vendredi 17 avril 2009

Opération décime (Suite page 28 et 29)



Opération décime (Suite page 28 et 29)

3. SITUATION.

L'intéressé fait l'objet d'un dossier mis à l'instruction sous la référence 1003/93 (Monsieur le Juge d'instruction Lorent ) et est suspecté en tant que receleur. D'informations dignes de foi, il appert que le nommé Dutroux Marc serait en fait le voleur et entreposerait !es marchandises volées dans un box dont l'emplacement est actuellement inconnu. (NDLR: Pourquoi ne fait-on pas mention ici de I'hypothèse selon laquelle Dutroux est aussi l'objet dé suspicions en matière de kidnapping d'enfants et cela même si les perquisitions du 8 novembre 1993 avaient été déclarées infructueuses malgré les « travaux de terrassement de Dufroux »?

Pourquoi ne signale-t-on pas aussi le passé de violeur d'enfants de Dutroux ?)

4. VÉRIFICATION DES RENSEIGNEMENTS.

Les informations n'ont pu être vérifiées au stade actuel de l'enquête.

5. MODUS OPERANDI.

Inconnu. L'intéressé nie être l'auteur de vols.

6. DEMANDE.

Nous sollicitons la mise sous observation prolongée, mobile et spécialisée du suspect afin: de déterminer les endroits où le suspect pourrait cacher du matériel volé dons le cadre du dossier à sa charge; de trouver les endroits où des perquisitions pourront être effectuées avec succès lors de l'interpellation du suspect."

(NDLR: Cruelle énergie pour retrouver des objets volés! Alors que les accusations en matière d'aménagement de caves Pour cacher des enfants sont encore éludées. Cela paraît-il par trop incroyable aux enquêteurs de la gendarmerie? Ne fait-on pas confiance au magistrat instructeur auquel est adressée cette demande de mise sous observation de Dutroux ? Est-on simplement trop vite satisfait des perquisitions infructueuses du mois de novembre chez Dutroux ? )

La demande d'opération Décime est visée par le juge d'instruction Lorent le 13 décembre 1993. Ce document porte d'ailleurs sa mention manuscrite

« Pour exécution ». Le 4 septembre dernier, M. Velu interrogeait le commandant de gendarmerie Legros. Apparemment, il s'est posé les mêmes questions que nous sur l'opération Décime. De l'audition de cet officier de gendarmerie, il se confirme que "le texte transmis à Monsieur Lorent ne parle pas de faits ou rumeurs selon lesquels il (NDLR: Dutroux) aménagerait des caves à Marchienne-au-Pont, pour y loger des enfants en attente d'être expédiés à l'étranger. (...)" Il ressort d'ailleurs clairement d'autres déclarations du commandant de gendarmerie de Charleroi Lemasson à M. Velu qu'à cette époque, la "conviction" des enquêteurs et du magistrat Lorent est que Dutroux est un voleur de biens matériels, point à la ligne.

Peu justifiable! Tant pour le juge d'instruction Lorent qui est au courant verbalement, au moins depuis le début du mois de novembre 1993 des informations qui ont été recueillies par un gendarme sur les éventuelles caches d'enfants de Dutroux, que pour les services d'enquête de la gendarmerie.

Pourtant, les antécédents du « monstre » en matière de mœurs mettent vraisemblablement la puce à l'oreille des gendarmes, mais cet aspect des choses est décidément considéré comme subsidiaire. C'est ce que démontre une autre déclaration du commandant Lemasson à M. Velu: "Effectivement, les rapports concernant l'opération Décime ne mentionnent nulle part l'information reçue par le maréchal des logis Pettens en octobre

1993, ce qui n'exclut toutefois pas que les différents devoirs effectués dans le cadre du dossier Décime et les devoirs suivants l'ont été en ayant toujours à l'esprit la possibilité que Dutroux exécutait des travaux d'aménagement des caves dans sa propriété de Marchienne et la possibilité qu'il y séquestre des enfants". Cela n'est pas cohérent ! Si on fait des perquisitions "en ayant à l'esprit la possibilité de travaux d'aménagement de caves", comment peut-on rester indifférent aux travaux de terrassement commencés par Dutroux ?

D'autant que, comme on le lira plus loin, ces travaux de terrassement consistent en l'abaissement du niveau d'une cave et le creusement de galeries souterraines !

Dans le cadre de l'opération Décime, trois observations ont lieu les 5, 6 et 12 janvier 1993.

Le procureur Velu écrit dans son rapport que "ces observations s'étant révélées infructueuses, le dossier Décime est clôturé le 16 février 1994 par le rapport n°CD 1190/31 -M/CP transmis à Monsieur le Juge d'instruction Lorent avec copie a Monsieur le Procureur du Roi.

Télémoustique dispose aussi de ce rapport. Il y est mentionné « qu'aucun élément positif n'a pu être relevé lors des observations de Marc Dutroux et que par conséquent, le dossier est clôturé par manque d'élément probant ».

Néanmoins, signale le rapport Velu, "Le 13 juin 1994, dans le cadre du même dossier 1003/93 de Monsieur le Juge d'instruction Lorent

(NDLR: Donc toujours le dossier qui porte uniquement sur des "vols') de nouvelles perquisitions sont exécutées aux mêmes adresses. Les gendarmes constatent, lors de la perquisition à Marchienne-au- Pont, « que les travaux n'ont pas évolué depuis la perquisition du 8 novembre 1993 ».

Plus loin dans son rapport, le magistrat Velu pousse un peu plus encore ses investigations sur ce que savait le parquet de Charleroi en 1993. Elles confirment le manque de sérieux avec lequel on prend à cette époque les informations « pédophilie » concernant Dutroux.

Nous citons M. Velu:

« Nous avons posé au colonel Lemasson la question de savoir si, à l'époque, en 1993-1994, la gendarmerie de Charleroi avait donné connaissance d’un magistrat, soit un magistrat du Parquet, soit le magistrat instructeur à savoir le juge d'instruction Lorent, de l'information suivant laquelle Dutroux effectuerait des travaux dans une de ses maisons à Marchienne-au-Pont, pour y loger des enfants en attente d'être expédiés à l'étranger.

Le colonel Lemasson a répondu: "De manière officielle, aucun avis n'a été donné par écrit à l'époque par la gendarmerie ni à un magistrat du Parquet, ni à un magistrat instructeur. Peut-être l'information a-t-elle été communiquée verbalement lors d'un entretien qui aurait pu avoir lieu à l'époque entre le maréchal des logis P. et un magistrat".

A la suite de cette déclaration, il a été demandé au maréchal des logis P. si, lorsqu'il avait eu connaissance en octobre 1993 des informations concernant l'aménagement de caves par Dutroux, il en avait informé un magistrat.

La réponse a été la suivante: Afin d'obtenir les mandats de perquisition, le premier maréchal des logis chef B. s'est rendu au parquet de Charleroi et rencontré Monsieur le Juge d'instruction Lorent. Je n'étais pas présent mais mon collègue m'a informé qu'il avait relaté verbalement au magistrat instructeur la teneur des informations reçues concernant l'aménagement des caves par Dutroux en vue d'y faire transiter des enfants enlevés. Suivant les dires du premier maréchal des logis chef B., le magistrat instructeur lui a demandé de vérifier les dires de l'informateur lors de la perquisition de Marchienne-auPont.

- Cinq perquisitions ont été exécutées le même jour (NDLR: le 8 novembre 1993) et les gendarmes procédant à ces devoirs ont été sensibilisés aux informations obtenues de l'informateur. Les perquisitions ont été faites de manière minutieuse et il a été constaté à Marchienne Docherie que le niveau d'une cave avait été abaissé d'environ 1,50 mètre et que deux galeries avaient été percées. Les travaux étaient à l'état de terrassement, il n'y avait aucun travail de maçonnerie. L’immeuble était inhabité, en chantier Un grand désordre y régnait. Des photos ont été prises.

Compte-rendu a été probablement fait au magistrat instructeur par le premier maréchal des logis chef B."

Ce que confirme, avec cependant un certain manque de précision, le maréchal des Iogis B.lorsqu'il est interrogé par M. Velu: "Après les perquisitions, à un moment que Je ne peux plus déterminer, je lui ai rendu compte verbalement (NDLR: au juge Lorent ) du résultat des recherches et du fait qu'aucun indice n'avait 'été trouvé concernant la construction de caches. Je l'ai toutefois informé de I'existence d'une tranchée dans la cave de la maison de Marchienne-au-Pont, et qui témoignait de l'intention de Dutroux d'abaisser le niveau de cette cave".

Résumé bref de cet aspect surréaliste de l'enquête: un informateur dit à des gendarmes qui le répètent à un juge d'instruction que Dutroux aménage des caves pour y cacher des enfants. On ne peut ignorer que ce type est un abuseur sexuel déjà connu de la justice. On constate par de « minutieuses»perquisitions qu'il creuse bien dans ses caves pour en abaisser le niveau. Mais cela n'est pas considéré comme un indice...

L'évidence, non? Bien sûr, cette "évidence" ennuie aujourd'hui les acteurs de cette enquête ratée. A tel point que sur ce point précis, quelqu'un ment !

En effet, dans une lettre qu'il adressait le 11 septembre dernier à M. Velu, le juge d'instruction Lorent nie formellement avoir été informé par la gendarmerie du résultat de la perquisition à Marchienne-au-Pont qui avait mis à jour les travaux de terrassement de Dutroux !

Qui dit la vérité? Le juge ou les gendarmes?

La commission parlementaire devra répondre à cette question. Car si les soi-disant "non-indices" de l'époque avaient été pris au sérieux, si on en avait déduit qu'il était utile d'enquêter aussi en direction d'un éventuel réseau de pédophilie, Julie et Mélissa et toutes les autres victimes connues de Dutroux n'auraient peut-être jamais eu à croiser la route du monstre.

Fin 1993, le dossier "vols" suit son court. Bientôt, au parquet de Charleroi, la substitut Favaro est chargée de tracer le réquisitoire de renvoi dans le dossier "vols" à charge de Dutroux. Est-elle pour sa part informée, soit par la gendarmerie, soit par le juge Lorent des rumeurs portant sur l'aménagement de caches par Dutroux pour y loger des enfants? Au procureur général Velu qui lui pose la question le 4 septembre dernier, elle déclare: "Ma réponse est formelle: c'est non. Je n'ai jamais eu connaissance, que ce soit par écrit ou verbalement, d'aucun autre élément que ceux contenus dans le dossier. Je n'ai donc eu connaissance d'aucune surveillance sur Dutroux (NDLR: elle ne connaît donc rien de l'opération Décime), d'aucune suspicion de projets d'enlèvements d'enfants à l'étranger ni d'aucuns travaux dans le but d'organiser cette activité criminelle".

M. Velu ajoute à propos de Mme Favaro: "Elle a tenu à marquer sa surprise d'apprendre que la gendarmerie avait organise, dès 1993, une opération concernant Dutroux".

Ne devrait-elle pas être étonnée aussi du fait que son collègue Lorent ne lui en a jamais parlé?

Un silence lourd de conséquences qui concerne aussi les autres membres du Parquet de Charleroi. Jacques Velu écrit en effet que les autres magistrats du parquet qui ont eu à connaître du dossier "vols" concernant Dutroux - à savoir les substituts Janssens, Joachim, Troch et Poivin affirment n'avoir pas eu avec le juge d'instruction Lorent ou avec les enquêteurs de contact au cours duquel il leur aurait été indiqué d'autres activités délictueuses de Dutroux que celles de vols et de recels. (...) Pour Monsieur le Procureur du Roi Marchandise, le parquet de Charleroi n'a eu connaissance pour la première fois de ces informafions que le 25 août 1995".

Nous avons publié ce document du 25 août 1995, en fac-similé, dans le numéro 3688 de Télémoustique. Quant au 1er substitut Marius Lambert, écrit Jacques Velu, il "prétend de son côté ne pas avoir été informe, pendant la période où il a exercé les fonctions de procureur du Roi à Charleroi (de janvier 1995 au 22 octobre 1995 )des renseignements que la gendarmerie de Charleroi (NDLR: connus, en partie pour le moins, du juge Lorent) avait recueillis au sujet de Dutroux suspecté d'enlèvements d'enfants".

Le 24 juin 1995, Julie et Mélissa sont enlevées à Grâce-Hollogne. Les gendarmes de Charleroi font rapidement le rapprochement avec Dutroux puisque dès le 7 juillet, ils taxent les infos recueillies à l'occasion de l'opération Décime à leurs collègues liégeois. Et cette fois le rapport en question - voir TM 3688 - mentionne le fait important qui était carrément gommé dans le rapport original de l'opération Décime mentionnée plus haut. A savoir que Dutroux « a fait un long séjour en prison suite à une condamnation pour des viols sur des enfants qu'il enlevait avec sa femme ».

Pourquoi n'avait-on pas tenu compte de cette information quelques mois plus tôt?

De son côté, le juge Lorent ne réagit pas à la suite de l'enlèvement de Julie et Mélissa. Rien n'indique en tout cas qu'il prend un contact à ce sujet avec ses collègues-magistrats ou avec des policiers ou gendarmes pour indiquer qu'il a eu à connaître des informations concernant un certain Dutroux qui projetait de kidnapper des enfants... Dommage: c'était le seul magistrat belge qui, à ce moment, pouvait taire le rapprochement entre Dutroux et l'enlèvement des petites.

Et cela même si la gendarmerie lui a menti par omission sur le résultat des fouilles chez l'assassin d'enfants.

Michel Bouffioux

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