Combien d’autres victimes ?('Vif' 6 septembre p12-13-14-15)
Combien d’autres victimes ?
Le Vif/L’express du vendredi 6 septembre page 12-13-14-15
An et Eefje ont été les innocentes victimes d'un monstre. Et peut-être d'un réseau infect, dont on cherche dans l'urgence les connexions
>Roland Planchar
Le Vif/L’express du vendredi 6 septembre page 12-13-14-15
An et Eefje ont été les innocentes victimes d'un monstre. Et peut-être d'un réseau infect, dont on cherche dans l'urgence les connexions
>Roland Planchar
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An et Eefje retrouvées mortes, l'horreur s'est installée au quotidien.
An et Eefje retrouvées mortes, l'horreur s'est installée au quotidien.
Après le sauvetage de Laetitia et de Sabine, seul épisode « heureux » de l'affaire, tout avait basculé avec la découverte de la fin atroce de Julie et de Mélissa.
Avait-on espéré sortir du cauchemar ? Impossible. Le 27 août, Marc Dutroux avait fait des aveux supplémentaires, lors d'une confrontation avec sa femme et complice,Michèle Martin. Des aveux qui jetaient l'effroi parmi les enquêteurs, car le « monstre » désignait l'une de ses propriétés, à Jumet, comme terrain de recherche. En prédisant de nouveaux cadavres, ceux des jeunes Limbourgeoises, An Marchal (17 ans) et Eefje Lambrecks (19 ans) disparues le 22 août 1995, à Ostende...
Aussitôt, la rue Daubresse, à Jumet, était mise en quarantaine.
Mais les fouilles s'articulaient autour d'indications trop vagues : les corps se trouvaient-ils sous le chalet de Dutroux - qu'avait occupé son complice Bernard Weinstein -, sous un hangar connexe, sous le garage?
Chiens pisteurs et radar de sol s'accordaient rapidement à désigner des endroits suspects. Las, des intempéries retardaient d'abord les recherches, puis forçaient leur abandon momentané. Mais mardi matin, le faisceau mélangé de demi certitudes et de doutes se dénouait.
Mais les fouilles s'articulaient autour d'indications trop vagues : les corps se trouvaient-ils sous le chalet de Dutroux - qu'avait occupé son complice Bernard Weinstein -, sous un hangar connexe, sous le garage?
Chiens pisteurs et radar de sol s'accordaient rapidement à désigner des endroits suspects. Las, des intempéries retardaient d'abord les recherches, puis forçaient leur abandon momentané. Mais mardi matin, le faisceau mélangé de demi certitudes et de doutes se dénouait.
Des ossements étaient mis au jour, qui montraient que Dutroux n'avait pas menti. Les restes de deux jeunes filles étaient là. Sous plus de 2 mètres de terre et des mois de silence...
Le jour même, l'identification d'An et d'Eefje était rendue certaine, grâce à des radiographies dentaires et à la présence, sur place, d'une montre reconnaissable. Loin de marquer la fin de l'enquête, cette découverte mettait par contre fin aux espoirs angoissés des parents. Pauvres parents... La veille encore, ils se battaient sur le plateau d'une télévision française contre l'insoutenable, en tentant d'obtenir quelque indice.
Ecorchés par une pleine année de souffrance, ils avaient tenu bon avec une dignité et un courage superbe, balancés entre l'espérance et le désespoir. Sort écoeurant, c'est finalement ce dernier qui l'a emporté.
Cette escalade dans l'épouvante tourne au drame de société. A quelques jours des premières découvertes, qui avaient ébranlé le pays, l'indignation est générale. D'autant que l'enquête fait surgir de très nombreuses questions. A vrai dire, elle s'est même scindée en plusieurs pistes divergentes : turpitudes pédophiles, réseau national ou international, protections éventuelles et, accessoirement, trafic de véhicules volés.
Côté meurtres et pédophilie, on sait déjà beaucoup sur Dutroux. Et, notamment, qu'il rejette systématiquement la responsabilité de toutes les morts sur son complice, Bernard Weinstein. Sauf une : Dutroux reconnaît avoir tué ce complice.
Mais il affirme, pour Julie, Mélissa, An et Eefje, que c'est Weinstein qui les a laissées mourir ou qui les a tuées. Une explication vraiment trop facile, et d'ailleurs partiellement infirmée par des aveux de Michèle Martin. Laquelle reconnaîtrait avoir elle-même laissé mourir Julie et Mélissa. En tout cas, de ce côté, la question qui appelle la plus urgente réponse est celle de savoir si, comme on le redoute, Dutroux et sa bande n'ont pas commis d'autres atrocités encore. Et combien.
Pour le savoir, une formidable machine s'est mise en place. Loin des enquêtes « à la bonne franquette menées par deux ou trois hommes sans moyens, et dont on mesure aujourd'hui toute l'inadéquation aux réalités, on approche cette fois d'une équipe de 250 enquêteurs, mélange de gendarmes, de « PJistes » et de limiers étrangers. Ce dernier élément démontre d'ailleurs, si l'on en doutait encore, que certaines spécialisations ne sont pas assez ou pas du tout suivies en Belgique. Dans l'enquête en cours, l'aspect le plus
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spectaculaire de cette collaboration internationale est sans doute le travail mené par les analystes criminels du FBI américain. Ils tentent, par des méthodes de pointe, de définir les caractéristiques de Dutroux et de sa bande.
Est-il « seulement » un pédophile prédateur ou un tueur en série ? Ou le maillon d'un réseau ? Ou encore les trois, comme c'est possible ?
L'absence de réponse certaine à cette question ajoute encore au malaise et à l'inquiétude. Un double sentiment qui étreint les parents d'autres enfants disparus, tels que Gevrije Kavas (6 ans), dont on a perdu la trace en février 1985, Elisabeth Brichet (12 ans lorsqu'elle a disparu en décembre 1989) Nathalie Geijsbregts (10 ans en février 1991) et Loubna Ben Aïssa (9 ans en août 1992).
Un réseau mais lequel?
L'absence de réponse certaine à cette question ajoute encore au malaise et à l'inquiétude. Un double sentiment qui étreint les parents d'autres enfants disparus, tels que Gevrije Kavas (6 ans), dont on a perdu la trace en février 1985, Elisabeth Brichet (12 ans lorsqu'elle a disparu en décembre 1989) Nathalie Geijsbregts (10 ans en février 1991) et Loubna Ben Aïssa (9 ans en août 1992).
Un réseau mais lequel?
L'hypothèse d'un réseau retient effectivement l'attention. C'est à première vue paradoxal, car on pouvait croire, au premier abord, que le fait de tuer ses victimes implique que Dutroux ne les destinait pas à la vente ». Sauf à considérer, horreur, qu'elles étaient pour lui tellement sacrifiables qu'il n'aurait pas vu dans leur mise à mort le moindre obstacle.
De fait, les nombreuses cassettes vidéo à caractère pornographique ou pédophile découvertes chez Dutroux et dans son entourage plaident pour l'existence d'un commerce immonde.
Premier suspect : Jean Michel Nihoul, l'« agent immobilier » bruxellois arrêté le 15 août. Il nie certes en bloc, mais la chambre des mises en accusation de Liège a confirmé son mandat d'arrêt (pour association de malfaiteurs) sans grande hésitation. Parce que Nihoul est fortement suspecté d'avoir été un intermédiaire pour la vente des cassettes, voire carrément un « rabatteur » oeuvrant à trouver des clients, notamment en région bruxelloise.
Peut-être allait-il même jusqu'à participer à la sélection des victimes ? Des témoignages font état de sa présence à Bertrix peu avant l'enlèvement de Laetitia Delhez, le 9 août dernier.
Pour sa défense, il fait état de sa présence aux côtés de diverses personnes, ce vendredi-là. Il nomme par exemple l'ancien avocat Michel Vander Elst, qui avait été condamné dans le cadre de l'affaire Haemers.
Ce rôle, il aurait pu le partager avec Michèle Martin. Mais l'enquête est néanmoins grevée d'un point faible. Si on soupçonne que le réseau puisse aussi être international, avec des ramifications dans les pays de l'Est, les pistes slovaques et tchèques n'ont pas donné grand-chose. Certes, les liens que Dutroux et son complice Lelièvre ont noués dans ces pays ont été mis en évidence.
Dutroux y a par exemple séduit plusieurs jeunes filles – y compris des mineures - loué les services d'autres (pour tourner des films pornographiques), et il y est même suspecté d'un meurtre et d'un viol.
Toutefois, malgré les efforts des enquêteurs belges partis sur place, conjugués à ceux des polices locales et d'Interpol, on n'a jusqu'à présent pas pu identifier les nécessaires contacts qu'implique un véritable réseau. Comme Le Vif/L'Express le signalait la semaine dernière, c'est cependant l'examen des paramètres financiers qui pourrait faire progresser l'enquête, puisque plusieurs dizaines d'enquêteurs sont chargés de démonter l'écheveau des revenus et des dépenses de Dutroux et Nihoul. Si l'enquête à l'Est ne donne rien sur le terrain, les mouvements d'argent pourraient parler plus efficacement.
Justice contre justice
Ils pourraient aussi focaliser à nouveau l'attention vers le milieu judiciaire de Charleroi, ainsi que vers d'éventuelles protections dont auraient profité Dutroux et sa bande.
De ce côté, les choses sont loin de s'éclaircir. Elles se scindent, là aussi,en dossiers connexes.
D'abord, parce qu'au nombre des suspects se trouve un inspecteur principal de la PJ de Charleroi, Georges Zicot. Arrêté le 25 août dernier, il est inculpé d'escroquerie à l'assurance, de faux et usage de faux. Mais il clame son innocence et crie au complot, parlant d'une vengeance qu'exercerait contre lui le procureur général de Mons, Georges Demanet. Il faut reconnaître que, de ce côté, certains faits sont troublants.
En effet, Philippe Demanet, fils du « PG » et expert automobile auprès du parquet de Charleroi, a été soupçonné par Zicot de s'être lui-même livré à une escroquerie à l'assurance, en simulant le vol de sa Porsche en Espagne. L'inspecteur avait dressé PV, une instruction étant ouverte à sa suite par le juge
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d'instruction bruxellois Guy Laffineur.
Or il se trouve que, le 30 août, Philippe Demanet a bel et bien été inculpé à la suite des déclarations de Zicot. Pour avoir, pense le juge d'instruction, commandité le faux vol de cette Porsche 911, remboursée par la Royale Belge pour près de 3 millions de francs. L'auto avait été déclarée volée en septembre 1993, à Playa de Oro d'abord. La déclaration avait plus tard été confirmée à Thuin, où habite l'expert automobile.
d'instruction bruxellois Guy Laffineur.
Or il se trouve que, le 30 août, Philippe Demanet a bel et bien été inculpé à la suite des déclarations de Zicot. Pour avoir, pense le juge d'instruction, commandité le faux vol de cette Porsche 911, remboursée par la Royale Belge pour près de 3 millions de francs. L'auto avait été déclarée volée en septembre 1993, à Playa de Oro d'abord. La déclaration avait plus tard été confirmée à Thuin, où habite l'expert automobile.
Compensation du dommage prétendument subi, le versement d'une somme d'argent avait été effectué par la compagnie d'assurances en faveur de la société du garagiste Bernard Adam. Parce que celle-ci louait l'auto au fils Demanet. Supposant le garagiste complice, le juge Laffineur l'a inculpé dans la foulée.
Par contre, il n'a pas eu besoin d'inculper Thierry Dehaan, le responsable du service fraude de la Royale Belge, qui avait donné son blanc-seing à l'opération. En effet, Dehaan a lui-même été inculpé comme complice supposé de l'inspecteur Zicot, par Neufchâteau.
Nouvelles perquisitions
Nouvelles perquisitions
Le serpent semble donc se mordre la queue. Et il est bien difficile de savoir, à ce stade, si la PJ de Charleroi abritait effectivement un ripoux ». Ou si, au contraire, Zicot ne paie dans cette affaire que le PV qu'il avait osé dresser contre le fils du procureur général.
Mais l'enquête est loin d'être close. Mardi soir encore, le juge d'instruction Jean-Marc Connerotte a mené plusieurs perquisitions. D'informations filtrant de Neufchâteau - où des mesures de sécurité supplémentaires ont été prises aux alentours de la gendarmerie et du palais de justice -, il ressort que le juge d'instruction suspecte chez quelques membres du monde judiciaire de Charleroi des connexions mafieuses.
Cette hypothèse doit encore être considérée avec une très grande prudence. Néanmoins, il faut impérativement que la vérité la plus complète soit faite, que toutes les complicités soient mises en lumière. A quelque niveau qu'elles se situent.
On ne peut dès lors que se féliciter des moyens exceptionnels mis à la disposition de la justice, qui pourra ainsi éclaircir les graves suspicions qui pèsent sur des magistrats, des policiers et des gendarmes de Charleroi. Ces moyens servent aussi à ouvrir de nouveaux chantiers, à entreprendre de nouvel les fouilles, comme dans le village de Keumiée. Où l'on cherchait cette semaine des indices relatifs aux trafics de Dutroux.
En tout cas, le dégoût est aussi général que profond. La population tout entière est écoeurée et, fait plus rare, ce sentiment est de plus en plus ouvertement exprimé. Côté politique, on a d'ailleurs bien senti le danger potentiel.
Les reproches sont pris au pied de la lettre et si, par exemple, Jean-Luc Dehaene s'est exprimé dès mardi pour dire tout son effroi et présenter les condoléances du gouvernement aux familles, ce n'est sans doute pas étranger au fait que, lors de la découverte de Julie et Mélissa, des voix s'étaient élevées pour regretter l'absence du Premier ministre.
Côté judiciaire, les problèmes liés à des carences et des lenteurs ne semblent pas tous résolus.
Ainsi, à la mi-août, après une première perquisition chez Dutroux, des documents avaient été saisis par Neufchâteau. Empaquetés, ficelés, ils portaient, clairement indiquée, la mention Très urgent ». Leur analyse aurait, peut-être, fourni des indications supplémentaires. Mais ces cartons n'ont trouvé un destinataire, au sein de l'enquête, qu'au tout début septembre. Urgence ?
L'enlèvement resté très mystérieux de Rachel Legeard (19 ans) et de Séverine Potty (18 ans), deux jeunes filles de Nandrin disparues à Liège le jeudi 29 août dernier, et retrouvées à Cologne le samedi suivant, est lui aussi symptomatique. Ainsi, la gendarmerie et le parquet ont traité le cas avec efficacité. Mais ils ont étrangement omis de prévenir la PJ, qui n'a été informée du fait que ce même samedi. Par le journal parlé de la RTBF... Le parquet ne pouvait-il avertir sa propre police ?
Enfin, c'est dans la même Cité ardente que l'actualité devrait trouver un point de chute en fin de semaine. Anne Thily, procureur général de Liège, devrait en effet remettre son rapport sur l'« affaire Othello ». Il s'agit de la non transmission supposée, au juge d'instruction liégeois chargé de l'enquête
Julie et Mélissa », d'un PV de 1993. Par lequel la gendarmerie de Charleroi établissait la dangerosité de Dutroux, précisant même son intention de construire des cages » pour y enfermer des enfants. Il avait donné lieu, à l'été 1995, à une surveillance de l'intéressé, ainsi qu'à une perquisition de ses maisons.
Dossier transmis, oui ou non ? La réponse impliquera de lourdes sanctions.
Elles contribueront à l'éclatement de l'indifférence si souvent manifestée pour les horreurs liées à la pédophilie. Qu'il ne sera plus jamais possible de cacher.
L'enlèvement resté très mystérieux de Rachel Legeard (19 ans) et de Séverine Potty (18 ans), deux jeunes filles de Nandrin disparues à Liège le jeudi 29 août dernier, et retrouvées à Cologne le samedi suivant, est lui aussi symptomatique. Ainsi, la gendarmerie et le parquet ont traité le cas avec efficacité. Mais ils ont étrangement omis de prévenir la PJ, qui n'a été informée du fait que ce même samedi. Par le journal parlé de la RTBF... Le parquet ne pouvait-il avertir sa propre police ?
Enfin, c'est dans la même Cité ardente que l'actualité devrait trouver un point de chute en fin de semaine. Anne Thily, procureur général de Liège, devrait en effet remettre son rapport sur l'« affaire Othello ». Il s'agit de la non transmission supposée, au juge d'instruction liégeois chargé de l'enquête
Julie et Mélissa », d'un PV de 1993. Par lequel la gendarmerie de Charleroi établissait la dangerosité de Dutroux, précisant même son intention de construire des cages » pour y enfermer des enfants. Il avait donné lieu, à l'été 1995, à une surveillance de l'intéressé, ainsi qu'à une perquisition de ses maisons.
Dossier transmis, oui ou non ? La réponse impliquera de lourdes sanctions.
Elles contribueront à l'éclatement de l'indifférence si souvent manifestée pour les horreurs liées à la pédophilie. Qu'il ne sera plus jamais possible de cacher.
Car, découvrant des rouages insoupçonnés et nauséabonds en son sein, assommée par l'amoncellement des horreurs, la société belge doit désormais se chercher un avenir sans cauchemar. Cela ne se fera pas sans dégâts.
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