plutôt que de l'informer pendant que les choses se passent. On sait combien l'enquête actuelle est difficile et combien elle nécessite le rassemblement des énergies. On devine aussi que la communication avec la presse ne constitue pas l'essentiel des préoccupations des enquêteurs.
On le comprend aisément, et on serait mal venu de leur en faire leur reproche. Pourtant, cette information est essentielle. La mise en place (toute théorique) d'un informateur central bruxellois, inaccessible ou mal informé lui-même est insuffisante.
Il aurait pu y avoir plus tôt hier une réunion de presse destinée à permettre aux journalistes de remplir leur mission en toute sérénité, et sans qu'ils doivent s'en tenir aux seules rumeurs discordantes qui avaient fait l'essentiel de la journée.
On en a eu l'idée salutaire, en fin d'après-midi. Il serait heureux qu'on le comprenne plus tôt, aujourd'hui: il est plus utile d'informer régulièrement la presse avant qu'elle lance ses informations, que de lui reprocher après coup, d'être allée s'abreuver à de mauvaises sources.

P. M K.
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Guerre des police où suspicion réelle ?

La police judiciaire mise en quarantaine par la gendarmerie


«La Nouvelle Gazette» du mercredi 28 août 1996 page 4

Dans le dossier Dutroux, les remarques- assassines- entre police judiciaire et gendarmerie vont bon train et pas seulement depuis l'arrestation de Georges Zicot, inspecteur de PJ; celle-ci accuse la gendarmerie de la tenir à l'écart de l'enquête. Pourquoi? La question est posée.

«Quelles sont les nouvelles dans l'affaire Dutroux?». Pour une fois, cette question vient d'un inspecteur de la police judiciaire de Charleroi et s'adresse à un journaliste. «Vous savez, poursuit le policier, nous, on est tenu au courant par la presse. Parce que nous sommes mis en quarantaine par la gendarmerie».

Depuis l'arrestation de Zicot ?

«Non, non, depuis le début de l'enquête sur Dutroux. On sait beaucoup de choses sur lui. D'ailleurs, vous racontez pas mal d'âneries. Surtout dans la presse télévisuelle. On aurait pu aider les enquêteurs, mais depuis que ça a éclaté, la gendarmerie nous tient à l'écart. Il serait peut-être temps qu'on se demande pourquoi».

Je vous le demande: pourquoi?

«Parce qu'il y a des membres de la gendarmerie qui sont impliqués dans l'affaire»?

Voilà de graves affirmations. Rentrent-elles dans le cadre folklorique de la guerre des polices, de la rancune pour l'arrestation d'un des vôtres?
«Pas du tout. A votre avis, pourquoi nous interdit-on de visionner les cassettes vidéo saisies chez Dutroux et compagnie? C'est parce qu'on pourrait bien reconnaître des gars de la gendarmerie. Et pas des Bourvil (NDLR: des sans grades), mais des gros bonnets de l'État-Major. Je vous dis qu'on en connaît, avec certitude, qui seraient susceptibles d'être vus sur ces cassettes».

Pas facile de faire la part des choses dans ces déclarations. Affirmations gratuites, règlement de comptes? L'anonymat est bien sûr demandé par notre inspecteur. Les responsables (tant à la PJ qu'à la gendarmerie) sont «occupés» à d'autres tâches. Nous n'avons donc évidemment pas pu vérifier ces informations.

Peut-être ne le seront-elles jamais. Mais dans ce dossier, on a négligé trop d'éléments pour ne pas explorer toutes les pistes afin de trouver les coupables et empêcher que de telles horreurs touchent nos enfants.

Yvan SCOYS







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