lundi 21 juillet 2008

Trouver les ordures qui tirent les ficelles !('Soir illustré'28 août 1996 p34'35'36'36)


Trouver les ordures qui tirent les ficelles !

« Soir illustré » du mercredi 28 août 1996 pages 34,35 ,36 et 36

Deux anges ont payé un prix atroce pour que la Belgique puisse à nouveau se regarder dans un miroir sans avoir honte. L'électrochoc sera salutaire.

Galvanisés par la mort odieuse de deux petites filles, abasourdis par les effarants errements de la justice,les enquêteurs de Neufchateau n'ont pas mis une semaine à mettre en lumière les protections efficaces dont jouissaient Dutroux et ses complices.

« J'irais juqu'au bout si on me laisse faire » a promis le procureur ,cette phrase, lâchée dans l'ambiance électrique du plateau de l'émission spéciale de la RTBF, vendredi dernier, le procureur l'a prononcée en pleine connaissance de cause. Il sait parfaitement que toute la population belge, des deux côtés de la frontière linguistique, est derrière lui et qu'elle n'acceptera plus que, comme dans l'enquête sur l'assassinat d'André Cools, le dossier lui soit retiré pour être étouffé à Liège.
Les interpellations de dimanche, dont celle d'un inspecteur principal de la PJ de Charleroi (voir l'article de Marcel Leroy) confirment cette volonté d'aller très vite.

Et d'aller très haut? Il le faudra aussi. M. Russo, le père de Mélissa, a dit tout clair au cours de la même émission de télévision ce que toute la population pense tout bas depuis longtemps: « II faut protéger Dutroux. Il ne faudrait pas que, dans trois jours, on nous apprenne qu'il s'est suicidé en prison. Il doit vomir tout ce qu'il a dans le ventre ».

TROUVERA-T-ON LA LISTE DES CLIENTS PÉDOPHILES?

M. Russo n'a pas eu besoin de rappeler les "suicides" en prison de Patrick Haemers et, avant lui, de
Paul Latinus. Tout le monde avait compris. Mais pour que les choses soient claires, Marie-France Botte a souligné que, chaque fois qu'une affaire de pédophilie est mise à jour, on se trouve en présence de la même conjonction: beaucoup d'argent, la protection du pouvoir, une liste de clients. Et pour qu'elles soient encore plus claires, elle a repris ses accusations dans une lettre ouverte au ministre de la Justice Stefaan De Clerck. Un extrait: « l'enlèvement des fillettes, les violences sexuelles, la pornographie, le passage des frontières ne se gèrent pas en entreprise familiale. Pour qu'un réseau de pédophilie, pour que la machine infernale fonctionne, il faut impérativement des consommateurs d'enfants protégés. Il faut des soutiens financiers et politiques.
Monsieur De Clerck, dans tous les réseaux de diffusion de cassettes pornographiques, une liste de clients existe. Dons le cas présent, Monsieur Dutroux serait connecté à des clients belges et internationaux. Les carences de l'enquête ainsi que les moyens financiers importants de Dutroux m'amènent à vous demander si vous possédez une liste de consommateurs. Nous attendons de vous, Monsieur De Clerck, la transparence".

TROIS MILLIONS POUR UN ADO, UN MILLION POUR UNE VIDÉO
Les moyens financiers de Dutroux et également de Nihoul, l'escroc aux multiples faillites dont le nom figurait déjà dans la liste des clients pédophiles du CRIES, il y a quelques années?
Ils s'expliqueraient facilement par la rentabilité de l'ignoble trafic. Une jeune vierge de 16 ans se vendrait deux à trois millions. Il y a aussi des pédophiles amateurs de nourrissons...
Une cassette porno vaut, selon son "intérêt" pour les clients, de cent-cinquante mille francs belges à plus d'un million. Des cassettes semblables ont été retrouvées chez Dutroux et chez son complice Diakostavrianos. Leur contenu, enregistré sur les bandes de films innocents - parfois, des dessins animés pour enfants ! – montre des pédophiles en action, difficilement identifiables. II y avait de 300 à 400 cassettes, une vraie fortune.
M. Bourlet a déclaré que tous ceux qui seraient identifiés seraient poursuivis. Poursuivis, quels qu'ils soient? Le fait que les clients des réseaux pédophiles soient riches et hauts placés a toujours rendu difficile l'aboutissement de nombre d'enquêtes. La protection de la vie privée (celle des abuseurs!) a bon dos et leur nom disparaît vite des colonnes des journaux, surtout s’il est très connu.

Trop souvent, aussi, le pédophilie est considéree comme un délit mineur, et les accusations des enfants ne sont pas prises au sérieux. Ce ne sont que des enfants, n'est-ce pas?
Si les choses risquent d'aller plus loin, des pressions sont exercées, et même des menaces, à l'encontre de ceux qui dénoncent des scandales.

Ce fut le cas chez nous dans l'affaire de l'IMP Decroly. Aujourd'hui, l'électro-choc de la mort atroce des deux petites filles est tellement fort dans la société civile belge que ce genre de menaces ne suffirait plus à faire taire des plaignants. Les verrous psychologiques sautent.

Témoin, cet appel anonyme à notre rédaction d'un homme d'âge mûr qui porte depuis des années le poids moral des sévices qu'il a subis, enfant, de pédophiles « extrêmement haut placés dans le pouvoir à Bruxelles ».
« Je n'ai jamais osé en parler depuis, nous a-t-il dit. Mais ce souvenir est tellement atroce que, pour moi, la pédophilie est devenue pratiquement une métaphore du pouvoir, tellement elle est répandue dans les hautes sphères ».

LA QUESTION QUE NOUS NOUS POSONS TOUS

Devant un témoignage de ce genre, on peut légitimement se poser la question: si des pédophiles sont si haut placés, sont-ils intouchables?
Permettra-t-on à l'enquête de Michel Bourlet de monter jusqu'où elle doit monter?
Où est-il trop tard, déjà, pour envisager une guérison morale de l'ensemble de notre société?
Sa base vient de montrer sa santé. Et son sommet?

Il faudra aussi tirer les effroyables conséquences du bordel régnant dans nos services de police et de gendarmerie, sans parler de la Justice, massacrée par Melchior Wathelet, le pire de ses ministres depuis 1945. Indifférence et incom pétence des responsables, déliquescence de l'État belge, guerre des polices, tout s'est conjugué pour que des pédophiles voient la vie en rose.

Un premier exemple: la gestion du BCR (Bureau Central de Recherches). Un rapport (confidentiel) établi en 1993, au départ axé sur la pédophilie, a permis de soulever un lièvre diabolique.
Destinée à constituer un "profil" des auteurs d'actes de pédophilie, la mission s'est heurtée à d'incroyables inepties, à de surprenantes erreurs d'encodage, à d'étranges négligences de manipulation d'informations dont on sait combien elles peuvent engendrer le pire.
"L'album photos" du départ – telle était la "bonne intention" d'un des services de la gendarmerie- s'est rapidement métamorphosé en un rapport au contenu accablant...
Est-il normal, en effet, à titre d'exemple, qu'un pédophile reconnu coupable d'une série d'agressions sexuelles dans une école pendant une quinzaine d'années,n'apparaisse dans l'ordinateur que comme auteur d'un seul fait? Le plus souvent, un seul numéro de fait recouvrait en réalité plusieurs abus sexuels commis pendant plusieurs années.
Autrement dit, sur le plan du traitement statistique, le nombre des faits rapportés aux services de police était supérieur au nombre de faits effectivement enregistrés.

Etrangement, les individus les plus dangereux ne sont répertoriés qu'une seule fois.
Bizarre quand on sait que chaque hold-up fait l'objet d'une description détaillée même s'il est commis par un seul individu.
C'est clair. Aux yeux de la gendarmerie et de la police, la pédophilie n'est considérée ni comme une infraction ni comme un fait policier.
A la gendarmerie comme ailleurs, les infractions de moeurs, et la pédophilie en particulier, sont considérées comme des délits mineurs. De 400 à 500 cas d'infraction de moeurs sur les enfants relevés rien qu'en 1986 - et le chiffre a sensiblement augmenté depuis - était-ce vraiment quantité négligeable?
Résultat, l'actuelle banque de données informatisées ne permet pas d'isoler avec précision les auteurs d'actes pédophiles. La pédophilie est tout simplement absente dans la nomenclature policière d'encodage des faits. Le constat est à peu près identique en ce qui concerne les lenteurs et les manquements du Service Général d'Appui Policier.
Quand un gendarme saisit des cassettes pédopornographiques enregistrées en Allemagne et qu'on ne juge pas utile de s'investir dans des recherches au-delà du Rhin,voilà un bien étrange comportement.

Heureusement, grâce à la combativité et à la détermination de certains gendarmes, une étude sur le sujet existe. La même démarche, tout aussi titanesque, a été menée, peu de temps après, au sein de la cellule "Disparition" débouchant sur les mêmes inepties, voire pire, quant à la coordination des multiples informations.
On le voit, jusqu'il y a peu, l'ambiance n'était pas franchement a la répression chez nous. Les appels au secours des familles des disparues n'étaient pas entendus, ni à la Justice, ni au Palais royal, alors même qu'un extraordinaire éveil des consciences se faisait dans la population grâce au travail de l'association Marc et Corine.

Quant à l'ancien ministre Wathelet, qui se réfugie aujourd'hui derrière son habituelle langue de bois – le bois dont on fait les cercueils d'enfant -, il est directement responsable de la libération anticipée du monstre Dutroux.

LIBÉRATION DE DUTROUX: L'OPPOSITION FORMELLE DE M. DEMANET

Et dans quelles conditions! Les journalistes étaient sidérés, quand, à leur demande, le ministre de la Justice Stefaan De Clerck lut l'avis que le procureur général Demanet avait joint au dossier accablant Marc Dutroux. Les faits de 1985 annonçaient ceux des années 90.

Voici la teneur de ce document:

« Avis défavorable: l'extrême gravité des agressions sexuelles, leur multiplicité et les circonstances ignominieuses dans lesquelles elles ont été perpétrées, ainsi que la lâcheté L vol à l'aide de violences ou de menaces commis sur une personne âgée et vivant seule, le manque total de bonnes dispositions morales et la persistance de l'intéressé à se faire passer pour la victime des poursuites qui furent intentées à sa charge s'opposent formellement à la proposition tendant à le faire bénéficier d'une libération conditionnelle.
Octroyer pareille mesure de clémence dans les conditions relevées ci-dessus et à une époque où le viol et les agressions sur les personnes âgées sont dénoncés comme un fléau social irait à l'encontre des impératifs de la répression comme des nécessités de la sécurité publique et ferait de nature à discréditer l'oeuvre de la Justice. »

Le Procureur général G. Demanet.

M. Demanet est actuellement le chef de file des Procureurs généraux. Quand le ministre Wathelet a signé la libération conditionnelle de Dutroux, le PG ne pouvait plus rien faire. Le ministre, dans des déclarations, a dit qu'il regrettait d'avoir signé, mais ne se sentait pas responsable. Quatre voix pour contre deux voix contre, et il a ajouté qu'il fallait surveiller Dutroux étroitement. M. Wathelet a dit que le parquet général était pratiquement toujours contre la libération conditionnelle. Statistiques à l'appui, M. Demanet démontre que c'est faux, pour Mons. Signer une telle libération en sachant qu'en Belgique, terre de surréalisme, les milliers de libérés conditionnels sont suivis par 47 agents pénitentaires externes et demi (il y a une personne à mi temps), est une opération de trompe l' oeil !

Dutroux, lui, avait aussi choisi lui-même son médecin thérapeute, un praticien aujourd'hui largement octogénaire. Un spécialiste qui ne devait pas remettre de rapport, tenu au secret professionnel.
Le ministre Stefaan De Clerck a raison de dire qu'il faudra changer le système. Belles paroles, qu'il faudra appliquer, d'urgence.

COMPLICITÉ POLICIÈRE, PROTECTIONPOLITIQUE?

Mais il y a eu des "dysfonctionnements" bien pires encore, ceux qui ont commencé à faire soupçonner que Dutroux et sa bande bénéficiaient de complicités efficaces, qu'une espèce de main invisible éliminait leur nom de rapports convergents. Ainsi en 1995, après le ratage des révélations d'un pédophile de Louvain avec lequel le parquet ne voulut pas négocier – il réclamait une libération en échange de la preuve que Julie et Mélissa figuraient sur des cassettes porno -
il y eut ce rapport de gendarmerie qui, à Charleroi, établissait que Dutroux préparait des cachettes souterraines pour y enfermer des enfants et qu'il offrait 150.000 F par gosse qui serait enlevé.

Ce rapport, rédigé dès 1993, aurait été transmis en 1995 à la juge d'instruction de Liège, Mme Doutrèwe. « Jamais reçu, ou que des bribes inutilisables », dit celle-ci. De même, la fameuse opération Othello, opération de surveillance de la gendarmerie de Charleroi dont Liège, responsable de l'enquête sur Julie et Mélissa, n'avait pas été mis au courant.
A la même juge, les gendarmes auraient fait des demandes d'apostilles pour "vols de voitures" alors qu'ils recherchaient les fillettes. Dutroux trafiquait effectivement dans les voitures. Mais pourquoi ces secrets?
Une grande défiance des services les uns envers les autres, alimentée par le fait que toute la bande gravitant autour de Dutroux, les Nihoul et Lelièvre, jouaient à l' indic de police et profitaient de ce statut borderline pour organiser impunément tous leurs autres trafics?
Impunément, et peut-être avec des complicités agissantes dans les services de police? Nihoul, proche des milieux partouzards de Bruxelles, s'est souvent targué de protections politiques puissantes et d'avoir été un factotum du CEPIC, l'extrême droite du PSC. Selon certains, il aurait eu en tout cas des relations suivies avec Henri Tombeur, un conseiller communal etterbeekois récemment arrêté pour faits de pédophilie.
Dutroux, toujours en 1995, avait enlevé et drogué trois ados dans la maison de son complice Weinstein, mais alors que celui-ci fut arrêté, lui-même ne fut pas inquiété.
Après sa liberté conditionnelle, Marc Dutroux était littéralement libre comme l'air, même s'il est retourné en prison trois ans plus tard, de décembre 95 à mars 96.

Un témoignage nous l'a confirmé. Mme Mauricette Navez, professeur de langues germaniques, a été littéralement terrorisée par Dutroux, alors qu'elle ne l'avait jamais regardé en face. Mme Navez se réjouissait d'entrer dans sa nouvelle maison à Sars-la-Buissière. Elle ignorait qu'elle habiterait à proximité de Marc Dutroux, qui provoqua son malheur. Pendant la nuit du mercredi au jeudi de l'Ascension 93, alors qu'elle logeait pour la dernière fois à son ancien domicile, Dutroux vida la maison neuve de tout ce qu'elle contenait. Il sabota même le brûleur de la chaudière, parce qu'il ne pouvait l'emporter. Il embarqua dans deux remorques un évier, les robinets, tout le matériel de cuisine, la chaîne hi-fi, tous les vêtements du professeur! Lors de son opération, Dutroux avait perdu le carnet d'adresse de sa victime. Mme Navez le ramassa sur le pas de sa porte et remarqua que des croix avaient été apposées (par Dutroux) à côté de tous les prénoms féminins contenus dans le carnet. Elle se chargea de prévenir ces personnes.
Elle déposa plainte à la gendarmerie. Et, un jour, fut contactée à l'athénée de Gosselies, où elle enseigne. Elle visita la maison de Dutroux, en compagnie d'un gendarme, et identifia plusieurs objets qui lui avaient été volés. Comme Dutroux ne semblait pas être poursuivi pour ce vol, afin d'échapper à la vision obsédante de cet homme passant devant chez elle, à bord de sa camionnette, Mme Navez décida de baisser ses volets. Elle n'a jamais pu effacer de son esprit le souvenir du capharnaüm régnant dans la maison de Dutroux, et où elle retrouva certains de ses objets volés.
Une maison regorgeant d'objets arrachés à des familles. Mme Navez a appelé la cellule de Neufchâteau, où son témoignage a été enregistré. Enfin...

Stéve Polus avec Marcel Leroy, Corinne Le Brun et Michel Jaspar

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