lundi 27 octobre 2008

La vie secrète de Michel Nihoul(Télé Moustique du jeudi septembre 1996 page 24, 25 et 26)


La vie secrète de Michel Nihoul

Télé Moustique du jeudi septembre 1996 page 24, 25 et 26

Bref rappel de l'épisode précédent. Issu d'un milieu assez modeste de la région verviétoise, Michel Nihoul s'installe à Bruxelles au milieu des années septante après avoir déjà été condamné pour Faillite frauduleuse. Il se reconvertit d'abord en vendeur dans un magasin de confection du boulevard Adolphe Max, avant de se lancer dans le négoce de vin, l'architecture d'intérieur, puis l'immobilier... II découvre par ailleurs les milieux interlopes de la vie nocturne bruxelloise en compagnie de l'avocate et sa désormais complice, Annie Bouty. Dès cette époque, Nihoul est proche d'un autre avocat, dont nous reparlerons dans un article ultérieur. Il s'agit de l'ex-membre du Cepic (I'aile droitière au aujourd'hui dissoute du PSC) Philippe Deleuze qui avait été un compagnon d'études d'Annie Bouty à l'université.

Au début des années quatre vingt, Nihoul est donc devenu l'homme d'affaires que l'on connaît. Il passe également une partie de son temps dans l'animation d'une radio libre à Etterbeek dirigée à l'époque par le beau-Fils de Léon Defossé. Mais, proche des milieux de la prostitution, l'une des activités principales de cet oiseau de nuit est alors l'organisation de « sex-parties » pour ses relations d'affaires.

Nihoul a-t-il tiré profit de ces activités un peu particulières pour obtenir des moyens de pression? L'hypothèse n'est pas invraisemblable. Dans plusieurs affaires - on ne citera ici que le scandale ProFumo qui défraya la chronique en Grande-Bretagne - les dépravations de personnalités ont été utilisées pour les piéger. De plus, l'affaire que nous allons maintenant évoquer démontre que Nihoul se sentait bien dans la peau d'un maître chanteur potentiel.

Simples détournements de fonds ou pots-de-vin?

Flash-bock. Dans le courant des années septante, une trentaine de jeunes médecins s'associent pour promouvoir la construction d'un nouvel hôpital en région liégeoise. C'est le projet du Centre médical de l'Est dont le but affiché est « la mise au service de tous, et spécialement des plus défavorisés, d'une médecine hautement qualifiée aux conditions les moins onéreuses possible pour le patient, compte tenu de la législation sociale en vigueur ». Les partenaires investissent chacun plusieurs millions de francs et une ASBL se constitue à Fléron au sein de laquelle le docteur Jean-Marie Guffens prend un rôle actif. Pour faire avancer les procédures administratives, ce chirurgien distille un certain nombre de pots-de-vin a des hommes influents dans la Cité ardente. C'est en tout cas sa version lorsque le scandale du CME éclate en 1980 et qu'il est interrogé dans le cadre d'une instruction judiciaire. Mais l'enquête menée à ce sujet - Guffens parlait notamment d'un « homme habillé d'un loden vert qui avait réceptionné une valise de billets sur le boulevard d'Avroy au profit du PS liégeois » - n'aboutit pas.

Finalement, le médecin n'est donc poursuivi que pour détournements de fonds à concurrence de 5 millions de francs. On lui reproche en plus des dépenses de prestige (achat de mobilier de luxe destiné à un usage personnel, voyages d'études inutiles, repas somptueux dans les meilleurs restaurants du pays). Celui qui était considéré par l'accusation comme son "éminence grise", le secrétaire général de CME, Georges Frisque, est également inculpé.

Un trio d'avocats de premier plan

En 1981, Guffens est renvoyé devant le tribunal correctionnel de liège. Ses avocats sont maîtres Toussaint et Bion. De son côté, Georges Frisque est défendu par Annie Bouty qu'il connaissait préalablement.

Amie à l'époque de son épouse, Claude M., qu'elle fréquenta à l'Université Libre de Bruxelles dans les années soixante, Bouty avait été témoin de son mariage. Bref, lors de ce procès en première instance qui a lieu en 1983 l'affaire tourne mal pour Guffens qui prend trois- ans. Frisque est mis hors cause.

Le docteur Guffens décide alors d'aller en appel. Et pour ce faire, il veut mettre toutes des chances de son côté. Et c'est ici qu'intervient Michel Nihoul. Compagnon d'Annie Bouty, celui-ci propose à Guffens de "tout régler". C'est à ce moment que le médecin liégeois change d'avocats. Leurs noms ? II y a

Marcel Cools, à l'époque âgé de 34 ans, fils du "maître de Flémalle" Thierry Giet, aujourd'hui parlementaire, chargé des dossiers justice pour le PS à la chambre et fils du procureur général de Liège de l'époque, Léon

Giet. Et enfin, Georges Dehousse, avocat attitré de la famille Cools (sans parenté avec l'actuel bourgmestre de Liège).

Nihoul dépose cinq millions de francs sur le bureau d'Annie Bouty

Ces trois avocats demandent une provision de 2,5 millions de francs à Guffens. Une somme importante. Par exemple, dans l'autre camp, le bureau d'avocats Boverie qui s'occupe de la curatelle de CME, donc du même dossier, se contente d'un million de francs d'honoraires.

D'où cette question: les 2,5 millions réclamés par le trio Giet-Cools-Dehousse n'étaient-ils qu'une simple provision ou, selon la version avancée depuis de nombreuses années par Georges Frisque, un camouflage pour "tout régler" au moyen de pots-de-vin. On s'en doute, les avocats concernés démentent toute intention de corruption dans ce dossier.

Quant au rôle de Nihoul, il est plus limpide. Après avoir convaincu Guffens qu'il peut arranger ses bidons s'il consent à payer ce qu'il faut, Nihoul obtient une procuration pour aller prélever 5 millions sur un compte du Crédit Suisse à Genève. "A l'époque, Nihoul se rendait souvent a Genève. Il se vantait d'avoir de l'argent sur un compte là-bas", nous confirme un ancien animateur de l'ex-station etterbeekoise Radio Activité qui fréquentait l'homme d'affaires bruxellois à cette époque. Mieux, dans le cadre de nos recherches, nous sommes tombé sur un témoin très intéressant. Cet homme était présent dons le bureau d'avocats d'Annie Bouty, avenue de la Toison d'Or, le jour où Nihoul est revenu de Suisse avec l'argent de Guffens.

Récit de ce témoin: "Il était fier comme Artaban. Nihoul a déposé une valise pleine de billets sur le bureau de Bouty et il a dit: "J'ai cinq millions de commission des Hôpitaux de l'Est". A cette époque, il prétendait être très lié à des personnalités du PS liégeois. En le fréquentant pendant plusieurs années, j'ai pu constater qu'if était en effet à tu et a toi avec certaines personnalités et d'ailleurs pas uniquement du PS. Bien sûr, cela ne prouve rien. D'autant que Nihoul est un peu mythomane, il a toujours eu tendance à exagérer l'importance de ses relations."

Que fait Nihoul avec les cinq millions de Guffens ? On vous le donne en mille: il les garde pour lui! En définitive, il n'aurait donné que 8.000 francs suisses aux avocats de Guffens, le reste de la provision de 2,5 millions étant finalement complété par la famille de Guffens.

L'homme d'affaires se disait en mesure de faire chanter des personnalités liégeoises

En mars 1983, le procès en « appeI »  de l'affaire CME s'ouvre à Liège. Le siège du ministère public est occupé par Anne Thily, l'actuel procureur général.

Et survient un nouveau coup de théâtre: il apparaît que Georges Frisque qui comparaît aux côtés de Guffens sur le banc des prévenus a été doublé par son avocat Annie Bouty !

C'est que depuis un certain temps déjà, avocate est la maîtresse de Nihoul ainsi que celle de Guffens et qu'elle a comploté avec celui-ci pour malmener la barque de son client « Frisque » afin de lui faire endosser un maximum de responsabilités dans le dossier!

Bouty est évacuée manu militari de la Cour d'appel et fait l'objet de poursuites qui n'aboutiront finalement pas.

Mais Frisque doit alors se défendre tout seul. Résultat des courses: Guffens prend quatreans fermes et Frisque qui avait été mis hors cause en première instance écope de six mois fermes. Dès lors, on comprend la hargne de Frisque à l'égard du duo Bouty-Nihoul. Depuis lors, il n'aura d'ailleurs de cesse de les poursuivre et de démontrer toutes les combines supposées de l'affaire CME.

Ses accusations sont-elles crédibles? Un magistrat bruxellois qui l'a longuement écouté -comme plusieurs autres d'ailleurs! - affirme que le dossier Frisque est explosif. Par contre, un médecin qui participa au projet du CME n'y croit pas vraiment: "Nous avons été vus pour plusieurs millions dans cette affaire. On n'a jamais revu notre argent. Plutôt qu'un scandale politico-financier, cette affaire fut une formidable escroquerie avec Guffens comme acteur principal".

A ce jour, l'affaire CME n'a pas encore été complètement liquidée far le curateur chargé du dossier. Tandis que Frisque, qui avait déjà été interrogé par la "Cellule Cools" il y a cinq ans, est allé trouver le juge Connerotte à Neufchâteau. On croit savoir qu'il lui a remis plusieurs documents étayant ses accusations. Le récit de Frisque tendrait à démontrer que l'argent de Guffens, les cinq millions du Crédit Suisse, ont finalement été investis par Nihoul dans un établissement bruxellois géré par sa "femme de paille" favorite, Manses De Cokere. Il s'agit du Clin d'oeil, un café qui se trouvait à proximité du Petit Sablon à Bruxelles.

A la même époque, Nihoul possédait aussi un autre établissement dénommé « Le Chat blond ».

Le « Clin d'œil » était ouvert jusqu'aux petites heures de la nuit et fréquenté, paraît-il, par du beau monde. Un ancien client régulier que nous avons rencontré longuement se souvient notamment de cette anecdote qui ne manque pas de sel: "Au fil du temps, cet établissement est devenu l'un des lieux de repos favoris de policiers de la Ville de Bruxelles. Ceux qui travaillaient la nuit venaient passer là de longs moments. Vers 4-5 heures du matin, ils partaient dare-dare, parce qu'ils avaient un certain nombre de kilomètres à parcourir le plus vite possible pour prouver à leurs supérieurs qu'ils avaient bien patrouillé toute la nuit".

Très sûr de lui, à cette époque, Nihoul ne cachait pas à ses intimes qu'il avait réinvesti l'argent des Hôpitaux de l'Est dans « le Clin d'œil »; prétendant a qui voulait l'entendre qu'il était à l'abri parce que cet argent était destiné a des commissions occultes dont il connaissait les destinataires. Et que dès lors, il pouvait faire chanter pas mal de monde à Liège. Etait-ce Nihoul-le-bras-long ou Nihoul-le mythomane qui parlait a ce moment-là?

La réponse à cette question pourrait en tout cas donner un éclairage intéressant sur les protections dont a pu bénéficier Jean-Miche dans la Cité ardente et ailleurs...

 

Michel Bouffioux

À suivre...

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Légende photos :

Michel Nihoul est défendu par deux avocats : Mr Frédéric Clément de Clety et Me Virginie Barra Nyanka

(Notre photo) . L'autre jour a la sortie du palais de Justice de Neufchâteau, celle-ci déclarait : "Mais oui, Monsieur Nihoul était un partouzeur!" Mais pour son défenseur, Nihoul n'était qu'un "client" des parties fines en question, pas leur organisateur...

 

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 BALLETS ROSES, LE RETOUR?

Nos révélations de la semaine dernière sur les "partouzes" organisées à Faulx-les-Tombes et ailleurs par Michel Nihoul sont-elles à mettre en rapport avec les nombreuses enquêtes qui ont été faites, ces dernières années, sur ce qu'on a appelé les "ballets roses"? Selon ce qu'on nous dit de source sûre, la réponse est affirmative.

On a évoqué à plusieurs reprises dans les médias ces "parties fines" menant en présence diverses personnalités et, a-t-on souvent suggéré, des mineurs d'âge. Différentes enquêtes ont été menées à ce sujet par plusieurs services de police - PJ, gendarmerie, comité supérieur de contrôle - et notamment dès 1979, à la suite d'une dénonciation farte par un médecin psychiatre ucclois, le docteur André Pinon. Ce véritable monstre du Loch Ness judiciaire réapparut en 1981, dans la foulée de l'incendie criminel du journal Pour qui se disait en mesure de faire des révélations sur le sujet. Et puis encore en 1985, à la suite de nouveaux témoignages parvenus à la PJ de Bruxelles, en 1987, dans la foulée d'une nouvelle déposition de l'ex-épouse du docteur Pinon et en 1990, à la suite de révélations ensuite rétractées d'une ancienne call-girl, Maud Sarr.

 Toutes ces enquêtes n'ont pu que confirmer l'existence des dites partouzes, mais sans jamais établir - officiellement, en tout cas- la participation de mineurs d'âge. Elles ont cependant prouvé l'implication dans ces fêtes un peu spéciales de personnalités appartenant à la "haute" société.

Or, l'on sait aujourd'hui que Nihoul était l'organisateur de certaines de ces soirées et nous sommes en mesure d'ajouter que c'est bien dans le cadre des enquêtes « ballets-roses » que des membres des forces de l'ordre ont planqué devant le château de Faulx-les-Tombes au début des années quatre-vingt.

 Dans le cadre de ce dossier, des surveillances furent aussi mises en place à une autre adresse fréquentée par Nihoul à l'époque. Il s'agit d'une maison de l'avenue des Atrébotes à Efferbeek où selon un témoignage relayé la semaine dernière par une chaîne de télé, une mineure d'âge aurait été abusée. Dans le dossier « ballets roses » encore, les enquêteurs se sont aussi intéressés à diverses villas dans le Brabant wallon et à une boite de la région bruxelloise, le Happy Few, qui était gérée par... Patrick Haemers. La Belgique est décidément un petit pays. D'ailleurs, Nihoul le prouvait lui-même récemment en utilisant un ex-complice de Haemers, l'avocat déchu Michel Van der Elst comme alibi. On le sait, ce n'est pas le seul lien potentiel entre le dossier Nihoul et l'environnement de Patrick Haemers puisque Dutroux, Lelièvre et l'homme d'affaires bruxellois fréquentaient naguère une maison d'lxelles où était domicilié Roland Corvillain, un pédophile notoire mais aussi, jusqu'en 1991, le dénommé Serge Frantsévitch lié aux affaires commerciales et autres d'Achille Haemers, le père du truand décédé en prison avant son procès pour l'enlèvement de Paul Vanden Boeynants.

M.Bf.

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