Des bévues, il y en eut, mais pas qu’a Liège('La Meuse'jeudi 22 août 1996 p12
« La Meuse » du jeudi 22 août 1996 page 12
Les gendarmes carolos auraient entendu des gémissements.
Mais c'est difficile à imaginer...
Avec le drame épouvantable qui secoue notre pays, la justice a perdu énormément de crédit. On reproche en effet aux enquêteurs liégeois qui ont eu en charge le dramatique dossier de Julie et Mélissa beaucoup d'erreurs. L'une d'entre elles serait de ne pas avoir pris en compte des fax de la gendarmerie attirant l'attention sur Dutroux.
Pourtant, les Liégeois sont loin d'être les seuls en cause.
Fin 1993, un rapport de la gendarmerie faisait déjà état des agissements louches de Dutroux.
Ce rapport affirmait : « Il nous avait été signalé que Dutroux était occupé à faire des travaux dans les caves d'une de ses maisons à Charleroi (...) dans le but d'y loger des enfants en attente d'être expédiés à l'étranger. »
Ce rapport a été envoyé, à Liège, une quinzaine de jours après la disparition des deux fillettes. Ceci dit, il parlait d'agissements suspects vieux de deux ans. Entre 1993 et 1995, rien n'a apparemment été fait ! Pourquoi ?
Surveillance du POSA
Dans la foulée, d'autres informations par fax ont été transmises à Liège. Ainsi, toujours début juillet 1995, un fax arrive et stipule «qu'aucune trace de présence d'enfants n'a été relevée. Dutroux a été entendu verbalement sur le but des travaux. Il a déclaré qu'il aménageait ses caves, sans plus. Les travaux étaient à leurs débuts. »
Une explication légère qui, semble-t-il, a suscité suffisamment d'intérêt pour en avertir les limiers liégeois, mais pas assez pour mener une solide enquête sur place...
Août 1995, Liège reçoit un nouveau fax reprenant les affirmations d'un témoin anonyme qui aurait reçu des confidences de Dutroux, quelques jours plus tôt. Selon cet anonyme, Dutroux lui a proposé de participer à des rapts d'enfants.
Un autre anonyme renchérit en apprenant aux enquêteurs 1à manière de procéder de Dutroux lors d'un enlèvement d'enfants :
« Il suffit de les tenir avec une main sur la bouche. Une fois dans la voiture, elles ne peuvent partir car la sécurité enfant est placée (...); le prix varie entre 100.000 et 150.000 F. »
La juge d'instruction, Mme Doutrewe, ordonne alors une perquisition chez Dutroux.
Ce sont les gendarmes de Charleroi qui sont chargés de ce devoir d'enquête. Ils connaissent bien les lieux et l'intéressé.
Pas assez seulement puisqu'ils rentreront bredouilles alors que Julie et Mélissa étaient encore en vie ! On peut se demander pourquoi, à ce moment, ils n'étaient pas munis du matériel sophistiqué employé ces derniers jours.
Les gendarmes carolos du POSA organisent alors des surveillances étroites de Dutroux, mais rien ne filtrera de ses horribles forfaits.
Lorsque Dutroux sera arrêté, qu'il passera aux aveux et dira qu'il va donner deux filles, Sabine et Laetitia, les gendarmes perquisitionneront chez lui mais ne trouveront rien. Il faudra revenir une fois sur les lieux, en étant munis des indications précises du pédophile.
Graves accusations
En décembre 1995, alors que les deux fillettes sont encore en vie, une deuxième perquisition est menée chez Dutroux... par les gendarmes locaux.
Elle ne s'inscrit même plus dans le cadre de l'enlèvement des deux gamines, mais est motivée par un vol. Les enquêteurs qui se rendent sur place ne sont d'ailleurs pas mandatés par la juge liégeoise, Martine Doutrewe, mais par un autre juge d'instruction de l'arrondissement judiciaire concerne.
Me Hissel, l'avocat des familles Russo et Lejeune, affirme qu'à cette occasion, les gendarmes auraient entendu des gémissements d'enfants.
Mais comme ils sont venus pour des voitures, ils n'y prêteront aucune attention. Voilà donc des gendarmes qui connaissent parfaitement les antécédents de Dutroux, qui entendent des gémissements d'enfants et qui ne font et ne disent rien. Difficile à imaginer, cependant...
Me Hissel qui a formulé, mardi soir, ces accusations face à la caméra, s'est montré moins affirmatif, mercredi.
Maintenant, il admet n'avoir eu aucune confirmation officielle de ses dires de la veille.
Jean-Michel Crespin
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Le parquet de Louvain n'a pas voulu céder au chantage et Claude Lelièvre n'a rien obtenu
« La Meuse » du jeudi 22 août 1996 page 12
Tout a été tenté pour faire parler le détenu de Louvain. Il a même reçu la visite de Claude
Lelièvre. Mais fallait-il céder au chantage et libérer un pédophile ?
Le parquet de Louvain a dit non
Comme nous l'indiquions dans notre édition de mardi, le parquet de Louvain et le parquet de Bruxelles se sont opposés à la libération d'un pédophile en échange de renseignements qui auraient pu sauver les vies de Julie et Mélissa. Mais, il ne faut pas en conclure pour autant que rien n'a été fait pour convaincre ce détenu de livrer son terrible secret.
Quelques jours après la disparition de Julie et Mélissa, un détenu de la prison de Louvain a proposé, en échange de sa libération, des informations menant aux auteurs de l'enlèvement de Julie et Mélissa. Confronté à ce «chantage », le parquet de Liège a cédé, acceptant le marché. Mais, le parquet de Louvain et le parquet de la cour d'appel de Bruxelles avaient refusé de libérer l'individu. En fait, le gaillard avait été arrêté pour des faits graves de pédophilie et on ne voulait pas libérer un pédophile pour en attraper un autre...
Face à ce refus bruxellois et louvaniste, la justice liégeoise s'est retrouvée fort dépourvue, le détenu n'acceptant évidemment pas de donner ses informations sans contrepartie. Un retour que Liège ne pouvait pas rendre puisque tout était bloqué à Bruxelles.
Etonnant ! Le détenu en question avait déjà fait preuve de sa « compétence ». Il avait en effet déjà recouru à de tels marchés et avait livré à Bruxelles des renseignements fiables.
Le refus bruxellois est par conséquent étonnant et ce, d'autant plus que le pédophile était détenu préventivement et qu'il devait donc comparaître en jugement et éventuellement être condamné.
En outre, il aurait pu être soigneusement surveillé, durant cette courte période de liberté.
Bref, un espoir s'était envolé à Liège. L'avocat des familles Russo et Lejeune, Me Hissel, a alors été contacté par le détenu. Il s'est rendu à la prison de Louvain, mais n'a lui non plus obtenu aucun renseignement.
Loin de se décourager, le parquet général de Liège a décidé de laisser le détenu accuser le coup (le refus de son marché) et d'aller le retrouver une semaine plus tard.
C'est à ce moment que M. Claude Lelièvre, le délégué général au droit de l'enfant est entré en scène. Prenant contact avec M. Giet, M. Lelièvre a suggéré de se rendre à Louvain pour tenter de convaincre le détenu de livrer ses informations.
Il lui fallait pour cela obtenir l'autorisation pour rencontrer le détenu, autorisation que M. Giet s'empressa de lui accorder.
M. Lelièvre s'est donc rendu plusieurs fois à Louvain et a rencontré le détenu. Mais, malgré ces visites et ses efforts, il a été réduit à dire à M. Giet qu'il n'avait rien appris.
Personne ne sait donc avec exactitude ce que ce détenu allait raconter puisqu'il n'a jamais livré le moindre renseignement à personne; Aujourd'hui, il parait avoir affirme a son avocat qu'il avait vu les photos de Julie et de Mélissa dans un album de photos pornographiques d'enfants. Ces photos menaient tout droit au milieu pédophiles de Charleroi. Pas à Dutroux.
Quoique! On imagine assez mal qu'il puisse s'agir d'un autre réseau pédophile puisque c'est chez le monstre de Sars-La-Buissière que l'on a retrouvé les corps sans vie des deux fillettes.
Le parquet de Louvain qui estime, aujourd'hui, que le détenu voulait uniquement se rendre intéressant a de quoi se poser des questions.
Jean-Michel Crespin
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Nos lecteurs veulent réagirent
« La Meuse » du jeudi 22 août 1996 page 12
Nous publierons chaque jour des extraits des nombreuses lettres signées que nous recevrons
Tout le pays est écoeuré par les horribles faits de ces derniers jours. Et nombreux sont nos lecteurs qui veulent faire quelque chose, réagir.
Certains signent la pétition de l'asbl Marc et Corine en faveur de l'incompressibilité des peines (dont nous avons publié le formulaire dans nos éditions de lundi). D'autres nous téléphonent ou nous écrivent. Nous allons ouvrir nos colonnes à ces réactions, à condition qu'elles soient écrites et signées.
Vu l'abondance du courrier que nous recevons déjà, nous nous permettrons de ne re prendre que les passages les plus significatifs afin de pouvoir en publier le plus possible.
Jacques Coupienne, de Stockay-Saint-Georges
Je fais appel à tous les concitoyens et à toutes les organisations se sentant concernés (sauf l'extrême droite) afin que nous ne nous laissions plus endormir par de mielleuses promesses et que le débat soit porté durablement sur la place publique. Ayons .conscience que les coupables de la mort de ces malheureux enfants ne sont pas seulement les pédophiles, mais aussi, et certes involontairement, certains responsables (ou réputés tels) trop souvent plus soucieux de leur image publique que de leur fonction! D'ailleurs qu'en est-il de leur image actuellement?
- Aurore Joris, de Dison
« Mère d'une petite fille de cinq ans, je me sens concernée et je sais que seule, tout ce que je pourrai tenter pour faire cesser cette horreur ne serait qu'une goutte d'eau dans l'océan mais nous avons tous en nous cette pensée égoïste « chacun pour soi » et défaitiste: « Que pris-je y faire » alors que si toutes les «gouttes d'eau » se réunissaient, elles formeraient l'océan ».
Dominique T.,de Flémalle:
« Venons-en à ces peines incompressibles avec suivi médical. Trouvez-vous plus «normal» d'offrir à un tel être vivant: le gîte (propre, net, chauffé, avec vue sur le ciel bleu), la nourriture (équilibrée), la surprotection (ici, pas de risque de voir arriver un méchant monsieur...) et en plus, les soins médicaux et le soutien psychologique en vue d'une prochaine réinsertion ?
Entre nous, s'il n'a pas réussi, ou voulu, s'insérer au bout de 39 ans, je doute que vos équipes y parviennent N'ont-elles déjà pas essayé? Qui va payer? L'argent DES PARENTS DES VICTIMES?
Notre pays va-t-il devenir un «paradis » pour bêtes sauvages puisqu'elles savent y être mieux traitées que chez les voisins? »
Paulette Petitjean,d'Awans
«Je m'appelle Paulette, j'ai 14 ans. Je suis triste pour Mélissa et Julie. Je pense tous les jours à eux et vous aussi les parents. Je vous soutiens par mes pensées. Prenez courage. Maintenant j'ai peur moi aussi».
Nicole Goffart, de Horion-Hozémont
« Dans notre société ultra médiatisée, les moyens d'information si souvent décriés (parfois à juste titre d'ailleurs) se chargent de faire découvrir à la société des dessous d'affaires pas très reluisants et bien inquiétants pour notre démocratie. Sous le couvert de « Secret de l'instruction », « Respect de la procédure » et bien d'autres termes d'un jargon incompréhensible au commun des mortels, la Justice peut se donner bonne conscience... C'est sa façon à elle de laisser stagner, avec la bénédiction du monde politique, les véritables problèmes d'une société rongée par l'obsession du matérialisme. Cette obsession est devenue telle qu'elle ne laisse plus aucune place aux valeurs qui devraient régir la vie d'un homme: le respect de l'autre, la solidarité; le sens de la famille, la protection des faibles, et, surtout, le sens des responsabilités ».
- Marcel Peters,de Jemeppe s/Meuse
Alors que toute la Belgique signe des pétitions pour des peines incompressibles et pour le rétablissement de la peine de mort, le nouveau ministre de la Justice a déjà annoncé qu'il était contre. Ce monsieur est-il insensible? La Belgique entière ne comprendrait pas un refus de sa part».
Une maman
Quand un enfant est violé, torturé, condamnons sans réserve son bourreau et ne lui octroyons surtout pas le bénéfice du doute! Condamnons le à une peine exemplaire et incompressible de manière à dissuader quiconque d'agir de la sorte. Et quand infraction il y aura, ce sera en pleine connaissance de cause ! Tout un chacun se doit de subir les conséquences de ses actes, d'autant plus les bourreaux d'enfants, pédophiles et autres. Protégez nos enfants, je vous en prie ».
D.M., de Herstal:
Toute la commune se pose des questions au sujet du roi Albert et de son épouse Paola. Le roi Baudouin et la reine Fabiola se seraient manifestés beaucoup plus tôt».
Joseph Seret, de Fléron
«Je voudrais, par votre intermédiaire, poser une question à nos «responsables».
Quel sens donnent-ils aux mots «RESPONSABLE» et « RESPONSABILITÉ»? A l'heure où la Belgique entière est sous le coup de la plus grande émotion, je pense qu'une explication est nécessaire».
Anna, de Dison
Vous étiez rayonnantes de joie et de bonheur. Et maintenant, ce sont nos cœurs qui pleurent. Nous sommes de tout coeur avec vos parents. Jamais personne ne pourra vous remplacer dans leur coeur. Mais nous tous comprenons très fort leur douleur. Julie et Mélissa à jamais dans nos coeurs resterez vivantes ».
Alberto Lucentini, de Bressoux
Au-delà de l'immense tristesse, de la colère et de la révolte, le dénouement tragique de Julie et Mélissa laisse un sentiment d'impuissance. Les citoyens peuvent pourtant se mobiliser et répondre au voeu des parents Russo et Lejeune pour que « les fillettes ne soient pas mortes pour rien ». Dans ce sens, le Conseil de Quartier de Bressoux a décidé d'apporter son soutien à la pétition que Marie-France Botte veut adresser aux Autorités du pays. Cette action parmi d'autres parviendra peut-être à convaincre les politiques de prendre des mesures concrètes Viables et efficaces pour que, plus jamais, un enfant n'ait à vivre le calvaire enduré par Julie et Melissa.
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Ecoeurement
« La Meuse » du jeudi 22 août 1996 page 12
L'avocat des parents :«On voulait un petit fil, ils avaient des câbles »
Victor Hissel, l'avocat des parents de Julie et Mélissa, qui était également celui des parents de
Marc et Corine, ne mâche pas ses mots sur la manière dont l'enquête a été menée.
Lui qui s'est toujours battu pour que les parents puissent avoir accès au dossier se dit que, rétrospectivement, on a vraiment laissé filer sa chance.
Il est consternant d'apprendre aujourd'hui tout ce que les enquêteurs savaient et de savoir qu'ils n'ont rien fait. Nous, on cherchait un petit bout de fil pour remonter jusqu'à la solution.
Et eux, c'était des câbles qu'ils avaient. Si l'on pouvait encore penser qu'ils ne disposaient d'aucune information, on pourrait ne pas leur en vouloir. Mais quand on apprend tout ce qu'ils savaient, c'est tragique
Un moment, ils ont accepté de nous donner quelques informations mais c'étaient des conneries du style de la femme de Jabbeke qui avait cru voir les petites dans un restoroute. Pour l'important, à savoir les pédophiles, ils ne nous donnaient rien. A croire qu'on voulait vraiment les protéger.
Je suis renversé quand j'entends tout cela. Cela confirme que les parents avaient raison sur toute la ligne quand ils disaient que leurs enfants étaient encore en vie et pris dans un réseau de pédophilie.
Et je m'en veux de ne pas y avoir cru aussi fort qu'eux.
Si on avait eu tous ces éléments en leur temps, on aurait pu éviter la mort des deux fillettes et bien d'autres drames encore (allusion directe à Sabine, Laetitia, Ann et Eefje, et peut être d'autres encore...).J'y pense sans arrêt... »
L.G.