jeudi 25 septembre 2008

Ces fouilles qui remue les consciences("Soir Illustré" 11 septembre 1996 pg 34' 35)


Ces fouilles qui remue les consciences

« Le Soir Illustré » du mercredi 11 septembre 1996 pages 34 et 35

 Rue Daubresse, le cérémonial tragique enduré à Sars-la Buissière s'est répété, avec le départ de deux autres corbillards. Alors que l'enquête se déploie dans tout le pays, les Belges voudraient échapper à l'angoisse qui les submerge, alors que l'on effectue des fouilles à Bruxelles et Waterloo, après la région de Charleroi.

 Les fouilles ont duré sept jours, rue Daubresse, à Jumet. Sept journées d'une angoisse rongeant les nerfs de tout le pays. Dutroux, jusqu'à présent, avait toujours dit la vérité, en tentant de tirer son épingle d'un jeu sulfureux. Même les spécialistes des meurtriers en série du FBI venus épauler l'équipe du procureur B ourlet et du juge Connerotte sont impressionnés par son profil de prédateur. Dutroux avait indiqué le réduit où Laetitia et Sabine étaient prisonnières, au 128, route de Philipeville, à Marcinelle. C'est lui encore qui avait montré où il fallait fouiller, pour exhumer les corps de Julie et Mélissa, à Sars la-Buissière. Les enquêteurs tombèrent aussi sur le corps de Bernard Weinstein, que Dutroux charge de tous les assassinats.

Cette fois-ci, il avait confirmé les aveux de sa femme, Michelle Martin. Oui, Weinstein avait bien déclaré avoir enterré An et Eefje à Jumet. D'autres noms avaient été cités. Comme les fouilles s'éternisaient, sous une drache incessante rendant le Pays Noir plus cafardeux qu'il ne l'est en réalité, des bruits avaient couru. Dutroux veut se faire passer pour fou. Dutroux mène les enquêteurs par le bout du nez. Ce manipulateur, pourtant, avait encore dit vrai. Là où il va le plus loin, c'est en chargeant Weinstein (voir article par ailleurs), le comparse qui ne peut plus se défendre. Dutroux l'a enterré vivant, après l'avoir drogué, il ne faut pas l'oublier.

 LA LISTE NOIRE S'ALLONGE

Mardi matin, peu avant 10 heures, les enquêteurs se heurtèrent à des restes humains, des ossements. Dutroux était revenu, durant la nuit de lundi à mardi, pour orienter les enquêteurs. Et, une fois encore, comme si ce film que l'on aurait voulu ne jamais revoir s'imposait à nous, comme un cauchemar, on vit deux corbillards quitter la rue Daubresse, en fin de journée. Comme à Sars la-Buissière, les coeurs étaient bloqués, les yeux rougis par les larmes de l'insupportable nouvelle. Dans la soirée, après que les parents d'An et Eefje eurent été informés en priorité, le résultat de l'autopsie fut communiqué officiellement. Les prénoms d'An et Eefje s'ajoutaient à la liste comportant ceux de Julie et Mélissa, et que l'on a peur de voir s'allonger encore, en écrivant ces lignes.

 Alors que les fouilles touchaient à leur fin à Jumet, elles continuaient à Sars-la-Buissière, ainsi que de l'autre côté de la Sambre, dans le Bois Navez, à Biercée. Le père de Dutroux avait évoqué une voiture, peut-être jetée à la Sambre, et d'autres éléments matériels recherchés dans des bâtisses en ruines, au milieu de la forêt. On a creusé aussi à Keumiée, près de Wanfercée-Baulet, pour faire parler le sol du champ de démolition de Bruno Tagliafero.

Un homme de 33 ans mort en novembre 1995, dans des circonstances peu claires. Il était l'ami de Michael Diakostavrianos, dit Michel le Grec.

Les enquêteurs, - chiens allemands, officier pisteur hollandais, radar du superintendant Bennett, - se déplaçèrent ensuite à Ixelles, rue du Conseil (voir article de Michel Jaspar), non loin de l'endroit où a disparu la petite Loubna, là où vivait un pédophile, l'expert-comptable Roland Corvillain, inculpé pour le viol d'une mineure de moins de 16 ans. Puis à Waterloo, dans la maison de la mère de Michèle Martin. La vieille dame, souffrant d'une grave maladie, séjournait à sarsla-Buissière, quand éclata l'affaire. Des recherches qui montrent que le réseau de Dutroux et de sa bande s'étendait vraiment sur tout le pays. Alors que Sars-laBuissière et Jumet espéraient échapper à la chape d'angoisse pesant sur les esprits, c'est au village d' Onnezies, dans les HautsPays, entre le Borinage et la frontière française, que l'on recoupa la piste de Michel Nihoul. L'homme d'affaires bruxellois y séjournait de manière sporadique, en se faisant passer pour un avocat, en prenant les gens qu'il côtoyait au piège de son charme d'escroc capable de se faire du fric sale en grugeant de braves gens voulant aider les enfants mourant de faim au Sahel.

L'ex-compagne de ce Nihoul-là, l'escroc sans état d'âme, le noceur avide d'argent, Anne Bouty, a elle aussi été inculpée et mise en prison. Dimanche en fin de journée, elle était la dernière en date des inculpés évoluant dans la mouvance directe de Dutroux. Radiée du barreau de Bruxelles, elle trompait les espoirs d'émigrés rêvant d'obtenir des papiers en règle. Bouty abusait de leur confiance, le coeur léger.

VIVRE DEBOUT, APRÈS "ÇA"

 Alors que l'enquête se déploie, implacablement, avec des implications qui font peur, les Belges en larmes se demandent quelles illusions seront encore détruites. Tous ont accompagné leurs enfants à l'école en se posant de terribles questions, au début de cette semaine marquée par la mort vérifiée d'An et Eefje.

Le Premier ministre et le Roi ont cherché à rassurer la population. Il fallait que ce soit accompli, avec solennité. Et des réflexions surgissent, sur la société qui a engendré un Marc Dutroux. Ce qu'il faut, c'est armer la société de lois - et dégager les moyens de faire respecter ces lois, ce qui est plus difficile à réaliser-, pour aider ceux qui, depuis longtemps, obscurément, presque désespérément, sans moyens, accomplissent un travail préventif.

Cette urgence-là, il faudra s'y attacher, sans jamais oublier Julie et Mélissa, An et Eefje. La tentation est forte, de tourner la page, parce qu'essayer de comprendre demande parfois de briser des tabous. A dire vrai, on voudrait que soit écartée l'hypothèse d'un système mafieux gangrenant nos plus nobles institutions. Les gens ordinaires éprouvent le sentiment d'avoir perdu toute prise sur ce qui les entourent. Les autres informations que celles gravitant autour du monstre, depuis des semaines, ont été quasi réduites à néant. Il nous faut réapprendre les choses simples, celles qui nous sont proches, celles sur lesquelles nous pouvons agir. Les choses importantes.

Horrifié et fatigué, le pays voudrait échapper à cette vérité sordide qu'il faut regarder en face. Mais tourner la page ou éteindre la télé ne sont que les versions contemporaines du manège de l'autruche.

Tout un mode de vie est remis en question. Il est préférable d'écouter et de parler vraiment à son enfant, de le prendre par la main pour lui apprendre, pas à pas, comment marcher seul, un jour, plutôt que de le couvrir des biens matériels qui donnent l'illusion de l'attention. Il faudra prendre du temps pour regarder mieux les autres, s'interroger sur les institutions et leur fonctionnement. Ne pas se laisser distraire par des problèmes secondaires, alors que les références de ce pays s'érodent. Revenir à un rôle de citoyens, en tentant de privilégier sa conscience, plutôt que la tentation du profit immédiat. Attention: les limites deviennent floues, entre ce qui est bien et ce qui est mal.

Et ce n'est que normal, dans cet étrange univers fondé notamment sur des montagnes de narcodollars recyclés par une économie qui se repaît d'emplois, mettant à la décharge des travailleurs qui ont des familles à nourrir. Le problème des pays les plus pauvres de la planète, où les Julie et Mélissa, An et Eefje, sont légion, a pris corps et âme, brutalement, devant nos regards blessés.

Nous savions tout cela, que le plus fort tue le plus faible, mais nous préférions ne pas déchiffrer le message des images que nous avions sous les yeux. L'insoutenable attente de la rue Daubresse a mis la Belgique à genoux, alors qu'il nous faut vivre debout, plus que jamais.

Marcel Leroy.

 

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