vendredi 18 juillet 2008

les enquêtes sur l’enquête('Le Soir'lundi 26 août 1996 pg10)



Tous azimuts les enquêtes sur l’enquête

« Le Soir » du lundi 26 août 1996 page 10

Othello n'était pas une opération parallèle menée à l'insu des parquets, dit la gendarmerie.

A Liège, le procureur général Anne Thily est chargée par le ministre de la Justice Stefaan De Clerck d'effectuer un relevé précis et d'analyser tous les devoirs effectués dans l'enquête sur la disparition de Julie et Mélissa.

Trois questions importantes se posent. Toutes les informations relatives aux projets de Dutroux d'enlever des enfants ont-elles été transmises, et à quelle époque, par la gendarmerie aux parquets de Charleroi et de Liège ainsi qu'à la juge d'instruction Martine Doutrèwe?

Le parquet de Charleroi a t-il transmis toutes les informations qui étaient destinées à Liège?
On sait en effet qu'une opération de gendarmerie baptisée « Othello » fut déclenchée à la mi-1995 (après les disparitions de Julie et Mélissa, en juin, et d'An et Eefje, en août) sur base d'informations connues depuis octobre 1993, relatives aux travaux que Marc Dutroux effectuait dans ses caves, à son intention de kidnapper des enfants, de les séquestrer et de les vendre à l'étranger.
Marc Dutroux fut mis sous surveillance à la fin d'août et en septembre 1995 par les gendarmes du Posa de Charleroi.

Vendredi, la gendarmerie précisait que ces informations avaient été exploitées sous la coordination du bureau central de renseignements (BCR) et que la magistrature de Charleroi comme celle de Liège en furent régulièrement informées.

Le dernier rapport écrit de la gendarmerie, daté de novembre 1995 et communiqué au parquet de Charleroi, a t il été transmis à Liège
C'est la question que le procureur général de Mons, Georges Demanet, a dû poser ce week-end au procureur du Roi de Charleroi M. Marchandise, revenu de vacances en raison des développements de l'enquête.
Samedi, dans un nouveau communiqué relatif à l'opération « Othello », la gendarmerie affirmait avec force qu'il ne s'agissait pas d'une opération parallèle de la gendarmerie montée en dehors de l'autorité judiciaire

1) Afin de confirmer par des constatations précises les informations fournies par un informateur, une observation fut installée durant quelque temps (unités Posa de la gendarmerie);

2) Ce dispositif d'observation fut appelé « Othello »;

3) L'attribution d'un nom code est une pratique policière courante afin de garantir la discrétion. Sans discrétion aucune observation valable n'est possible;

4) Ce dispositif fut installé avec l'accord du parquet de Charleroi qui fut également informé du résultat;

5) L'autorité judiciaire de Liège a également été mise au courant. Cette autorité y a donné suite en prescrivant un devoir judiciaire subséquent;

6) Affirmer par conséquent qu'"Othello » a été une initiative individuelle et parallèle et qu'elle eut lieu sans information et accord des autorités est absolument fautif et mérite une rectification vigoureuse.

A Liège, on affirme tout aussi vigoureusement, tant au niveau du parquet qu'à celui de la juge d'instruction, n'avoir pas reçu d'information à ce sujet. On répète à Liège que la juge Doutrèwe savait qu'on indaguait sur un suspect à Charleroi mais que les gendarmes de la BSR de Seraing qui enquêtaient sur Dutroux avec leurs collègues de Charleroi ne lui avaient donné qu'un minimum d'information.

A noter dans ce même contexte qu'en août 1995, à l'époque où eut lieu une réunion de coordination entre les BSR de Seraing et de Charleroi avec le BCR, ce bureau central diffusa aux unités territoriales de gendarmerie un « avis non urgent » sur Dutroux, destiné à faire surveiller les neuf véhicules qu'il utilisait (l'avis comportait principalement la liste des véhicules et des plaques d'immatriculation), n'indiquant pour tout «modus operandi » de Dutroux: en relation avec des faits commis sur des mineurs d'âge et sur des faits d'effraction contre les propriétés, et annotant la rubrique rapprochement avec d'autres délits» d'un seul mot, «inconnu ».

Les éléments d'information relatifs à d'éventuels manquements au niveau de la magistrature seront soumis au procureur général de Cassation Jacques Velu et, sur des manquements dans les services de police, au Comité P (de contrôle des polices), avait annoncé jeudi le ministre de la Justice.

RENÉ HAQUIN

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Des liens avec les dossiers Cools et Mathues

« Le Soir » du lundi 26 août 1996

Certains éléments de l'enquête menée à Neufchâteau sur Marc Dutroux et ses complices permettent de se demander s'il existerait des liens entre le dossier Dutroux et d'autres affaires criminelles non élucidées, comme le dossier Cools.
Dutroux et ses complices Bernard Weinstein (le Français abattu par Dutroux probablement en novembre 1995), Michel Lelièvre (arrêté le 13 août), Michaël Diakostavrianos (arrêté la semaine dernière), tous à un titre ou l'autre informateurs de policiers ou de gendarmes, étaient aussi soupçonnés de se livrer à un trafic de véhicules volés. Peu après la surveillance de Dutroux par les gendarmes du Posa en août et septembre 1995, trois adolescents (dont une fille) auraient volé deux véhicules à Dutroux qui, pour les récupérer, avait, avec l'aide de Bernard Weinstein, enlevé les trois jeunes.

Samedi, le journal « De Morgen » a publié la suite de l'histoire telle que relatée par Raymond Vertessen, un commissaire de la police de Charleroi.
Le 4 novembre 1995 au soir,Dutroux et Weinstein ont séquestré chez ce dernier à Jumet, pendant cinq heures, les trois jeunes, les droguant avec des gouttes. Les deux garçons étaient enchaînés.
Un complice de Dutroux chargé de les surveiller a quitté la maison peu avant minuit, les croyant endormis jusqu'au lendemain. La fille s'est éveillée, s'est enfuie et a alerté la police. Une brève fusillade a eu lieu avec les policiers,Weinstein et l'autre complice étant revenus sur les lieux. Personne ne fut blessé.
La police trouva chez Weinstein des documents de voitures et de camions volés. Dutroux, brièvement interpellé, fut laissé en liberté. C'est sans doute après cette interpellation que, certain d'avoir été «donné par Weinstein, Dutroux l'a liquidé. Réarrêté le 7 décembre 1995 dans le cadre de ce trafic de véhicules, Dutroux minimisa les faits en rejetant toute la responsabilité sur Weinstein qui, disait il, avait voulu donner une leçon aux trois adolescents.

Bernard Weinstein, recherché et restant introuvable, le juge Lorent de Charleroi crut aux propos de Dutroux et le remit en liberté le 20 mars dernier. Avec l'accord du parquet et sans avoir informé le ministre de la Justice (en vue de révoquer l'arrêté de 1992 libérant Dutroux sous condition, comme l'exige la loi).
Nous étions persuadés à l'époque que la séquestration des trois adolescents n'était liée qu'au vol des voitures, explique le commissaire Vertessen.

Un éventuel lien avec l'affaire Cools ?
L'un des patrons du trafic de véhicules volés est proche de Mauro De Santis, un des Italiens du dossier des «titres volés.
C'est chez De Santis qu'avait eu lieu le 5 décembre 1991 «la nuit des braquages»: armes aux poings, la bande des Albanais de Schaerbeek réclamait des comptes à propos des titres à Pino Di Mauro et au gendre de Todarello.
C'est à cette bande de voleurs de voitures qu'on avait aussi demandé au début de 1991 d'acheminer une voiture à Tongres. Pour évacuer le tueur d'André Cools, a dit plus tard Todarello.

Par ailleurs, l'enquête sur Dutroux a permis la saisie de grandes quantités de médicaments utilisés pour endormir ses victimes. Or dans l'enquête sur la mort de la jeune Laurence Mathues, disparue le 28 août 1992 vers 9 h 30, à l'entrée du parc Walibi où elle était jobiste, et dont le corps fut retrouvé le 8 septembre à Franc-Warêt, recouvert de branchages, l'instruction du juge namurois Jean Pierre Marotte a conclu contre l'avis du père de Laurence,qui fit appel en vain,a un suicide probable et à un transport du corps. L'autopsie avait révélé l'absorption de Seconal (barbiturique mortel) et d'une surdose de Loramét. Un tranquillisant dont la présentation est identique aux plaquettes de cachets saisis en grand nombre dans les maisons de Dutroux...

R. Hq.
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Quand une marche silencieuse fait du bruit

« Le Soir » du lundi 26 août 1996 page 10

Une marche silencieuse aux flambeaux avait été organisée à Verviers, vendredi soir, pour rendre hommage à Julie et à Mélissa et remettre des revendications aux mandataires politiques de la région.

Cette marche a • recueilli un très grand succès. De 7.000 à 8.000 personnes y ont participé, ce qui fait près de 10 % de la population verviétoise.
Cela se passait dans le silence et la dignité. Jusqu'à ce que, à la fin, quelques trublions perturbent cette attitude.

Les marcheurs remettaient alors leurs revendications aux autorités judiciaires, puis aux responsables politiques, tous partis confondus.
Ces revendications portaient sur quatre points, suivant en cela celles de la pétition lancée par Marie-France Botte : une application plus sévère des peines en cas de pédophilie, un meilleur suivi thérapeutique et social des auteurs, un meilleur suivi psychologique et social des victimes, le vote d'une loi sur l'incompressibilité des peines.

C'est alors que quelqu'un s'empara du micro et lança un appel à la peine de mort, qu'une partie de la foule suivit. «On lança ensuite des photos de Julie et de Mélissa dans le public et certains se bousculèrent même pour s'en emparer.
Le recueillement n'était apparemment plus de mise...

Les organisateurs en sont déçus. Ces scènes choquantes, disent-ils, ne reflètent pas la manifestation elle-même, elles ne sont le fait que d'un petit groupe de personnes, qui, à elles seules, ont tout fait dégénérer.
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Les pétitions ce n’est pas nous

« Le Soir » du lundi 26 août 1996 page 10

Les parents de Julie et de Mélissa n'ont donné leur accord sur aucune des multiples initiatives qui se prennent actuellement au nom de leurs filles, « initiatives dont un grand nombre viennent de l'ASBL Marc et Corine», ajoutent-ils.
Dans un communiqué diffusé samedi, les parents des deux petites victimes affirment que, malgré les dissensions qui existent entre eux, l'ASBL Marc et Corine « n'a pas eu le courage de dissiper d'elle-même suffisamment tôt la confusion qui règne dans le public à propos de l'image de Julie et de Mélissa et leur association ».

Les parents ajoutent que cela les oblige à proclamer qu'ils se dissocient de toutes les initiatives prises au nom de l'immense émotion soulevée par la mort de leurs deux filles.
Ils répètent qu'ils n'ont rien à voir dans les pétitions qui circulent actuellement, notamment celle sur les peines incompressibles initiée par l'ASBL Marc et Corine, et ce en dépit du fait que les noms de Julie et de Mélissa y soient associés sur des milliers de feuilles.
Ils se dissocient également de «toutes les manifestations spectacles à court terme et non réfléchies, comme celle qui a eu lieu vendredi à Verniers » .

Les parents de Julie et de Mélissa tiennent par ailleurs à rappeler que le seul compte bancaire sur lequel peut être versé tout don est le numéro: 240-0285928-73 et qu'il n'ont donné leur autorisation pour aucune autre collecte.

Notre combat ne s'arrête pas. Nous ne nous reposons pas, mais nous ferons connaître en temps utile sa portée, pour que Julie et Mélissa soient toujours vivantes et que nous ne soyons jamais désappropriés de leur image », ont ils enfin tenu à dire.

Rappelons aussi que les parents des deux petites filles ont lancé un appel pour que l'on cesse de leur rendre visite ou de leur téléphoner et qu'on les laisse à leur deuil. (Belga.)
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Ce qu’on dit de Claude Thirault à Grez Doiceau

« Le Soir » du lundi 26 août 1996 page 10

L'Opel Kadett rouge est toujours parquée devant la petite maison blanche, le long de la chaussée de Wavre. C'est la voiture de Claude Thirault, arrêté vendredi après-midi à Grez-Doiceau. Il roulait comme un fou dans le centre de Grez, se souvient un jeune du village.
D'autres ajoutent : Normal, avec ce qu'il buvait.

Claude Thirault était venu habiter la commune en octobre 1995. Il habitait seul avec ses deux garçons (3 et 5 ans) dont il avait la garde. Il racontait que sa femme l'avait quitté, et le fait de se retrouver seul avec deux très jeunes enfants avait d'abord suscité un certain mouvement de sympathie autour de lui. Qui n'a pas duré. Certains dénoncent aujourd'hui sa brutalité à l'égard de ses gosses.

L'aîné était très perturbé, mais il recevait aussi pas mal de coups. Aujourd'hui, certains gestes, certaines propositions deviennent évidemment l'objet de toutes les interprétations. Comme cette invitation faite par Thirault d'aller, seul, à Aqualibi, avec une gamine de Grez pour fêter son anniversaire. Tous ses voisins immédiats ne sont pourtant pas aussi hostiles.

Il avait un comportement normal, assène avec force le propriétaire de sa maison, visiblement très surpris par son arrestation. Il m'avait expliqué à mots couverts avoir eu des problèmes avec son propriétaire précédent (Dutroux).
Le jour où on a arrêté Dutroux, il regardait la télévision avec moi et il s'est exclamé: « Mais, c'est mon ancien propriétaire! » Rien de plus.

Claude Thirault portait toujours des lunettes noires, pour cacher les séquelles d'un accident de moto (il était borgne). Il vivait de la mutuelle et de petits travaux en noir, mais il semblait avoir beaucoup d'argent, racontent certains.

Depuis deux ou trois semaines, pourtant, il semblait être aux abois et réclamait le paiement de petites dettes à tous ceux qui lui devaient de l'argent.

M. Vdm.
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Des noms oui, mais pas de suite

« Le Soir » du lundi 26 août 1996 page 10

Depuis plusieurs jours, sur la base de quelques informations prudemment distillées par la presse, des déductions de Marie-France Botte et des déclarations du père d'An Marchal, chacun croit savoir que le juge d'instruction Connerotte dispose de listes de clients de Marc Dutroux. Des clients achetant ses vidéocassettes ou louant ses prisonnières. Des clients fortunés et donc puissants qui seraient en même temps ses protecteurs...

L'hypothèse suscite d'autant plus d'intérêt que le procureur du Roi de Neufchâteau a assuré, vendredi soir, lors d'un débat télévisé à la RTBF : Toutes les personnes qui auront été identifiées sur les cassettes seront poursuivies... si on me laisse faire.

Sans doute est-il donc utile de faire le point sur ces rumeurs. Le procureur Michel Bourlet a maintes fois répété que, pour l'instant, il ne dispose pas de listes de clients de Marc Dutroux.
Et cette affirmation nous est confirmée par d'autres sources. Toutefois, au cours des nombreuses perquisitions déjà effectuées, les enquêteurs ont relevé, dans des agendas, sur des documents de diverses natures, quantité de noms et d'adresses.

Sans doute des noms de clients de Dutroux se trouvent-ils dans ce « fatras ». Le long travail d'enquête qui s'engage consistera à découvrir qui, victimes et bourreaux, est filmé dans ces cassettes et pourquoi Marc Dutroux et ses complices étaient en relation avec les gens dont ils avaient noté les coordonnées.

Pour des raisons parfaitement normales? Parce qu'ils étaient mêlés à l'un des trafics de Dutroux ? Mais lequel ? Les filles, les vidéos, les voitures?
À ce propos, on notera encore que Michel Bourlet a précisé que sa phrase assassine « Si on me laisse faire... » ne se rapportait pas à un incident qui serait survenu dans un autre dossier de pédophilie. Il refuse de dire à quel dossier il pense, mais selon nos informations, le procureur de Neufchâteau faisait sans le moindre doute référence au dessaisissement du juge Connerotte dans «l'affaire des titres volés », en connexion avec l'affaire Cools (une procédure d'appel est d'ailleurs engagée contre cette décision de dessaisissement).

Hier, le père d'An Marchai a confirmé à la chaîne de télé flamande VTM que des informateurs lui avaient transmis de telles listes de clients, dont quelques-uns qualifiés « d'importants ».
Mais il a précisé que ces listes de clients pédophiles n'étaient pas ou pas directement en relation avec l'affaire Dutroux.
Sans doute est-ce aussi le cas pour les informations dont Marie-France Botte dispose. Selon nos informations, ces listes se rapporteraient aux clients du réseau Cries mis au jour il y a quelques années.

Dans ce contexte, on notera enfin que certains enquêteurs s'interrogent sur trois décès étranges intervenus récemment. Il s'agit d'un Bruxellois décédé d'un arrêt cardiaque et de deux Namurois qui se seraient donné la mort.

ALAIN GUILLAUME

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