LA DOUBLE ENQUETE ET SES RAMIFICATIONS('Ciné Télé Revue'12 septembre 1996 pg 24 et 25)
Ce qu'il est désormais convenu d'appeler « l'affaire Dutroux » a été presque éclipsé, ces derniers jours, par les rebondissements de l'enquête sur la mort d'André Cools.
C'est du moins ce que l'on peut croire à la lueur des communiqués officiels publiés à Liège le week-end passé, et qui affirment que les nouvelles péripéties de « l'affaire Cools » sont totalement indépendantes des investigations poursuivies, à Neufchâteau, par le juge Connerotte et son équipe.
Or, si les deux affaires ne sont pas, effectivement, structurellementliées (la mort d'André Cools n'a strictement rien à voir avec les agissements de Dutroux et compagnie), elles évoluent dans le même contexte général et certains acteurs périphériques se retrouvent dans les deux dossiers. Un bref rappel des faits permettra de mieux comprendre les choses.
Après des années d'immobilisme (Philippe Moureaux lui-même,pourtant connu pour sa modération et peu porté aux jugements à l'emporte-pièce, a reconnu que l'enquête sur la mort d'André Cools avait été étouffée et manipulée pendant cinq ans), les choses commencent à bouger de manière spectaculaire le 6 septembre. Vers midi,on apprend que Véronique Ancia vient de placer sous mandat d'arrêt non seulement Taxquet et Todarello, mais aussi Simon Solazzo (apparemment suspecté d'avoir recruté le tueur) et Domenico Castellino, un inconnu. Un mandat d'arrêt international a, d'autre part, été lancé à l'encontre de Pino di Mauro, qui serait
«en vacances à l'étranger ». Précision : des aveux partiels auraient d'ores et déjà été recueillis (mais Alain Van der Biest, formellement accusé par Richard Taxquet, qui fut tout à la fois son âme damnée et son mauvais génie, continue, lui, à nier) et les interrogatoires se poursuivent.
De source proche de la « cellule Cools » , on explique aujourd'hui que le mobile de l'assassinat d'André Cools serait à rechercher dans le climat général qui régnait au cabinet Van der Biest davantage que dans un dossier précis. Au moment de sa mort, Cools s'apprêtait, semble-t-il, a réclamer à son parti la « tête » de Van der Biest, et ce qu'il faut bien nommer la « mouvance mafieuse regroupée autour de Richard Taxquet craignait de perdre la couver ture qui lui permettait de vaquer en toute tranquillité à ses juteux trafics.
Parlant de Cools, Taxquet aurait même déclaré à son entourage C'est lui ou moi...
Bien entendu, on ne peut écarter la possibilité que la rancoeur personnelle de Taxquet ait été exploitée par des courants occultes, internes au PS et soucieux de se débarrasser du maître de Flémalle.
Anne-Marie Lizin vient d'ailleurs de demander que toutes les instructions (assassinat d'André Cools, affaires Agusta et Smap) soient regroupées sous l'autorité des mêmes magistrats. Elle avance, entre autres, comme argument le fait que Richard Taxquet fréquentait de manière assidue Georges Cywie, l'homme-clé de la corruption du PS dans le cadre du dossier Agusta : « Pour avoir eu accès à certains témoignages », affirme madame Lizin, « je sais que Taxquet et Cywie se voyaient au moins une fois par semaine... » Et, pour faire bonne me sure, Anne-Marie Lizin, qui est connue pour ne pas mâcher ses mots et qui n'a, manifestement, pas peur de se brouiIler avec le microcosme liégeois, réclame que ces dossiers chauds soient confiés au tandem
Bourlet-Connerotte. Une pierre dans le jardin de Mme Ancia .
L'étonnement provoqué par ce rebondissement spectaculaire est à la mesure de l'événement et ne fera qu'amplifier lorsque Alain Van derbiest sera, à son tour, placé sous mandat d'arrêt aux petites heures de dimanche: la mouvance à laquelle vient de s'attaquer Mme Ancia n'est-elle pas exactement celle que
«Ciblait», en 1994, le juge Connerotte avant d'être dessaisi du dossier au profit de Liège?
«Pure coïncidence», rétorque-t-on, sans semble avoir appartenu à Bernard Weinstein) ne serait donc pas lié à l'assassinat du ministre d'État.
Deuxième élément : lorsque les enquêteurs arrêtent, il y a quinze jours, le policier Georges Zicot, inculpé dans le cadre du dossier Dutroux, auquel il serait lié par le volet trafic de véhicules », ils savent que celui-ci, non content de protéger Marc Dutroux et sa bande, est également le protecteur d'un groupe de voleurs de voitures proche de De Benedictis, Di Mauro et De Santis. Le coeur de cette bande serait composé d'Albanais et de Turcs très actifs entre Bruxelles et Charleroi, et dont certains (les frères Ciku) ont été inquiétés dans le cadre de l'affaire dite « des titres volés ». Or, nous pouvons révéler que, selon une source proche d'un milieu, les mêmes truands turcs et albanais auraient rendu des services à la mouvance Dutroux en convoyant entre l'Europe centrale et
Pour revenir à Zicot, il semblerait que ce dernier, depuis son arrestation, est très bavard : il ne compte pas «tomber » tout seul et aurait commencé à dénoncer au juge Connerotte les multiples turpitudes de policiers et de magistrats corrompus à Charleroi. II devait d'ailleurs, mardi dernier, être emmené à Liège pour y être confronté avec certains inculpés de l'« affaireCools ».
Troisième élément : nous avons pu apprendre que, depuis plusieurs jours, et sur ordre du juge Jean-Marc Connerotte, les enquêteurs, non contents de rechercher les corps des victimes de Dutroux, tentaient de mettre la main sur des éléments matériels essentiels liés au meurtre d'André Cools. Nous savons de trois sources sûres et indépendantes les unes des autres que, à Keumiée, entre autres, les fouilles poursuivies la semaine dernière avaient pour objet de mettre la main sur une mallette (ou une valise) qui aurait contenu non pas, comme on l'a dit, une liste des clients du réseau Dutroux, mais bien des documents liés à l'affaire Cools et l'arme ou des « éléments de l'arme » du tueur. Ces informations avaient semblé assez crédibles et assez précises au juge Connerotte pour qu'il délivre un mandat et recommande aux gendarmes de « creuser jusqu'à
rire, à liège. « Il y a deux ans, le dossier du juge Connerotte ne permettait pas daller très loin. Aujourd'hui, il en va tout autrement : nous avons des éléments solides qui devraient nous permettre de boucler le dossier. « Pas trop tôt », se diront, non sans raison, les observateurs qui désespéraient de voir cette affaire résolue de leur vivant. Au-delà de cette légitime satisfaction, et sans mettre en doute la version « liégeoise » des faits
(il semble exact que des éléments rassemblés au début de l'été aient, fort opportunément, réveillé la cellule
Cools, sur l'utilité de laquelle on ne pouvait pas ne pas se poser de questions), force est, pourtant, de constater que les investigations du juge Connerotte dans le cadre de l'affaire Dutroux ne sont pas pour rien dans cette évolution positive.
Quels sont donc les éléments qui ont justifié cette surprenante évolution ? Pourquoi Taxquet et ses complices, libérés i l y a deux ans, ont ils été, à nouveau, placés en détention sous les mêmes chefs d'accusation?
Penchons-nous donc sur les recherches poursuivies à Neufchâteau pour tenter de mieux comprendre ce qui lie les deux affaires, ou plus exactement, des protagonistes communs aux deux dossiers.
Premier élément: dans un garage appartenant à Marc Dutroux, les gendarmes saisissent, il y a trois semaines, une moto rouge qui n'est pas sans évoquer celle sur laquelle le tueur d'André Cools était censé avoir pris la fuite. A l'heure actuelle, toutefois, cette piste semble s'être fortement refroidie : on ne parlerait
plus de u moto rouge » dans la nouvelle mouture du dossier Cools, et le véhicule récemment saisi (qui cinquante centimètres de profondeur ». Par acquis de conscience, ceux-ci sont descendus jusqu'à un mètre sous la surface du sol.
Le fait que le propriétaire du terrain, Bruno Tagliaffero, soit mort, l'hiver dernier, empoisonné (et non pas de crise cardiaque, comme on le prétendait jusqu'ici), ainsi que vient de le révéler une nouvelle autopsie, n'est évidemment pas indifférent aux enquêteurs, qui suspectent Marc Dutroux d'avoir commandité ce meurtre. Au passage, un nouveau mystère dans une affaire qui, décidément, n'en manque guère : comment un médecin a-t-il pu délivrer un certificat de décès pour « mort naturelle » dans le cadre de cette affaire?
Derniers éléments : dans les années 80, Annie Bouty compagne de Jean-Michel Nihoul et inculpée depuis peu dans le versant « enlèvements et trafic d'enfants » du dossier Dutroux, avait été très proche de Jean-Marie Guffens, le gestionnaire du « Centre médical de l'Est », qui devait présider à la construction de nouveaux hôpitaux dans la région de Liège. Les hôpitaux ne virent jamais le jour, mais des dizaines de millions furent engloutis (et, dit-on, pas tout à fait perdus pour les caisses noires du PS) dans l'affaire.
A l'époque, ainsi que l'a révélé "De Morgen », Jean-Michel Nihoul « portait les valises » (au sens propre) pour Guffens : c'est lui qui acheminait en Suisse une partie de l'argent détourné par le patron du Centre médical de l'Est. Le couple Nihoul-Bouty était donc particulièrement bien introduit dans les milieux socialistes liégeois. Encore des éléments à creuser pour la « cellule Cools », maintenant sortie de sa léthargie.
Ceci étant, Jean-Michel Nihoul apparaît de plus en plus comme étant, potentiellement, l'élément clé du «réseau Dutroux » . Le week-end dernier , il a été transféré à Bruxelles, où les policiers de la vingt-troisième brigade (nationale) de
C.M.
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Les dépenses de Dutroux étaient trop faibles pour motiver une enquête
« Dans votre édition du 30 août 1996, sous le titre "Et "ils" protègent les monstres qui ont fait ça!" vous mettez gravement en cause l'administration des Finances. Dès lors, je crois indispensable de vous communiquer les informations suivantes. :
« Dès que les faits ont été connus, j'ai ordonné une enquête afin de déterminer s'il y avait eu négligence, voire "aveuglement" ou "paralysie" (pour reprendre vos termes), dans le chef des services de contrôle du ministère des Finances.
Le directeur général de l'Administration des Contributions directes m'a transmis un rapport détaillé à ce sujet.
Il ressort de ce rapport que le dossier d'imposition de M. Dutroux et celui de Mme Martin contiennent bien les fiches d'information transmises par les bureaux de l'enregistrement compétents au sujet des immeubles acquis par ces contribuables.
Il s'agit, pour M. Dutroux, de trois maisons acquises respectivement en 1985, 1986 et 1992 et, pour Mme Martin, d'une maison acquise en 1984. Les autres maisons dont il est question dans cette affaire ne sont pas leur propriété, mais appartiennent à des tiers (dont certains sont probablement des complices).
Ces acquisitions se sont faites aux prix suivants : à Marcinelle pour 250.000 francs, a Marchienne-au-Pont pour 300.000 francs, à Mont-sur-Marchienne pour 325.000 francs. Les dépenses en question étaient donc trop faibles pour motiver une enquête particulière ou une taxation par signes ou indices.
Seule l'acquisition de la propriété à Sars-la-Buissière s'est faite à un prix plus élevé. Elle a été acquise en vente publique pour le prix de 1.850.000 francs. Mais cette acquisition est couverte par un prêt hypothécaire accordé par une banque, si bien qu'une situation indiciaire n'avait pas non plus de raison d'être.
L'agent contrôleur se souvient avoir interrogé l'intéressé pour obtenir les attestations requises concernant l'emprunt hypothécaire et M. Dutroux a fourni ces attestations.
Dès lors, sur base de ce rapport du directeur général, je crois pouvoir conclure que l'administration des Finances a fait correctement son travail.
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