samedi 27 septembre 2008

L’ADIEU A AN ET EEFJE ( 'Ciné Télé Revue'12 septembre 1996 pg 29 ; 30 et 31)


L’ADIEU A AN ET EEFJE

 Ciné Télé Revue du jeudi 12 septembre 1996 page 29 ; 30 et 31

 L'émotion était grande samedi, à Hasselt, comme elle l'était à Liège deux semaines plus tôt, pour les funérailles de Julie et de Mélissa. Figée de douleur, la Belgique unie a revécu le moment poignant de l'ultime adieu, espérant que le mot «fin » viendra s'inscrire sur ce sinistre film. La même tristesse, les mêmes larmes, la même incompréhension et une sourde colère ont accompagné An et Eefje jusqu'à leur dernière demeure, dans cette terre limbourgeoise qu'elles affectionnaient particulièrement. Un adieu en deux temps, les deux jeunes filles n'étant pas inhumées au cours de la même cérémonie. Un différend oppose en effet les deux familles depuis que Paul Marchal a voulu vendre des photos d'An et Eefje afin de récolter des fonds pour engager un détective. Jean Lambrecks a même intenté une action en justice contre Paul Marchal, avant de retirer sa plainte. « Nos deux filles auraient dû être ensemble ici », expliqua le père d'An, des larmes dans les yeux. « Tous les parents auraient dû s'asseoir côte à côte, ici, en tout honneur »

Le matin déjà, l'église Notre-Dame des Pauvres était trop petite pour accueillir les quelque trois mille personnes qui voulaient être là pour soutenir la famille Lambrecks, durement éprouvée. Sur un écran géant dressé à l'extérieur, tous, après avoir applaudi l'arrivée des parents de Mélissa, d'Elisabeth, de Loubna

(la jeune Marocaine disparue le 5 août 1994 à Bruxelles) et d'An, ont suivi la messe, placée sous le signe de l'espoir. Une messe que la maman d'Eefje préparait depuis plusieurs mois, persuadée que sa fille n'était plus. Devant le cercueil blanc recouvert de fleurs,blanches elles aussi, déposées par une assistance émue, les membres de la troupe Arlequin, à laquelle appartenait Eefje, allumèrent sept cierges symbolisant les traits de caractère de leur amie disparue : paix, amour, fidélité, joie, justice, gentillesse et discrétion. Discrète comme cette cérémonie d'une grande simplicité, ponctuée de l'intervention d'un de ses oncles, qui lut un texte du philosophe Silesius qu'Eefje avait repris dans son travail de fin d'études sur les soins palliatifs

Pourquoi avoir peur de la mort, puisque nous y sommes destinés?')

Koen Wauters, du groupe Clouseau, son chanteur préféré, interpréta, les bras croisés, « Afscheid van een vriend » (Se séparer d'un ami), avant l'ultime message de la maman de la disparue. Alors que le cortège funèbre prenait la direction du cimetière de Kuringen, où Eefje devait rejoindre son petit frère Arjaan, mort à 4 ans, des centaines de ballons blancs s'élevèrent dans le ciel, porteurs de petites cartes sur lesquelles on put lire quelques réflexions de la jeune fille.

Quand entendrons-nous à nouveau des jeunes chanter dans les rues, simplement parce qu'ils sont heureux de vivre ? » S’interrogeait-elle notamment. Oui, quand?

L'après-midi, la même émotion est palpable autour de la cathédrale Saint-Quentin, au cœur de la ville. A l'intérieur de l'édifice religieux, où ont pris place au premier rang, selon le souhait de Betty et Paul Marchal, les parents d'enfants tragiquement disparus, Rubie interprète en français une chanson consacrée aux récents drames, et Helmut Lotti enchaîne avec « Dont cry little child ». Sur le cercueil d'An, Snoopy, son chien en peluche, monte la garde. Bouleversant de dignité et de courage, le papa d'An prend la parole pour remercier tous ceux et celles qui les ont soutenus, mais aussi pour crier sa révolte. « An et Eefje n'auraient pas dû être enterrées aujourd'hui.

Pendant un an, on nous a tout simplement ignorés. »

Au cimetière d'Hasselt, sur la pierre tombale d'An, ces quelques mots, dans les deux langues Lorsque nous revenions de vacances, An disait: "On ne sait ce que l'on perd que lorsqu'on ne l'a plus." » A son domicile, sa chienne préférée vient de mettre bas neuf chiots. Comme un signe d'espérance.

Le papa d'An Marchal :

« Jean-Luc DEHAENE n'a même pas trouvé le temps de nous téléphoner »

Son courage et sa dignité, comme celle de son épouse, ont ému la Belgique entière. Aujourd'hui, comme pour les parents de Julie,de Mélissa et d'Eefje Lambrecks, l'amie de sa fille jusque dans la mort, il ne reste à Paul Marchal) qu'un lourd combat à mener. Pour survivre.

Vous avez remis au procureur du Roi, M. Bourlet, des documents qui pourraient s'avérer compromettants pour des personnalités haut placées. Vous pouvez en dire plus?

- L'un de ces personnages gravite dans l'orbite du fameux Van Rossem. Personnellement, je crois que les deux affaires sont étrangères l'une à l'autre, mais leur point commun est la pédophilie. Au point où en est l'enquête, il ne fait guère de doute que des personnes haut placées sont impliquées.

Le procureur Bourlet prend très au sérieux le contenu de ces documents.

Si les noms des politiciens et des membres de la magistrature repris dans ces documents ont un lien avec l'affaire Dutroux, alors, il y a vraiment quelque chose de pourri au royaume de Belgique.

Savez-vous de quelle manière ces « personnalités » sont liées au réseau pédophile?

Qu'ils fassent partie du réseau ne fait aucun doute. Mais est-ce en tant que consommateurs, pour assouvir leurs instincts pervers, ou pour manipuler ou en faire chanter d'autres?

J'aurais tendance à croire Marie-France Botte lorsqu'elle dit qu'il existe des listes de noms de pédophiles et d'abuseurs d'enfants. Comment pourrait-il en être autrement, quand on voit la complexité de l'organisation autour de Marc Dutroux ?

Le simple fait qu'il ait pu, sans être dérangé, construire des cages souterraines pour y enfermer des gens comme des animaux, avant de les transférer ailleurs, est déjà surprenant. Qu'il ait pu compter sur des protections en ces circonstances précises est évident. J'ai récemment reçu un coup de téléphone d'un ancien détenu qui, pendant sa période de mise en liberté conditionnelle, avait été cueilli pour ivresse sur la voie publique. Il a été remis au trou,immédiatement. Il a dû purger le reste de sa peine. Et Dutroux, que l'on arrête pour vol de voitures durant sa propre période de liberté conditionnelle, on le relâche presque aussitôt.

Qui peut m'expliquer cette curieuse logique?

Soutenez-vous la demande de plus en plus pressante de l'opinion publique pour le rétablissement de la peine de mort, pourtant abolie il y a peu ?

Je suis en principe contre la peine de mort. Mais j'y suis d'autant plus opposé que son rétablissement pourrait convaincre Dutroux de ne plus faire la moindre déclaration. S'il sait que le châtiment capital l'attend et qu'il n'a plus rien à perdre, il n'aura plus la moindre raison de parler.

Mais je peux difficilement répondre sereinement a cette question. Je ressens tout naturellement une énorme agressivité à l'égard de Marc Dutroux. Pour ma part, on pourrait le mettre dans la même cage que celle dans laquelle il a enfermé les petites, et le laisser mourir de faim de la même façon. Quand il aura crevé, comme il l'a fait avec ses victimes, on pourrait le mettre dans un sac-poubelle et l'enterrer. (Pause)... Je sais, ce n'est pas très réaliste,mais c'est ce que je ressens.

- Les parents de Julie et de Mélissa n'ont pas été tendres avec les hommes politiques.Partagez-vous leur colère?

Entièrement. On ne peut pas dire que l'on ait été noyés de messages de sympathie de leur part. Quand il s'est agi d'assister à un match du club de Bruges, le Premier ministre n'a pas hésité à suspendre une réunion de cabinet. Mais pour nous, il n'a même pas pu décrocher son téléphone. Pas plus durant les douze mois pendant lesquels nous étions sans nouvelles de nos filles que maintenant. Non que j'attendais cela, mais

Est-ce trop demandé qu'un geste ou un mot de compassion ? On aurait apprécié que le Premier ministre nous donne un coup de fil pour simplement nous assurer que tout serait mis en oeuvre afin de retrouver nos filles. Mais non, pas la moindre nouvelle. Ses électeurs seraient-ils soudainement moins importants, une fois qu'ils lui ont donné leurs voix ?

- Certains vous ont reproché d'avoir trop parlé aux médias. La critique vous touche ?

- Oui et non. Oui, parce que je la trouve totalement injustifiée. Non, parce que ce sont toujours les mêmes qui émettent ce genre de critiques. Dans des circonstances pareilles, on ne peut pas vous demander, au nom de la sérénité, de rester sur la réserve. Si, tout comme les parents de Julie et de Melissa, nous ne nous étions pas fait entendre, si nous n'avions pas conspué certaines institutions, certaines structures, on n'aurait jamais retrouvé Sabine et Laetitia à temps. Après la disparition de Laetitia – alors qu'il y avait bien moins d'indices que dans le cas d'An et Eefje tendant à prouver qu'il s'agissait d'un enlèvement -, on a immédiatement mobilisé tous les moyens pour la retrouver. Si on avait procédé de la même manière un an auparavant, on aurait retrouvé nos filles vivantes.

- Vous avez dit que vous n'oublieriez jamais l'enterrement de Julie et de Mélissa...

- Quand ma femme et moi sommes arrives à Liège, la chaleur du public fut extraordinaire. Le public a spontanément applaudi. Une merveilleuse démonstration de. solidarité, qu'il est difficile d'exprimer par des mots. Un sentiment total d'appartenance à une communauté et la chaleur enveloppante de gens qui ne nous ont jamais abandonnés dans notre combat. Et qui, tout comme nous, ont envie que l'enquête soit menée jusqu'à son terme, quelles que puissent être les horreurs auxquelles nous pourrions encore être confrontés. Parfois, on me demande comment on peut tenir debout dans une telle épreuve. Précisément, parie soutien de toute la population. Ma femme et moi sommes très reconnaissants à tous ces gens, dans notre pays, qui nous ont témoigné leur sympathie par une petite carte, un coup de téléphone, ou un engagement personnel. Qu'ils en soient tous sincèrement remerciés.

 

 

 

 

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