Autopsie des monstres (« Télé Moustique » du jeudi 19 septembre 1996)
Autopsie des monstres
Pourtant ils tuent, volent, violent, kidnappent des enfants, les laissent mourir de faim... Qui sont-ils exactement, ces délinquants tous azimuts qui n'obéissent qu'à une règle: leur plaisir? C'est aussi le plaisir que recherchent les amateurs de petits garçons et de petites filles. Mais psychopathes et pédophiles ne se rejoignent que sur ce point.
Deux spécialistes nous aident à mieux cerner ces personnalités à hauts risques. Leurs avis sont tranchés.
Qui est réellement Dutroux? Un simple pédophile? Un monstre irrécupérable? A-t-il des circonstances atténuantes?Que se passe-t-il actuellement dans sa tête? Marc Ansseau, du CHU de liège, professeur de psychiatrie et de psychologie médicale, tente de dresser son portrait. Et celui des psychopathes qui défraient la chronique judiciaire.
Marc Ansseau. - Malsains? Je ne crois pas. Ce traumatisme est bien réel, il traduit l'horreur induite par une accumulation d'éléments absolument terribles. II y a tout d'abord le fait que ce sont de toutes petites filles qui ont été enlevées. La petite fille de huit ans représente la pureté, la gentillesse, d'avenir. Ces petites filles ont été détenues très longtemps, elfes ont été victimes de sévices sexuels, et finalement elles sont mortes de faim, ce qui est une mort horrible. Les gens se représentent des gosses de cet âge qu'on laisse dans un trou pendant des semaines, des mois, sans les nourrir. Comme elles étaient deux, l'une a l'autre mourir et est restée un certain temps avec un cadavre à côté d'elle. Enfin, elles se sont senties abandonnées de tous, y compris de leurs parents dont on leur avait dit qu'ils ne voulaient pas payer de rançon.
M.A. - Oui, et cet élément-là aussi a joué. Les parents de Julie et Mélissa sont des gens comme tout le monde, ce ne sont pas des privilégiés, donc on peut s'identifier assez tacitement à eux. De plus leur combat a forcé l'admiration tout en mettant l'accent sur un certain nombre de dysfonctionnements aux niveaux policier, judiciaire et politique.
Enfin, il y a un autre élément qu'il ne faudrait pas négliger: Dutroux est apparemment lui aussi quelqu'un comme tout le monde, il pourrait être le voisin, le beau frère, le garagiste... Cela ne fait qu'ajouter au malaise.
M.A. - Quand on examine son parcours et à la lumière des faits actuels, il me semble évident que Dutroux est ce qu'on appelle un psychopathe. Bien sûr il y a des éléments pédophiles chez lui, mais je crois qu'ils sont relativement mineurs par rapport à l'ensemble de sa personnalité qui est tout à fait antisociale. Le pédophile reste figé dans un seul type de déviance. Dutroux lui, s'est investi dans de multiples activités délinquantes. Il a kidnappé des enfants, violé et mutilé une femme de 50 ans,volé des voitures, participé à un réseau international de cassettes vidéo, il a tué aussi... Et même en ce qui concerne les faits de pédophilie, il n'a pas vraiment le profil type. Le pédophile est en général très ciblé., ou bien ce sont les petits garçons ou bien les petites filles, celles de 10 ans ou de 15 ans. Lui, il s'en est pris à des enfants de huit ans mais aussi à des jeunes filles de dix-huit ans.
M.A. - Exactement. Je suis persuadé que si Dutroux était encore en liberté et que de main les grands-mères devenaient plus intéressantes sur le marché des cassettes vidéo, il kidnapperait des grands-mères.
On naît psychopathe ou on le devient?
M.A. - Voilà déjà quelques années qu'on étudie la question. Plusieurs facteurs interviennent. Il y a tout d'abord le facteur génétique, une certaine tendance héréditaire à avoir ce type de personnalité. On a montré que des enfants de psychopathes adoptés et élevés par des parents tout à fait normaux devenaient d une manière anormalement fréquente psychopathes eux-mêmes, c'est-a-dire qu'ils ressemblaient plus à leurs parents génétiques qu'à leurs parents adoptifs. On a aussi montré que chez des jumeaux, si l'un était psychopathe, l'autre avait plus de chances de l'être aussi. Mais ce n'est qu' un facteur, disons une fragilité à ce niveau-là génétiques
M.A. - Ce qui compte pour un psychopathe, c'est la recherche du plaisir. II n'a pas de sens moral, pas de respect d'autrui, pas de respect des normes sociales, peu ou pas de culpabilité et une assez grande insensibilité a la souffrance des autres.
Le deuxième facteur est familial: les psychopathes appartiennent à des familles erratiques, instables, souvent éclatées, où les parents sont notoirement absents, et où il n'y a pas de message clair, de distinction entre le bien et le mal. Sans cormpter les carences affectives: dans ces familles, les enfants reçoivent très peu de marques d'estime et d'affection, si bien qu'ils développent une espèce d'insensibilité.
Troisième facteur: le facteur social, ou si vous préférez les normes sociales en vigueur à une époque déterminée. Certaines sociétés fournissent une image de clarté, de rigueur, de justice. Dans d'outres sociétés,les psychopathes donnent l'impression de gagner, de parvenir a manipuler tout le monde.
M.A. - Actuellement, on peut se faire beaucoup d'argent d'une manière très facile; il suffit de braquer une banque ou un fourgon postal. Cela prend une fournée, éventuellement une semaine de préparation. Le type qui touche un salaire de
M.A. - Là effectivement i y a sans doute un petit élément affectif, sentimental. Mais par rapport à ses complices, cela n'a pas joué. Ils étaient utilisés pour ce qu'ils pouvaient rapporter, un point c'est but. La preuve, il n'a pas hésité à se débarrasser de l'un d'eux pour des raisons fumeuses.
M.A. - A mon sens, non. Son seul désir authentique était un désir de plaisir et de puissance. Le fait qu'il ait laisse des traces prouve simplement qu'il n'était pas encore parfait!
M.A. - Si je devais répondre par oui ou par non, ma réponse serait non. Les possibilités de traitement sont faibles. Cela dépend peut-être des cas, mais en général le pronostic n'est pas très bon. Qu'est-ce qu'un psychopathe? C'est quelqu'un qui n'a pas pu intégrer les normes sociales par ce que lui a manqué un modèle d'autorité qui aurait fait clairement la distinction entre le bien et le mal. C'est à partir de là qu'il faut jouer. II faut l'amener à comprendre que tout ce qu'il va faire de mal sera puni si lourdement que les désavantages l'emporteront sur les avantages. C'est pavlovien. Si, suite au braquage d'un fourgon, vous passez dix ans en prison, il y aura reconditionnement. La fois suivante, vous y regarderez à deux fois.
M.A. - Pas spécialement. Mois pour une évaluation précise du danger que représente choque délinquant. Le système de probation, de liberté conditionnelle n'est pas mauvais, mais pas mal de psychopathes le refusent. Ils préfèrent terminer tranquillement leur peine plutôt que de se soumettre à des contrôles, à une surveillance avisée.
M.A. - Il existe toutes les gradations et tous les processus de passage. Vous avez des gens qui sont à 100 % des personnalités structurées, respectueuses de la morale, pour qui le bien et le mal sont des choses très floues, e# qui ne commettront jamais de délit. Vous avez aussi de vrais psychopathes, sans le moindre sens moral, animés par la seule notion de plaisir. Vous avez aussi tous les autres, qui sont un tout petit peu ceci, un tout petit peu cela, et qui vont adapter leur comportement en fonction des circonstances, de l'évaluation des avantages et désavantages de la situation. La plupart mettront des limites, ils ne tueront pas, ne violeront pas, mais voler un sac, participer à un trafic de voitures, pourquoi pas? Dans la population, il y a des Dutroux,des pas-du-tout-Dutroux, des un-petit-peu Dutroux, etc.
M.A. - En effet. On peut avancer plusieurs explications. La première, c'est que la même tendance génétique s'exprime différemment selon les sexes. Les Lemmes qui ont des tendances psychopathiques l'expriment plus sous forme de malaises, de plaintes somatiques, éventuellement sous forme de toxicomanie, d'assuétude à différentes drogues, en particulier aux sédatifs, aux tranquillisants. Ensuite, il y a un Facteur hormonal. L'homme est naturellement plus agressif, parce que les hormones mâles, les androgènes, sont des hormones d'agressivité. C'est ce qui fait que l'homme est le chasseur, le guerrier, celui qui défend sa famille contre les agresseurs et qui a le rôle dominant au niveau sexuel. Et puis vous avez un facteur éducationnel et social, l'homme étant préparé à adopter un comportement actif, agressif, et la femme un comportement plus passif. Bref, on constate que, chez (a femme, l'agressivité se tourne plus vers elle-même que vers autrui, vers des types de comportements qui la mettent elle en danger.
M.A. - C'est difficile à dire. A mon avis, son sentiment de culpabilité doit être assez faible. En revanche, il a certainement pris conscience qu'il allait se faire condamner lourdement, et ça, ça l'ennuie très fort. Dès lors, il réfléchit sans doute à la manière dont il va pouvoir limiter les risques. Les techniques des psychopathes sont bien connues. Par exemple, charger un complice. Ce qui traduit encore une fois leur manque de lien affectif, de respect d'autrui. On utilise l'autre tant qu'on peut s'en servir puis on le balance sans état d'âme, surtout s'il est mort. Une autre technique consiste à se chercher de bonnes raisons psychiatriques pour limiter sa culpabilité, en évoquant son mauvais diable, en l'occurrence un deuxième Dutroux. Mais aucun psychiatre ne va entrer dons ce type d'explications.
Pourtant, certains traitements ont fait leurs preuves. Leur efficacité dépend en grande partie du type de pédophile, de sa personnalité sous-jacente, de la volonté qu'il manifeste de se faire soigner. Certains centres spécialisés,aux Etats-Unis et au Canada, obtiennent régulièrement de bons résultats,mais chez nous, il n'existe aucune institution de ce genre. Cette situation résulte d'un choix politique au niveau du ministère de
Bien sûr, on a aussi recours à la démarche psychologique, voire psychanalytique, pour essayer de comprendre le processus qui mène un individu à adopter une attitude pédophilique. Enfin, les techniques de groupe sont parfois utilisées: les pédophiles se retrouvent entre eux, ils parlent de leurs difficultés, des moyens auxquels ils ont recours pour se débarrasser de leurs pulsions.
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