LES COMPTES NOIRS DU MONSTRE
« UNE » du « Soir Illustré » du mercredi 25 septembre 1996
Julie et Mélissa, An et Eefje: victimes des incohérences de la
Justice. Prochaines victimes si on ne réagit pas: les enquêtes
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C’EST COMMENT QU’ON FREINE ?
Othello ou la guerre Gendarmerie/PJ/Magistrature
« Soir Illustré » du mercredi 25 septembre 1996 page 37
La commission parlementaire de 1990 en parlait déjà. Mais rien n'a été résolu.
Devant une population effarée, la guerre Gendarmerie-Pj-Magistrature fait rage.
Avec, peut-être, une conséquence terrible: l'essoufflement des enquêtes par démoralisation des troupes.
Dès le 17 août 1995, la Gendarmerie considérait Marc Dutroux et son épouse Michelle Martin comme suspects dans l'enlèvement de Julie et Mélissa. Pour preuve, ce fax parti du BCR de Bruxelles vers Interpol Wiesbaden qui demande, dans le cadre de l'enlèvement, des informations sur le duo infernal ainsi que sur quatre de leurs véhicules. Et ce fax, déjà, mentionnait les voyages en Tchéquie
DOUTREWE À L'ÉCART
Malgré ces fortes suspicions, la Gendarmerie n'a diffusé ces informations que de manière très parcellaire aux autorités judiciaires liégeoises et plus particulièrement au juge d'instruction Martine Doutrewe lors des réunions de coordination de l'enquête. Ainsi, celle-ci aurait signé des apostilles demandant d'enquêter sur la situation fiscale de Dutroux. C'est donc qu'on lui en avait parlé. Mais à l'époque déjà, la Gendarmerie disposait d'informations bien plus pertinentes.
Le 25 août en effet, deux jours après l'enlèvement d' Ann et Eefje, le méga-district de la Gendarmerie de Charleroi déposait au parquet de Charleroi un rapport de trois pages particulièrement clair et ce toujours dans le cadre de l'enquête Julie et Mélissa: «Dutroux aurait proposé à certaines personnes de participer à des rapts d'enfants dans la région de Malines, la possibilité de gagner facilement de l'argent (150.000 BEF), en se postant à la sortie d'une école, enlever une jeune fille. Dutroux aurait confirmé les transformations dans les caves de ses immeubles afin d'y aménager un genre de cellule pour accueillir des filles avant de les expédier à l'étranger».
Et le rapport, confidentiel, de demander «la mise sous observation prolongée de l'intéressé afin (...) de trouver les endroits où les perquisitions pourront être effectuées avec succès lors de l'interpellation du suspect; d'arrêter le suspect en cas de flagrant délit».
En novembre 1995, un nouveau rapport bien plus complet (10 pages au moins) arrivait au parquet de Charleroi.
L'affaire est donc loin d'être aussi simple que l'ont prétendu les rapports d'Anne Thily (PG Liège) et de Jacques Velu (PG Cassation).
La première rejette l'intégralité des erreurs commises sur la Gendarmerie. Il est clair que cette dernière n'a pas fourni toutes les informations à la justice liégeoise.
Pourquoi? Méfiance depuis le piratage de l'enquête Cools menée par la Gendarmerie? Méfiance vis-à-vis d'une juge d'instruction dont le mari est au coeur d'une énorme escroquerie dans le secteur immobilier, enquête justement menée par la gendarmerie? De plus, Martine Doutrewe est elle-même très proche d'autres intervenants de cette escroquerie. Volonté de «casser» la PJ qui avait la direction de l'enquête?
Un peu de tout cela sans doute.
LES PARAPLUIES
Reste que la Gendarmerie sait parfaitement qu'elle ne s'est pas comportée correctement. Sinon, pourquoi le BCR de Bruxelles aurait-il retenu dans ses locaux un gendarme de la B S R de Grâce-Hollogne pour qu'il modifie son rapport remis aux autorités judiciaires liégeoises?
Mais lorsqu' Anne Thily affirme que la juge d'instruction n'a reçu les informations concernant Dutroux que la nuit de l'autopsie de Julie et Mélissa, elle se trompe. Le 18 juin 1996, à 15h38, le commissaire Lamoque de la PJ, chef de l'enquête Julie et Mélissa, recevait un long rapport détaillé émanant du Service Général d'Appui Policier destiné à la juge d'instruction Doutrewe. Il concernait Dutroux.
Certes, il était tragiquement trop tard pour retrouver les fillettes en vie. Mais à ce moment-là, deux mois se sont encore écoulés avant le début de l'enquête de Neufchâteau, sans que la justice liégeoise ne bouge...
Le second, Jacques Velu, procureur général près la cour de Cassation, affirme que Dutroux ne possédait pas de protection à Charleroi. Contradiction totale avec le dossier 87/96 ouvert par le parquet de Neufchâteau. Il porte précisément sur les protections de Dutroux: l'inspecteur Zicot de la PJ de Charleroi y est inculpé. Et l'on est stupéfait du ton péremptoire de Jacques Velu.
Car une question reste incontournable: qu'a fait le parquet de Charleroi des deux rapports détaillés que lui a transmis la gendarmerie en août et novembre 1995 ?
On s'interroge aussi sur le rôle de certains gendarmes dans la protection de l'entourage de Dutroux. Ainsi, on a retrouvé sur le sous-main d'un d'entre eux l'inscription «Nihoul-Lelièvre,ne pas toucher». Il est vrai que Nihoul, Lelièvre mais aussi Casper Flier sont des informateurs de la B S R de Dînant et de Bruxelles, dans undossier de trafic d'amphétamines entre autres...
Mais ce qui étonne surtout, c'est l'autonomisation importante de la direction de la Gendarmerie par rapport à l'autorité politique. Jeudi dernier, avant même que le ministre de la Justice ne lise le rapport Thily devant la Chambre, l'Etat Major faisait une conférence de presse contestant ce rapport. Le mauvais exemple venant d'en haut, le samedi et le dimanche, un syndicaliste menaçait de sortir tous les dossiers pourris dont la gendarmerie a connaissance. Il s'agit là de deux «dérapages» pour le moins inquiétants.
Dans ce contexte de grand déballage, les réactions des parents, fort mesurées contrairement à ce qu'en disent certains hommes politiques «en privé», confinent à l'héroïsme.
L'exemple vient d'en bas. Il ferait bien d'être suivi.
Philippe Brewaeys
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