samedi 23 août 2008

Débat ('Soir'5 septembre1996 p2)


A BOUT PORTANT
Philippe Marion : Professeur à l'UCL, chercheur à l'observatoire du récit médiatique

Sur la manière dont la presse belge, flamande comme francophone, a traité la terrible découverte de Jumet.

« Le Soir » du jeudi 5 septembre 1996 page 2

Depuis trois semaines, toute la presse belge se focalise sur l'affaire Dutroux. Il peut paraître dérisoire de «communautariser» la question mais les analystes des médias constatent-ils des différences de traitement entre le nord et le Sud?


Des nuances entre la manière dont on a parlé de Julie et Mélissa et des deux Hasseltoises ?
Nous avons, à vrai dire,été frappés par la très grande similarité d'approche. C'est particulièrement vrai maintenant mais ce l'était déjà après l'horrible découverte de Sars la Buissière. La révolte de la population à Grâce-Hollogne et à Neufchâteau contre ce qui s'était passé figurait en aussi grosses lettres et photos à la «une» des journaux flamands.

C'est peut-être banal de le répéter mais quand le pays doit affronter un pareil électro-choc, une grande séparation, comme l'avait aussi été la mort du roi Baudouin, l'identité nationale resurgit. Pour ce qui est maintenant d'An et Eefje, on peut constater que l'on a conservé une relative unanimité dans le traitement et l'expression des émotions.


On pourrait aussi faire remarquer qu'à l'instar des parents de Julie et Mélissa, Paul Marchal a parfaitement compris le rôle de la presse pour tenter de faire bouger les choses, n'hésitant pas à aller vers les caméras de manière aussi courageuse que digne...

Les parents Russo et Lejeune avaient parfaitement compris qu'à défaut de faire bouger les trois pouvoirs, il fallait s'adresser à celui qu'on dit être le quatrième et faire face à la médiatisation. Paul Marchal se situe un peu dans cette lignée et est d'ailleurs devenu fort proche des parents de Grâce-Hollogne. Une solidarité d'ailleurs totalement réciproque pour ne pas parler de complémentarité.

D'un point de vue plus général, y-a-t-il une évolution dans le récit médiatique proprement dit?

En effet. Quand on prend l'ensemble de la presse depuis la découverte de Julie et Mélissa, on constate une sorte d'essoufflement, de satiété, d'inflation dans l'émotion. En fait, les journaux suivent d'une certaine façon la lassitude un peu désespérée de l'opinion publique. Un signe de cet écoeurement est qu'il y a un épuisement aussi dans la rhétorique: au-delà de l'horreur absolue, il n'y a plus rien à dire! On a également fait ce constat à propos de l'illustration, de l'image: vu qu'il n'y a pas grand chose à montrer sur l'évolution directe des événements, il y a eu moult cartes et infographies sur les fouilles et photos des inculpés.

Cette inflation est aussi perceptible dans la manière dont on montre les acteurs importants de l'affaire.
C'est le père d'An Marchal qui lance «We moeten niet meer zoeken!»(Nous ne devons plus chercher) comme si on ne pouvait plus aller au delà.
Certains vont plus loin en donnant de nombreux renseignements sur l'identification des restes humains alors qu'il y a quelques jours, on se penchait surtout sur l'organisation de la justice...
Oui, c'est une volonté didactique qui surprendrait sans doute en temps normal mais que l'on n'aurait pas osé publier au moment de la découverte de Julie et Métissa. C'eût été une sorte de lèse-émotion.
Par contre, les papiers didactiques sur le fonctionnement du système judiciaire étaient une manière de manifester une certaine révolte contre l'inertie de la Justice.

Quand on voit l'évolution du traitement de l'affaire, on a l'impression d'avoir atteint un sommet...
Cela paraîtra paradoxal mais il est clair que si la presse a finalement secoué les décideurs, amenant certains à faire marche arrière, c'est au prix d'une certaine inflation de traitement. Le problème est que quand l'émotion est hypertrophiée, elle tombe à court. La presse doit en fait gérer à la fois l'information et l'émotion. Il y a, en effet, peu de chances qu'on puisse encore aller plus loin.

Propos recueillis par CHRISTIAN LAPORTE

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Carte blanche : Crimes sexuels une opinion

« Le Soir » du jeudi 5 septembre 1996 page 2


Il y a des crimes dont l'horreur provoque une réaction unanime de rejet sans appel. Ils poussent la société à s'interroger sur l'application de la loi du talion et pour certains à demander le rétablissement de la peine de mort. C'est le cas des meurtres d'enfants ou d'adolescents par des pervers sexuels.

Il faut faire une distinction entre le pédophile qui cherche à capter la confiance de l'enfant ou de son entourage pour parvenir à ses fins, et le maniaque sexuel guettant sa proie pour assouvir ses pulsions jusqu'au meurtre.

Il n'en reste pas moins que la répétition de drames récents (ndlr : en France) comme le meurtre de Karine par un violeur récidiviste libéré, l'affaire Luc Rigolle, auteur de 6 viols, (alors qu'il était sous traitement et qu' il avait décidé de l' arrêter de son propre chef!), le meurtre avec viol de la jeune Anglaise, le réseau de pédophilie découvert en Belgique, l'enlèvement et l'assassinat de Mélissa et Julie, An et Eefje, choquent l'opinion et lui font se poser des questions.

Pourquoi relâcher des criminels, obsédés sexuels, alors que l'on connaît, au travers de ces derniers exemples, le taux très élevé de récidives? L'emprisonnement à vie est-il la seule solution, à l'exclusion de la peine de mort, pour protéger les enfants, victimes potentielles?

N'y a-t-il pas de solutions médicales pour modifier le comportement «abominable» de ces pervers et si oui, pourquoi ne pas les utiliser systématiquement? Sur ces points, je souhaite en tant qu'homme, médecin et parlementaire, faire connaître mon sentiment.

Qu'ils soient pédophiles ou maniaques sexuels, ces obsédés sont reconnus responsables de leurs actes. Ils font preuve d'habileté pour parvenir à leur fin et doivent être mis hors d'état de nuire en raison même de leur tendance à la récidive.

Même lorsqu'un acte sexuel grave, le viol par exemple, n'aboutit pas au meurtre, c'est toute la vie de la victime qui sera, elle, marquée à perpétuité.

La loi de février 1994 a prévu des peines incompressibles de longue durée, la libération conditionnelle pouvant néanmoins être envisagée après l'avis de trois experts psychiatres, puis celui de cinq magistrats.
Je suis à ce propos très surpris du luxe de précautions que l'on prend à l'égard de ces maniaques sexuels. Il est bon d'avoir à demander l'avis de la Commission Nationale d' Éthique, d'admettre les réserves du Sénat, encore faudrait-il ne pas en rajouter quant au respect de la liberté du maniaque, lorsque l'on sait le cas que celui-ci a fait de la liberté, voire de la vie des jeunes innocents.

En effet, de quoi s'agit-il? D'accepter une possible libération uniquement sous couvert d'absorption de médicament anti-androgéniques capables de maîtriser la libido accompagnant la délinquance sexuelle.
Ces médicaments existent et même s'ils ne suppriment pas la nécessité de poursuivre une psychothérapie au long cours, ils n'en sont pas moins un élément de sûreté indispensable à tout nouveau contact avec la société. Les médecins qui prescrivent des produits comparables contre le cancer de la prostate se posent moins de questions que certains psychiatres, et ils ont raison ! Dans les mesures de lutte contre la toxicomanie, «l'injonction thérapeutique» existe et là non plus, on ne se pose pas trop de questions quant à la qualité du consentement du toxicomane à qui l'on fait l'obligation judiciaire de se soigner. Ce n'est pas parce que l'obsédé sexuel aura eu en prison un comportement «normal» que l'on doit se sentir autorisé à le libérer puisque, dès ce moment, il retrouvera l'objet de ses pulsions dont la prison l'avait justement éloigné.

Mes conclusions et mes propositions rejoignent celles de nombreux spécialistes. (...)

Mais je vais plus loin que certains : une libération de délinquants sexuels même après des années de «bonne conduite» ne peut se concevoir que sous couvert de l'obligation absolue et incompressible de soins à vie sous contrôle judiciaire. C'est ainsi que la société fera son devoir tant vis-à-vis de l'être humain que reste l'obsédé sexuel que vis-à-vis de victimes innocentes potentielles.

Ces « anti-hormones » existent. Elles traitent la libido, composante majeure de la pulsion sexuelle. Tant que les établissements spécifiques destinés à soigner ces pervers seront limités à deux en France, il faudra s'assurer que la prescription de l'anti-hormone soit réelle. (...)Comme on peut concevoir que le maniaque modifie son traitement, je propose des injections régulières sur convocations ou des prises quotidiennes sous contrôle strict du produit oral (on le fait bien pour la méthadone), en attendant une forme injectable qui est toujours préférable.

Je propose également un «bracelet électronique de sûreté» indestructible qui serait imposé dès la sortie de prison. Au moindre rendez-vous manqué, le délinquant sexuel serait recherché et considéré comme évadé dangereux.

Au deuil national qui touche nos voisins belges doit répondre une réflexion de fond, qui, en s'appuyant sur la conscience collective doit faire réellement évoluer les choses.

Ce n'est qu'à ces conditions que notre société fera son devoir, sans succomber à la tentation de la loi du talion. Sinon, comment un juge qui aurait remis en liberté un meurtrier en puissance pourrait-il jamais soutenir le regard des parents d'un enfant violé et tué par un récidiviste libéré?
Il semblerait qu'une première estimation permettrait de penser que ces dispositions nouvelles, si elles étaient adoptées, pourraient déjà s'appliquer à près de 3 à 4.000 personnes actuellement détenues dans les prisons françaises pour perversité sexuelle.

Le souvenir de ces vies perdues et le respect dû à la mémoire de ces enfants martyrs doivent, au delà de l'émotion et du sentiment de révolte, nous amener à donner à notre société la volonté et les moyens de se défendre avec succès contre ceux qui s'adonnent au pire des trafics, celui de la «chair humaine ».

Dr MICHEL GHYSEL Député du Nord (France)

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Courrier des lecteurs

Sabine, Laetitia, Julie, Mélissa, An, Eefje: suite des nombreuses réflexions en marge du sinistre dossier Dutroux.

(...) Si de tels monstres font des trafics d'enfants, c'est que la demande est très grande! Et combien d'hommes parmi cette foulle déchaînée qui réclame la peine de mort, n'assouvissent ils pas leurs fantasmes avec ces mêmes enfants, que ce soit dans notre pays ou dans ces pays pauvres où les enfants sont quasi en vente libre! (...)
La pédophilie est un très grave problème de société, car elle a beaucoup plus d'adeptes que l'on ne soupçonne ou ne veut soupçonner, car lorsqu'il s'agit d'affaires de moeurs l'hypocrisie de la société n'a pas d'égal. Ces pédophiles, trop facilement, appelés des malades le sont en effet bien moins que nous le croyons: certains, peut être? Mais beaucoup parmi eux ont délibérément choisi d'assouvir leurs fantasmes avec des enfants de plus en plus jeunes afin d'éviter toute contamination du virus du sida. (...)
Ce problème de la pédophilie nous concerne tous: nous condamnons les dirigeants du pays et les messieurs mais vous mesdames n'êtes-vous pas aussi complices de vos hommes?
En effet, combien d'entre vous ne préfèrent-elles pas fermer les yeux sur les agissements de leur mari ou compagnon plutôt que de faire éclater un scandale familial? (...)
G., une prostituée d'Anvers

La société fabrique ses Monstres et ses Saints. Après d'ultimes réflexions, n'est-ce pas dès la petite enfance qu'il nous faut veiller: les habitudes prises,alors, se répercutant sur toute la vie.
Notre choix de bons films, revues, spectacles, vidéos.., feraient la faillite des marchands de tous bords.
Par notre taux d'écoute, nous pourrions infuencer la T.V., éradiquer violence et sexe dont elle nous inonde.
Par nos encouragements et notre volonté, nous pourrions aider l'école et obliger le «Politique à choisir nos enfants avant le fric. Par notre exemple, notre manière honnête de voir les choses, nos discussions éclairées, nous serions des guides au lieu d'être des moutons bêlants. Un monde meilleur? A nous, de le vouloir.
J. Detaille (Montigny-le Tilleul)

(...) Avec le recul, et nous rappelant qu'il n'y a pas si longtemps, pour une histoire de financement de parti politique ô combien dérisoire face à l'horreur qui nous touche aujourd'hui, un éminent responsable de l'appareil judiciaire nous faisait la leçon sur la primauté du droit face à la démocratie.
Curieusement, l'éloquence de ces personnalités ne se fait jamais entendre devant la destruction morale et les tortures physiques que subissent les enfants.
Nous avons même entendu, pendant ce triste week-end, des sommités s'opposer à la peine incompressible au nom de l'espoir à laisser à ces monstres pervers de retrouver une place dans la société. (...).
Expliquez-nous, Messieurs, on ne comprend pas! Ayez au moins le courage de ne plus vous considérer comme des puits de vérité et cessez de nous considérer comme des analphabètes qui ne s'expriment que dans des moments de passion, ne connaissant rien de la réalité ou n'ayant pas le droit à l'information quand elle met en cause les erreurs inqualifiables dans le travail de la justice. (...).
A. M. Matthys (Chassepierre)

Depuis deux semaines, une phrase me revient en tête, lancinante, celle que Julos Beaucarne a prononcée lorsque, il y a 24 ans, son épouse a été sauvagement assassinée. Il a dit simplement: il faut s'aimer à tort et à travers. Il fallait le dire et, encore mieux, essayer de le vivre. Oserions nous redire cette phrase aujourd'hui? Et pourtant! Tout en souhaitant que chacun fasse son travail dans la société et que la justice suive son cours fermement, je pense qu'il est important que nous nous tournions quelques instants vers le dedans de nous-mêmes pour nous demander comment, chacun et chacune, nous pourrions vivre un peu plus d'amour au quotidien afin que le monde soit si non meilleur, au moins plus vivable. Fameux programme, tâche immense et jamais terminée mais la seule dont nous sommes vraiment entièrement responsables.
Je sais que d'aucuns trouveront que mes propos tiennent quel que peu du «sermon. Ce n'est que ma prière personnelle, elle n'engage que moi, mais je la fais de tout mon coeur.
M.-J. Krings (1170 Bxl)

A l'heure où la sécurité sociale est mise sous question, il apparaît choquant qu'un Marc Dutroux ait pu abuser une mutuelle et bénéficier de revenus de remplacement, alors que de son propre aveu à l'assistance sociale, il «bricolait». Un «bricolage» juteux sur le plan financier et crapuleux sur le plan moral. (...) J'aimerais savoir quelle action va être intentée pour récupérer les sommes indûment perçues par Dutroux et Martin?
Je conviens que cet aspect peut paraître secondaire, eu égard aux horreurs commises, aux réparations dues aux victimes et à leurs familles, mais que des allocations sociales soient si généreusement attribuées à des individus aussi douteux, déjà bien avant la découverte des sinistres événements, me sidère. Le suivi des dossiers par des assistants sociaux n'est-il pas à revoir? Quels sont les médecins qui reconnaissent aussi facilement un handicap, une invalidité? La générosité du système n'empêche hélas pas les dérives et les excès ne pourront qu'affecter les bénéficiaires honnêtes, d'où la nécessité de contrôles plus rigoureux, exercés par des gens alliant compétence et humanité
J.-C. Vergeylen Montigny-le-Tilleul)


(...) Une fois de plus se pose la question de la prévention. Comment éviter que quelqu'un ne devienne violeur ou pédophile? Le déchirement des familles, l'éducation permissive que nous acceptons n'y sont-elles pas pour une part? La débauche systématiquement présentée à tout public est-elle innocente? Le besoin de stimulants nouveaux, sans cesse affinés, n'en est-il pas une conséquence directe ? Le laisser-faire, le laisser aller ne sont-ils pas le levain dans une pâte plus facile à pervertir qu'à maîtriser? La liberté de chacun devant s'arrêter au seuil de la liberté et du respect des autres, peut-elle, au nom du plaisir, du jeu, du fric, bref de l'égoïsme, être abandonnée à la décision de quelques marginaux qui embrouillent notre coeur et nos sens? Les médias, par audimat et donc publicité sonnante et trébuchante interposés, pourront-ils jeter longtemps encore violence et sexe débridés en pâture à tous, déstabilisant une société, modifiant ses repères?
(...) Un virage a angle droit n'est il pas urgent? Julie, Mélissa, An, Eefje tant d'autres aussi, ici ou ailleurs ne peuvent être mortes pour rien. Leurs parents ne peuvent souffrir pour rien. Légiférer une fois de plus sous le coup de l'émotion à l'encontre des seuls criminels incarcérés, même si cela s'avère indispensable, n'empêchera pas d'autres de prendre la relève, surtout face à une demande inquiétante. Or c'est cette relève aussi qu'il faut absolument empêcher. Une fois de plus, on en revient à l'éducation dans les familles, à l'école, à l'apprentissage du respect de l'autre (...). Et en attendant, il faut punir tous les protagonistes de cet horrible commerce humain, y compris tous les demandeurs, même de haut niveau, à l'origine du mal. Tout ne peut plus être permis. (...).
P. Lenfant (Ath)

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