Vivre avec « ça »""Nouvelles révélations"" (Ciné Télé Revue du jeudi 19 septembre 1996 page 30)
Vivre avec « ça »
Mélissa, ou cet homme politique montré du doigt mais si malin qu'il parait intouchable - dans le meurtre d'André Cools. Quand on évoque Chicago-en-Belgique, l'image fait sourire, mais nous vous le répétons : notre pays est loin d'être transparent dans toutes ses structures.
Les chevaliers blancs de Neufchâteau semblent appartenir à un autre monde.
Car à côté foisonnent les influents qui font !a loi en toute liberté. Alors, faut-il abandonner parce que, comme on nous l'a dit, « tout ça ne sert à rien, sinon à se donner bonne conscience » ? Malgré les secousses provoquées par les affaires, certains préfèrent fermer les yeux. D'autres jouent sur la lassitude des parents des victimes, leur perte de crédibilité à force d'apparaître ci et là, le désintérêt d'une partie du public face à des enquêtes qu'on cherche à embrouiller à qui mieux mieux. Le constat est navrant. Sur tous les fronts.
Vieillie par les dérives de ses fondations ultra-catholiques, notre société ne veut pas encore voir en face le problème des enfants du sexe.
Habitués à notre confort démocratique, nous ne pouvons croire que l'enquête sur un scandale politique ira jusqu'au bout. Des Belges – et nous en sommes – ont pourtant déjà choisi leur camp.
Pour que jamais, dans nos cauchemars de parents, de simples citoyens d'un faux pays de cocagne, des petites Julie et Mélissa viennent nous demander des comptes.
Entre Stefaan De Clerck et la réflexion qu'il mène sur la réponse que la justice doit apporter à la pédophilie, Laurette Onckelinx qui médite sur l'aménagement de la protection de la jeunesse, la fondation d'André Flahaut et la commission d'enquête réclamée par l'opposition, on a un peu l'impression que c'est à qui sortira de son chapeau « la » bonne idée. Celle qui résoudra tous les problèmes. Dommage, comme le disent les Russo et les Lejeune, que ces bonnes volontés se manifestent quatorze mois trop tard. On veut espérer, au moins, qu'elles déboucheront sur autre chose que sur du vent et que, pour une fois, les leçons de l'histoire seront vraiment tirées.
Ainsi, le procureur, Mme Thily, rassure les parents d'un ton bonhomme en leur affirmant « qu'ils auront le dossier », mais elle ne fait rien pour le leur fournir. Procédurière et bureaucrate jusqu'au bout des ongles, la digne magistrate réclame une lettre de l'avocat des familles pour débloquer ledit dossier, puis, le courrier qu'on lui adresse s'égare (le hasard, quand même!), ce qui lui donne l'occasion d'attendre. Et quand elle le reçoit enfin, c'est, apparemment, pour tirer jusqu'à la dernière seconde du dernier jour les délais que la loi impose à sa réponse. Le tout non sans affirmer, la main sur le coeur mais avec bien peu de délicatesse : « Ça ne vous rendra pas les petites...
Comment s'étonner dès lors que, dans un mouvement d'humeur bien compréhensible, Gino Russo la traite de « menteuse » ?
Non sans assurer son ministre que le problème était réglé. Lorsque Stefaan De Clerck se rendit chez les Russo, après la découverte des corps de Julie et de Mélissa, il devait d'ailleurs reconnaître que son procureur général lui avait menti. Et ce, devant Mme Anne Thily, qui ne semble pourtant pas avoir retenu la leçon. Ce qui permet à Gino Russo de s'étonner que Dutroux et ses complices aient accès à leur dossier alors que les victimes, elles, restent dans une cruelle expectative. Les seules pièces qui ont, à ce jour, jamais été communiquées aux familles sont les lettres anonymes d'un mythomane décrivant par le menu les insoutenables supplices infligés aux enfants. Comme si « on avait voulu dégoûter les parents en leur faisant comprendre qu'il n'était pas de leur intérêt de s'obstiner...
On Jugera de l'estime que lui portait Léon Giet et de l'excellente ambiance qui règne au Palais de Justice de Liège en sachant que l'ancien procureur général ne l'appelait jamais par son nom, quand il recevait les familles, mais préférait parler de • la juge Chose •.
Au-delà de la destinée, assez peu intéressante en elle-même, du juge Doutrewe (qui évoque aujourd'hui comme excuse « les huit cents dossiers qu'elle avait à traiter » pour expliquer qu'elle n'a reçu les parents que trois fois quinze minutes ; « Et encore », se souvient Carine Russo, elle gardait les yeux braqués sur sa montre... »), ce qui coince dans la question de la communication du dossier aux familles, c'est bien évidemment le fait qu'elles pourront ainsi juger « sur pièces » de la scandaleuse paresse (pour ne pas dire plus) de l'appareil judiciaire.
Plus généralement, les enquêteurs, on le sait, privilégièrent les pistes les plus farfelues, avant de se cantonner dans une inactivité presque totale. Ce que l'on sait moins, c'est qu'aucune des vérifications demandées par les parents ne fut faite. Les Russo et les Lejeune avaient pourtant accumulé une série d'informations (numéros de plaques d'immatriculation, description. de véhicules, etc.), qui ne donnèrent, apparemment, jamais lieu au moindre devoir d'enquête. Ils sont aujourd'hui persuadés que l'un de ces renseignements, au moins, aurait peut-être permis de remonter, indirectement, jusqu'à l'entourage de Marc Dutroux.
Après s'être fait tirer l'oreille, la gendarmerie finit par accepter d'entendre l'intéressé, dont l'audition est prévue pour l'après-midi du 27 juillet. Elle n'aura jamais lieu : à 9 h 15, ce matin-là, Reynskens, employé aux chemins de fer, passe sous un train, à proximité de la gare de Jemeppe, à Seraing. Exit le témoin spontané.
Un autre témoin n'aura pas plus de chance : alors qu'on libère, en général, les pédophiles à tour de bras, en Belgique, celui qui affirme avoir vu les photos de Julie et de Mélissa dans un catalogue de pornographie (et que rencontrèrent,dans sa geôle, Me Hissel et le délégué aux droits de l'enfance, Claude Lelièvre) est toujours détenu. Il proposait pourtant, en échange de sa libération, d'aider les enquêteurs à remonter la filière. Étrange.
Et que dire de cette police judiciaire de Liège qui passait plus de temps à surveiller les familles et à les filer (dans quel but ?) qu'à rechercher la trace des deux petites disparues ? De même, on espère que la gendarmerie pourra expliquer un jour le fait que la surveillance de Marc Dutroux (dans le cadre de la mystérieuse « opération Othello ») fut levée (faute de personnel) le 22 août 1995. Soit (le hasard, à nouveau, fait bien les choses) le jour même de l'enlèvement d'An et d'Eefje.
lorsqu'une petite Mélissa se manifesta, peu après l'enlèvement, à un numéro de téléphone fort proche de celui de ses parents.
Il est très peu probable qu'il ait pu s'agir d'une sinistre plaisanterie (auquel cas, c'est certainement chez les parents qu'on aurait téléphoné), et on en est donc réduit à penser que c'était là, peut-être, l'ultime manifestation d'une fillette terrorisée qui se raccrochait à une dernière bouée.
Malheureusement pour elle, la bêtise et la paresse intellectuelle des grandes personnes (et, qui sait, la complicité de certaines d'entre elles) torpillèrent ce mince espoir.
Claude MONIQUET
Malades, les pédophiles? C'est trop facile!
Cela fait partie de mon travail et de mes convictions par rapport aux abus sexuels, a la maltraitance et a la pédophilie. La barrière est en effet très claire: ou bien on est contre ou bien on est complice.
Y.D.K. - On doit changer cette ternninologie, d'abord parce que c'est un terme psychiatrique et ensuite parce que, pour moi, ce ne sont pas des malades. On doit les appeler des délinquants sexuels, rituels ou en série - pour noter l'aspect juridique car ces gens sont responsables, ils savent ce qu'ifs Font. Quelqu'un qui est malade, il va chez le médecin. Or, ces gens ne vont jamais chez un médecin pour se faire soigner. Quand ils y vont, c'est pour échapper à la loi. Ça m est arrivé une fois, un type savait qu'il allait se faire dénoncer, il est venu me voir en espérant avoir ma protection. Il comptait bénéficier de circonstances atténuantes en prétextant qu'il se soignait chez un psy. J'ai été très clair, je lui ai dit: « Ou vous allez vous dénoncer vous-même ou je le fais tout de suite ».
Y.D.K. - Ils gardent un traumatisme, on est d'accord. Mais ce n'est pas parce qu'ils ont été abusés qu'ils doivent se permettre d'abuser à leur tour. Je préfère donc parler de délinquant sexuel à répétition.
Pourquoi ces pédophiles, par rapport aux autres détenus, auraient-ils ce privilège d'être des malades? J'ai travaillé avec un criminel. Ce type avait été abusé sexuellement et maltraité physiquement, il avait passé sa vie dans les homes. Je considère, moi, que c'est aussi l'une des causes de sa criminalité. Alors, ou bien bus les détenus sont des malades, ils sont punis en fonction de ce qu'ils ont fait et ils reçoivent des soins, ou bien on ne soigne personne et on les met bus en prison. II n'y a pas de raison que les pédophiles continuent de polluer mentalement I'esprit de tout le monde en se faisant passer pour des malades, des victimes qu'il tout protéger particulièrement. L'escroc est aussi un malade, le criminel est aussi un malade. Alors, que ces gens reçoivent eux aussi des soins.
Y.D.K. - Comme un vampire. Le vampire fixe sa victime et ('hypnotise, elle est figée, et à ce moment-là, il la mord. Soit elle reste victime, il continue à lui pomper le sang, soit elle devient vampire à son tour. L'agresseur sexuel est un escroc mental: il manipule mentalement l'enfant, à son insu et il utilise son pouvoir d'adulte pour lui imposer toute une série de choses. Cela se fait très progressivement, au point que l'enfant ne se rend pas compte du moment où cela bascule et quand il s'en rend compte, il est trop tard, il est pris au piège véritablement.
Y.D.K. - Souvent l'enfant abusé extra-familialement connaît très bien son agresseur. Et depuis longtemps. Le cas Dutroux est un cas exceptionnel, c'est un pédophile prédateur, un tueur en série. Mais les études montrent aussi que les tueurs en série ont subi exactement les mêmes choses que les autres pédophiles - abus sexuels, physiques, psychologiques - et ils se vengent.
Y.D.K. - Non. Ils n'ont pas de culpabilité, elle est toujours projetée sur l'outre. Le pédophile considère que notre société est malade de ses tabous, qu'il est normal d'abuser sexuellement des enfants. Vous avez déjà écouté l'écrivain Gabriel Matzneff il considère que nous sommes malades pet que sa culture pédophilique est tout à fait normale,que les enfants ont besoin de cela.
Y.D.K. - Pas tous. Dutroux est inguérissable. Arrivé a ce niveau-là, il est inguérissable. Et je suis très lapidaire à ce niveau-là par rapport aux pédophiles dangereux, c'est: « Vous guérissez ou vous restez en prison, il n'y a pas d'autre solution ».
Y.D.K. - Tomber sur un exhibitionniste, avoir un parent qui s'exhibe constamment, un parent voyeur qui regarde des Films pornos ou qui a des relations sexuelles de manière provocante devant ses enfants, tout cela, ce sont des abus sexuels.
Y.D.K. - Non, je crois qu'il y aura moyen de les soigner. Mois il Faudra du temps, beaucoup de temps.
Y.D.K. - II faut compter deux ans avec des victimes d'abus sexuels qui n'ont pas été trop amochées...
Y.D.K. - Plus cela commence tôt dans la vie,et plus c'est chronique, plus les dégâts sont graves. Et quand cela commence en dessous de l'âge de six ans ou entre six et huit ans, il y A beaucoup de chance que l'on développe le syndrome de personnalité multiple.
Y.D.K. - Quand on a subi un traumatisme, on développe un trouble dissociatif léger ou majeur, avec des amnésies, des anesthésies totales et mêmes des paralysies. Et une fois que l'on a été abusé en bas âge, de manière violente et chronique, le psychisme se comporte comme un élastique. Face à un état de stress violent, l'élastique se tend. Si on est assez fort mentalement, psychologiquement et physiquement, il va revenir a sa position initiale, avec l'aide de quelqu'un ou simplement d'un entourage suffisamment soutenant. Si par contre le traumatisme est très violent, l'élastique se tend, se tend et reste distendu, il ne sait plus revenir à sa position initiale. On a donc affaire au stress post-traumatique.
Mais parfois le choc est tellement violent et le psychisme pas encore suffisamment solide que l'élastique se tend, se tend et se casse, et il va se casser en autant de morceaux qu'il y aura de traumatismes violents. Ces morceaux vont devenir des kystes totalement séparés et se développer indépendamment les uns des autres. A l'âge adulte, on souffrira du syndrome de personnalité multiple. Quelqu'un peut donc avoir deux, cinquante, soixante ou septante personnalités en lui.
Y.D.K. - La caractéristique de ces gens-là, c'est leurs pertes de mémoire. La personnalité principale peut en effet avoir une amnésie sur plusieurs heures ou sur plusieurs jours quand les autres personnalités prennent le contrôle du corps à sa place. y a toujours dans ces cas-là une fermeture des yeux, une rétroversion des globes oculaires et puis la nouvelle personnalité apparaît. Toutes ces personnalités peuvent avoir des âges des sexes, des voix, des intelligences différents. Certaines personnalités sont des enfants, d'autres des adultes, d'autres prétendent être le démon... C'est ce que, dans le temps, on appelait les possédés.
Y.D.K. - La personnalité principale, non. Elle est définie comme celle qui occupe en général la majorité du temps. Elle n'a pas du tout conscience de ce qui lui arrive et elle retombe toujours sur ses pattes pour expliquer ses trous de mémoire. Souvent elle ne sait pas qu'elle a été abusée, les autres le savent. Beaucoup de gens, par exemple, viennent chez moi sans avoir l'idée une seule seconde qu'ils ont été abusés sexuellement. Car une des caractéristiques des abus sexuels, comme de tous les traumatismes en général, c'est de faire de l'amnésie sur les abus subis. Quand un enfant subit d'une manière chronique des traumatismes sexuels ou violents, i) a tendance à dissocier. C'est la première défense de l'être humain face au traumatisme: "Je fais comme si ce n'était pas à moi que cela arrive mais à quelqu'un d'autre, cela me permet d'oublier et en même temps de ne pas sentir la douleur..."
Y.D.K. - II l'est vraiment. C'est une des raisons pour lesquelles, et c'est toujours étrange de le remarquer, les enfants continuent d'aller vers leur agresseur.
Y.D.K. - La culpabilité, on l'appelle l'identification à l'agresseur. l'enfant qui se Fait agresser par ses parents - qui sont censés l'aimer et le protéger - pense du cou qu'il est mauvais, que c'est de sa faute. Cette culpabilité, c'est une manière pour lui d'avoir l'illusion que, s'il change son comportement, peut être cela va-t-il s'arrêter. Il se dit: "Je suis dans l'impuissance de modifier le comportement de mon agresseur, il n'y a donc que sur moi que je peux le modifier'. L'enfant va continuellement penser qu'il est mauvais et considérer celui qui l'abuse comme quelqu'un de parfait. I) va dénier le caractère agresseur de son agresseur. Et cela va renforcer l'amnésie. J'ai un patient qui a un tel sentiment de culpabilité que, lorsqu'il pleut, il pense que c'est de sa faute. Il se sent coupable pour tout mais il ne sait plus pourquoi il se sent coupable.
Y.D.K. - D'une part je pense qu'il y a vraiment un élan de solidarité, évident. D'autre part, un de mes collègues m'a raconté qu'un de ses patients, un père incestueux, s'est rendu sur la tombe de Julie et Mélissa... Et en même temps, il continue de nier son problème à lui. Et je suis sûr que des parents maltraitants vont aller pleurer devant la maison des petites et continueront à tabasser leurs mômes...
Propos recueillis par Anne Mauvis et Michel Lambert
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