« CAR SI VOUS VOULEZ ÊTRE PARDONNES, IL VOUS FAUDRA D'ABORD DONNER »( « Le soir illustré » du mercredi 27 novembre 1996 pages 30,31 et 32 )
Gaston Schoonbroodt a demandé aux bourreaux de Julie et Mélissa
de confesser les noms de leurs clients
« Le soir illustré » du mercredi 27 novembre 1996 pages 30,31 et 32
En accord avec les Lejeune et les Russo, cet homme a cherché à atteindre ce qui resterait d'humanité chez les marchands d'enfants, et ne dira rien de ce que lui a écrit, à deux reprises, celui que l'on appelle Le Monstre, de sa prison d'Arlon.
Ses paroles taillées à même le coeur avaient bouleversé la foule, à Liège, les croyants et les autres, lors des funérailles de Julie et Mélissa. Gaston Schoonbroodt, revêtu de sa chasuble blanche de prêtre, face aux deux petits cercueils blancs et aux familles, à Jean-Denis et Gino qui serraient les poings pour l'encourager à s'accrocher, avait trouvé les mots assez forts pour exprimer la révolte et la terrible peine des parents des petites filles de Grâce-Hollogne et de tous les gens de bonne volonté partageant leur chemin torturé.
Prêtre-ouvrier, Gaston Schoonbroodt vit dans deux petites pièces jouxtant une maison ouvrière de la rue de Burnonville, près de la ligne de chemin de fer, à Jemeppe sur Meuse. Un terril où ont poussé des herbes folles coiffe l'horizon.
A la fenêtre de la pièce de devant, un petit avis cerne la personnalité de l'occupant de ces lieux d'une modestie extrême. « Si vous passez en mon absence, entrez, laissez moi un message, sur la table il y a de quoi écrire. Au revoir ».
A l'intérieur, deux vélos sont rangés à côté de la table. C'est le seul moyen de déplacement de Gaston, un homme qui irradie la bonté. Sur un petit divan, les photos de Julie et Mélissa, d'An et Eefje forment une sorte d'autel.
Aux murs, des peintures dévoilent des trouées de campagne et de montagnes. Une Bible est posée sur la cheminée. Un poêle au pétrole blanc réchauffe la petite pièce. Gaston Schoonbroodt fait bouillir de l'eau pour préparer du Nescafé.
Sa maison ouvre les bras aux gens de passage. Ceux qui entrent peuvent se servir, prendre du lait dans le frigo, griffonner un message auquel prêtre-ouvrier donnera une réponse.
C'est cet homme-là qui a accepté de sortir de son anonymat pour défendre la mémoire des enfants assassinées, le temps d'une messe retransmise en direct à la télévision, et qui restera l'exemple d'un rituel
d'une terrible émotion.
Le prêtre savait que la pression l'accablant finirait par lui arracher les larmes qu'il aurait voulu refouler, par pudeur.
Quand la mélodie Con te partira s'envola dans la nef figée dans le temps, le prêtre se retira dans le souvenir des enfants dont chacun se sentait proche. Mélissa n'irait jamais en Sicile avec Carine, à la découverte des beautés d u pays d'où partirent ses grands-parents, et c'était le signe de la vie fauchée à sa racine.
« Je travaillais avec le beau-frère de Gino Russo et l'oncle de Carine. C'est moi qui ai baptisé Mélissa,â l'âge de 5 ans et demi.
Notre histoire est celle d'une amitié, d’une longue amitié... »
ouvrier, de vivre avec les camarades. « Ce qui était mon milieu de travail reste mon milieu de vie, maintenant que je suis à la retraite », explique notre hôte. Il vit depuis 30 ans dans les deux petites pièces où il a concentré tout ce qu'il possède. Gaston Schoonbroodt a consacré sa vie aux travailleurs dont il partage les joies et les peines. Chez les Russo, il célébrait tous les événements familiaux, des baptêmes aux funérailles, mais n'aurait jamais cru aller aussi loin dans le cheminement fraternel
. Depuis la disparition de Julie et Mélissa, il a écouté les parents, s'est souvent contenté d' être là.
Être là, c'est essentiel, et dépasse les mots, souvent. Il a appris à aimer les Lejeune comme les Russo et à les aider dans leur lutte pour retrouver les enfants, après ce mois de juin tragique de 1995
.. Il fut avec eux dès qu'ils apprirent qu'à Sars-la-Buissière, les corps des petites filles avaient été exhumés. Et il s'imprégna de toute la souffrance et de toute la révolte des parents pour parler, en leur nom, lors de cette messe qui le déchira à jamais.
- « Un jour, j'ai eu l'idée d'écrire une lettre à Marc Dutroux, Michèle Martin, Michel Nihoul et Michel Lelièvre. J'ai soumis mon texte aux parents des petites.
Sans leur accord, je n'aurais pas agi. Je me suis rendu aux prisons d'Arlon et de Namur, où j'ai remis mes lettres aux directeurs, sans avoir demandé de rendez-vous. Cette lettre à Marc Dutroux, je voulais qu'il la reçoive, avant de la rendre publique.
Si vous la publiez, n'en retirez rien, c'est la seule condition que je vous demande de respecter. Je vous la lis... »
……En écoutant la voix grave, un peu assourdie de Gaston Schoonbroodt, on se retrouve sur un banc de cette église, alors qu'il prononçait l'hommage funèbre. Il lit sans hâte, en détachant les mots; en les martelant, à la manière d'un ouvrier qui façonne une pièce dans son atelier. Ces mots, il les a tracés pour qu’ils aillent au fond du coeur de ceux à qui ils sont destinés, parce que Gaston Schoonbroodt espère qu'il leur reste assez d'humanité pour entendre son message.
A Marc Dutroux et aux autres, il demande qu'ils parlent, pour guider la justice, et confondre ceux qui donnaient de l'argent aux prédateurs pour se repaître d'enfants (vous avez, par ailleurs, la version intégrale de ce document).
« Marc Dutroux m'a répondu une lettre de deux pages et demie. Je ne peux rien dire de ce qu'elle nous a révélé, aux parents de Julie et Métissa et à moi. J'ai écrit une seconde fois, obtenu une nouvelle réponse. Peut-être un jour irai-je rendre visite à Marc Dutroux, si les parents m'y autorisent ».
……Dans une poche, Gaston Schoonbroodt conserve une petite Bible usée jusqu'à la trame, fermée par un élastique. Il se plonge chaque jour dans le vieux texte, y puise la base d'une réflexion sur son époque, éclairée par la présence des gens de la rue.
Non-violent et objecteur de conscience, ce prêtre en veston usé veut que les prédateurs « crachent le morceau », et il espère fermement que la justice dépassera le cercle des seconds couteaux pour confondre les consommateurs d'enfants, ceux qui disposent de l' argent nécessaire à l'assouvissement de leur funeste dérèglement. Gaston Schoonbroodt refuse de voir la société sous un voile de pessimisme.
Pour lui,
« Plus jamais ça !! » Pour tous les enfants d u monde qui ont mal, au moment où vous lisez ces lignes.
Marcel Leroy
Gaston Schoonbroodt dans son petit deux pièces. Sur la table, il y a toujours de quoi écrire pour les gens de passage, une petite Bible et les photos de Julie, Métissa, An et Eefje. À droite: le prêtre ouvrier accueillant ses amis, les Russo et les Lejeune, à l'entrée de l'église le jour des funérailles des petites victimes. Au centre: la lettre qu'il a adressée aux bourreaux. Un document fort et plein d'humanité.
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La lettre :
« CAR SI VOUS VOULEZ ÊTRE PARDONNES, IL VOUS FAUDRA D'ABORD DONNER »
« Le soir illustré » du mercredi 27 novembre 1996 pages 31
- Cette lettre est adressée en priorité à vous, Michèle Martin, Marc Dutroux, Michel Nihoul et Michel Lelièvre, Dans quelques jours, elle pourra devenir lettre ouverte pour ses autres destinations. En ce cas, qu'elle soit publiée intégralement, ou alors pas du tout !
G.S.
Je me suis longtemps recueilli. Aujourd'hui encore, je pèse tous mes mots. Qu'attendez-vous pour dénoncer; pour dire des noms?
Depuis que vous êtes incarcérés, je n'en vois guère d'autres à qui on aurait passé les menottes. Où sont et qui sont les personnes qui alimentaient vos comptes en échange de vos ignobles cassettes ?
Si
En d'autres temps ou sous d'autres cieux, des résistants courageux ont vécu jusqu'au bout le devoir de se taire: ce fut tout à leur honneur.
Vous, si vous voulez retrouver un brin d'honneur, vous devez parler, vous devez « cracher le morceau »... ou des morceaux, bref, ce que vous savez, pour que soient arrêtés des hommes dangereux, probablement fortunés et haut placés, qui courent dans la nature.
Simple citoyen, je veux l'être au service d'une société qui prépare un monde meilleur: Pour cela, au nom et à la mémoire de Julie et Mélissa, Eefje et An et de tant d'autres enfants de Bangkok et de partout ailleurs, ne faut-il pas que les droits de l'enfant deviennent les premiers des droits de l'homme?
Et que l'on ne se drape pas dans ces derniers pour m'accuser de chantage, de vengeance... à l'égard de vous, Marc, Michel et autres.
Des petites innocentes n'ont-elles pas atrocement souffert ? Quel avocat serait assez hypocrite pour ne pas distinguer la différence de la situation ?
Oui, simple citoyen et prêtre au service de l'Amour tel que Jésus-Christ l'a vécu, j'en appelle aux autorités humaines: quant à vous, les inculpés, je vous supplie de réfléchir et de chercher: n'y a-t-il pas, au fond de vous, par delà le Mal qui vous a possédés,un tout petit reste de dignité enfantine qui pourrait vous racheter ?
Ceux que vous aurez « protégés » en ne les dénonçant pas vont se frotter les mains et poursuivre ailleurs leur vicieux comportement……
Ma lettre n'est pas un exercice de style: s'il en était ainsi, j'aurais honte de regarder encore les yeux francs et enjoués de Mélissa et Julie.
Le Mal qui est en vous et que vous avez semé autour de vous, je ne l'exorciserai pas à coups de crucifix ou d'eau bénite. Je l'affronterai en me tenant silencieusement, dans le recueillement, tout le temps qu'il faudra, prêt à recevoir non pas d'abord votre confession, mais l'aveu de noms d'autres coupables qui auraient bien voulu vous voir périr.
Car si vous voulez être pardonnés, il faut d'abord que vous donniez...
Un Amour plus grand pourra dès lors vous accueillir par-delà les horreurs de votre passé. A vous de choisir. A moi d'être à votre service.
Et si
2b, rue Burnonville, 4101 Seraing.
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